Dans l’actualité le 13 juillet
Ce que nous voyons sur le terrain au Québec
La crise du régime de l’assurance-emploi s’aggrave
France Simard est la coordonnatrice du Mouvement Action Chômage au Lac-Saint-Jean au Québec.
Forum ouvrier : La dernière fois que tu nous as accordé une entrevue [1], en février de cette année, tu as fait mention des délais énormes auxquels les gens font face pour recevoir leurs prestations d’assurance-emploi(AE). Un des facteurs était le grand nombre de vols d’identité des prestataires de l’assurance-emploi, ce qui crée des demandes frauduleuses. Il semble que la crise n’a fait que perdurer. Peux-tu nous en dire plus ?
France Simard : La situation n’a pas vraiment changé. Si je parle de notre situation au Lac-Saint-Jean, il y a encore au moins 85 % des dossiers qui sont en retard. Je parle ici des dossiers qui ne sont pas réglés automatiquement par le système informatique. Je parle des dossiers qui requièrent l’intervention d’un agent de Service Canada.
Lorsque le ministère nous donne des statistiques, il nous parle des dossiers sur lesquels il n’y a pas de problème, qui sont réglés dans les 30 jours, comme c’est censé être le cas. Ils nous disent que tout est beau, que 80 % des dossiers sont réglés en 28 jours. Peut-être, mais ce sont 80 % des dossiers qui ne sortent pas de l’informatique, pour lesquels tout va bien, qu’il n’y pas d’accrochage. Ce sont les autres dossiers qui font face à des problèmes, quand il y a un départ volontaire du chômeur de son travail par exemple, ou qu’il y a une allégation d’inconduite contre lui, et que le dossier doit être traité par un agent de Service Canada.
Ce que nous voyons sur le terrain, ce sont tous les cas qui nécessitent l’intervention d’un agent. C’est avec ces dossiers-là que les temps d’attente peuvent être exorbitants. J’en ai eu un où cela a pris 6 mois avant que cela se règle. Il y a eu aussi tous les cas de fraude à cause des vols d’identité. Il y a eu beaucoup de vols d’identité et il y en a encore. Alors ils ont mis tous les agents sur ce dossier-là. Pendant ce temps, les autres dossiers qui nécessitent eux aussi l’intervention d’un agent, comme par exemple un demandeur qui a quitté son emploi pour diverses raisons, ne sont pas considérés comme étant pressés. Les dossiers qui sont considérés comme étant pressés c’est ceux qui ont été en fraude à cause du vol d’identité. Ils ont mis plus de monde pour traiter ces dossiers, mais ils n’ont pas engagé des agents, ils ont déplacé des agents d’un poste à l’autre.
La situation s’aggrave encore dans le cas, disons, d’un prestataire qui va recommencer à travailler à temps partiel. Son cas est considéré comme encore moins pressé parce qu’il n’est pas en situation d’urgence. Ou encore les travailleurs qui ne sont pas dans une situation économique où ils vont perdre leur logement, qui n’ont pas d’enfant, tout cela est pris en compte pour juger de l’urgence ou non de leur demande.
La situation en est rendue à un point où lorsqu’un prestataire nous appelle et que son dossier est en attente, il faut lui poser des questions indiscrètes parce que c’est le seul moyen de faire bouger le dossier. Nous ne sommes pas là pour cela. Ce n’est pas notre rôle de faire des enquêtes de crédit, de leur demander s’ils sont capables de payer tout ce qu’ils ont à payer, s’ils ont de quoi manger, s’ils ont des enfants parce que si vous avez des enfants, vous allez être considéré comme étant un peu plus importants. Ou s’ils sont une personne monoparentale. J’ai eu le cas d’une personne monoparentale, son cas s’est réglé très vite parce que son dossier a été considéré comme un cas humanitaire.
FO : Quelles sont vos demandes immédiates pour accélérer le traitement des demandes et assurer que les chômeurs reçoivent leurs prestations ?
FS : Il faut que le système informatique de l’assurance-emploi soit amélioré immédiatement. Ce système est une véritable passoire dans les cas de fraude liés aux vols d’identité des prestataires.
Il y a des gens qui travaillent à Service Canada qui suggèrent des solutions aux plus haut placés, mais ce n’est pas accepté parce qu’il semble que des solutions doivent venir d’en haut et non d’en bas. Par exemple, un agent à l’interne avait proposé de faire ajouter « êtes-vous un robot » dans la demande d’assurance-emploi. Cela aurait pu bloquer une partie des fraudeurs. Mais non, ils se font dire que le système n’est pas organisé pour faire cela. Les gens sur le terrain proposent des solutions mais elles ne sont pas acceptées.
Cela fait deux ans que le gouvernement nous parle de faire une réforme du régime de l’assurance-emploi. La première année devait être consacrée à améliorer le système informatique parce qu’ils disaient qu’il est désuet. Cela était censé permettre que la deuxième année soit consacrée à la réforme, pour améliorer le régime de l’assurance-emploi. On ne sait pas où ils ont mis l’argent pour améliorer le système informatique.
Nous demandons des mesures pour que le système informatique soit rendu plus efficace. Nous demandons aussi que des agents soient engagés, ce n’est pas une solution de juste déplacer des agents d’un poste à l’autre. Ce n’est pas de cette façon-là qu’on va régler le problème. Il y a aussi la nécessité d’une réforme en profondeur du régime de l’assurance-emploi pour en faire un régime accessible, juste, universel et non discriminatoire. La rumeur maintenant est que le projet de réforme est remis en octobre prochain. Cela fait des années que les organismes sur le terrain présentent des revendications pour une réforme en profondeur du régime [2].
Il faut voir aussi que la crise actuelle nous force à agir bien au-delà de notre mandat.
Cela fait maintenant 21 ans qu’on est ouvert au Lac-Saint-Jean, et on n’avait jamais fait jusqu’à présent de dépannage alimentaire. Maintenant nous sommes obligés d’en faire. La détresse est très grande parmi les chômeurs. Le travail quotidien pour nous est de plus en plus lourd. Nous faisons de l’accompagnement, nous devons parler avec eux de plus en plus longtemps, pour les rassurer et les calmer. Parfois, quand leur détresse psychologique est rendue trop grande, nous devons les référer à des organismes qui vont s’occuper de leurs problèmes parce que nous n’avons pas les compétences pour le faire. Mais nous ne pouvons pas laisser les gens dans leur détresse.
Je ne comprends pas pourquoi le ministère et le ministre nient cette situation. Je les invite, eux et les gens en haut de la pyramide de Service Canada, à venir nous rencontrer, rencontrer les organismes, venir sur le terrain. Au lieu de donner l’impression que nous sommes des plaignards parce que nous disons que ça ne marche pas, qu’ils viennent sur le terrain, ils vont voir que tout ne va pas bien.
Notes
1. Lire « À la défense de la dignité et des droits de tous les travailleurs sans emploi – Entrevue avec France Simard » – Forum ouvrier, 19 février 2022.
2. Les revendications du Mouvement Action Chômage Lac-Saint-Jean sont celles du Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi dont il fait partie.
Ce sont :
– un seuil d’admissibilité unique de 350 heures ou de 13 semaines ;
– un taux de prestations d’au moins 70 % du salaire assurable, basé sur les 12 meilleures semaines de travail ;
– un plancher minimum de 35 semaines de prestations ;
– l’abolition des exclusions totales de l’AE pour les travailleurs qui perdent leur emploi par départ volontaire ou qui sont congédiés ;
– l’accès aux prestations régulières d’AE, en cas de perte d’emploi, sans égard aux prestations maternité/parentales/paternité reçues.
Forum ouvrier, affiché le 13 juillet 2022.
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