Dans l’actualité le 29 juin
Une décision déplorable de la Cour suprême des États-Unis contre le droit des femmes à l’avortement et aux soins de santé
La décision de la Cour suprême des États-Unis et l’importance d’affirmer les droits des femmes
LML : Merci de vous joindre à nous. Vous avez été l’une des principales organisatrices de la Caravane pour l’avortement au Canada en 1970, qui a affirmé avec audace les droits des femmes à l’époque, amenant les femmes en première ligne de la lutte pour les droits. Mais dites-nous d’abord ce que vous pensez de la décision de la Cour suprême des États-Unis (SCOTUS) d’annuler son précédent arrêt Roe c. Wade de 1973.
Dawn Hemingway (Carrell) : La décision de la Cour suprême constitue une grave attaque contre les femmes des États-Unis et leurs droits reproductifs tels que l’avortement, et fait partie de la vaste offensive des gouvernements contre les femmes et les enfants partout aux États-Unis, tant au niveau fédéral qu’au niveau des États. Ces attaques comprennent le manque d’accès à des soins de santé et à des services de garde d’enfants abordables, d’autres lois réactionnaires niant les droits reproductifs, le refus du congé de maternité payé, des conditions dangereuses pour les enfants dans les écoles et la détention forcée de femmes et d’enfants sans papiers à la frontière.
La décision de la Cour suprême des États-Unis fait également ressortir de nombreux défis importants auxquels sont confrontées les femmes au Canada en matière d’affirmation de leurs droits reproductifs. Les services d’avortement sont limités dans tout le pays et de nombreuses femmes doivent parcourir de longues distances sans être remboursées pour avoir accès à ces services et à d’autres services de santé. La privatisation et les compressions gouvernementales continuent d’avoir un impact négatif sur la qualité des soins de santé pour tous. Et un nombre croissant de personnes au Canada, y compris les travailleurs migrants et les travailleurs sans papiers, n’ont aucune couverture médicale.
La réponse des femmes aux États-Unis, au Canada et dans le monde entier à cette attaque a été de se mettre en action par centaines de milliers pour renverser cette vaste attaque contre leurs droits. Les femmes se lèvent pour affirmer leurs droits. Et au centre de cette lutte se trouve le combat pour des soins de santé pour tous.
LML : Parlez-nous de votre participation au travail d’organisation à la fin des années 1960 et au début des années 1970 sur la santé des femmes, y compris l’avortement. Nous aimerions entendre parler de cette expérience et de son impact.
DH(C) : À cette époque, les femmes, les jeunes, les travailleurs et les étudiants — en fait, la société dans son ensemble — étaient confrontés à d’importants défis au pays et à l’étranger. En tant que jeunes femmes, nous luttions pour nos droits, pour des conditions de vie et de travail appropriées (beaucoup d’entre nous étaient à la fois travailleuses et étudiantes), pour mettre fin au racisme, au sexisme et aux guerres d’agression au Viet Nam, au Cambodge et dans d’autres pays, pour la reconnaissance des droits ancestraux des peuples autochtones, pour les droits et les besoins des personnes âgées, des personnes en situation de pauvreté et des personnes handicapées. C’était une époque turbulente, mais positive et tournée vers l’avenir.
La recherche de moyens de se rassembler et de s’organiser pour faire naître des changements significatifs figurait en tête de nos priorités. Nous étions déterminés à utiliser nos propres voix — à être nos propres artisans du changement — et les femmes étaient à l’avant-garde de ces luttes. Les groupes en faveur de la libération des femmes se multipliaient partout au Canada. La santé et les droits reproductifs des femmes étaient d’énormes préoccupations. Nous étions convaincues que le droit de contrôler notre propre corps et d’avoir des soins de santé gratuits, accessibles et adéquats pour les femmes — et pour tout le monde — faisait partie intégrante de la prise en charge de notre vie.
LML : Et tu as participé à l’organisation spécifique de l’accès à l’avortement ?
DH(C) : Oui. Une préoccupation importante à la fin des années 1960 était le fait que l’avortement demeurait une infraction codifiée à l’article 251 du Code criminel du Canada, ce qui faisait en sorte que de nombreuses femmes, surtout celles qui avaient des ressources limitées (et qui ne pouvaient donc pas se rendre dans d’autres juridictions à l’extérieur du Canada), n’avaient d’autre choix que de recourir à des avortements « clandestins », une « procédure » qui a entraîné le décès annuel d’environ 2 000 femmes à cette époque. En 1969, le gouvernement de Pierre Trudeau a adopté le projet de loi omnibus C-150, présenté comme une « légalisation ». Cependant, il obligeait les femmes à demander « l’approbation » d’un comité d’avortement thérapeutique (CAT) composé de trois médecins qui « décidaient » si la grossesse mettait en danger la santé mentale, émotionnelle ou physique de la mère. Outre le fait qu’une femme ne pouvait pas prendre sa propre décision, ce qui n’est souvent pas mentionné est le fait que, selon les termes de ce projet de loi, les hôpitaux n’étaient pas tenus d’avoir un CAT ni de pratiquer des avortements, sans parler du fait que de vastes régions et de nombreuses communautés au Canada n’avaient pas d’hôpitaux et que les cliniques d’avortement restaient illégales. Cette situation était totalement inacceptable et nous avons donc décidé de lancer une campagne nationale pour mobiliser les femmes et tout le monde afin de mettre un terme à cette situation.
LML : En quoi consistait cette campagne ?
DH(C) : Nous avons entrepris des recherches sur la structure de la profession médicale et avons cherché d’autres méthodes d’organisation médicale que la « libre entreprise, la méthode du paiement à l’acte ». Nous avons soulevé des questions sur les raisons pour lesquelles des conseils d’administration d’hôpitaux non élus et des comités d’avortement dans les hôpitaux prenaient des décisions sur nos vies — des décisions qui nous appartenaient. Nous avons condamné la pratique de la stérilisation forcée au Canada et à l’étranger, ainsi que l’utilisation de femmes en Asie, en Afrique et en Amérique latine comme « cobayes » pour tester la régulation des naissances et d’autres « recherches » médicales connexes. Nous avons exigé que l’avortement soit retiré du Code criminel et que toutes les femmes y aient accès en tant que droit humain fondamental, dans le cadre des soins de santé. Et, ce qui est important, tout au long de ce travail, nous avions notre propre journal, The Pedestal, afin de pouvoir parler directement de la campagne aux femmes de la province et du pays. Le point culminant de ce travail a été la Caravane de l’avortement de 1970, une caravane de voitures qui a quitté Vancouver et s’est déplacée de ville en ville à travers le pays, jusqu’à notre destination finale, la Chambre des communes à Ottawa. En cours de route, nous avons partagé notre journal, tenu des réunions, des débats, des manifestations et des discussions qui ont mis partout au premier plan le droit à l’avortement et les questions de santé connexes.
Le premier ministre et les principaux ministres du Cabinet ont refusé de nous rencontrer, mais cela ne nous a pas découragées. Nous avons organisé une série d’actions à Ottawa, dont le point culminant a été une grande manifestation autour de la flamme du Centenaire, devant l’édifice du Parlement, avec les médias partout. Et pendant que l’attention était concentrée sur la manifestation, 17 d’entre nous se sont frayé un chemin dans les édifices du Parlement (avec des laissez-passer obtenus mystérieusement) et se sont installées dans chaque section de la galerie des visiteurs. Une fois sur place, nous avons commencé à interpeller les députés sur la nécessité de sortir l’avortement du Code pénal. Les députés, manifestement choqués et mécontents de notre présence, et comme il n’y avait qu’une seule femme députée à la Chambre des communes à l’époque, Grace McInnis, la sécurité a été appelée pour nous faire sortir. À leur grande surprise et à notre grande joie, ils n’avaient pas remarqué que nous nous étions enchaînées aux sièges de la tribune ! Ils sont allés chercher des pinces coupantes pendant que nous continuions à présenter nos revendications. Ce point culminant de la Caravane de l’avortement a conduit à la fermeture du Parlement pour la première fois dans l’histoire du Canada et a jeté les bases du retrait de l’avortement du Code criminel et des avancées concernant le droit plus large aux soins de santé pour tous. Dans les jours qui ont suivi, les journaux ont titré notamment : « Des femmes en colère interrompent la séance du Parlement », « Les protestataires forcent la Chambre à ajourner », « Après l’invasion des femmes : des boucliers de protection demandés pour les députés. »
LML : Avec le recul, quelles sont les dernières réflexions que vous aimeriez partager ?
DH(C) : Il y aurait tellement de choses à dire, mais permettez-moi de souligner trois choses qui, à mon avis, restent essentielles aujourd’hui. Premièrement, nous avons enquêté nous-mêmes. Nous avons examiné les enjeux autour desquels nous nous sommes organisées et dont nous avons parlé. Et nous avons élaboré nos plans sur la base de ces connaissances. Et nous avons créé notre propre journal pour pouvoir parler directement à la communauté au sens large. Deuxièmement, chacune d’entre nous a mis ses compétences au service d’un travail auquel elle pensait pouvoir apporter la meilleure contribution. Par exemple, j’ai été chargée de parcourir le pays pour jeter les bases de la Caravane. D’autres femmes ont veillé à ce que notre journal et d’autres documents soient toujours bien faits et disponibles. D’autres encore ont organisé des réunions et des discussions au sein de la communauté. D’autres encore ont contribué dans le domaine du théâtre et des arts. Chacune a contribué de la manière qui lui convenait le mieux. Et enfin, nous avons eu des discussions importantes entre nous, pas seulement sur l’avortement ou sur des questions de santé, mais sur la manière dont cela s’inscrit dans la réalisation de l’émancipation des femmes, et de tous et toutes. Les slogans peints sur la camionnette Volkswagen dans laquelle je voyageais avec d’autres personnes donnaient un aperçu de cette discussion stimulante. D’un côté, on pouvait lire : « L’avortement est notre droit ! » et, à côté, un autre slogan qui disait simplement : « Brisons le capitalisme ! »
En ce qui concerne les droits reproductifs et les autres droits humains, il s’agit avant tout, hier comme aujourd’hui, de se mettre en action et de lutter pour leur affirmation.
LML : Merci beaucoup. C’est grâce au travail des femmes des années 60 que de nombreux progrès ont été réalisés, non seulement à l’époque, mais aussi depuis.
LML Quotidien, affiché le 29 juin 2022.
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