Dans l’actualité le 20 juin
Trois mois de lockout à l’usine de Rolls-Royce Canada à Lachine au Québec
Appuyons fermement la lutte des travailleurs pour la dignité du travail et les droits de tous et de toutes
Frédéric Labelle est le président du Syndicat des travailleuses et des travailleurs de Rolls-Royce Canada (CSN)
Forum ouvrier : Les quelque 530 travailleurs cols bleus chez Rolls-Royce Canada à Lachine sont en lockout depuis le 15 mars dernier. Peux-tu nous dire depuis quand l’usine existe et quel travail font les travailleurs membres du syndicat ?
Frédéric Labelle : L’usine est en production depuis 1947, juste quelques années après la guerre. Je représente les cols bleus de l’usine. Nous faisons l’entretien de moteurs d’aéronefs d’affaires, comme les Global Jet. Notre principal client est Bombardier. Nous avons déjà été environ 1500 dans l’usine, maintenant nous sommes environ 950 employés, dont 530 cols bleus, une centaine de cols blancs, et le reste fait partie des cadres. La compagnie a déclenché le lockout alors que
nous étions en assemblée générale pour aller chercher un mandat de grève pour renforcer nos moyens de pression. Nous n’avions pas l’intention d’envoyer d’avis de grève et de déclencher la grève à ce moment-là.
FO : Quels sont les points saillants du conflit ?
FL : Le normatif est réglé. Il reste deux enjeux, le fonds de pension et les salaires, qui sont liés un à l’autre.
Ce que l’employeur cherche à faire c’est d’éliminer le régime de retraite à prestations déterminées pour tous et de nous mettre tous sur un régime à cotisations déterminées. Le mandat que nous ont donné nos membres, depuis le jour un, est de réintégrer tout le monde dans le régime à prestations déterminées. Nous avons une clause orpheline dans notre convention qui inclut environ 50 personnes à cotisations déterminées, versus environ 450 membres qui sont sur un régime à prestations déterminées.
Depuis le début de la négociation, l’employeur nous dit que ce n’est pas une question d’argent, que c’est une question d’image à travers la corporation mondiale parce que nous sommes la seule usine qui a maintenu le régime à prestations déterminées aussi longtemps. L’argument de l’image de la compagnie ne tient pas. Ça fait 400 ans qu’on se bat pour nos droits au Québec, on ne lâchera pour l’image d’une compagnie !
La compagnie nous offre aussi deux années de gel salarial, avec l’inflation qui est à 7 % ! Nous serions à 0 %, 0 % les deux premières années, ce qui est complètement inacceptable pour nos membres.
Depuis deux ans, la situation s’est détériorée et est devenue très tendue. Les travailleurs ont en moyenne entre 15 et 20 ans d’ancienneté. Ce sont des travailleurs qui ont connu de belles années à Rolls-Royce mais ça s’est détérioré depuis.
Le côté familial et personnel a disparu complètement. C’est juste une question d’argent maintenant, tout est axé sur les actionnaires.
En plus, on est en pleine pénurie de main-d’oeuvre. Ils ont de la difficulté à recruter et notre argument est que le régime de retraite à prestations déterminées va garder les travailleurs à l’usine et attirer les travailleurs qualifiés. Toutes les entreprises de l’aéronautique à Montréal s’arrachent les employés qualifiés, comme partout ailleurs.
La dernière fois qu’on a rencontré l’employeur, c’est le 16 mai. L’offre de l’employeur qu’il nous avait présentée le 11 mai a été rejetée à 94 % par les travailleurs. Nous avons alors fait un retour à l’entreprise, le syndicat a baissé ses demandes salariales et nous avons augmenté notre cotisation au fonds de pension pour maintenir le régime à prestations déterminées pour tous. Nous avons fait un geste et nous attendons le retour de l’entreprise.
Nous demandons un contrat de 7 ans qui est un contrat de 5 ans à partir d’aujourd’hui parce que la convention est échue depuis mars 2020.
FO : Dans vos communiqués, le syndicat dénonce l’intimidation que la compagnie exerce contre les travailleurs. Peux-tu nous en dire plus ?
FL : Les relations sont dures parce que la compagnie a beaucoup attaqué les travailleurs même au niveau personnel, en envoyant des huissiers à la maison, en faisant des mises en demeure.
Quand on a commencé nos moyens de pression, on a commencé à faire du piquetage devant les maisons de gestionnaires qui prennent les décisions à la table de négociation. Nous avons reçu une injonction de la Cour du Québec limitant ce piquetage à 3 personnes de 8 h à 17 h. Nous nous y attendions, ça n’a pas été une surprise pour nous.
Sauf que, au delà de cela, nous avons fait des activités de mobilisation pour rassembler nos membres, garder le monde motivé. Nous avons fait un BBQ dans un parc public qui est situé à plus de 10 mètres de la maison d’un superviseur mais qui se trouve sur la même rue où le superviseur habite. [L’injonction interdit le piquetage à moins de 10 mètres de la résidence d’un cadre – Note de FO] Il n’a pas aimé ça et il a fait une plainte à la Cour du Québec disant qu’on allait à l’encontre de l’injonction. L’entreprise a amené 150 de nos membres il y a environ une semaine à la Cour du Québec pour outrage au tribunal. Le 10 juin, notre avocat de la CSN a déposé un plaidoyer de non-culpabilité pour les 150 membres qui ont été amenés en cour par l’entreprise, dont mon exécutif au complet.
Tout cela va rendre les choses très difficiles quand nous allons retourner au travail.
FO : Veux-tu dire quelque chose en conclusion ?
FL : À notre avis, l’enjeu est historique et noble parce que cela touche tous les travailleurs du Québec, pas juste les travailleurs de Rolls-Royce. Toutes les entreprises de l’aérospatiale et les grandes usines vont suivre l’exemple de Rolls-Royce si on ne gagne pas cette lutte pour nos revendications. Elles vont essayer d’éliminer le régime à prestations déterminées. Nous invitons tout le monde à venir nous appuyer sur les lignes de piquetage.
Forum ouvrier, affiché le 20 juin 2022.
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