Dans l’actualité le 10 juin
Justice pour les travailleurs migrants temporaires
Pourquoi un recours constitutionnel maintenant?
Un sujet de grande préoccupation aujourd’hui est la recherche de justice pour les travailleuses et les travailleurs migrants, un domaine où la violation des droits humains fondamentaux est prononcée et comprend non seulement le mépris total de la personne humaine mais également la traite des personnes.
Le respect des droits fondamentaux des travailleurs migrants doit être le même que pour tous les travailleurs du Québec et du Canada. Ils font partie d’une seule et même classe ouvrière et contribuent immensément à l’économie du pays, à sa culture et au bien-être de tous. Nous avons besoin d’eux tout comme ils ont besoin de nous et, en tant que collègues, amis et voisins, leur combat est aussi le nôtre. De plus, lorsqu’ils sont privés de leurs droits et de leur bien-être, cela exerce une pression à la baisse sur les conditions de travail de tous les travailleurs – notamment ceux qui travaillent aux côtés d’autres personnes placées par l’État dans une condition légale de servitude patronale.
Au cours des dernières décennies, avec des dizaines d’organisations non gouvernementales, l’Association pour les droits des travailleuses et travailleurs de maison et de ferme (DTMF) a tenté de sensibiliser les équipes des ministères fédéraux de l’immigration et du travail aux graves problèmes posés par ce qu’on appelle les permis de travail fermés, qui maintiennent les travailleurs migrants liés à un seul employeur, et à leur solution possible.
« Le gouvernement canadien à l’heure actuelle est parfaitement au courant des effets de la condition de servitude imposée aux travailleurs étrangers temporaires avec les permis de travail fermés à un employeur », déclare Eugénie Depatie-Pelletier, directrice générale de DTMF.
« En plus, le gouvernement connaît aussi des mesures alternatives décentes pour gérer les pénuries grâce à la main-d’oeuvre migrante et immigrante. Le fédéral connaît ces alternatives parce qu’il les applique déjà. On offre déjà l’admission sous statut permanent. On offre déjà l’admission sous permis de travail ouvert à des quotas annuels, pré-déterminés à des travailleurs ayant différents types de qualifications.
« Au Québec, ce sont en particulier de jeunes français qui ont accès au marché du travail au titre de travailleurs étrangers libres. Ils ont accès à un système d’emploi qui favorise l’obtention ou du moins la recherche de conditions de travail décentes. Ils ont accès à un système d’emploi qui pourrait facilement non plus être une exception pour les travailleurs étrangers privilégiés mais la règle, une règle permettant d’assurer qu’au Canada un marché du travail libre, où les employeurs font face à une saine compétition au niveau du recrutement et de la rétention des employés, une règle démontrant que notre société y prend au sérieux les droits fondamentaux, une règle permettant le respect par l’État de la dignité de toutes les travailleuses et travailleurs au pays, même ceux qui sont ici sous statut légal temporaire. »
Malgré tout, souligne Eugénie, « la position du gouvernement, c’est […] la continuation d’une longue tradition ».
Selon elle, une façon de démanteler de façon durable le système du travailleur non libre est de le contester devant les tribunaux.
« Au Canada, on a une constitution qui permet de faire invalider les actions étatiques qui violent, sans justification suffisante, un droit ou une liberté fondamentale, autant pour les citoyens que pour les non citoyens. »
Eugénie Depatie-Pelletier ajoute que depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, plusieurs recours constitutionnels ont constitué un véhicule efficace et durable d’avancement des droits pour des personnes marginalisées par l’État, comme le droit de choisir sa résidence, l’aide médicale à mourir, la marijuana médicinale pour les personnes souffrantes et l’avortement.
Plus précisément, souligne Eugénie, « ce sont des batailles juridiques obtenues en vertu du droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité de sa personne. C’est notamment sur la base de ce droit que nous pensons que les restrictions au changement d’employeur doivent être déclarées invalides et inapplicables, parce qu’elles protègent le droit implicite de changer d’employeur et de ne pas être tenu dans des conditions de servitude. »
Eugénie décrit les conditions dans lesquelles ces travailleurs étrangers temporaires sont contraints de vivre comme « un système étatique qui restreint de façon injustifiable pour des travailleurs le droit fondamental à la sécurité psychologique, le droit fondamental d’accéder à la justice, le droit fondamental à la liberté ».
« La non liberté sur le marché du travail crée un système qui impose aussi aux employeurs un pouvoir très tentant à utiliser pour extraire illégalement le maximum de l’employé le plus rapidement possible, peu importe l’impact sur le corps, l’esprit ou la famille du travailleur. Cela crée un système qui impose à tous les employeurs concernés, non seulement des employés obéissants et donc flexibles à l’extrême, mais en plus cela crée des travailleurs qui sont jetables à volonté, qu’on peut relativement facilement faire disparaître sur le marché du travail légal en cas de non obéissance, de plaintes, d’accidents de travail, de maladies professionnelles ou même de parentalité inconvéniente.
« Cela crée un système où l’abus peut devenir et devient la norme. Un système qui fait obstacle pour le travailleur à l’exercice en général des droits, un système qui échappe à l’application de l’état de droit, qui ne peut pas se justifier au sein d’une société qui se dit libre. »
« On doit respecter la dignité humaine de toutes les travailleuses de maison, de tous les travailleurs agricoles, même s’ils sont employés sous statut de travailleur étranger, souligne Eugénie. On doit reconnaître comme fondamental le droit de démissionner et de changer d’employeur. Il est plus que temps d’évaluer publiquement les coûts humains et sociaux associés au maintien de notre système de travailleurs en condition de servitude.
« Notre recours a le potentiel d’engendrer un changement de paradigme majeur et durable. Notre recours est nécessaire. Nous avons un cadre juridique, nous avons les arguments, nous avons la preuve. Nous sommes prêts … à nous battre ! »
Forum ouvrier, affiché le 10 juin 2022.
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