Dans l’actualité le 28 mai
Les travailleurs affirment leurs droits
Le rapport sur le déraillement mortel d’un train souligne la nécessité de mettre fin à l’autoréglementation de l’industrie ferroviaire
Le 31 mars, le Bureau de la sécurité des transports (BST) a publié son rapport sur la tragédie ferroviaire de Field, en Colombie-Britannique, au cours de laquelle trois travailleurs du rail ont été tués dans le déraillement d’un train le 4 février 2019. Cette nuit-là, un train de marchandises de 112 wagons de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) transportant du grain à travers les montagnes Rocheuses a déraillé sur un tronçon de voie ferrée de 21,6 kilomètres comportant une pente raide (moyenne de 2,2 %) et plusieurs courbes prononcées, sous une température ambiante de -28 degrés Celsius. Quatre-vingt-dix-neuf wagons et deux locomotives ont déraillé et les trois membres de l’équipe, Dylan Paradis, Andrew Dockrell et Daniel Waldenberger-Bulmer sont morts dans le déraillement. Ils formaient une équipe de relève, ayant pris le relais de l’équipe précédente qui avait dû arrêter le train en urgence parce qu’il n’avait pas été en mesure de maintenir sa vitesse à la limite de 15 mph (24 km/h) ou moins en raison de problèmes de freins. Peu de temps après que l’équipe a pris la relève, le train a commencé à avancer lentement, accélérant progressivement de façon incontrôlée en descendant la pente raide de la montagne. Le train a pu franchir certaines courbes à mesure que sa vitesse augmentait, mais il a été incapable de négocier une courbe plus prononcée juste avant le pont de la rivière Kicking Horse. Le train a déraillé, envoyant la locomotive de tête dans la rivière tandis que les wagons s’écrasaient dans la montagne.
Le rapport du BST présente des faits qui indiquent clairement une négligence criminelle de la part du CP et du gouvernement fédéral.
Selon le rapport, le système de freins à air du train était vieux et en mauvais état et les freins libéraient de plus en plus d’air comprimé et perdaient leur pouvoir de freinage, surtout sur une pente aussi prononcée et par temps extrêmement froid. L’enquête a révélé que pendant la descente de Field Hill avant l’arrêt d’urgence, l’efficacité des freins du train était de l’ordre de 60 à 62 %. Après que le train ait été immobilisé sur Field Hill pendant environ trois heures, sa capacité de freinage s’était dégradée à moins de 40 % de la capacité de freinage maximale.
Le rapport souligne également le manque de formation du CP à l’égard du coordonnateur de train, avec lequel l’équipe de relève était en communication une fois le train immobilisé, après qu’un freinage d’urgence ait été effectué. Le coordonnateur de train n’a pas incité l’équipe à serrer les freins à main pendant cette période, ce qu’un chef de train dûment qualifié aurait recommandé dans de telles circonstances.
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L’aspect le plus troublant de cette tragédie, cependant, est que le soi-disant Système de gestion de la sécurité (SGS), un pilier de la déréglementation de l’industrie ferroviaire, est une fois de plus le principal facteur de cette catastrophe, comme il l’a été dans tant d’autres. Transports Canada prescrit que les entreprises ferroviaires doivent posséder un système de gestion de la sécurité qui permet prétendument aux entreprises de gérer efficacement les risques et de rendre les opérations plus sécuritaires. Mais le SGS est quelque chose de privé et de privilégié qui n’est accessible à personne en dehors des entreprises ferroviaires elles-mêmes. Le SMS fonctionne sans que les travailleurs du rail et leurs syndicats y aient accès. Sous couvert d’intégrer la sécurité dans les activités quotidiennes des entreprises et de protéger la compétitivité des compagnies ferroviaires, ils sont laissés dans l’ignorance de ce qu’il contient précisément, car il est privé. Transports Canada a accès aux SGS par le biais d’audits qu’il effectue à sa guise et seulement quand il décide de les effectuer.
Ainsi, le BST nous « informe » par son rapport que pendant des années, des travailleurs ont soumis des rapports dénonçant les risques pour la sécurité que représentent ces longs trains qui descendent Field Hill dans des températures extrêmement froides, et que la compagnie a tout simplement fermé les dossiers.
Le BST écrit :
« Des rapports sur les dangers pour la sécurité portant sur des trains-blocs céréaliers ayant eu des problèmes de freinage pendant la descente de Field Hill par températures froides en hiver avaient été présentés par des équipes de train en janvier et en février depuis nombre d’années. À mesure que les signalements individuels de ce danger étaient clos, de nouveaux rapports semblables continuaient d’être consignés dans le système de signalement. Bien que la procédure du CP relative au signalement des dangers pour la sécurité ait été suivie activement au terminal de Calgary, l’analyse des tendances qu’elle exigeait n’était pas effectuée. Par conséquent, d’année en année, les rapports relatifs au freinage médiocre des trains-blocs céréaliers sur Field Hill étaient clos, aucune évaluation des risques n’était effectuée et les mesures correctives prises étaient insuffisantes. »
Cela montre à quel point la situation est intenable en ce qui concerne la sécurité des travailleurs du rail et des communautés. Les compagnies exercent leur droit de prérogative pour faire ce qu’elles veulent avec la vie des gens, tandis que le gouvernement regarde ailleurs et approuve les activités des compagnies ferroviaires. Le Bureau de la sécurité des transports publie des rapports lorsque des tragédies se produisent, ce qu’il est tenu de faire conformément à son mandat légal selon lequel il ne s’assure pas de l’application de la loi, n’attribue pas de faute et ne détermine pas de responsabilité criminelle ou civile. Les recommandations du BST ne sont pas contraignantes, car il appartient à Transports Canada d’introduire des règles pour les exploitants ferroviaires.
Sans surprise, le CP a condamné le rapport du BST dès sa publication, s’opposant à ce qu’il appelle sa déformation de tous les aspects de la tragédie, tout en répétant simplement qu’il a une culture fondée sur la santé et sécurité. Il est également frappant de constater qu’il indique dans sa déclaration qu’il va s’attaquer à ce qu’il appelle les inexactitudes et les fausses déclarations faites lors de la conférence de presse du BST au sujet du rapport et dans le rapport lui-même, directement avec le BST.
Tout est censé rester aussi secret que possible, sans participation ni un mot à dire de la part du peuple.
Les Canadiens n’acceptent pas cet état de fait et diverses initiatives sont prises pour obliger les compagnies ferroviaires et le gouvernement à rendre des comptes pour leurs activités imprudentes. Les familles des travailleurs qui ont été tués dans cette tragédie et leurs sympathisants continuent d’exiger que le CP et le gouvernement fédéral rendent des comptes et que des mesures soient prises pour mettre fin à l’autoréglementation des chemins de fer et assurer la sécurité ferroviaire, afin que les travailleurs et le public soient protégés. En raison de la persistance des familles et de leurs sympathisants, la GRC a lancé en décembre 2020 une enquête criminelle sur le déraillement.
Entre-temps, les familles Paradis et Dockrell ont également lancé deux poursuites distinctes, alléguant que les travailleurs n’ont pas bénéficié d’un environnement de travail sécuritaire et que le CP n’a pas respecté les procédures de sécurité.
Au Québec, de plus en plus de personnes prennent position contre la voie de contournement ferroviaire telle qu’imposée par le CP et le gouvernement canadien en réponse à la tragédie de Lac-Mégantic en 2013, car elle n’est pas sécuritaire. Elle sera également un instrument de contrôle du CP sur le développement régional car la voie de contournement traversera le parc industriel de la municipalité régionale et le CP aura son mot à dire sur les activités économiques qui s’y déroulent.
Les gens s’expriment en leur propre nom pour défendre leurs droits et revendiquer un système économique et politique centré sur l’humain.
Forum ouvrier, affiché le 28 mai 2022.
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