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Actualité et point de vue sur la crise ukrainienne
Changements inacceptables de la politique militaire et étrangère officielle de l’Allemagne
Un événement majeur inacceptable qui a lieu sous couvert de contribuer à la liberté et à la démocratie est la modification de la politique militaire et étrangère de l’Allemagne, qui ouvre la voie à l’envoi de troupes allemandes dans toute l’Europe et dans le monde entier et à leur participation dans des opérations offensives. Ces changements n’étaient pas autorisés par la constitution allemande de l’après-guerre[1].
Le 27 février, un jour après que l’Allemagne ait annoncé qu’elle enverrait des armes à l’Ukraine, le chancelier Olaf Scholz est allé plus loin lors d’une session extraordinaire d’urgence du Bundestag. Dans un discours d’une demi-heure, il a déclaré des changements importants à la politique militaire et étrangère de l’Allemagne.
Olaf Scholz a déclaré que l’Allemagne allait complètement renverser la relation mise en place avec la Russie depuis 1969 basée sur les échanges commerciaux et la non-confrontation. L’Allemagne va dépenser 100 milliards d’euros, qui proviendraient d’un fonds spécial, pour se militariser à des niveaux jamais vus depuis l’apogée de la guerre froide. Pour la première fois, elle va porter ses dépenses militaires à plus de 2 % du PIB. En ce qui concerne ses sanctions contre la Russie, l’Allemagne va également réorganiser son infrastructure énergétique pour mettre fin à l’utilisation du gaz russe comme principale source de chauffage. L’interdiction par la constitution allemande d’un endettement public important sera contournée pour financer ces changements.
L’envoi d’armes par l’Allemagne est à souligner car le gouvernement et les médias allemands affirment que l’Allemagne a pour politique de ne pas envoyer d’armes dans les zones de conflit, alors qu’elle affirme que la crise en Ukraine est si grave qu’elle justifie une violation de cette politique.
L’Institut de recherche sur la paix de Francfort (PRIF) a publié en 2020 un rapport dans lequel il conclut que l’Allemagne a violé de manière répétée les réglementations de l’Union européenne en matière d’exportation d’armes pendant 30 ans. Les règlements que l’Allemagne a enfreints sont, entre autres :
– ne pas autoriser les exportations susceptibles de provoquer ou de prolonger des conflits armés ou d’aggraver des tensions ou des conflits existants dans le pays de destination finale ;
– le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région.
Auparavant, l’Allemagne a autorisé et exporté des armes et des équipements militaires destinés à être utilisés dans des pays où les droits humains sont violés et qui sont ravagés par la guerre, notamment en envoyant des armes à des pays qui font partie de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui mène une guerre au Yémen.
L’Allemagne envoie également depuis un certain temps des troupes à l’étranger, à commencer par le déploiement de troupes en Croatie en 1995, apparemment pour établir un hôpital militaire dans le cadre d’une mission de l’OTAN.
Lors de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, l’Allemagne a non seulement expédié des armes dans une zone de conflit mais a aussi envoyé des troupes. Le gouvernement de coalition des sociaux-démocrates et des verts – avec Gerhard Schroeder, des sociaux-démocrates, comme chancelier et Joshka Fischer, des verts, comme ministre des Affaires étrangères – a autorisé, pour la première fois depuis la défaite de l’Allemagne nazie lors de la Deuxième Guerre mondiale, une action militaire des forces armées allemandes à l’étranger. Au cours de cette guerre, l’Allemagne a également soutenu activement la brigade Skanderbeg, composée de la lie des forces fascistes de la Deuxième Guerre mondiale, qui se livrait à des activités criminelles et au trafic de drogue tout en se présentant comme des combattants de la liberté kosovars.
En 2002, l’Allemagne s’est jointe à l’occupation de l’Afghanistan par l’OTAN, l’opinion publique allemande étant informée que les troupes participeraient à des « projets de développement ». Cette apparence de légitimité humanitaire a disparu en 2010 lorsque l’Allemagne a officiellement reclassé l’occupation de l’OTAN comme « un conflit armé en vertu du droit international » pour permettre aux soldats allemands en Afghanistan d’agir sans crainte de poursuites à leur retour chez eux. Cette décision a été prise après qu’une frappe aérienne ordonnée en 2009 par un colonel allemand sur un convoi de camions enlisé dans la boue et qui ne représentait aucune menace, a entraîné des « dommages collatéraux » avec la mort de 100 Afghans. Le colonel a ensuite été blanchi et promu général.
Si l’Allemagne s’est abstenue de participer au bombardement de la Libye par l’OTAN en 2011, à cette époque, comme le souligne un chercheur, c’est parce que « les forces militaires allemandes contribuaient à au myemoins dix missions à l’étranger. La contribution allemande aux efforts de l’OTAN en Afghanistan a mobilisé la majorité des soldats, puisque jusqu’à 5 350 soldats faisaient partie de la mission. Dans les Balkans, l’Allemagne a participé de manière significative aux missions en cours au Kosovo (KFOR) et en Bosnie (EUFOR), qui se poursuivent sous une forme ou une autre depuis plus de dix ans. En outre, des troupes allemandes participaient à la FINUL et à l’opération antiterroriste de l’OTAN, Active Endeavour, en Méditerranée, ainsi qu’à l’opération de lutte contre la piraterie ATALANTA dans la Corne de l’Afrique ».[2].
Lorsque le chancelier Olaf Scholz a récemment tenté de justifier le caractère exceptionnel de l’envoi de matériel de guerre en Ukraine, il a déclaré que le conflit en Ukraine était la première guerre en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale. Lorsqu’on lui a rappelé la guerre que l’OTAN a menée contre la Yougoslavie, les reportages indiquent qu’il a été pris de court, la main dans le sac, et n’avait rien à dire.
Issue de l’expérience de la Deuxième Guerre mondiale, la question allemande est au coeur des préoccupations des peuples de toute l’Europe, à commencer par le peuple allemand lui-même. Les mesures officielles que l’Allemagne prend aujourd’hui inquiètent sérieusement les peuples du monde entier qui exigent que les troupes allemandes restent à l’intérieur des frontières allemandes et que l’Allemagne ne soit pas autorisée à se militariser et à exporter des armes à l’étranger.
Notes
1. Dans un procès intenté par le Parti social-démocrate et le Parti démocratique libre, la Cour constitutionnelle fédérale a statué le 12 juillet 1994 que les troupes allemandes pouvaient se rendre à l’étranger dans le cadre d’opérations menées par l’OTAN ou l’Union de l’Europe occidentale pour appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, avec l’approbation du Bundestag. Cette restriction n’a pas été suivie, puisque les troupes allemandes ont combattu dans le cadre de la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, pour laquelle l’OTAN n’a pas été autorisée par le Conseil de sécurité.
2. La politique allemande à l’égard de l’intervention en Libye, Sarah Brockheimer, mémoire de maîtrise, 2012.
(Avec des informations de Deutsche Welle, germanforeignpolicy.com, Die Link, Globe and Mail, The Guardian, archives du LML).
(LML Quotidien, affiché le 3 mars 2022)
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