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La crise du logement empire au Nouveau-Brunswick
Défendons les droits des locataires !
Aditya Rao est un organisateur de la Coalition pour les droits des locataires du Nouveau-Brunswick.
Forum ouvrier : Les syndicats et les défenseurs du droit au logement parlent de l’aggravation de la crise du logement au Nouveau-Brunswick. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Aditya Rao : Au Nouveau-Brunswick, les investisseurs prédateurs et les sociétés d’investissement immobilier qui ne s’intéressent absolument pas à l’accessibilité au logement ont pu avoir les coudées franches sur un marché qui n’est absolument pas réglementé. Selon un chercheur de l’Ontario qui étudie les sociétés d’investissement immobilier, le Nouveau-Brunswick a l’un des taux d’activité d’investissement immobilier les plus élevés du pays. Cela s’explique en partie par le fait qu’il existe très peu de protections pour les locataires au Nouveau-Brunswick. Il existe une corrélation directe entre les faibles protections des locataires et les activités hautement spéculatives et prédatrices des investisseurs. Les entités qui ne s’intéressent pas à l’accessibilité au logement ne veulent que parier sur le logement, qui devrait être reconnu comme un droit humain, mais qui est plutôt un véhicule pour maximiser le rendement des actionnaires. Leur seul intérêt est d’extraire le plus de profits possible de ces propriétés.
Nous entendons parler de sociétés à numéro de l’Ontario ou du Québec qui achètent des propriétés au Nouveau-Brunswick et les revendent immédiatement à profit, ce qui a pour effet d’augmenter les coûts pour tout le monde. Cela se fait aux dépens des Néo-Brunswickois qui n’ont pas les moyens de louer une maison, et encore moins d’en acheter une. Le gouvernement actuel a la possibilité d’arrêter ce qui se passe, mais il choisit délibérément de ne pas le faire. Nous voyons ce que cela donne et cela devrait être vraiment une leçon pour les gouvernements, les activistes et les défenseurs à travers le pays et le monde.
FO : Quelles sont certaines des caractéristiques de cette crise en ce qui concerne la situation à laquelle les locataires sont confrontés ?
AR : Les locataires du Nouveau-Brunswick bénéficient de l’une des plus faibles protections par rapport aux locataires de presque tout le pays. Il est tout à fait légal pour un propriétaire de refuser, pour absolument aucune raison, de renouveler un bail à la fin de la durée du bail. Dans d’autres parties du pays, il existe ce que l’on appelle la « sécurité d’occupation ». L’idée est que vous, en tant que locataire, devriez pouvoir vivre en sécurité en sachant que vous aurez un endroit où vivre, qu’à la fin du bail, il sera automatiquement renouvelé, que vous aurez un endroit où vivre et que vous ne pourrez pas être arbitrairement déposséder de votre logement. Au Nouveau-Brunswick, il est tout à fait légal de mettre fin arbitrairement à un bail et donc d’expulser arbitrairement des Néo-Brunswickois de leur logement, et cela se produit très souvent.
De plus, au Nouveau-Brunswick, il n’y a pas de contrôle des loyers. Jusqu’en décembre de l’année dernière, dans la grande majorité des logements locatifs, le propriétaire pouvait augmenter le loyer de n’importe quel montant, absolument n’importe quel montant. Nous avons vu des augmentations de loyer de 60 % et même de 100 % dans certains cas.
En décembre, après de nombreuses pressions de la part des militants, y compris de notre organisation, le gouvernement a tenté d’apporter quelques modifications à la loi. Mais en raison de la pression exercée par le lobby des propriétaires, les changements apportés ne sont pas significatifs. Par exemple, ils ont fait en sorte qu’au lieu d’avoir un préavis de trois mois pour une augmentation de loyer, vous avez maintenant un préavis de six mois, mais il n’y a toujours pas de contrôle des loyers. Vous pouvez toujours obtenir une augmentation de loyer extrêmement élevée, mais vous avez maintenant six mois pour trouver un moyen de quitter l’endroit où vous vivez parce que vous ne pouvez toujours pas vous le permettre. Nous vivons dans un marché locatif où les locataires n’ont aucune sécurité, aucune idée s’ils vont pouvoir continuer de vivre dans leur propre logement. Ils n’ont aucun moyen de savoir s’ils auront un toit au-dessus de leur tête simplement parce que la Loi sur la location de locaux d’habitation du Nouveau-Brunswick offre des protections extrêmement limitées, voire inexistantes.
Pour les Néo-Brunswickois, cela signifie que l’insécurité du logement est un véritable problème. Les gens sont à deux doigts de perdre leur logement à tout moment.
L’année dernière, le gouvernement a publié un rapport sur la révision des loyers. Ce rapport est le résultat d’une pression soutenue de la part des activistes qui demandaient au gouvernement d’instaurer immédiatement un contrôle des loyers, de rétablir un moratoire sur les expulsions, etc. Dans le cadre de cette révision, une enquête a été menée auprès de milliers de personnes, dont environ 4 000 locataires. Près de 20 % des locataires qui ont participé à l’enquête ont dit qu’ils ne pouvaient pas trouver de logement parce qu’ils ont des enfants, car la discrimination à l’égard des parents est très répandue au Nouveau-Brunswick. Il est très courant de trouver des immeubles réservés aux adultes, où les enfants ne sont pas admis, ce qui constitue bien sûr une violation de la législation sur les droits de la personne. Environ 47 % des locataires qui ont participé à l’enquête ont dit qu’ils vivaient dans un logement inférieur aux normes et près de 50 % ont dit qu’ils consacraient environ 50 % de leur revenu au loyer, ce qui signifie qu’ils vivent dans une situation extrême d’inaccessibilité et d’insécurité du logement. Le montant que vous êtes censé consacrer au logement pour qu’il soit considéré comme abordable est de 30 % de votre revenu. Tout ce qui dépasse ce seuil est considéré comme inabordable.
Et pourtant, en dépit de toutes ces preuves, le rapport affirme que le marché du logement ne présente aucun problème et qu’il n’y a pas de crise du logement. Nous avons dit au gouvernement que « vous avez exposé les preuves d’une crise du logement, puis vous avez dit qu’il n’y avait pas de crise du logement. Comment avez-vous défini une crise du logement ? » Et la réponse qu’il a donnée est qu’il n’avait pas de définition opérationnelle. Pendant ce temps, nous continuons à voir des augmentations de loyer de 50, 60 et 70 %. Au cours du seul mois de janvier, les médias ont rapporté six cas de personnes âgées confrontées à l’itinérance, et ce ne sont là que les cas qui ont été rapportés.
Il est certain que la situation est très difficile pour les locataires du Nouveau-Brunswick.
Par ailleurs, environ 25 % des enfants du Nouveau-Brunswick vivent dans la pauvreté. Quelque chose comme 40 % des enfants racialisés du Nouveau-Brunswick vivent dans la pauvreté. Le salaire minimum est le plus bas au pays. L’an dernier, lorsqu’il était temps d’augmenter le salaire minimum, le gouvernement l’a augmenté de cinq cents. C’était une incroyable insulte aux travailleurs de première ligne, dont beaucoup gagnent le salaire minimum, qui ont vraiment permis à la province de traverser la pandémie. Depuis, le gouvernement a annoncé une augmentation plus importante du salaire minimum cette année, après des mois de protestations publiques. C’est une économie à bas salaires et ils veulent que cela reste ainsi. Bien sûr, cela ne fait qu’aggraver la crise du logement.
FO : Quelles sont les principales revendications de votre organisation pour faire face à cette crise ?
AR : La coalition des locataires a été très claire sur ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin d’une Loi sur la location de locaux d’habitation complètement remaniée et basée sur les droits comme point de départ si nous voulons faire quelque chose pour remédier à ce qui se passe.
Cela signifie un régime de contrôle des loyers musclé où le contrôle des loyers s’applique non seulement aux logements occupés, mais aussi aux logements vacants. Nous voulons que les sociétés d’investissement immobilier et les investisseurs spéculatifs soient contrôlés de manière à ce que leurs activités soient éradiquées dans la province. Nous ne voulons pas de ce genre d’activité dans notre province car c’est ce qui est à l’origine d’une grande partie de cette instabilité. Nous voulons une législation qui reconnaisse que la relation entre les propriétaires et les locataires n’est pas une relation égale. La législation actuelle aborde toute cette question comme s’il s’agissait de parties égales concluant un contrat, ce qui n’est pas le cas. Un propriétaire a un pouvoir extrêmement important par rapport à un locataire. La pire chose qui puisse arriver à un propriétaire est de perdre quelques mois de revenus, mais la pire chose qui puisse arriver à un locataire est de se retrouver dans la rue.
Nous voulons que la Loi sur la location de locaux d’habitation soit remaniée, qu’elle mette le droit au logement au centre et qu’elle remédie au déséquilibre entre propriétaires et locataires. Enfin, nous avons vraiment essayé de mettre l’accent sur le fait que le problème ici est la financiarisation du logement, la volonté des entités privées à la recherche de profits de soutirer chaque dollar privé qu’elles peuvent du logement, qui est un droit humain. Nous devons nous éloigner de cette dépendance au marché. C’est le marché qui nous a amenés là où nous sommes, qui nous a amenés à la crise. Nous ne pouvons pas compter sur le marché pour nous sortir de la crise. Nous devons nous concentrer sur le logement coopératif et non sur le logement à but lucratif. Le gouvernement a une énorme responsabilité à cet égard.
Nous sommes à la croisée des chemins ici au Nouveau-Brunswick. Nous pouvons soit continuer à être le Far West des droits des locataires, soit protéger le droit au logement en étant des chefs de file dans l’élimination de l’activité spéculative qui est à l’origine de cette crise.
(Forum ouvrier, affiché le 12 février 2022)