Victoire sur le fascisme en Europe, 9 mai 1945
Honteux éloges d’Adolf Hitler et du programme nazi par le premier ministre du Canada
William Lyon Mackenzie King, premier ministre libéral du Canada(1921–1926, 1926–1930 et 1935–1948)a effectué une visite officielle en Allemagne nazie en juin 1937. Les entrées dans son journal de ce voyage révèlent comment King, un ardent défenseur de l’Empire britannique, apaisa Hitler et les nazis et contribua à préparer le terrain à la Deuxième Guerre mondiale. Les extraits proviennent de la Bibliothèque et Archives Canada
Par exemple, le 30 juin, King, lors de son passage en Allemagne, a rendu visite au ministre allemand des Affaires étrangères, le baron Neurath. Ce dernier a prétendu qu’Hitler était contre la guerre et a parlé du « bon travail » accompli par Hitler depuis qu’il était au pouvoir, puis s’est mis à dénigrer la population juive de Berlin. Mackenzie King le raconte dans son journal : « Il me dit que j’aurais détesté vivre à Berlin avec des Juifs et me parla de la façon dont ils s’étaient multipliés dans la ville … Il me dit qu’il n’y avait aucun plaisir à aller dans un théâtre rempli de Juifs …. Ils étaient en train de prendre le contrôle de toutes les entreprises, des finances …. Il fallait les expulser pour que les Allemands contrôlent réellement leur propre ville et leurs affaires. » Les deux hommes ont également parlé de l’aversion des Allemands pour les Américains. Neurath s’est dit d’accord avec Mackenzie King, qui suggérait que tout le monde devrait combattre les préjugés et promouvoir la bonne volonté. Semble-t-il que Neurath était un homme très aimable et agréable, selon lui.
Mackenzie King a dit de son voyage : « Quand je songe à ma visite en Allemagne, je peux honnêtement dire que c’était aussi agréable, instructif et stimulant que toutes les autres visites que j’ai pu faire ailleurs, écrit-il dans son journal. En fait, je me demande si j’ai jamais passé quatre jours plus intéressants ou, en réalité, comparables en importance. » (Journal de W. L Mackenzie King, 30 juin 1937) Il était « immensément soulagé » et croyait qu’il n’y aurait pas de guerre, malgré les preuves du contraire.
Extrait du Journal : Berlin, jeudi 29 juin 1937
Entretien avec Hermann Goering
À 10 h 30, ma première sortie de la journée, je me rends voir le général Goering qui me reçoit dans un bureau spacieux surplombant un jardin. Il était accompagné de Pickering et Hewel. M. Schmidt, l’interprète officiel, était également présent. Goering était assis à son bureau quand nous sommes entrés, en uniforme blanc. De l’autre côté de son bureau des chaises et un divan étaient placés en fonction d’un entretien.
Don d’un bison du Canada
Le général Goering a débuté l’entretien en disant quelques mots pour me souhaiter un bon séjour et me souhaiter la bienvenue à Berlin. Il a ensuite parlé du bison reçu du Canada, pour lequel il désirait me remercier. Je lui ai dit que j’avais vu l’inscription au zoo et que j’avais revu le Dr Herk. Je lui ai dit qu’il nous faisait plaisir de leur procurer certains de ces animaux et que nous serions heureux de leur en donner d’autres s’ils le désirent.
Le commerce entre le Canada et l’Allemagne
La discussion a ensuite porté sur les relations commerciales. Goering a dit qu’il espérait que nous puissions étendre le commerce, que l’Allemagne aurait besoin de beaucoup de blé cette année et aimerait échanger des produits finis. Il m’a demandé quels produits finis nous prendrions. Je lui ai dit que nous allions devoir consulter nos experts, que c’était un peu en dehors de mon domaine que sont les affaires politiques plus larges. Il a dit que l’Allemagne avait besoin de recevoir des matières premières d’autres pays. Pour initier un sentiment amical je lui ai raconté que j’étais né à Berlin [maintenant Kitchener, Ontario — ndlr] et que je représentais Waterloo Nord au Parlement. Cela l’a amené à me demander combien il y avait de Français et d’Allemands au Canada. J’ai répondu qu’ils représentaient 40 % et 5 % de la population respectivement.
Liberté du Canada dans le Commonwealth britannique, réactions du Canada et de la Grande-Bretagne à l’union avec l’Autriche
Quand nous sommes arrivés au sujet de la politique générale, il a commencé à parler du pouvoir du Canada d’agir de lui-même en matières commerciales et autres. Il a demandé s’il était nécessaire dans les rapports avec les dominions britanniques de passer par Londres et si nos négociations se faisaient à trois plutôt que directement. Il a dit que les Irlandais et l’Afrique du Sud avaient leur légation ici et qu’il posait la question puisque le Canada n’en avait pas. J’ai exprimé ma surprise et lui ai dit qu’il ne nous est jamais venu à l’esprit de négocier autrement que par la voie directe, qu’en fait j’étais responsable de l’établissement des légations et je lui ai expliqué pourquoi nous en avions d’abord établies à Washington, Tokyo et Paris. Nous n’en avions pas créé d’autres parce que nous n’avions pas encore trouvé les bonnes personnes pour le poste et que nous commencions à peine à nous intéresser plus largement aux affaires du monde. Je lui ai fait remarquer que parfois le fait d’avoir nos propres légations était perçu dans certains pays comme un signe de séparation de la Grande-Bretagne. C’est la liberté dont nous jouissions tous qui maintenait l’empire britannique uni. Chaque pas que nous avons fait vers l’indépendance et l’expression autonome nous a rapprochés beaucoup plus que ce n’eut été le cas si la Grande-Bretagne avait démontré une tendance à nous contrôler. Que toutes nos actions étaient purement volontaires ; que notre système volontaire provenait de notre héritage de la liberté et que nous sentions que cette liberté est mise en péril par tout acte agressif envers la Grande-Bretagne, que notre peuple réagirait immédiatement pour protéger notre liberté commune.
Goering a dit qu’il comprenait parfaitement le sentiment d’unité de l’empire britannique et a demandé si nous suivrions nécessairement la Grande-Bretagne en toute chose. Je lui ai dit que c’était ne pas comprendre notre position. Nous étions un pays aussi libre que les autres. Nous avons pris nos décisions à la lumière des questions soulevées. Il a ensuite dit, pour citer un exemple, qu’il aimerait poser une question directe : si les peuples d’Allemagne et d’Autriche, puisqu’ils sont de la même race, désiraient s’unir, et que la Grande-Bretagne tentait de les en empêcher, le Canada soutiendrait-il la Grande-Bretagne en toute action dans ce sens ? J’ai répondu : notre attitude sur cette question serait la même que pour toute autre question qui puisse surgir, c’est-à-dire que nous voudrions examiner toutes les circonstances entourant l’affaire et prendrions nos décisions à la lumière des faits qui existent à ce moment-là, toutes circonstances prises en considération. Le général Goering a dit qu’il croyait que c’était une attitude très raisonnable. J’ai dit que c’était la position que j’avais affirmée au Parlement, connue comme étant la position canadienne par rapport à tout pays.
Le général Goering a alors dit : Puisque j’ai posé la question dans ces termes, je ne voudrais pas que vous pensiez qu’il va y avoir une tentative de prise de possession de l’Autriche, mais je parle d’un développement qui pourrait se produire. Il a également parlé de la position serrée de l’Allemagne et de la nécessité d’entrevoir des possibilités d’expansion en Europe. Il a ensuite dit qu’il ne pouvait pas comprendre pourquoi l’Angleterre soit si irritée ou surprise par la décision de Neurath d’annuler son voyage en Angleterre au moment de l’incident de Leipzig. Il a dit que l’Angleterre pouvait certainement comprendre que le secrétaire aux Affaires étrangères reste chez lui dans un moment de crise comme celui-là. En outre, herr Hitler voulait son ministre des Affaires étrangères à ses côtés dans cette situation. Je lui ai dit qu’à mon avis c’était l’expression d’une déception, que l’Angleterre attendait avec impatience l’arrivée de Neurath et que, le peuple anglais ayant des intérêts partout dans le monde, était enclin à ne pas attacher la même importance que d’autres pays à des incidents pareils. Qu’il n’aimerait pas montrer au monde qu’il était préoccupé par ces événements, que cela était attribuable à sa disposition générale.
L’Angleterre cherche à contrôler les actions de l’Allemagne
J’ai dit au général Goering que c’était ma troisième conférence et que je n’avais jamais vu une attitude aussi amicale envers l’Allemagne que cette année. Lorsqu’il a dit quelque chose au sujet d’une volonté de l’Angleterre de contrôler les actions de l’Allemagne, je lui ai dit que ce qui préoccupait d’abord l’Angleterre était le risque d’une action précipitée qui pourrait mettre à feu toute l’Europe ; qu’elle était un observateur intéressé sur toutes les questions internationales. Je lui ai ensuite parlé de Chamberlain et dit que j’étais très heureux de son attitude et de sa compréhension en général. Plusieurs d’entre nous au Canada avions eu la chance de bien connaître Chamberlain. J’étais heureux d’avoir pu connaître son attitude réelle, son discours l’autre jour à la Chambre était sur le même ton que ce qu’il a dit à la conférence. L’Allemagne avait beaucoup de problèmes qu’il fallait comprendre ; qu’elle faisait preuve de retenue face à certains ; qu’un autre pays n’avait pas à s’ingérer dans les politiques particulières des autres pays. Goering a dit qu’il était heureux d’entendre ce que je disais à propos de Chamberlain.
J’ai également dit que je croyais que le roi actuel était compréhensif, qu’il m’avait parlé de sir Neville Henderson et que je le trouvais convenable pour ce poste. (À cet égard, herr Hewel m’avait dit qu’ils craignaient que le présent roi ne soit pas aussi amical envers l’Allemagne que le roi Édouard ; que ce dernier avait donné l’ordre aux anciens combattants d’aller faire un voyage en Allemagne.) Parlant de l’empire, je lui ait dit que j’étais moi-même entièrement dévoué à la paix, que je détestais gaspiller de l’argent pour la guerre mais qu’à la dernière session du parlement canadien j’avais dû demander une hausse des dépenses pour la défense à cause de la crainte générale qui avait été créée qu’une autre grande guerre pourrait éclater par le réarmement et ainsi de suite. J’ai dit qu’il devait juger de lui-même du désir du Canada de préserver la liberté dont il jouit au sein du Commonwealth britannique ; que je n’aurais pas aidé mon parti et je n’aurais pas été fidèle au sentiment des Canadiens si je n’avais pas défendu cette position, que c’était entièrement volontaire de ma part, indépendant de toute représentation de la Grande-Bretagne et, comme il le savait, devant la Conférence impériale.
J’ai dit que j’espérais qu’il vienne au Canada. Il m’a cordialement remercié et dit que j’étais le premier à lui faire une telle invitation. Il a dit être très occupé, ce à quoi j’ai répondu que les hommes occupés ont besoin de changement et qu’un voyage transocéanique serait très agréable. Il a dit qu’il aimerait venir quelques jours chasser le wapiti ou l’ours. J’ai dit que je serais heureux de faire les arrangements nécessaires.
L’entretien avec Goering a duré de 10 h 30 à 12 h. Il était évident que le général avait plusieurs autres engagements qu’il laissait passer. Il restait juste assez de temps pour venir à l’hôtel rencontrer herr Hitler à 12 h 45.
Entretien avec Adolf Hitler
Quand nous sommes arrivés au vieux palais d’Hindenburg, nous avons été accueillis par une garde d’honneur. Tout l’édifice est comme un vieux palais et les préposés étaient en habit de cour. On nous a fait entrer dans ce qui avait été le bureau d’Hindenburg et on nous a montré le masque de la mort qui repose sur son bureau et son portrait sur le mur.
Plus tard on nous a fait monter à l’étage, avec une garde officielle. Nous avions déjà rencontré des représentants des affaires étrangères et de l’état-major d’Hitler. Lorsqu’on m’a finalement fait entrer dans la pièce où herr Hitler m’a reçu, il faisait face à la porte ; il portait une robe du soir ; il s’est avancé et m’a serré la main ; il a dit qu’il était heureux de me voir en Allemagne et il m’a indiqué un fauteuil devant une petite table, adossée à une chaise, à la droite de laquelle il s’est assis. M. Schmidt s’est assis à la gauche d’Hitler. Lorsque je suis entré j’ai vu que d’autres personnes étaient également présentes. On m’a expliqué plus tard qu’Hitler avait reçu des diplomates étrangers venus présenter leurs lettres de créance et que c’était la raison pour laquelle d’autres représentants officiels étaient présents. Un d’entre eux était un militaire en uniforme, les autres étaient en habit de cour. Nous commencions tout juste la conversation quand Pickering et Hewell sont entrés. J’ai compté au total onze personnes dans la pièce qui entendaient nos conversations. L’entretien a duré jusqu’après 14 heures. Une heure et quart au total.
Alors que nous nous apprêtions à nous asseoir, j’ai déposé un exemplaire de luxe de la biographie de Rogers sur la table et l’ai ouvert à la page avec les photos de la maison où je suis né, et de Woodside, à Berlin (Ontario). J’ai dit à herr Hitler que j’avais amené ce livre pour lui montrer où j’étais né et le rapport que j’avais avec Berlin, en Allemagne, par Berlin au Canada. Que je voulais qu’il sache que j’avais passé les premières années de ma vie à Berlin et que j’avais plus tard représenté le comté de Waterloo au Parlement. J’ai dit que je croyais bien connaître le peuple allemand. J’ai mentionné que j’avais été inscrit à la municipalité de Berlin il y a 37 ans et avais vécu avec Anton Weber de l’autre côté du Tiergarten. Pendant que je parlais, Hitler regardait le livre d’une façon très amicale et m’a souri en tournant les pages et en voyant son inscription. Il m’a remercié et a ensuite attendu que je commence la conversation.
L’armement rendu nécessaire pour le maintien du respect, à cause du Traité de Versailles
Je lui ai dit que j’étais impatient de visiter l’Allemagne à cause de ces vieilles associations et aussi parce que je désirais ardemment voir s’établir les relations les plus amicales entre les peuples de différents pays. J’avais eu l’intention d’aller en Allemagne l’année précédente mais n’avais pas eu la chance de le faire. J’étais notamment reconnaissant envers Ribbentrop pour sa gentillesse à prévoir un voyage si intéressant. J’étais particulièrement impatient de rencontrer herr Hitler et de m’entretenir avec lui de questions d’intérêt mutuel.
J’ai alors parlé de ce que j’avais vu du travail constructif de son régime et j’ai dit que j’espérais que ce travail continue. Que rien ne saurait venir détruire ce travail. Que d’autres pays allaient à coup sûr emboîter le pas pour le bien de l’humanité. Hitler a parlé avec beaucoup de modestie de ce travail, disant que l’Allemagne ne prétendait pas à la propriété de ce qui a été entrepris. Ils ont accepté des idées de toute source et les ont appliquées si elles convenaient. Il a cité par exemple le fait d’avoir obtenu de la « Roumanie », je crois, une idée concernant l’amélioration de la condition des travailleurs et avait cherché à l’appliquer à l’échelle nationale ; que pour faire passer leurs vues, ils avaient dû adopter des formes d’organisation qui permettaient d’appliquer les principes et les politiques dans l’ensemble du pays ; qu’ils avaient eu beaucoup de difficulté à atteindre cette position mais qu’ils avançaient maintenant dans ce sens.
Je lui ai dit que j’avais espéré pouvoir dissiper la peur qui rendait les nations méfiantes les unes des autres et qui était responsable de la course aux armements. Cela ne peut que faire du tort au bout du compte. Que j’étais un homme qui détestait les dépenses à des fins militaires ; que le gouvernement libéral du Canada partageait mon point de vue à cet égard ; que j’avais la plus grande majorité qu’ait jamais obtenue un premier ministre au Canada. J’avais trouvé nécessaire, cependant, pour maintenir l’unité de mon parti et pour répondre au sentiment au pays, d’instituer une hausse des estimations de dépenses pour l’armée, la marine et les services de l’air à la dernière session du Parlement. Que cela était entièrement dû à la crainte qu’éclate une autre Grande Guerre, laquelle peur était créée par l’armement de l’Allemagne, etc. Hitler a hoché de la tête pour me laisser savoir qu’il comprenait.
Il a ensuite dit qu’en Allemagne, ils se devaient d’agir, ce qu’ils ont fait bien malgré eux. Qu’après la guerre, ils avaient été complètement désarmés et n’avaient pas cherché à accroître leur armement. Par ailleurs, la France n’avait pas ralenti son armement, elle l’avait au contraire accru à un rythme rapide ; l’Allemagne a vu que si elle ne voulait pas être à la merci des conditions, elle devait prendre des mesures pour se défendre. Il a dit qu’il faut se rappeler que l’Allemagne a été presque complètement dépouillée au sortir de la guerre, que ses colonies lui ont été enlevées ; qu’elle n’avait plus d’argent pour acheter des choses à l’étranger. Nous devions produire tout nous-mêmes ; cela voulait dire que nous avons dû nous arranger pour obtenir le matériel de défense dont nous avions besoin. Pour affronter la situation, nous devons nous armer plus rapidement que les autres nations, que nous nous serions armés nous aussi si nous avions été dans cette position après la guerre. Notre objectif est de nous placer en position d’être respectés. L’Angleterre s’armait rapidement et nous n’y voyions pas d’objection. Nous savons qu’elle en a besoin pour se donner l’autorité qu’elle a. Nous croyons nécessaire de nous placer nous aussi dans une position où nous serons respectés. Nous avons dû intervenir une ou deux fois mais ce n’était pas l’option que nous préférions. Nous avons vu qu’ou bien nous resterions dans un état permanent de sujet, ou bien nous prendrions les mesures pour affirmer nos droits. Toutes nos difficultés provenaient de l’inimitié du Traité de Versailles ; le fait d’être tenus de respecter les termes de ce traité indéfiniment nous a forcés à faire ce que nous avons fait. Il a parlé de l’avancée de la Rhur comme affirmation de la position de l’Allemagne pour éviter la soumission perpétuelle. Il a par contre ajouté que maintenant que la majeure partie du Traité de Versailles est écartée, des actions de ce genre ne seraient plus nécessaires.
L’Allemagne ne veut pas la guerre, la guerre anéantirait la civilisation européenne
Il a dit qu’en ce qui concerne la guerre, vous n’avez pas à craindre l’Allemagne. Nous ne désirons pas la guerre ; notre peuple ne veut pas la guerre et nous non plus. Rappelez-vous que j’ai moi-même vécu la guerre, comme tous les membres du gouvernement. Nous savons que la guerre est une chose horrible et personne d’entre nous ne veut une autre guerre, mais permettez-moi d’aller plus loin. Supposons que la guerre éclate, quelles en seraient les conséquences ? Supposons que la France soit victorieuse dans une guerre contre l’Allemagne, quel en serait le prix ? Elle se retrouverait avec la même destruction que l’Allemagne. Elle verrait que la civilisation européenne aura été détruite.
Mais supposons que nous gagnions la guerre. Quelles en seraient les conséquences ? Exactement les mêmes. La civilisation de nos deux pays aura été détruite, voire de la majeure partie de l’Europe ; tout ce qui resterait serait l’anarchie. Nous devons tous chercher à limiter les possibilités de conflit. La Grande Guerre n’a pas commencé en Allemagne. Elle a commencé […] Elle s’est répandue à d’autres parties de l’Europe et est devenue une guerre mondiale. Nous aurions dû laisser ceux qui ont commencé les affrontements dans les Balkans continuer de se faire la guerre entre eux et ainsi ne pas laisser la guerre se répandre. Parlant de la possibilité d’une guerre, il a dit quelque chose à l’effet qu’une nation comme l’Allemagne, dans sa position, avait des aspirations légitimes. Que si on ne lui permettait pas de les réaliser d’une façon naturelle, il pourrait y avoir des problèmes, si on l’empêchait de faire les choses nécessaires à son existence mais qui peuvent se faire sans offusquer quiconque. Il ne voyait pas pourquoi l’Allemagne n’aurait pas les mêmes droits que les autres nations à cet égard.
Le contrôle exercé par l’Angleterre, la France, la Ligue des nations
Il a fait une référence au contrôle que l’Angleterre cherchait selon lui à exercer sur l’Allemagne de concert avec d’autres pays. Je lui ai dit que je ne croyais pas que l’Angleterre cherchait à exercer un contrôle ; je pensais qu’il serait plus juste de décrire la position de l’Angleterre envers les affaires européennes comme celle d’un observateur attentif, que l’Angleterre craignait qu’une action précipitée dans une partie de l’Europe provoque le conflit, lequel conflit pourrait se répandre à l’ensemble de l’Europe et faire en sorte que l’Angleterre elle-même et peut-être le monde entier soient entraînés dans une autre grande guerre mondiale. Que je croyais que ce qui préoccupait surtout l’Angleterre était que tout soit fait pour assurer le progrès dans le sens de l’évolution et non par des gestes soudains qui puissent avoir des conséquences fatales. Encore une fois, Hitler a dit qu’il comprenait cela, que cela se comprenait bien et que lui-même, comme le peuple allemand, avait le même sentiment concernant le danger d’actions précipitées. Qu’il croyait que des choses de ce genre devaient être surveillées de près.
C’est à ce moment-là qu’il a dit que c’était là le danger avec la Ligue des nations, qu’elle tendait à transformer en guerre mondiale tout conflit qui pourrait être régional. J’ai dit que je croyais que parfois les Allemands ne comprennent pas l’Angleterre, ou que l’Angleterre ne comprend pas les Allemands. Je pensais que certains d’entre nous au Canada comprenions les uns et les autres mieux qu’eux-mêmes. Que nous avons eu exactement le même sentiment envers l’Angleterre et les Américains ; qu’au Canada nous devions continuellement expliquer aux Anglais ce que les Américains essaient de dire en certaines choses et aux Américains ce que les Anglais essayaient de dire ; qu’il ne fallait pas trop juger l’Anglais par ce qu’il a dans la tête, qu’il fallait regarder ce qu’il a dans le coeur. On trouvera qu’il a le coeur à la bonne place. J’ai dit par exemple que je m’étais entretenu avec le général Goering qui m’a dit que les Allemands ne pouvaient pas comprendre que l’Angleterre soit irritée par l’annulation de la visite du ministre des Affaires étrangères herr Neurath. J’ai dit que les Anglais ne comprenaient pas pourquoi les Allemands voudraient mettre fin au voyage ; que pour comprendre l’attitude anglaise, il faut regarder comment l’Angleterre a géré ses affaires face au monde. Qu’elle faisait partie d’un grand empire qui s’étendait à de nombreuses régions du globe. Qu’il n’était pas dans sa disposition de faire preuve d’alarme devant un petit incident. Elle préférerait que le monde pense que ce fût une affaire sans grande importance pour elle.
Je lui ai dit que j’avais dit à Goering que lorsqu’un Anglais croise quelqu’un qui vient de mettre le feu à sa maison et qu’il est en robe de soirée, son premier geste sera de redresser sa cravate et de voir à ce que son veston soit droit et il montrerait le moins d’inquiétude possible, même s’il est bouleversé dans son âme ; que les Anglais ont toujours cherché à cacher leurs sentiments ou plutôt à ne pas les montrer ; que cela expliquerait leur attitude face à l’annulation de la visite de Neurath. Si la situation avait été renversée, l’Angleterre aurait sûrement insisté pour que le ministre des Affaires étrangères poursuive son voyage comme si de rien n’était. Herr Hitler a encore une fois hoché de la tête et m’a regardé, et a ensuite commencé à parler à l’interprète. Il a dit que l’affaire Leipzig était une affaire grave et qu’il voulait tout naturellement que son ministre des Affaires étrangères soit à ses côtés dans un moment pareil. Qu’en ce qui concerne ce que j’ai dit à propos de la poursuite du voyage de Neurath, il dirait qu’il y a deux types d’entretien : un entretien comme lui et moi avions en ce moment, un échange libre et franc, où chacun peut en venir à comprendre le point de vue de l’autre ; que c’était bien et que c’est ce qui était prévu lors du voyage de Neurath en Angleterre. Par contre il y a les entretiens et les visites qui ont un objectif différent, qui est de tenter de régler pour de bon certains problèmes concrets. Hitler a ensuite dit qu’il y a des problèmes sur lesquels il ne peut y avoir de discussion ou pour lesquels il est futile de chercher à convaincre l’autre. Il a dit que par exemple il pourrait essayer de me persuader que le Canada doit quitter les îles britanniques et qu’il était dans notre intérêt de le faire. Qu’il pourrait continuer de parler ainsi pendant des semaines et des années tout en sachant que c’était inutile, que nous n’entendrions pas ce qu’il dit aussi solide que soit l’argument.
Sur la possibilité d’une guerre et les fausses attentes soulevées par la presse
Il a ensuite dit qu’il allait de même pour l’Allemagne et des tentatives de la persuader de ne jamais donner son accord à une entente qui pourrait forcer son pays à aller en guerre dans un avenir rapproché, dans un contexte qu’il ne connaissait pas en ce moment et qui était impossible à prévoir, et que l’Allemagne ne se commettrait jamais à un tel engagement. Il a dit que lui, Hitler, afin de maintenir son contrôle sur le pays, devait avoir l’appui du peuple. Il a dit qu’il n’était pas comme Staline qui tuait ses généraux et les membres du gouvernement qui ne partageaient pas ses opinions mais que pour sa part, il devait être appuyé par ce que le peuple lui-même désirait vraiment et que le peuple allemand ne voulait pas la guerre ni des engagements pouvant mener à une guerre prématurée. (Alors qu’il s’exprimait ainsi, j’avoue que le raisonnement qu’il défendait était identique à celui que j’avais défendu devant le parlement canadien lors de la dernière session.)
Il a poursuivi en disant que les quotidiens ne cessaient de brouiller les cartes, qu’avant même que Neurath eut quitté l’Allemagne, après que sa visite eut été annoncée, le Times et le Telegraph et d’autres quotidiens avaient commencé à dresser une liste de sujets qui devaient être fixés en préparation d’un entretien qu’il devait tenir. Ils ont mentionné toutes sortes de sujets qui pour eux devaient être discutés et pour lesquels ils espéraient un règlement. Hitler a ensuite déclaré : parfois la presse crée des attentes au sujet du règlement de questions qui n’auraient jamais dû être soulevées , et soulever ces questions pour discussion sans qu’elles ne se règlent crée un climat de déception encore plus lourd qu’il ne devrait l’être. Selon lui, le moindre des deux maux serait qu’il n’y ait tout simplement pas d’entretien.
De la question des colonies allemandes et des dangers du bolchévisme et du communisme
Je lui ai dit que je ne croyais pas que les Britanniques avaient des opinions précises à ce sujet, et qu’en fait ils étaient déçus puisqu’ils attendaient cette visite avec impatience. Un peu plus tard, il a parlé du règlement de certains différends épineux entre l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Il a dit qu’il ne voyait pas d’obstacles majeurs à obtenir une entente satisfaisante. Pour lui, la question des colonies ne devait pas poser de problèmes et devait être réglée éventuellement. Maintenant que le traité de Versailles était chose du passé, le pire était passé. Il sentait que vis-à-vis la France une entente était facile entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne, une entente qui serait appréciée des trois pays. La seule chose, par contre, qu’il ne pouvait comprendre et qui posait problème était le traité d’Alliance entre la France et la Russie, ainsi que d’autres traités auxquels l’Angleterre avait donné son accord.
Je n’ai pas eu le temps de répondre à ce qu’il venait de dire puisqu’il avait parlé depuis déjà quelque temps. Cependant, plus tôt, en discutant de cette question, il avait parlé des dangers du bolchévisme et du communisme. Il a dit que l’Angleterre ne se rendait pas compte comment ils étaient sérieux et ce qu’elle aurait elle-même à confronter dans quelques années. Il a dit que si l’Allemagne n’avait pas traité de la menace communiste au moment et de façon opportuns, la situation de l’Allemagne aujourd’hui serait la même que celle en Espagne, dont la vie même était en péril, victime de tout ce qui provenait de la Russie. (Lorsque j’ai discuté avec Goering, celui-ci a dit qu’il était stupéfait du montant d’argent venant de l’Angleterre pour venir en aide aux communistes. Il a dit que l’Allemagne connaissait la situation, qu’elle ne croyait pas que le gouvernement de l’Angleterre participait à ces contributions financières mais que, peu importe, ces sommes quittaient l’Angleterre et se rendaient jusqu’en Espagne.)
Lorsque j’ai parlé de la conférence en Angleterre, je lui ai dit que j’avais participé à la conférence de 1923 et de 1926 ainsi qu’à la plus récente, et que je n’avais jamais ressenti un sentiment aussi favorable et amical envers l’Allemagne que lors de cette conférence. Il y avait certes beaucoup de choses que les Britanniques ne pouvaient comprendre, et d’autres qu’ils n’aimaient pas, mais je n’avais jamais décelé dans mes conversations avec le peuple ou avec le gouvernement d’inimitié envers l’Allemagne et qu’au contraire j’avais ressenti un désir de rapprochement et d’amitié envers elle.
De la paix et de la sécurité au sein du Commonwealth britannique des nations
Hitler m’a dit qu’il était très heureux de me l’entendre dire. Je lui ai dit que lui ainsi que d’autres ne devraient pas mal interpréter la nature et la position de l’empire britannique, que le Canada, par exemple, était un pays aussi libre et indépendant que l’Allemagne elle-même, mais que nous ressentions que notre liberté était liée en grande partie au fait que nous étions membres de l’empire britannique, et qu’il en allait de même pour l’Australie, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande. Chaque pays était libre de gérer ses propres affaires et la paix et la sécurité de chacun était assurées aussi longtemps que le Commonwealth britannique des nations continuerait d’exister et que toute menace à la paix venant d’un acte d’agression de la part d’un pays donné ferait en sorte que tous les membres réagiraient d’une seule voix. Je lui ai dit que nous chérissions notre liberté par-dessus tout et tout ce qui pourrait mettre en péril la sécurité de ce cette liberté en détruisant une partie de l’empire pousserait certainement tous les partis à interpréter les événements dans leurs propres intérêts et dans l’intérêt de l’ensemble.
Hitler a dit qu’il comprenait comment il pouvait en être ainsi. J’ai dit que l’empire n’entretenait aucun projet d’agression et que nous n’approuverions aucunement les actes de nature agressive de notre part ni de la part d’autres pays. J’ai expliqué longuement comment la liberté était importante pour nous et j’ai fait valoir qu’à l’occasion du couronnement lui-même, au moment de la Grande Guerre, rien n’avait été fait sous pression, tout avait été fait sur une base volontaire, que davantage de personnes auraient participé au couronnement s’il y avait eu des accommodations d’hôtellerie et de transport. J’ai dit que cette liberté que nous chérissons, incarnée dans la Couronne, était garante de notre unité.
Herr Hewel m’avait dit qu’il pensait qu’Hitler allait m’allouer au moins une demi-heure d’entretien mais qu’il pouvait facilement me consacrer davantage de temps. Néanmoins, à mesure que nous discutions, j’ai observé que nous avions parlé pendant au moins une heure et que les personnes dans la pièce lui indiquaient qu’il avait d’autres engagements. Cependant Hitler les a ignorés et a poursuivi la conversation. Enfin, lorsque j’ai senti qu’il cherchait à mettre un terme à l’entretien, je me suis empressé de lui dire que j’avais quelques petites choses que je tenais vraiment à lui dire personnellement. Je tenais à lui parler de M. Chamberlain. Je lui ai dit que je pensais que M. Chamberlain comprenait bien les Affaires étrangères et qu’il avait une vision large. Je tenais à dire à Hitler comment nos députés ainsi que moi-même avaient entretenu des préjugés à son égard au sujet de politiques que nous jugions étroites, nationalistes et impérialistes. J’ai expliqué que nous en sommes arrivés à nous défaire de ces préjugés pour nous rendre compte que les pays européens seraient bien administrés par lui. J’ai expliqué que lors d’une récente entrevue sur la question de l’affaire Leipzig, ses propos étaient entièrement conformes à ce qu’il avait dit à la conférence lorsqu’il a été question de l’Allemagne, et j’ai dit que je croyais que cela reflétait sa véritable attitude vis-à-vis la question. Hitler m’a dit qu’il était heureux de l’entendre. J’ai mis l’emphase sur la nécessité de prendre son temps sur toutes questions, d’être patient et de ne rien bousculer, et qu’avec le temps tous pouvaient finir par s’entendre.
Hitler donne un portrait de lui-même en cadeau
Comme je me préparais à partir, Hitler s’est penché et a pris une boîte rouge carrée ornée d’un aigle en or. De ses deux mains, il me l’a offerte tout en me demandant de l’accepter en honneur de ma visite en Allemagne. Il m’a aussi dit qu’il avait beaucoup apprécié la discussion que nous avions eue ensemble et m’a remercié de ma visite. En ouvrant la boîte, j’ai vu qu’il s’agissait d’un splendide portrait de lui signé de sa main. Je n’ai pas caché le plaisir que j’éprouvais. Je lui ai serré la main tout en le remerciant sincèrement, lui disant que pour moi c’était un gage de son amitié et que son cadeau aurait toujours une place dans mon coeur. Il a voulu le faire porter par quelqu’un d’autre mais je lui ai dit que je préférais le porter moi-même. Il a alors reculé légèrement pour me serrer la main et pour me souhaiter au revoir de façon plus ou moins formelle. Je lui ai dit que j’aimerais avoir d’autres occasions de discuter des aspects constructifs de son travail, des ambitions qu’il avait pour le bien supérieur des moins fortunés. Je lui ai affirmé que j’étais complètement d’accord avec sa démarche et que j’étais convaincu qu’elle allait réussir, et que je souhaitais qu’on se souvienne de lui pour la grandeur de ses réalisations et qu’il ne devait laisser rien ni personne détruire ces réalisations. Je lui ai souhaité le meilleur des succès dans ses efforts pour aider l’humanité.
Impressions d’Hitler
Je l’ai remercié à nouveau de m’avoir accordé le privilège d’un aussi long entretien. Il a souri de façon affable et son regard n’était pas dénué d’affection. Mon impression d’Hitler au cours de notre entretien fut qu’il s’agissait là d’un homme qui aime profondément son prochain et son pays et qui sacrifierait tout pour leur bien, et qu’il se perçoit lui-même comme celui qui libère son peuple de la tyrannie.
Pour mieux comprendre Hitler, il faut se rappeler les moyens limités de sa jeunesse, son incarcération, etc. Il est vraiment merveilleux de constater tout ce qu’il a pu accomplir au moyen de l’autoformation. Sa façon réservée est non sans me rappeler Cardin, jusqu’à ce qu’il commence à parler et à se laisser emporter par ses propos. Tout comme Cardin, sous un extérieur plutôt calme bouille une profonde nature émotionnelle. Contrairement à l’impression laissée par ses photos, son visage est très calme. Il n’est pas celui d’une personne fougueuse et stressée, mais d’un homme calme et passif, toujours en profonde réflexion. Sa peau était douce et son visage ne portait aucun signe de fatigue ou d’épuisement. J’ai été surtout impressionné par ses yeux. L’aspect larmoyant de ses yeux laissait entrevoir un homme profondément lucide et sympathique. Il a toujours porté le regard directement sur moi lors de notre entretien sauf lorsqu’il abordait plus profondément un sujet. Il restait alors assis, très calme, en parlant franchement, sans chercher ses mots, regardant le traducteur à l’occasion ainsi que moi-même.
Lorsque M. Schmidt, le traducteur, traduisait en partie ce qu’Hitler avait dit, celui-ci me regardait de biais et souriait, satisfait de constater que je comprenais le sens de ce qu’il disait. Aussi, lorsque je disais quelque chose d’un peu humoristique, il me jetait un regard rempli de reconnaissance et me souriait agréablement. Il était très gentil, doux [il manque un mot dans le texte original — note du LML] et, il n’était pas difficile de comprendre comment les gens du peuple pouvaient nourrir un amour profond pour lui. Pendant notre entretien d’une heure et quart, il n’a jamais agi de façon agitée. Il est resté calme, bien installé dans son fauteuil, les mains jointes devant lui, et c’est seulement lorsqu’il m’a tendu son portrait que ses mains se sont brièvement séparées. Il était en tenue de soirée et portait une cravate blanche. Il s’était vêtu ainsi pour recevoir les personnes qu’il avait rencontrées plus tôt. Il s’agissait d’une des rares fois qu’il se rendait à Berlin. Ses bureaux sont à proximité de sa maison dans les montagnes. C’est là qu’il passe le clair de son temps. Il visite très peu Berlin et ne se rend dans la capitale par avion que très rarement. Il dit qu’il a besoin de la tranquillité de la nature pour mieux réfléchir et trouver des solutions aux problèmes du pays. Je suis convaincu qu’ainsi il faisait preuve d’une profonde sagesse.
En lui parlant, l’image de Jeanne d’Arc m’est venue en tête. Il est définitivement une personne mystique. Hewel me disait que le peuple allemand en grand nombre commençait à penser qu’il était doté d’une mission céleste, et que plusieurs l’honoraient tel un dieu. Il a dit qu’Hitler tentait de se tenir à l’écart de ces élans de dévotion puisqu’il ne voulait qu’assumer le rôle d’un humble serviteur qui ne cherche qu’à bien servir son pays. Il s’abstient de toute boisson alcoolisée et est végétarien. Il n’est pas marié et il pratique l’abstinence dans toutes ses habitudes et manières. En réalité, selon les témoignages des personnes qui le côtoient, sa vie semblerait être celle d’un solitaire sauf lorsqu’il rencontre les jeunes ou les foules de temps à autre.
Hewel me disait que lorsque von Ribbentrop l’avait fait venir à Munich pour le rencontrer, lui et Hitler, concernant ma visite, et pour recevoir l’instruction de m’informer de tous les sujets, il a trouvé qu’Hitler avait l’air très fatigué, qu’il avait l’air d’un homme vieilli. Il est étrange, par contre, qu’à chaque fois qu’il s’intéressait à un sujet, aux affaires étrangères, toute cette lassitude commençait à le quitter, et il semblait à nouveau jeune et reposé. Il a dit, par exemple, qu’une petite fille voulait son autographe pendant qu’il était troublé par des affaires d’État, et que lorsqu’il l’a vue sa disposition a changé complètement. Il a dit qu’il avait une très grande passion pour la jeunesse allemande.
Hewel me dit qu’il est très religieux, qu’il croit beaucoup en Dieu ; en fait, il s’est créé plus de congrégations religieuses en Allemagne ces dernières années que durant de nombreuses années précédentes ; que les problèmes avec l’Église étaient des problèmes politiques, qui ont à voir avec son ingérence dans les affaires politiques. Le monde extérieur a mal interprété ses vues religieuses. Que son discours sur la race a à voir avec le maintien de la pureté du sang allemand. Qu’il croit fermement à la dualité physique et mentale de la nature humaine et à la nécessité de les développer toutes deux. Ce qu’il désire le plus décidément, c’est de donner à chaque homme les mêmes possibilités que les autres en matière de développement physique et industriel, de loisir, de beauté, etc. Il est particulièrement épris de la beauté, il aime les fleurs et dépensera plus d’argent de l’État sur des jardins et des fleurs que sur la plupart des choses.
J’ai dit que j’aimais M. Henderson, l’ambassadeur britannique, et j’ai fait remarquer à Hitler qu’il ne devait pas considérer comme étrange que l’ambassadeur ne soit pas avec moi ; que ce n’était pas là le signe de différends entre la Grande-Bretagne et le Canada, mais plutôt un signe d’autonomie complète et de confiance mutuelle. Je lui ai raconté que le roi George m’avait dit qu’il croyait que je m’entendrais bien avec Henderson et que toutes les expressions qu’il avait utilisées me plairaient à cause de son attitude très amicale envers l’Allemagne. (J’avais à l’esprit ce que Miéville m’avait dit, que les Allemands avaient pensé que le roi Édouard était leur ami puisque c’est lui qui avait ordonné la visite de soldats britanniques en Allemagne. Cela ne s’était jamais produit avant que le roi n’insiste, de dire Miéville. Il craignait que le nouveau roi ne soit pas aussi disposé.)
En terminant cette dictée, j’ai ramassé une note laissée sur la table par Nicol durant la dictée mais que je n’avais pas voulu lire avant d’avoir terminé ce que j’avais à dire. Sur l’enveloppe il y avait les mots suivants : « Plantes pour le jardin. Mes meilleurs voeux, E.C.D., Ladysford, 29-6-37 ». Elle contenait la carte de madame Davidson et avait de toute évidence été amenée par le jardinier à bord de l’Empress qui s’était occupé des plantes qui m’étaient envoyées de Tyrie.
J’inclus ici des notes de l’entretien telles que préparées par Pickering. Je ne les avais pas lues avant la dictée, sauf pour le paragraphe concernant le roi, et Pickering n’avait aucune idée de ce que je dictais sauf en ce qui concerne l’introduction.
Mouvement de la jeunesse, impressions de Berlin
À la sortie de la résidence officielle, une garde d’honneur attendait à la porte, ainsi que de nombreux reporters avec leurs caméras. Beaucoup de gens s’étaient rassemblés de l’autre côté de la rue, derrière la clôture. Herr Hewell et Pickering m’ont raccompagné à l’hôtel Adlon et nous avons déjeuné ensemble dans un restaurant quasi-extérieur, après quoi je me suis reposé très brièvement.
À 17 heures, nous sommes allés nous entretenir avec des jeunes gens sur le mouvement de la jeunesse et les voyages, les excursions et la quête de la joie dans la force, et sur la beauté et l’industrie que l’on retrouve partout en Allemagne. Comme ce fut le cas partout où nous sommes allés, de jeunes dirigeants sont venus me rencontrer à l’hôtel et m’ont expliqué ce que nous allions voir et le mouvement en général. J’ai trouvé ces jeunes hommes très francs, très alertes, d’une allure propre, d’un esprit actif, de jeunes gens enthousiastes. Il y avait un ordre et une efficacité splendides dans tout ce que nous avons vu. Aux bureaux de ces jeunes gens, on nous a servi le thé, puis nous sommes retournés à l’hôtel pour nous reposer avant d’aller à l’opéra.
Je pensais que ce que j’aimerais surtout faire c’est prendre une bonne marche, alors je suis parti seul de l’hôtel en direction du Tiergarten. J’ai bien aimé la statue du lion blessé avec sa femelle et ses petits. J’ai vu qu’elle avait été érigée en 1874, l’année de ma naissance. J’ai essayé de trouver la maison dans laquelle j’avais séjourné avec les Weber à Berlin. J’ai fait mon chemin en demandant des directives aux passants. J’ai reconnu le canal et d’autres endroits et suis finalement arrivé à la maison en question, où j’ai cueilli des feuilles d’une haie et me suis rappelé les sentiments que j’avais quand j’ai vécu là il y a 37 ans. J’ai pensé à combien j’étais chanceux d’avoir eu un aussi bon ami que M. Dickie. Il s’agissait de toute évidence d’un des meilleurs quartiers de Berlin et c’était la résidence d’une famille exceptionnelle. Je dois cet avantage exceptionnel à l’amitié entre mon père et M. Dickie. J’ai poursuivi ma marche dans le Tiergarten et suis arrivé à l’hôtel vers 19 h 20, ayant parcouru au moins cinq ou six milles à pied.
Durant la marche j’ai beaucoup apprécié le fait d’être dans un bois, d’entendre les oiseaux chanter, et je me suis senti heureux des entretiens de la journée et du bien que cela allait faire. De retour à l’hôtel j’avais à peine le temps de m’habiller avant de quitter pour l’Opéra un peu avant 20 h.
À l’opéra, harmonie et joie
À l’opéra, j’ai été reçu par deux membres de l’état-major du général Goering qui étaient la politesse et la gentillesse incarnées. On nous a réservé ce qui aurait été la loge royale à l’époque, constituée de l’extrémité centrale de la première galerie, directement en face de la scène. J’occupais le siège situé au centre, où l’empereur s’assoyait et où Hitler s’assoit quand il va à l’opéra. Les gens de l’assistance se sont sans doute passé le mot rapidement car presque tout le monde s’est retourné en direction de la loge où j’étais. J’étais impressionné par le fait que ceux qui aiment l’opéra sont ceux qui semblent préférer la musique, etc., plutôt que l’aspect social, car les habits formels brillaient par leur absence. Tous les balcons et toutes les galeries étaient remplis. On m’a dit que c’était ainsi à tous les spectacles. La pièce était Le bal masqué. Elle était interprétée de façon magistrale : très beau chant, excellente mise en scène, beaucoup de merveilleux tableaux. Entre le troisième et le quatrième acte, on nous a amenés à un souper spécial dans la grande salle près de la loge, séparée du reste par une haie. Sir Ogilvie Forbes et son épouse, Pickering et Hewel étaient présents. J’ai trouvé qu’un des hommes à qui j’ai parlé était une personne exceptionnelle. Il a parlé de forces occultes à l’oeuvre pour amener de meilleures conditions après cette période de stress et de tension.
Je suis retourné à l’hôtel après ce que Pickering a qualifié de journée sans doute la plus significative de ma vie. J’étais épuisé mais je croyais que rien ne pouvait mieux conclure la journée que la musique et le chant glorieux qui ont semblé remplir la salle d’opéra d’harmonie et de joie. À la dernière scène, des participants invisibles se sont joints en choeur pour célébrer la vie du personnage principal. Une fin triomphale en toute chose.
(Bibliothèque et Archives Canada. Traduit de l’anglais par Le Marxiste-Léniniste)
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