In Memoriam
Ajit Singh Bains
Note de l’auteur — Siège des Sikhs
En octobre dernier, je suis allé en Amérique du Nord et en Grande-Bretagne rendre visite à des parents et amis. Pourtant si loin de chez nous, le sujet de l’Inde a constamment dominé mes pensées et mes conversations. Partout la discussion en venait à porter sur les problèmes de l’Inde et il m’a semblé que tous disaient la même chose : LE PENDJAB BRÛLE, LES SIKHS SONT ASSIÉGÉS. Que ce soit à l’occasion de visites chez mes frères et soeurs, chez mes cousins, mes amis ou d’autres de mes connaissances, on s’empressait de me demander mon opinion. J’ai reçu de nombreuses invitations à parler sur ce sujet en Amérique du Nord et en Europe.
On voulait savoir ce que je pensais de la situation en tant qu’ex-juge de la Cour supérieure du Pendjab et de l’Haryana et président de la commission établie par le gouvernement du Pendjab pour examiner les cas de détenus arrêtés durant la période 1981-1985. On voulait savoir comment je voyais les choses en tant que membre de la Commission de réforme des prisons établie par le gouvernement pendjabi (et de laquelle j’ai d’ailleurs démissionné en guise de protestation en 1986, à la suite de la nouvelle invasion militaire du Temple d’Or). On me demandait de faire entendre ma voix en tant que président de l’Organisation des droits de l’homme du Pendjab. L’inquiétude, la préoccupation de tous ces gens au sujet de l’Inde en général, et du Pendjab en particulier, m’ont profondément touché et c’est avec gratitude que j’ai accepté leurs invitations.
J’ai également eu l’occasion de parler aux étudiants d’universités telles que l’Université de Californie à Los Angeles, la Harvard Law School (programme sur les droits de la personne), le Massachusetts Institute of Technology, l’Université Columbia à New York, l’Université du Michigan à Ann Arbor, l’Université McGill de Montréal, l’Université de Guelph, l’Université de Toronto, la Wayne State University, la London School of Economics, l’Université Brunell, l’Université Cardiff et l’Université de Newcastle.
J’ai parlé à la section de l’Association du barreau de New York qui s’occupe des droits de l’homme. Je me suis rendu à Genève pour m’entretenir avec des membres de la Commission internationale des juristes, des représentants de S.O.S. Torture et des représentants du bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés et d’autres organisations des Nations unies oeuvrant pour les droits de l’homme.
J’ai eu l’occasion de donner une conférence de presse devant la galerie de la presse des Nations unies à Genève. J’ai rencontré des législateurs en Grande-Bretagne, au Canada et aux États-Unis. Enfin, partout, en Amérique du Nord, au Royaume-Uni et en Suisse, j’ai rencontré des Indiens originaires de presque tous les coins de l’Inde, depuis l’Uttar-Pradesh au Tamil-Nadu, du Pendjab au Bengale et à l’Assam.
Durant ce voyage, beaucoup m’ont demandé si j’avais l’intention d’écrire à propos des événements au Pendjab et en Inde. J’ai vu dans ces demandes insistantes et ces témoignages d’inquiétude une très grande préoccupation au sujet de la situation actuelle au Pendjab et c’est de là qu’est née l’idée d’écrire le présent ouvrage.
* * *
Au cours de mes voyages, j’ai constaté la grande inquiétude qui règne parmi les Indiens, surtout les Pendjabis, qu’ils soient d’origine sikh, hindoue ou autre, et que partagent en particulier les personnes progressistes et éclairées de tous les milieux et dans tous les pays que j’ai visités. Les Pendjabis vivant à l’étranger sont partie composante de la nation pendjabie, même s’ils sont aujourd’hui citoyens canadiens, américains, britanniques, etc. Ils m’ont amplement renseigné sur la façon dont le gouvernement indien applique à l’étranger la même politique sectariste qu’en Inde, envoyant des agents secrets dans divers pays créer des provocations, pendant que les hauts-commissariats et les ambassades recrutent des agents et parrainent des journaux qui, eux, propagent ouvertement le poison sectariste. Mon jeune frère me disait que les chefs de Delhi sont passés maîtres dans l’idéologie de la déformation et que les gens qui se laissent prendre à leur influence deviennent victimes de cette idéologie. C’est le cas entre autres de beaucoup d’honnêtes gens employés par les hauts-commissariats et les ambassades.
J’ai par ailleurs appris que dans chaque cas connu de violence et de terrorisme individuels parmi les Indiens résidant au Canada et aux États-Unis, des agents secrets à l’emploi du gouvernement de ces pays étaient impliqués. Prenez l’exemple du procès qui s’est déroulé à Montréal récemment. Des gens ont été reconnus coupables de projeter des actes terroristes avec comme seule preuve l’enregistrement de conversations avec un agent du FBI américain. On en vient donc à se demander qui, au juste, encourage et organise ces actes terroristes. Il existe également d’autres genres d’agents de gouvernement, et notamment du gouvernement indien, qui, eux, agissent sous couvert religieux — sikh ou hindou. Certains font des déclarations incendiaires et s’efforcent de provoquer des conflits, d’autres créent des inimitiés bien que parlant d’harmonie. Mais tous évitent de parler des véritables responsables de la situation en Inde et du problème de la violation des droits de l’homme au Pendjab.
Cet état de chose m’a beaucoup tracassé et j’en viens à me demander qui, réellement, a intérêt à promouvoir le terrorisme et la violence individuels. Il se peut que dans certains cas des individus poussés à bout par la colère commettent des actes terroristes, mais les preuves impliquant des agences d’espionnage en Inde et ailleurs m’amènent à me poser des questions. D’autant plus que, sans exception, tous ceux que j’ai rencontrés ont exprimé leur horreur du terrorisme. Certains se disent tout à fait convaincus que les milieux dirigeants de l’Inde sont impliqués, surtout au Pendjab. Tout ce que j’ai vu et étudié au sujet de la situation en Inde m’amène à conclure que le terrorisme et la violence individuels n’avancent en rien la cause du peuple ; seuls les chefs du gouvernement indien en tirent profit. Cela me rend d’autant plus soupçonneux quant aux véritables auteurs et instigateurs du terrorisme individuel comme du terrorisme d’État.
Beaucoup d’Indiens avec qui j’ai parlé ont encore de la famille au Pendjab, mais ils ont souvent de la difficulté à obtenir des visas des ambassades et des hauts-commissariats indiens. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ils doivent obtenir deux visas : un premier pour entrer en Inde, un second pour entrer au Pendjab. De plus, une personne d’origine sikh a plus de chance de se voir refuser un visa qu’une personne d’origine hindoue. L’obtention d’un visa est encore plus difficile pour quelqu’un qui est progressiste dans le vrai sens du mot ou qui est marxiste-léniniste, qu’il soit d’origine sikh, hindoue ou autres. Même des gens appartenant à des familles patriotes ayant souffert aux mains des Britanniques ont de la difficulté à obtenir un visa. Aujourd’hui, c’est le gouvernement indien qui s’acharne contre eux.
Plus troublant encore, et méritant une ferme condamnation, est le fait qu’un sikh pendjabi puisse obtenir un visa pour l’Inde mais pas pour le Pendjab, là où il désire vraiment se rendre. Ce n’est qu’un exemple de violation des droits de l’homme dont sont victimes les gens d’origine indienne, même lorsqu’ils résident à l’étranger. Chacun doit pouvoir visiter son pays natal, la terre de ses aïeux, le pays où sont érigés ses temples sacrés et où sont enracinées ses traditions historiques, la nation à laquelle il appartient. J’ai moi-même des nièces qui ont visité l’Inde il y a quelques années et qui se sont vu refuser un visa pour le Pendjab.
De plus, dans beaucoup de cas, c’est pour des raisons tout à fait suspectes qu’on refuse d’accorder un visa. Mon plus jeune frère me racontait que son passeport indien lui a été retiré en 1975, lorsque Indira Gandhi a promulgué l’état d’urgence, bien que le gouvernement canadien refuse de lui accorder la citoyenneté parce qu’il est le dirigeant du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste). C’est un cas on ne peut plus clair de persécution politique. Quand je me suis rendu compte que des membres de ma propre famille étaient persécutés par des gouvernements, le gouvernement indien y compris, à cause des positions progressistes et démocratiques qu’ils défendent, j’ai senti des larmes me monter aux yeux.
Au Pendjab, les violations des droits de l’homme sont sans pareil. Des officiers militaires arrêtés et harcelés durant et après l’Opération Blue Star* m’ont donné un aperçu de l’ampleur des violations des droits de l’homme au Pendjab et de la gravité de la situation créée par les chefs de Delhi. Le général de division Narinder Singh, qui a combattu pour les gouvernants indiens dans toutes les guerres contre le Pakistan, fut arrêté en février 1986 et ne fut libéré que tout récemment. S.S. Mann, ex-inspecteur adjoint de la police, est détenu depuis trois ans à la prison de Bhagalpur pour avoir écrit au président de l’Inde une lettre de protestation contre l’Opération Blue Star.
Lorsque j’étais président de la Commission pour la révision des cas de détenus, un général de brigade m’a raconté son histoire. Il fut arrêté à Amritsar le 8 juin 1984 aux termes de la Loi sur les armes parce que son permis était expiré. Il avait fait une demande de renouvellement mais n’avait pas encore reçu son nouveau permis. Il se fit d’abord arracher son turban, un geste considéré comme la plus grande insulte et humiliation que puisse subir un sikh ou quiconque porte le turban. Menotté et les yeux bandés, il fut emmené à la prison d’Ajmer, au Rajasthan, et enfermé dans une petite cellule de laquelle il ne put sortir que dix minutes pour se laver à un robinet. Il n’eut pas droit à des journaux, au Granth Sahib*, à la radio et la télévision ou à un ventilateur. C’est avec des larmes aux yeux qu’il m’a demandé comment nous pouvions tolérer chez nous des chefs de gouvernement qui se permettent d’humilier de la sorte une personne du rang de général de brigade, un soldat qui a combattu pour eux de si nombreuses années.
Lorsque des officiers supérieurs et des soldats décorés subissent un traitement pareil, on s’imagine le sort qui fut réservé aux simples gens des villages durant les journées de l’Opération Blue Star et de l’Opération Wood Rose**, et durant la toute récente Opération Black Thunder. Le peuple continue de subir le même sort aujourd’hui puisque les forces policières agissent à leur guise, suivant le principe de « balle pour balle ». *
Les braves soldats de religion sikh qui, pour des raisons émotives, ont quitté leurs casernes lors de l’invasion de leur sanctuaire le plus sacré, le Temple d’Or**, n’ont pas été rétablis dans leurs fonctions, en dépit des promesses faites par le gouvernement aux termes de l’accord avec Sant Langowal. Les familles qui ont dû fuir lors de la campagne de génocide de novembre 1984 contre des sikhs innocents, à Delhi, n’ont reçu aucune indemnisation, ni même un endroit où se reloger.
Les criminels qui ont pris une part active au massacre de Delhi n’ont même pas encore été traduits en justice. D’Assam au Pendjab, ceux qui, depuis 1947, sont responsables de la mort de centaines et de milliers de personnes dans de soi-disant « émeutes intercommunautaires » n’ont pas encore été traînés devant les tribunaux, et cela comprend les responsables du massacre de personnes innocentes de religion sikh à Delhi, Kanpur et ailleurs.
* * *
Dans l’ensemble, l’impression que j’ai conservée de mes rencontres avec des gens de tous les milieux et provenant de différentes régions de l’Inde est que tous et chacun sont outragés par le traitement que subissent les sikhs. Tous se demandent comment nous pouvons tolérer une situation où les sikhs sont traités de la sorte, où leur honneur et dignité sont foulés aux pieds, où ni leur mère ni leurs soeurs ne sont en sécurité, où ils sont humiliés sans cesse. L’humiliation infligée aux sikhs est considérée comme une offense faite à toute personne éprise de justice et de liberté. Voilà ce que ressent notre peuple. Aujourd’hui, il est profondément bouleversé de revoir en pensée la chaîne des événements qui se sont produits depuis le début de cette campagne d’humiliation et de persécution systématiques des sikhs.
Une personne très instruite, ex-officier militaire, m’a cité les vers suivants :
Moucaten gouzarin étni
raiij-ô-gâm sahté houe
Charâm âti hai ouatan kô ouatan kahté houe
(Trop pendant trop longtemps – cette douleur causée par les oppresseurs !
J’ai honte d’avouer que c’est ma patrie.)
Un autre fonctionnaire à la retraite m’a cité ceux-ci :
Gair mumkin hai ki ki guthi suljhe
Ahley danish ne bàdi akal se uljhayi hai
(Le problème au Pendjab semble impossible à résoudre,
tellement les oppresseurs ont mis d’ardeur à le créer.)
Tels sont les sentiments d’un peuple qui, surtout au Pendjab, blessé et offensé d’abord en 1947, subit l’offense encore aujourd’hui. Une blessure corporelle peut guérir, mais les blessures émotives, elles, ne se cicatrisent pas toujours. Les personnes éprises de justice et de liberté considèrent comme une insulte et un crime impardonnable envers elles les attaques contre les sikhs. Elles voient également que cet ÉTAT DE SIÈGE CONTRE LES SIKHS sert de prétexte pour commettre des crimes contre tous les Indiens et pour faire la guerre au Pakistan et à d’autres pays voisins. Sous ce prétexte, le gouvernement de Delhi a renforcé l’armée et la police spéciale et les a autorisées à commettre des crimes n’importe où, notamment au Pendjab. Sous ce prétexte, il a tracé une ligne de démarcation pour la destruction de la nation indienne. Sous ce prétexte toujours, il accuse quiconque se porte à la défense des sikhs d’être khalistanais, séparatiste, terroriste, agent du Pakistan ou agent des Indiens vivant à l’étranger, notamment des Pendjabis et des sikhs. L’état de siège met à rude épreuve l’unité de la nation indienne et de toutes les nationalités, minorités nationales et tribus qui forment cette nation. Il constitue en pratique une attaque en règle contre la vie et la liberté de tous les Indiens et des peuples des pays voisins.
En tant que Pendjabis, la plupart des sikhs désirent vivre en Inde, mais avec dignité, dans le respect, en tant qu’égaux, et non pas en tant que citoyens de second rang. Une personne éprise de justice et de liberté ne peut accepter que dans son pays des hommes et femmes vivent en esclaves. Ce qu’on appelle l’« aliénation des sikhs », un phénomène qui croît chaque jour, est provoqué par les chefs de Delhi. C’est la réaction d’un peuple qui défend sa dignité, son honneur, protège ses richesses naturelles et désire bâtir une société dans laquelle il connaîtra la sécurité et la prospérité. Il ne regarde pas les choses par le prisme du sectarisme, comme le voudraient faire croire les chefs du gouvernement indien. Son désir en ce qui concerne le Pendjab est dans les mots du poète : Mera hase rahé Punjab (« Que mon Pendjab soit toujours rempli de visages souriants »). Il ne veut pas d’un Pendjab affligé, divisé et accablé par le malheur. Mais un autre Pendjab est-il possible si le gouvernement indien ne fait rien pour cicatriser les blessures ?
Comment espérer que le gouvernement indien cicatrise les sentiments blessés, surtout des gens de religion sikh, dont les temples les plus sacrés ont été profanés parce qu’ils ont voulu que le Pendjab demeure à jamais Hase àté wase (souriant et prospère) et parce qu’ils ont demandé que les Pendjabis soient maîtres économiques et politiques de leurs propres richesses naturelles ? Bien qu’ils soient fiers d’appartenir à la nation pendjabie et d’être pendjabis, beaucoup de sikhs expriment maintenant le sentiment qu’il leur faut le droit à l’autodétermination, jusqu’à la sécession, le droit de se gouverner. Les forces patriotes et progressistes du Pendjab, dont beaucoup de gens d’origine sikh, ont fait preuve d’un courage sans pareil dans la lutte anticoloniale et elles ne sont pas prêtes à se soumettre au joug des gouvernants de l’Inde aujourd’hui.
À chaque fois que quelque chose se produit au Pendjab, des représailles sont exercées contre les sikhs ailleurs au pays, surtout dans les régions où la langue majoritaire est l’hindi. Il y a eu deux cas de tueries dans des autobus en juillet 1987. Personne ne sait qui en sont les auteurs, mais les média ont rapporté que les innocents passagers avaient été victimes d’extrémistes sikhs non-identifiés. À cause de cela, des sikhs furent humiliés à Hissar et dans d’autres parties de l’Haryana, au Himachal-Pradesh et en Uttar-Pradesh. Leurs sanctuaires furent brûlés et leurs maisons pillées.
Aux yeux du gouvernement indien et des chefs du Congrès (I), tous les sikhs sont suspects. Ils leur font subir des humiliations dans les gares d’autobus. Ils leur font subir des humiliations dans les aéroports. Le parti au pouvoir et les gens en place usent de chaque occasion pour infliger des humiliations aux sikhs. Tous ceux qui ont à coeur la justice et la liberté doivent s’arrêter un instant et se demander pourquoi cette situation existe-t-elle.
La campagne de génocide qui a suivi l’assassinat de Mme Gandhi n’a pas aidé la cause de l’unité, cause que le premier ministre Rajiv Gandhi affirme faire sienne. Au contraire, elle n’a fait qu’aggraver les choses. Elle fut manigancée par des membres bien en vue du Parti du Congrès, comme l’a révélé le Comité des citoyens dirigé par S.M. Sikri, juge en chef de l’Inde retraité, et d’autres personnalités distinguées. Certains membres du Parti du Congrès (I) avaient dit à l’époque que les sikhs méritaient qu’on leur donne une leçon. Mais quelle leçon voulaient-ils leur donner ?
Par le passé, ceux qui ont voulu donner une leçon aux sikhs ont dû ravaler leur salive. Les empereurs moghols voulurent donner une leçon aux sikhs, mais finalement c’est l’empire moghol qui a disparu. C’est au Pendjab qu’il a commencé à péricliter, au XVIIIe siècle. De même, le gouvernement britannique voulut donner une leçon aux sikhs en maintenant les gourdouaras sous son autorité. Les sikhs combattirent pendant sept années et finalement les Britanniques durent céder.
Les sikhs ont appris leurs leçons des gurus, et ces leçons, ils ont continué de les parfaire pendant 500 années de lutte contre la tyrannie sociale et la terreur d’État. Ils n’ont pas combattu seulement pour eux-mêmes, mais pour le Pendjab, pour l’Inde.
Il n’y a donc pas de crime à être fier d’être Pendjabi. Il n’y a pas de crime non plus à être fier d’être Indien. Mais les chefs de Delhi cherchent à rayer cette histoire glorieuse et cette fierté du Pendjab et de l’Inde. Ils ne sont pas des bâtisseurs mais des destructeurs de l’unité. Leurs actes auront de graves conséquences si on les laisse poursuivre leur voie antipopulaire.
La question se pose donc : que doivent faire les sikhs et l’ensemble du peuple ? À mon avis, tous les Indiens épris de liberté et de justice doivent, sans égard à la caste et à la religion, s’unir pour combattre la tyrannie sociale et le terrorisme d’État, pour combattre la violation des droits de l’homme au Pendjab, pour combattre les lois telles que la Loi sur les activités terroristes, la Loi sur la sécurité nationale, la Loi sur les pouvoirs extraordinaires de l’armée, etc. Tous les Pendjabis doivent s’unir pour combattre les violations des droits de l’homme au Pendjab et pour instaurer la démocratie. Tous les Indiens doivent faire de même. Toutes les personnes éprises de justice et de liberté vivant en Inde doivent s’unir. Nous devons défendre les gens de religion sikh comme nous le ferions pour quiconque. Nous devons nous opposer à la tyrannie sociale et au terrorisme d’État partout où ils se manifestent, que ce soit au Pendjab ou en Assam, au Goudjerate ou ailleurs. Nous devons également nous opposer à l’agression d’État contre les pays voisins, comme l’intervention armée au Sri-Lanka.
Tous les Pendjabis doivent s’unir. Sinon, les chefs de Delhi leur infligeront de nouvelles épreuves. Le même sang coule dans les veines de tous les Pendjabis, quelle que soit la caste, l’idéologie ou la religion. Nous avons tous la même origine. Nous avons souffert ensemble au fil des siècles et ensemble nous devons affronter la nouvelle menace. Une responsabilité particulière incombe aux chefs des partis politiques. Les sikhs n’en veulent pas aux hindous et les hindous n’en veulent pas aux sikhs. S’il y a grief, c’est contre ce gouvernement qui a créé des tensions sectaristes. La lutte des Pendjabis a été calomniée, mais on ne réussira jamais à les salir. Tous les partis politiques qui ont à coeur les meilleurs intérêts du Pendjab et de l’Inde, ainsi que des États voisins, doivent s’élever au-dessus des objectifs politiques étroits visant uniquement le pouvoir. Ils doivent, dans l’intérêt supérieur, s’unir et s’efforcer de faire comprendre le problème à tous. Hindous et sikhs doivent s’arrêter un instant et réfléchir à la situation.
Ils doivent s’identifier aux revendications du Pendjab, à la langue pendjabie, aux problèmes économiques et sociaux du Pendjab. Soyons de vrais patriotes du Pendjab et de l’Inde, dans la vraie tradition des Ghadri Babas et des autres grands patriotes. L’heure est venue pour nous tous d’agir rapidement. Nous savons ce que seront les conséquences si la tyrannie sociale, le terrorisme d’État et le terrorisme individuel se poursuivent. Il ne faut pas oublier les leçons apprises par le sang versé dans la lutte pour l’indépendance, la liberté et la justice.
Les autres groupes opprimés de l’Inde doivent également se joindre à la lutte. Les dalits (les intouchables), les minorités ethniques, les tribus opprimées, les paysans, les intellectuels, les jeunes et les étudiants, les femmes, les professionnels, les fonctionnaires et la classe ouvrière, bref, nous tous qui sommes mécontents de la situation tragique et dangereuse que nous vivons, devons joindre nos forces et combattre la politique antidémocratique et antipopulaire et les violations des droits de l’homme par le gouvernement. Le temps est de notre côté pendant que le tapis glisse sous les pieds des oppresseurs. Nous devons nous armer de confiance et d’optimisme, d’une foi inébranlable dans la justesse de notre cause, et nous vaincrons, nous mettrons fin à toutes les violations des droits de l’homme.
Nous voyons agir ces gouvernants depuis quarante ans et nous ne croyons pas aux miracles. Leur but est de gouverner, quoi qu’il en coûte. Leur but est de préserver leurs droits acquis. Par conséquent, ceux qui sont exploités et qui sont mécontents de l’état de chose actuel ne doivent pas se laisser diviser par le sectarisme.
Tous les exploités doivent s’unir comme à l’époque du guru Govind Singh, lorsque le peuple forma un front uni dépassant les croyances et les castes. Sikhs et musulmans combattirent côte à côte dans les armées du guru contre la tyrannie des Moghols et l’oppression sociale des brahmanes. De même, au XVe siècle, dans le mouvement de résistance des Jathedars des Misals et dans l’armée du Banda Bahàdur, sikhs, hindous et musulmans combattirent côte à côte. C’est pourquoi ils furent victorieux et vainquirent la tyrannie. La même chose se produisit durant la Première Guerre d’Indépendance, en 1857, lorsque l’unité et l’héroïsme des insurgés ébranlèrent le pouvoir britannique jusque dans ses fondements. Notre histoire est remplie de leçons précieuses.
Les sikhs partent des enseignements du guru Govind Singh et des autres gurus pour s’orienter dans la vie. Mais ces enseignements, ils doivent les appliquer aux temps modernes en demeurant fidèles à la lutte contre la tyrannie. Quant à notre plan économique et social, nous devons le tracer en nous basant sur les sciences sociales modernes. Nous combattons encore aujourd’hui la réalité que décrivait le dicton populaire : ANNI NOU BOLA GHARISI PHIRDA !, qui signifie que les gouvernants sont sourds et n’entendent pas les revendications du peuple, sont aveugles et ne voient pas la situation tragique qui existe en Inde. L’objectif de mettre fin à la tyrannie et à l’injustice nous appartient à tous. Nous devons être vigilants et ne pas permettre l’intervention secrète de puissances étrangères, surtout des superpuissances. Les enseignements des gurus proclament la fraternité universelle. Ils proclament l’amitié intercommunautaire. Ils proclament le bien social et la justice sociale. Ils sont contre l’oppression sociale et la tyrannie d’État. C’est pourquoi les sikhs luttent également contre la brahmanisation du sikhisme et ne sont pas d’accord avec le point de vue voulant qu’il n’y ait pas de leçons à tirer des luttes du siècle présent pour la dignité humaine, l’indépendance, le progrès et la liberté.
Les Indiens vivant à l’étranger, que ce soit au Royaume-Uni, au Canada, aux États-Unis ou ailleurs, doivent s’unir eux aussi pour dénoncer la politique antipopulaire, antidémocratique et anti-sikh du gouvernement indien. Ils doivent s’unir avec les personnes éprises de justice et de liberté dans les pays où ils vivent. Ils doivent combattre toutes les déformations que les gouvernants de l’Inde propagent à l’étranger concernant notre lutte. Ils doivent démontrer la justesse de notre cause à tous ceux qui luttent pour la même cause dans leur pays. Ils doivent faire échec à la fausse propagande que font les missions indiennes à l’étranger. Le gouvernement indien ne se préoccupe pas du sort du peuple de l’Inde, ou des problèmes auxquels sont confrontés les Indiens vivant à l’étranger, qui dans plusieurs pays sont victimes de discrimination raciale, de violations des droits de l’homme, sont humiliés et traités comme des citoyens de second rang. Les missions du gouvernement indien à l’étranger ne défendent jamais les gens d’origine indienne lorsqu’ils sont attaqués. Le gouvernement applique une politique antipopulaire sans jamais s’occuper des besoins des Indiens, qu’ils vivent en Inde ou à l’étranger. Il fait tel que le décrit le vieux proverbe perse :
« Zamin zumbad, na zumbad Gul Muhammad »
(La terre tourne, mais Gul Muhammad ne bouge jamais.)
Les Pendjabis et Indiens vivant à l’étranger doivent tenir des manifestations pacifiques, des conférences, etc. pour dénoncer le terrorisme d’État et les lois draconiennes du gouvernement indien. Ils doivent s’unir à tous ceux qui défendent les droits démocratiques et défendent la même cause. Ils ne doivent pas s’abandonner à la violence individuelle, car finalement cette violence ne réussit jamais, mais elle offre aux gouvernements un prétexte pour adopter des lois encore plus répressives et terroriser les populations au nom de la lutte contre la violence. Ce genre de violence va à l’encontre du but visé et est généralement encouragée par les chefs de Delhi et certains intérêts étrangers.
En examinant l’origine du problème au Pendjab, j’ai cherché à l’expliquer sans détour et sans déformer les faits de quelque manière. En tant que juriste, je m’efforce surtout, dans cet ouvrage, d’analyser les éléments antidémocratiques de la Constitution indienne, les lois draconiennes de l’État et la violation des droits de l’homme au Pendjab. J’y incorpore une courte histoire du sikhisme, de sa montée et de sa lutte contre la tyrannie sociale et d’État. Par ailleurs, je consacre une section à démontrer que la nature de la lutte a radicalement changé depuis l’époque de la Première Guerre d’Indépendance, en 1857, lorsque les partis politiques modernes ont commencé à surgir. L’histoire de ces derniers est racontée de manière succincte, car une description plus détaillée aurait dépassé le cadre du présent ouvrage. Bien entendu, leur rôle actuel y est amplement traité. Je me suis particulièrement efforcé de réfuter la théorie de la « double responsabilité », c’est-à-dire l’idée qu’oppresseurs et opprimés doivent se partager le blâme.
[…]
Ajit Singh Bains
le 15 juillet 1988
(Le siège des sikhs La compagnie d’édition Le Nouveau Magazine ltée, Montréal, 1988. Disponible par commande postal pour 10,00$ en écrivant au Centre natinal de publications, CP 264, succursale Adelaide, Toronto, ON M5c 2J8. Faires chèque ou mandat à l’ordre du « NPC ». Frais de poste et de manutention inclus.)
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