Supplément
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9
novembre 2018
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Numéro
3
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Centenaire de la fin de la
Première Guerre mondiale
Contributions et massacre
des peuples coloniaux durant
la Première Guerre mondiale
Des membres du Corps de travailleurs chinois à William Head,
à l'extérieur de Victoria,
en Colombie-Britannique, avant leur transport par train à
travers le Canada puis par
bateau vers l’Europe.
• La
résistance des peuples coloniaux durant la
Première
Guerre mondiale
• L'incorporation massive des Indiens par les
Britanniques
• Le Corps de travailleurs chinois et les
travailleurs non combattants des colonies
La résistance des peuples coloniaux durant
la
Première Guerre mondiale
Les fauteurs de guerre impérialistes continuent
aujourd'hui de propager la désinformation selon laquelle les
peuples coloniaux d'Afrique, d'Asie, du Moyen-Orient et des
Caraïbes étaient enthousiastes de servir dans les
armées de leurs seigneurs impérialistes durant la
Première Guerre mondiale. C'est une propagande
complètement intéressée
parce que les peuples du monde entier qui vivaient sous le joug des
colonialistes britanniques, français, belges, allemands,
japonais
et autres étaient soumis à un régime de terreur,
à l'esclavage et l'exploitation brutale, leurs ressources
pillées et leur lutte pour
l'indépendance et l'autodétermination
criminalisées. Ils n'étaient pas du tout enthousiastes de
voir leur jeunesse
utilisée comme chair à canon dans une guerre
impérialiste entre puissances européennes rivales.
Avec
le
déclenchement
de
la
Première
Guerre
mondiale,
quelque
4 000 000 de personnes qui vivaient dans les empires coloniaux des pays
belligérants d’Afrique, d’Asie et d’ailleurs, ont
été automatiquement plongées dans la guerre.
Dans les colonies allemandes en Afrique, 200 000 porteurs ont
été recrutés et 450 000 dans les colonies
africaines françaises. Non seulement les troupes des colonies
d'Afrique et d'Asie ont-elles été appelées
à se battre en Europe, mais des combats militaires ont eu lieu
en Afrique et en Asie, y compris au soi-disant Moyen-Orient, donnant
à
ce conflit une envergure véritablement mondiale. Rien qu'en
Afrique
orientale, on estime à 1 000 000 le nombre de personnes
tuées dans la guerre.
En 1925, Ho Chi Minh, le grand dirigeant du peuple
vietnamien, a souligné que 100 000 Indochinois ont
été enrôlés pendant la Première
Guerre mondiale - la moitié dans l'armée française
et l'autre moitié en tant que travailleurs non combattants -
« Ils ont été emmenés
enchaînés... la plupart d'entre eux ne reverront plus
jamais le soleil de leur pays. »[1]
Il y a eu peu d'enthousiasme parmi les fauteurs de
guerre, y compris au Canada, à dire la vérité sur
la résistance des peuples coloniaux lors de la
Première
Guerre mondiale, car cela les empêcherait de justifier la guerre
et l'occupation des anciens pays coloniaux aujourd'hui. La
réalité est qu'il y a eu de nombreux actes de
résistance, petits et
grands, contre les tentatives des colonisateurs britanniques,
français, allemands et autres de forcer les peuples qu'ils
opprimaient à participer à leur guerre
impérialiste sanglante. Néanmoins, quelque quatre
millions de combattants et de non combattants d'Asie, d'Afrique, du
Moyen-Orient et des Caraïbes, issus des plus pauvres des pauvres,
des
sans-emploi et des analphabètes des colonies, ont pris part
à la Première Guerre mondiale. Par exemple, plus
de 90 % des soldats indiens engagés dans la guerre
étaient des paysans pauvres et illettrés.[2]
Après
l'armistice
du
11
novembre
1918,
les
puissances
victorieuses
se sont partagé le monde, aux
dépens de l'empire ottoman et de l'Allemagne, et notamment des
peuples coloniaux. En Afrique, les colonies
allemandes ont été cédées à la
Grande-Bretagne et à la France ou, dans le cas du Kamerun et
Togoland allemand, divisées entre elles. Loin
d’être une guerre pour mettre fin à toutes les guerres, la
Première Guerre mondiale perpétuait le système
colonial, privait les nations du droit à
l’autodétermination et jetait les bases pour de futurs conflits
et
guerres en Europe et dans le monde.
Résistance et rébellion en Afrique
Des nombreux actes de rébellion par les peuples africains
à la Première Guerre mondiale, deux se démarquent.
Le soulèvement de Chilembwe
John Chilembwe, pasteur de l'Église baptiste, ici à gauche
|
John Chilembwe était un pasteur
de l'Église baptiste dans l'ancien Nyassaland, maintenant
appelé Malawi. Il était bien conscient des
violences commises par les colonialistes britanniques contre son peuple
- le vol de leurs terres, l'exploitation
brutale de la main-d'oeuvre africaine, les sévices corporels et
le travail forcé. Après le déclenchement de la
Première Guerre mondiale, en octobre 1914, Chilembwe a écrit
une lettre au rédacteur en chef du Nyasaland Times au nom des chefs et
des aînés pour exprimer les objections de la population
à être entraînée dans l'effort de guerre
britannique. Il écrit: « J'entends dire que
la guerre a éclaté entre vous et d'autres nations, entre
blancs seulement. Je vous demande donc de ne plus recruter de mes
compatriotes, mes frères qui ne connaissent pas la cause de
votre combat, qui n’ont rien à voir avec
cela ... Il vaut mieux recruter des planteurs blancs, des
commerçants, des missionnaires et d’autres colons blancs dans le
pays, qui ont effectivement beaucoup de valeur et qui connaissent aussi
la cause de cette guerre et ont à voir avec cette guerre.
» La lettre a été
rejetée par le censeur.
Le recrutement forcé de jeunes de la
région par les Britanniques a finalement poussé Chilembwe
et les membres de sa
congrégation, parmi lesquels des enseignants locaux, à
prendre les armes contre les Britanniques. Ce fut le Soulèvement
de Chilembwe.[3]
Le 23 janvier 1915, Chilembwe et ses
partisans ont attaqué une plantation britannique locale ainsi
qu'un arsenal situé à proximité, où ils ont
saisi des armes. Le soulèvement a duré trois jours avant
d'être brutalement réprimé par l'armée
britannique. Plus d'une quarantaine d'insurgés ont
été exécutés sommairement et plus
de 300 emprisonnés. Chilembwe a été
tué alors qu'il tentait de se réfugier en Afrique
orientale portugaise (le Mozambique). Une enquête sur le
soulèvement menée par les autorités coloniales
britanniques a confirmé que les plantations britanniques locales
traitaient leurs travailleurs comme des esclaves et les punissaient en
toute
impunité. La mémoire du soulèvement de Chilembwe a
inspiré les peuples de la région dans leur lutte
anticoloniale contre l'impérialisme britannique au cours des
décennies suivantes.
L'armée britannique a brutalement
écrasé le soulèvement de Chilembwe
et exécuté 40 insurgés.
La guerre du Bani-Volta
Lorsque la
Première Guerre mondiale a éclaté, les
Français ont eu besoin d'enrôler des soldats
pour le front. Ils ont commencé à enrôler des
Africains, notamment les Algériens et les Marocains. Lorsque les
Français ont imposé la conscription en Afrique
occidentale, le peuple s'est soulevé. Les
administrateurs coloniaux français ont consacré beaucoup
de temps pendant la guerre à essayer de briser la
résistance du peuple à la conscription. Les Africains des
colonies françaises d'Afrique occidentale ont
résisté en abandonnant les villages et en prenant les
armes contre le pouvoir colonial dans le nord du Dahomey (aujourd'hui
le Bénin), au
nord de Bamako (au Mali) et dans le sud du Soudan français
(aujourd'hui le Niger).[4]
L'un des principaux actes de résistance au
colonialisme français pendant la guerre fut le
soulèvement Bani-Volta contre la conscription qui
commença en 1915 lorsque quelques villages de la
région s'unirent contre les Français. À son
apogée en 1916, les rebelles comptaient
entre 15 000 et 20 000 hommes
qui se sont battus sur plusieurs fronts et frappaient de terreur les
colonialistes. Au bout d'une année et après avoir
été battus à plusieurs reprises, les
Français ont concentré 6 000 soldats de
l'armée régulière et des mercenaires pour
réprimer la rébellion. Ils ont mené une campagne
« de terre brûlée » contre les
insurgés, détruisant
et bombardant leurs villages et massacrant la population, y compris les
femmes et les enfants, en guise d'avertissement. Les dirigeants ont
été exécutés et de nombreux autres
emprisonnés. Après la Première Guerre mondiale,
afin de continuer à gouverner en divisant le peuple, les
colonialistes français ont créé la colonie de la
Haute-Volta
(aujourd'hui le Burkina Faso), en séparant sept districts
insurgés de la grande colonie du Haut-Sénégal et
du Niger.[5]
La guerre du Bani-Volta a été l'un des
soulèvements majeurs contre les Français qui a
inspiré d'autres luttes anticoloniales en Afrique.
La résistance au Vietnam
De nombreuses révoltes ont eu lieu au Vietnam,
qui faisait partie de l'Indochine française. Quand la guerre a
commencé, les colonialistes français dirigeaient
l'Indochine française d'une main de fer depuis près
de 70 ans, ils exploitaient le travail et les ressources des
peuples vietnamiens, cambodgiens et des autres peuples de la
région.
Des soulèvements armés se produisaient souvent.
L'exploitation du peuple vietnamien pendant la guerre
se voit dans la « contribution » forcée
imposée par la France de 281 millions de francs-or,
soit 60 % du total imposé à toutes les colonies
françaises, et de 340 000 tonnes de matières
premières représentant 34 % de toutes les
matières
premières fournies par les colonies.
Lorsque les Français ont imposé la
conscription, la résistance s'est intensifiée. Des
villages entiers ont refusé la conscription et souvent les
villageois ont chassé les officiers de recrutement. Pour
combattre cette résistance, les Français ont dissous les
organisations patriotiques et ont emprisonné ou
exécuté leurs dirigeants.
L'un des plus importants soulèvements de cette
période s'est produit dans la province de Thai Nguyen, dans le
nord du Vietnam en 1917, quand plus de 300 soldats et
gardiens de prison se sont révoltés et ont
libéré 200 prisonniers politiques qui ont pris la
ville pendant plusieurs jours avant l'arrivée de renforts
français qui
ont réprimé la rébellion. Les Français
n'ont plus jamais été capables de supprimer
complètement le mouvement anticolonial dans cette région.[6]
La résistance des soldats des Caraïbes aux
attaques racistes
Bien que de nombreux journaux des Antilles
britanniques s'opposaient à la Première Guerre mondiale,
qu'ils considéraient comme une guerre des «
Blancs » qui ne concernait pas les Antillais, en 1915
le ministère britannique de la Guerre, qui avait anticipé
la nécessité de recruter plus de soldats pour l'effort de
guerre et
agissait sous la pression des élites dirigeantes des îles
des Caraïbes, a créé le British West Indies Regiment
(BWIR) composé d'ouvriers originaires de la Barbade, de la
Jamaïque, de Trinidad, du Guyana et d'autres colonies des
Antilles, enrôlés avec de fausses promesses de terres et
d'autres récompenses après la guerre. Au total,
près
de 16 000 hommes ont servi dans ce bataillon.
L'objecteur de conscience Isaac Hall, qui vivait en
Angleterre en 1916, exprime bien l'opposition à la guerre parmi
ses compatriotes en écrivant: « Je suis un Noir de race
africaine, né en Jamaïque. Mes parents ont
été amenés en Jamaïque comme esclaves. Ils
ont été arrachés à leur patrie. Mon pays
est divisé par les puissances d'Europe (qui se font maintenant
la guerre entre elles), qui ont chacune à leur tour
opprimé et tyrannisé mes compatriotes. Les alliés
de la Grande-Bretagne, c'est-à-dire le Portugal et la Belgique,
ont été parmi les pires oppresseurs, et maintenant que la
Belgique est envahie on veut me forcer à aller la
défendre... » Hall a été torturé et
incarcéré pendant deux ans à la prison de
Pentonville dans le nord de Londres, mais n'a jamais renoncé
à ses principes.
La conception du monde coloniale raciste des
impérialistes
britanniques à l'égard des peuples des Caraïbes est
illustrée par le traitement des soldats du BWIR qui, en Europe,
au
Moyen-Orient et en Afrique, ont été affectés
à des tâches non combattantes : des travaux de
terrassement, de construction et d'autres travaux de soutien. Un petit
nombre
seulement ont été engagés dans des
opérations de combat au front. De plus, les soldats de BWIR
recevaient une solde inférieure à celle des autres
soldats
britanniques, vivaient dans de pires conditions et étaient
humiliés.
Des membres du Régiment antillais britannique empilent les obus
à Ypres en France en 1917.
Le 6 mars 1916, le Verdala, un
navire transportant 25 officiers et 1 115 soldats du
troisième contingent jamaïcain du BWIR, est parti pour
l'Angleterre. Pour éviter les sous-marins ennemis, le navire a
été contraint de faire un détour par Halifax, au
Canada. Près de Halifax, le navire a essuyé une
tempête de neige. Les soldats n'étaient pas
équipés de vêtements chauds. Environ 600
hommes ont souffert d'hypothermie et d'engelures
importantes et cinq soldats sont morts. L'événement
d'Halifax a eu de
graves répercussions sur la campagne de recrutement qui a
dû être suspendue temporairement. Les recruteurs ont par la
suite été
contraints d'adopter une stratégie plus vigoureuse de visites de
porte à porte et ont même dû faire du recrutement au
Panama après l'entrée en guerre des États-Unis
en 1917 pour reconstituer le BWIR avec de nouvelles recrues.
Le deuxième bataillon du Régiment antillais britannique
s'embarque pour l'Afrique.
La mutinerie de Tarente
Un des actes de résistance les plus militants du
BWIR s'est produit le jour de l'Armistice, le 11
novembre 1918, à Tarente, un port du sud de l'Italie et
grand centre logistique de l'armée britannique, où huit
bataillons BWIR de France et d'Italie avaient été
concentrés
en vue de leur démobilisation. Trois bataillons d'Égypte
et de Mésopotamie BWIR ont été également
rassemblés sur cette base, ce qui a provoqué une crise
logistique.
Les soldats noirs ont reçu l'ordre d'aider au
chargement et au déchargement des navires et à d'autres
travaux, comme le nettoyage des latrines des soldats blancs, qu'ils ne
pouvaient utiliser eux-mêmes. La colère qui couvait a
alors atteint son paroxysme. Le 6 décembre 1918, les
hommes du 9e bataillon du BWIR se sont
mutinés et ont attaqué leurs officiers. Le même
jour, 180 sergents du BWIR ont adressé au secrétaire
d'État britannique une pétition dénonçant
la discrimination concernant leur solde, le refus d'augmenter leur
prime de démobilisation et la discrimination dans l'octroi de
promotions.
Le 9 décembre, le 10e bataillon a
refusé de travailler. Un officier supérieur qui avait
ordonné à des hommes de BWIR de nettoyer les latrines du
Corps du travail italien avait été attaqué. En
réponse à un appel à l'aide des commandants de
Tarente, une compagnie de mitrailleurs et un bataillon du
Régiment du Worcestershire ont
été envoyés pour rétablir l'ordre.
Le 9e bataillon BWIR a été dissous, ses soldats ont
été dispersés dans d'autres bataillons et tout le
BWIR a été désarmé. Soixante soldats du
BWIR ont ensuite été jugés pour mutinerie et les
condamnés ont reçu des peines allant
jusqu'à 20 ans. Un soldat a été
exécuté par peloton d'exécution.
Malgré l'écrasement de la mutinerie,
le 17 décembre 1918 un groupe de 60
sous-officiers du BWIR s'est réuni pour discuter de leurs
droits, de l'autodétermination des nations des Antilles et d'une
union plus étroite. Lors d'une deuxième réunion,
un sous-officier a affirmé que « l'homme noir doit avoir
la liberté de se
gouverner lui-même dans les Antilles et, si nécessaire, la
force et le sang devraient être utilisées pour atteindre
cet objectif ».[7] Ils
ont formé une organisation appelée la Caribbean League
pour promouvoir ces objectifs, son siège a été
établi à Kingston (Jamaïque) et ses bureaux
auxiliaires dans les
autres colonies antillaises.
La Première Guerre mondiale et
l'expérience des peuples coloniaux pendant la guerre,
ainsi que
l'impulsion donnée par la Révolution russe, ont produit
un changement qualitatif dans la conscience des peuples coloniaux. La
guerre a dissipé tout doute sur les visées des puissances
coloniales qui voulaient s'emparer de plus de ressources et de
richesses; les peuples coloniaux ne devaient compter que sur leur
propre
initiative et leur juste cause pour renforcer leur résistance
organisée à la domination coloniale et faire progresser
leur lutte pour l'autodétermination, l'indépendance et la
paix.
Notes
1. Quoc, Nguyen Ai, Le procès
de la colonisation française, Hanoï, 1962,
pp. 19-22 ; Butiner, Joseph : Vietnam. A Dragon
Embattre, Vol. 1, London, Pall Mall, 1967,
pp. 116n, 490.
2. Sepoy Letters, International
Encyclopedia
of
the
First
World
War
3. Resistance and Rebellions (Africq), International
Encyclopedia
of
the
First
World
War
4. Jacques Enaudeau, African resistance and
rebellion: The other side of World War One, Al Jazeera, 22 septembre 2014
5. Saul, Mahir / Royer, Patrick, West African
Challenge to Empire. Culture and History in the Volta-Bani
Anti-Colonial War, Athens, Ohio University Press, 2001, p. 1.
6. Thái
Nguyên
Uprising, Wikipedia.
7. History of
World War One, BBC.
L'incorporation massive des Indiens
par les Britanniques
Des soldats indiens en France en 1915
Dès le déclenchement de la
Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a exigé de
tous ses dominions et colonies hommes et matériel. De ces
dominions et colonies, le plus grand fardeau et les plus grands
sacrifices ont été assumés par l'Inde. Tout au
long de la guerre, près d'un million et demi de soldats et de
non-combattants de l'Inde
ont été transportés au front de l'Ouest en Europe
et dans d'autres théâtres de guerre. De ce nombre,
près de 70 000 ont été tués et
des dizaines de milliers ont subi des stress post-traumatiques, ont
perdu la vue, ont été mutilés ou ont souffert
d'autres blessures ou traumatismes psychologiques. L'Inde a
également été saignée à blanc en
termes de denrées alimentaires et autres ressources pour
l'effort de guerre, ce qui a entraîné des
conséquences désastreuses.
Quand la guerre a éclaté, l'Armée
britannique de l'Inde était composée de 76 953
Britanniques, 193 901 Indiens et 45 600
non-combattants. On prétendait que c'était une
armée de « volontaires ». Contrairement
à la Grande-Bretagne, il n'y a pas eu de conscription en Inde
pendant la guerre.
Néanmoins, comme le pillage et l'exploitation colonialistes
avaient laissé l'économie indienne en piètre
état, il devenait difficile de refuser l'offre d'un salaire et
d'un moyen de subsistance réguliers. L'armée indienne
était disciplinée et avait beaucoup d'expérience.
Les Britanniques recrutaient uniquement parmi ce qu'ils appelaient les
« races
martiales » de l'Inde du Nord : les Pathans,
Baloutchis, Pendjabis musulmans et sikhs, les Népalais et
autres. Si on ne recrutait pas de soldats parmi les castes
inférieures, des milliers de personnes travaillaient à
l'entretien et à des tâches subalternes. Aucun Indien ne
pouvait devenir un officier breveté, seulement un officier
subalterne,
tandis que même l'officier indien de rang supérieur
était subordonné à l'officier britannique le plus
inférieur dans le rang des subalternes. La loyauté
était la pierre angulaire du régiment, qui fonctionnait
beaucoup comme une « famille », où l'expression
la « loyauté au sel » représentait le
pourvoyeur, celui qui garantit un moyen de
subsistance. Les régiments étaient organisés en
fonction de caractéristiques régionales, religieuses et
linguistiques communes, puisque plusieurs soldats venaient du
même village. Les Britanniques se souvenaient bien des
leçons de 1857 et du mécontentement de
l'armée indienne avant la Première Guerre
d'Indépendance.
Le front de l'Ouest
Les premières troupes indiennes sont
arrivées à Marseille le 26 septembre 1914 et
ont été chaleureusement accueillies par la population
locale. Tôt en octobre, deux divisions de l'Armée indienne
étaient campées en France. Dans l'espace de quelques
semaines, elles ont été transportées vers le nord
au front de l'Ouest. Les soldats
n'avaient pas les vêtements requis pour affronter l'hiver qui
commençait. Ils avaient toujours leur tricot
d'entraînement kaki fait de coton mince qui n'offrait aucune
résistance au vent, aux précipitations et à la
pluie verglaçante des mois sombres d'octobre et de novembre. Ce
n'est qu'au Nouvel An qu'ils ont reçu des manteaux, mais
trop tard
pour plusieurs qui sont morts de froid ou d'engelures.
On avait d'abord envisagé que les troupes
indiennes serviraient de troupes de réserve ou de garnison, mais
elles ont immédiatement été
expédiées aux premières lignes. L'enthousiasme du
début a rapidement fait place au désespoir. Les
conditions dans les tranchées étaient déplorables.
En plus des bombardements et des tirs incessants, il y avait
les inondations suite aux précipitations, les maladies qui se
propageaient, les tranchées qui s'effondraient et les engelures
fréquentes. Des lettres envoyées à la maison
résument bien la situation. Un soldat pathan écrit :
« Quiconque a vu cette guerre ne l'oubliera jamais jusqu'à
sa mort. Semblables à un navet qu'on coupe en morceaux, des
hommes explosent sous les obus... Tous ceux qui sont venus
avec moi ont cessé d'exister... C'est impossible de savoir qui
gagnera. Prendre cent verges de tranchée, c'est comme la
destruction du monde. »
Les soldats blessés étaient
envoyés dans les hôpitaux ou dépôts de
convalescence en France. Dès leur guérison, ils
étaient expédiés à nouveau aux
premières lignes. Un soldat blessé écrit à
sa famille : « Je n'ai aucun espoir de survivre, puisque la
guerre est trop dure. Dès qu'une blessure est guérie en
quelques semaines, nous sommes
renvoyés aux tranchées... Le monde entier est
sacrifié et il n'y a aucune cession. Ce n'est pas une guerre,
c'est un Mahabharata, le monde se fait détruire. »
Ce désespoir était amplifié par le
fait qu'on accordait fréquemment aux soldats britanniques des
congés dans les foyers, mais jamais aux troupes indiennes.
Celles-ci les demandaient constamment, mais on les leur refusait.
Les autorités britanniques observaient cette
démoralisation de près. Elles avaient soigneusement
organisé des équipements de cuisine et des
approvisionnements d'eau distincts en vertu des différentes
restrictions religieuses et avaient pris d'autres mesures. Mais face au
mécontentement des troupes indiennes, elles ont
décidé de censurer les lettres
que les soldats envoyaient dans leur pays. Plusieurs lettres ont tout
simplement été confisquées. Les autorités
veillaient avec acharnement à ce que la «
littérature séditieuse » ne circule pas parmi
les troupes. Leur hantise était telle qu'elles ont
cherché, entre autres, à empêcher toute
littérature du Parti Ghadar en surveillant à la loupe le
courrier provenant de San Francisco, Rotterdam et Genève.
Même dans des conditions aussi difficiles, les
troupes indiennes ont combattu avec grand héroïsme. Elles
se sont illustrées lors d'une bataille pour contrôler une
colline saisie par les Allemands à Neuve Chapelle en
février 1915. Pendant quatre jours, des combats
acharnés ont fait rage. Le général Douglas Haig
croyait qu'un assaut
prolongé finirait par produire le résultat voulu au prix
de grandes pertes. Les deux divisions indiennes ont joué un
rôle prédominant dans cette bataille. On a accordé
la Croix de Victoria à un des soldats indiens tué au
combat. Au total, 4 233 soldats du Corps indien ont
été tués, en grande partie sous les tirs
d'artillerie. Neuve Chapelle
a tombé mais au cours des quatre jours d'intenses combats et
après des milliers de pertes, on n'a réussi à
prendre le contrôle de seulement 1 500 mètres de
territoire. Plus tard, lorsque Haig racontera ce combat et dans les
nombreux livres publiés au sujet de cette bataille, on ne
parlera que rarement ou pas du tout de la contribution des
troupes indiennes.
La bataille de Loos en septembre 1915 allait
être l'une des dernières opérations d'envergure du
Corps indien sur le front de l'Ouest. Cette bataille a duré deux
semaines sans aucun gain. Les pertes étaient
élevées et la plupart des bataillons ont
été réduits à moins d'une centaine de
soldats. À la fin de l'année, ayant enduré un
deuxième
hiver dans les tranchées, une grande partie du Corps indien a
été expédiée vers d'autres
théâtres de guerre — au Moyen-Orient, à Gallipoli
et en Afrique. Au début de 1917, d'autres troupes indiennes
ont été recrutées pour ces théâtres
où les pertes étaient élevées et où
il y avait un grand besoin de renfort. Le secrétaire
d'État de l'Inde avait
demandé au vice-roi de mobiliser pas moins de 100 000
troupes additionnelles avant le printemps de 1918 pour combattre
les Turcs. Seule la cavalerie resterait sur le front de l'Ouest
jusqu'en 1918 tandis que les sapeurs et mineurs sont restés
jusqu'en 1919 pour le déminage.
Des troupes indiennes s'embarquent pour l'Afrique en 1917.
À l'été de 1916, Haig a
réuni plus d'un million de soldats dans la Somme pour un assaut
majeur contre les lignes allemandes. La cavalerie indienne ferait les
frais de cette opération. Dans les premières heures
seulement, les troupes britanniques et leurs alliés, avec les
Indiens sur les premières lignes, ont subi 60 000
blessés
et 20 000 tués. En dépit des pertes, Haig a
commandé aux troupes de continuer. La bataille a fait rage
jusqu'à la mi-novembre. Le nombre total de morts s'est
élevé à 1,3 million. Les alliés
avaient avancé de moins de dix kilomètres. Pendant de
nombreux mois suivant
cette bataille, de nombreux articles ont été
publiés. On y parle très peu de
la cavalerie indienne.
Les hôpitaux
Une carte postale officielle de l'hôpital de Brighton
envoyée en Inde peint un faux tableau des conditions faites aux
soldats indiens.
Les autorités britanniques ont beaucoup
parlé des hôpitaux en Angleterre qu'elles auraient mis
à la disposition des soldats indiens blessés, le respect
à la lettre des rites religieux et les soins qu'elles auraient
apportés. Elles ont même prétendu que le roi
d'Angleterre avait mis un de ses palais à leur disposition, le
pavillon Brighton, pour qu'on
le convertisse en hôpital. C'était un mensonge
éhonté puisque le Brighton Council en avait
été les propriétaires depuis plus de 50 ans.
On a fabriqué près de 120 000 fausses cartes
postales de l'hôpital qu'on a envoyées en Inde avec plus
de 20 000 cahiers souvenir. La réalité, par
contre, était tout autre. Le pavillon
et les autres hôpitaux étaient cernés de
barbelés. L'hôpital de Kitchener, l'ancien hospice de
Brighton, a été décrit dans une des lettres de
soldats comme « l'hôpital-prison de Kitchener ».
Il était interdit aux infirmières de soigner les
patients, elles ne devaient jouer qu'un rôle de supervision. La
fraternisation était interdite. Toute activité
extérieure était restreinte et hautement
surveillée. Seuls les visiteurs munis de passes étaient
autorisés à visiter les patients, et ce, de façon
très restreinte pour refuser le droit d'entrée à
ceux qu'on nommait les « nationalistes indiens ».
Seuls les soldats grièvement blessés pouvaient s'en
retourner en Inde. Les autres étaient expédiés au
front.
L'automutilation et les suicides étaient fréquents. Dans
leurs lettres à la maison, les soldats se plaignent de la
nourriture et de leur traitement. Plusieurs soupçonnent que les
Indiens sont sacrifiés en tant que « chair à
canon ». Certains exhortent leurs familles au pays :
« Ne vous enrôlez pas ! »
Le massacre
La guerre a pris fin avec l'Armistice du 11
novembre 1918, et la Révolution d'octobre en Russie
l'année précédente a joué un rôle
majeur dans l'avènement de la paix. La Conférence de Paix
convoquée à Paris en janvier 1919 allait durer six
mois et s'est terminée avec la conclusion du Traité de
Versailles. Trois délégués
de l'Inde ont participé à la conférence : le
secrétaire d'État à l'Inde, Edward Montagu, le
Maharaja de Bikaner et lord Sinha. Les trois partageaient une vision
selon laquelle l'Inde finirait par se gouverner elle-même,
quoiqu'à l'intérieur de l'empire britannique. Sinha
déclarait que la Grande-Bretagne devait demeurer le «
pouvoir
suprême ». En Inde, l'élite intellectuelle
avait appuyé la guerre en espérant soutirer des
concessions en échange des sacrifices consentis. Mais elle
allait être cruellement déçue. Le Government of
India Act de 1919 n'a fait que consolider le pouvoir colonial.
La guerre avait eu des répercussions
dévastatrices sur l'Inde. Avec la perte de récoltes et
les prix élevés, l'insatisfaction était
grandissante. La famine sévissait en Inde centrale. Au Pendjab,
l'agitation était à son comble. Les villes étaient
durement touchées. Les gens étaient en colère
contre la prise de contrôle des denrées alimentaires
réservées
à l'effort de guerre en vertu de la loi de la défense du
Royaume. Une lassitude face à la guerre pesait sur la
région, lieu d'origine de la plupart des combattants qui avaient
été envoyés au front. Dans les villages, on
pleurait les morts et on veillait les blessés. En guise de
réponse, le gouvernement britannique a adopté la Loi
Rowlatt à Londres en
mars 1919. Celle-ci interdisait les réunions publiques et
censurait la presse. Elle autorisait des procès à huis
clos sans juré. Toute personne soupçonnée
d'activité révolutionnaire était jetée en
prison sans procès pour une période de deux ans. Les
manifestations étaient matées par les troupes avec une
force létale.
Le 11 avril 1919, le général
Reginald Dyer a occupé Amritsar, imposé un couvre-feu et
interdit tout rassemblement. On a lu une proclamation à cet
effet le 13 avril. Ce jour-là du festival de Baisaki, le
Nouvel An sikh, des foules s'étaient rassemblées au
Temple d'Or dans un esprit de célébration. Tout
près se trouvait le parc
clos de Jallianwala Bagh. Des milliers de personnes s'y étaient
rassemblées pacifiquement pour discuter de la Loi Rowlatt et des
récents meurtres commis par la police. Fait bien connu, Dyer a
fait entrer des troupes armées par l'unique entrée
étroite au parc et a ouvert le feu sur la foule. Il a
commandé à ses troupes de continuer de tirer
jusqu'à ce
qu'il ne leur reste plus de munitions. Il était impossible de
fuir. Près de 1 000 personnes ont été
tuées et près de 1 500 blessées.
Le massacre de Jallianwala Bagh a soulevé l'ire
du pays. À peine cinq mois après la fin de la guerre dans
laquelle 400 000 Pendjabis avaient combattu, c'était
là la récompense que leur donnait la Grande-Bretagne.
Dyer n'a démontré aucun remord. Après le
massacre, on a bombardé les villes du Pendjab, prolongé
la loi martiale
et accru la répression. À Londres, dans le rapport au
Cabinet de Guerre de cette semaine-là, on mentionne à
peine l'événement. On dit seulement qu'il y a eu
des « problèmes » à Amritsar où
on a « mobilisé les troupes pour restaurer
l'ordre ». On n'a fait aucune mention des meurtres. Cela n'a
pas été mentionné à la
Conférence de paix de Paris non plus.
Les navires transportant les troupes sont
retournés à Bombay et Karachi. Les orchestres ont
donné leur prestation mais il n'y avait personne pour accueillir
les héros. Trop de soldats avaient perdu la vie. Trop d'entre
eux étaient estropiés, aveugles ou traumatisés.
Quelques hôpitaux pour les blessés et les
quadraplégiques ont été mis sur pied,
mais étaient peu utiles pour ces soldats vivant dans les
régions éloignées. Les récoltes
étaient pauvres. L'agitation sociale était à son
comble. Un nouvel esprit de nationalisme traversait le pays. Les
héros seraient désormais ceux du Mouvement pour
l'Indépendance ou la Liberté. Dans les livres d'histoire
officiels des Britanniques, on ne parlera
guère des soldats indiens qui avaient tant sacrifié.
(Source : Basu, Shrabani, For King
and
Another Country : Indian Soldiers on the Western
Front, 1914-1918, London,
Bloomsbury, 2015)
Le Corps de travailleurs chinois et les travailleurs
non combattants des colonies
Près de 10 millions de soldats sont morts
durant la Première Guerre
mondiale. En 1916, deux ans après le début de la
guerre, les
impérialistes britanniques et d'autres belligérants,
notamment la
Russie tsariste, avaient non seulement subi d'immenses pertes de
troupes, ils ont été confrontés à une crise
de pénurie de main-d'oeuvre, car tous les hommes valides avaient
été
envoyés au front. Les
impérialistes n'avaient pas pris en compte la quantité de
travailleurs
nécessaires au soutien logistique pendant la guerre, ni
n'avaient-ils
anticipé les énormes pertes humaines. Ils avaient
désespérément besoin
de travailleurs pour creuser des fossés et des tranchées,
construire
des
routes, nettoyer les fusils, les chars d'assaut et les armes et les
munitions, enterrer les morts, enlever les barbelés, transporter
les
munitions et d'autres fournitures et effectuer d'autres
tâches.
La solution trouvée a été la
création du Corps de travailleurs
chinois (Chinese Labour Corps- CTC) qui, avec des centaines de milliers
d'autres unités non-combattantes similaires d'Afrique, d'Asie et
des
Antilles, a joué un rôle énorme durant la guerre.
En 1915, le gouvernement chinois avait
secrètement approché la
Grande-Bretagne, la France et la Russie avec un plan pour fournir des
travailleurs non-combattants pour la guerre, en retour de quoi la Chine
aurait un siège à toute négociation
d'après-guerre. Les Français et les
Britanniques ont accepté mais, comme ça s'est
avéré plus
tard, ils n'avaient pas l'intention de tenir parole.
Le CTC était composé des travailleurs et
des paysans les plus
pauvres de la Chine qui était pillée et saignée
à blanc par la
domination et l'exploitation étrangères menées par
les impérialistes
britanniques qui finançaient leur commerce avec la Chine avec
l'opium
importé de l'Inde. De 1839 à 1842, les
colonialistes britanniques ont
mené la Guerre de l'opium contre la Chine et avec le
Traité de Nankin
de 1842, ont « ouvert » la Chine aux puissances
étrangères dont la
France, la Russie et le Japon.
Le CTC comptait près de 140 000 hommes
qui ont servi en France et
en Belgique. À ce nombre, il faut ajouter près d'un
demi-million de
Chinois qui ont servi dans l'armée tsariste sur le front russe.
Près
de 100 000 travailleurs du CTC ont été
secrètement transportés en
Europe en passant par le Canada afin d'éviter
les sous-marins allemands qui menaçaient les navires anglais et
français.
Des centaines de ces travailleurs sont morts pendant
leur transport vers l'Europe. Par exemple, dans son livre de 2011,
Strangers on the Western Front : Chinese Workers
in the Great War, l'historien Xu Guoqi de l'Université de
Hong Kong rapporte que 600
travailleurs sont morts le 17 février 1917
lorsque le navire qui les transportait vers la France a
été torpillé au
large de Malte. On estime par ailleurs que des milliers sont morts
pendant leur transport terrestre de la Chine au front russe. On estime
que quelque 3 000 travailleurs chinois sont morts pendant la
guerre en
France et en Belgique alors que jusqu'à 30 000
ont péri sur le front russe.[1]
Le transport par le Canada
Le Corps de travailleurs
chinois débarque du train à Petawawa, Ontario
The Empress of Russia, le premier navire avec
à son bord
des travailleurs du Corps de travailleurs chinois, est arrivé
le 2
avril 1917 au centre de traitement des immigrants de William Head
sur
la côte de la Colombie-Britannique, près de Victoria. Il
transportait
plus de 2 000 travailleurs chinois qui ont été
immédiatement mis en quarantaine pendant deux semaines.
Bientôt
d'autres navires en provenance de la Chine sont arrivés et le
nombre de
travailleurs du CTC à William Head a gonflé
à 30 000 et leur
confinement dans des quartiers exigus a créé de nombreux
problèmes
notamment à cause du manque d'installations sanitaires.
L'armée canadienne a ensuite obtenu que les travailleurs chinois
créent
un « camp de coolies » où ils ont
été gardés jusqu'à ce qu'ils puissent
être examinés et déclaré aptes à
continuer leur voyage à travers le
Canada [2].
De William Head, les membres du CTC ont
été embarqués sur des
navires plus petits à travers le détroit de Georgia
jusqu'à Vancouver
et de là, ont été acheminés à
travers le Canada par chemin de fer
jusqu'à Halifax et St-Jean, les points d'embarquement pour
l'Europe.
Les travailleurs du CTC ont voyagé à
travers le Canada dans des
trains spéciaux dont les wagons étaient scellés et
sous garde armée. Le
gouvernement conservateur de Borden ne voulait pas que les Canadiens
apprennent que ces hommes étaient traités comme des
forçats, encore
moins que les citoyens et résidents chinois du Canada aient des
contacts avec les travailleurs. On soupçonnait aussi que parmi
ces
travailleurs il y ait des espions allemands. « Ils ont
été entassés
comme du bétail dans les wagons, se sont vu interdire de quitter
le
train et ont été surveillés comme des
criminels », a rapporté le Halifax Herald
en 1920, lorsque le transport des travailleurs a
pris fin et que le Canada a assoupli la censure de la presse qui, entre
autres mesures draconiennes, avait été imposée au
nom de la « sécurité
nationale » et de la Loi sur les mesures de guerre
adoptée en 1914.
À gauche: le Corps de travailleurs chinois en France. À
droite: construction
de routes sur le front ouest
Une fois en Europe, les travailleurs du CTC ont
été soumis à
l'autorité de la Direction britannique du travail qui les a
affectés à
diverses branches de l'armée. À cette période de
la guerre, les
Britanniques punissaient sévèrement ceux qui
croulaient sous la
pression du combat ou désertaient le champ de bataille. Les
peines
étaient encore
plus sévères pour les Chinois et les non-combattants
coloniaux. Pour
les travailleurs du CTC, dont beaucoup sont venus des confins de la
Chine, et n'avaient jamais quitté leurs villages, se retrouver
sur la
ligne de front de la Première Guerre mondiale à creuser
des tranchées
au milieu des bombes et des obus allemands qui pleuvaient était
une
expérience réellement traumatisante. Le jour de
Noël 1917, une grande
mutinerie a eu lieu parmi les membres du CTC qui protestaient contre
leurs
conditions de travail. La mutinerie a été matée
par les Fusiliers du
Royal Welsh et neuf des travailleurs ont été
exécutés par peloton
d'exécution et d'autres ont été traduits devant
une cour martiale.[3]
Après la guerre, la plupart des travailleurs du
CTC ont été
rapatriés en Chine. Certains sont restés en Europe et se
sont installés
en France, en Belgique et en Angleterre. Il faut souligner qu'un grand
nombre des Chinois qui étaient en Russie quand la
révolution russe a
mis fin à la participation de la Russie tsariste à la
guerre, ont
rejoint
l'Armée rouge et pris part à la révolution russe
aux côtés des
centaines de Coréens et d'autres nationalités.[4]
Le recrutement des autres travailleurs non-combattants
En plus du demi-million de travailleurs chinois qui
ont été
enrôlés pour des tâches non combattantes durant la
Première Guerre
mondiale, la Grande-Bretagne et la France ont aussi recruté
d'autres
travailleurs. Par exemple, on estime que plus de 600 000
Indiens ont
été affectés à des rôles de
non-combattants durant la guerre.[5]
La Grande-Bretagne a également recruté
quelque 1000 travailleurs de
l'île Maurice, 8000 des Antilles, 31 000 de
l'Afrique du Sud et 82 000
d'Égypte et les a déployés en Europe et sur
d'autres théâtre de guerre.
Des porteurs du Deuxième Corps dans les marais de Chikukwe
En plus des 37 000 Chinois, les
Français ont enrôlé 5 500
travailleurs de Madagascar, 18 000 de
Tunisie, 35 000 du Maroc, 49 000
d'Indochine et 76 000 d'Algérie, et les ont
utilisés sur les quais des
ports français, sur les navires et dans autres services.
Les contributions de ces travailleurs - le CTC, les
Chinois qui ont
servi sur le front russe, le plus d'un demi-million d'Indiens, et le
demi-million de travailleurs des autres des colonies d'Afrique, d'Asie
et des Caraïbes, ont été cruciales. Aujourd'hui,
c'est l'interprétation
pro-impérialiste de l'histoire par les puissances
impérialistes et
leurs
alliés, comme le Canada, qui rabaisse la véritable
histoire et le rôle
décisif de ces travailleurs durant la Première Guerre
mondiale dans le
but de continuer à glorifier la contribution des « nations
civilisées »
supérieure à celle des « nations non
civilisées » et à s'ingérer
aujourd'hui dans les affaires intérieures des pays souverains
d'Asie,
d'Afrique, d'Amérique latine et des Caraïbes.
Notes
1. « The forgotten army of the first world
war : How Chinese labourers helped shape Europe », South
China
Post, le 24 juillet 2014
2. Peter Johnson, Quarantined : Life and
Death at William Head Station, 1872-1959, Heritage House
Publishing Company, Ltd., 2013
3. Nicholas J. Griffin, « Britain's Chinese
Labour Corps in World War I », Military Affairs 40,
No. 3
(October 1976),
p. 105
4. Brian Murphy, Rostov in the Russian Civil
War, 1917-1920 : The Key to Victory,
London, Routledge, 2005, p. 154
5. War Office : Statistics of the military
effort of the British Empire during the Great War, 1914—1920,
Londres, 1919, p. 777
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Marxiste-Léniniste
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