Le Marxiste-Léniniste

Supplément

6 novembre 2018

Numéro 1

Centenaire de la fin de la
Première Guerre mondiale


À l'occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale,
Le Marxiste-Léniniste présente une série de suppléments
sur la guerre et les questions connexes
.

Commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale
Suppléments sur le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale
La guerre et la social-démocratie russe - Lénine, septembre 2014


Commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale

Suppléments sur le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale

Cette année marque le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, le 11 novembre 1918. La Première Guerre était censée être « la guerre pour mettre fin à toutes les guerres ». Ce fut un abattoir, un massacre aux proportions inégalées. Elle a également marqué un tournant dans l'histoire. Au lendemain de la guerre, de profonds changements politiques, culturels, économiques et sociaux se produisirent en Europe, en Asie et en Afrique, et même dans des régions extérieures à celles qui étaient directement impliquées. L'effondrement de quatre empires à cause de la guerre — l'empire tsariste russe, l'empire ottoman, l'empire allemand et l'empire austro-hongrois — a mené à la disparition de plusieurs anciens pays, à la formation de pays nouveaux et au redécoupage de la planète. Des organisations internationales comme la Ligue des nations ont été établies.

Une vision profondément anticommuniste a commencé à prendre pied en Europe et en Amérique du Nord en opposition à la construction d'un monde nouveau par la classe ouvrière en Russie soviétique. Celle-ci avait vaincu le tsarisme par la Grande Révolution socialiste d'Octobre de 1917 sous la direction du Parti bolchevique et de Lénine et s'engageait dans un projet d'édification nationale entièrement nouveau, où le pouvoir était placé dans les mains des soviets des travailleurs, paysans et soldats. Selon l'historiographie bourgeoise, la Première Guerre mondiale a également marqué « l'avènement » du Canada en tant que nation en vertu du rôle qu'il a joué aux côtés des belligérants, où il aurait prouvé qu'il méritait le statut de grande puissance. Le sacrifice des jeunes Canadiens comme chair à canon dans les tranchées de l'Europe aurait montré que le Canada était en mesure d'assumer lui-même sa politique étrangère et de finalement rompre les liens à cet égard avec le Parlement impérial britannique. Cette désinformation sert à imprégner les Canadiens d'une vision chauvine selon laquelle le Canada est une force majeure de l'Entente, digne d'être à la table pour le partage du butin de la guerre. En fait, cette participation a fait du Canada un instrument consentant, au service de la connivence entre la Grande-Bretagne et la France pour exclure l'Allemagne et du soutien à toutes les organisations nouvelles hostiles à la Russie.

Aujourd'hui, cette vision présente le bellicisme comme une valeur canadienne fondatrice. En fait, le sacrifice des Canadiens a été fait au nom de l'empire. L'envoi des jeunes Canadiens pour participer à la boucherie impérialiste qu'a été la Première Guerre mondiale n'a pas établi l'indépendance du Canada. Ce massacre a été une guerre pour le repartage du monde entre les empires de l'époque pour accaparer les sources de matières premières, la main-d'oeuvre à bon marché et les zones pour l'exportation de capital et acquérir une influence stratégique. Les élites dirigeantes du Canada se sont taillé une place comme serviteurs d'abord des impérialistes britanniques puis des impérialistes américains, tandis que persiste parmi le peuple un mouvement pour un véritable projet d'édification nationale dans lequel les ressources naturelles et humaines et le pouvoir décisionnel sont au service du peuple et non des riches.

À cet égard, les célébrations du 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale arrivent à un moment où le Canada est intégré toujours plus rapidement à la machine de guerre impérialiste américaine alors que les États-Unis, l'OTAN et leurs alliés étendent leur ingérence et leur agression et menacent de guerre les pays qui ne vont pas se soumettre à leur diktat. Pendant ce temps, le gouvernement canadien, pour servir cet ordre du jour, prépare les conditions pour l'utilisation de ses pouvoirs de police pour dire que l'opposition à la guerre et aux alliances agressives comme l'OTAN est une menace à la sécurité nationale.

À l'occasion du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, Le Marxiste-Léniniste publie une série de suppléments sur la guerre et des questions connexes. Ce premier supplément porte sur les événements qui ont conduit au déclenchement de la guerre. Lénine, le dirigeant de la Grande Révolution d'Octobre, explique les origines de la guerre et le devoir de la classe ouvrière internationale de s'y opposer. Sous la direction de Lénine, les sociaux-démocrates russes, puis les Soviétiques, ont été en mesure de se donner une perspective claire à partir de laquelle analyser le cours des événements et ces observations montrent que la Première Guerre mondiale était une guerre inter-impérialiste pour le repartage du monde. À l'époque, comme aujourd'hui, les événements qui ont conduit à la Première Guerre mondiale montrent aux travailleurs de tous les pays que sans établir des gouvernements antiguerre, c'est le massacre qui les attend.

Commémorations du centenaire de la fin
de la Première Guerre mondiale

CALENDRIER D'ÉVÉNEMENTS

Haut de page


La guerre et la social-démocratie russe


Lénine, 1914

La guerre européenne, préparée durant des dizaines d'années par les gouvernements et les partis bourgeois de tous les pays, a éclaté. La croissance des armements, l'exacerbation de la lutte pour les débouchés au stade actuel, impérialiste, du développement du capitalisme dans les pays avancés, les intérêts dynastiques des monarchies les plus arriérées, celles d'Europe orientale, devaient inévitablement aboutir et ont abouti à cette guerre. S'emparer de territoires et asservir des nations étrangères, ruiner la nation concurrente, piller ses richesses, détourner l'attention des masses laborieuses des crises politiques intérieures de la Russie, de l'Allemagne, de l'Angleterre et des autres pays, diviser les ouvriers et les duper par le mensonge nationaliste, et décimer leur avant-garde pour affaiblir le mouvement révolutionnaire du prolétariat : tel est le seul contenu réel, telle est la véritable signification de la guerre actuelle.

La social-démocratie est tenue, en premier lieu, de dévoiler cette véritable signification de la guerre et de dénoncer implacablement le mensonge, les sophismes et les phrases « patriotiques » que répandent en faveur de la guerre les classes dominantes : les grands propriétaires fonciers et la bourgeoisie.

La bourgeoisie allemande se trouve à la tête de l'un des groupes de nations belligérantes. Elle trompe la classe ouvrière et les masses laborieuses en les assurant qu'elle fait la guerre pour défendre la patrie, la liberté et la culture, pour libérer les peuples opprimés par le tsarisme, pour détruire le tsarisme réactionnaire. En réalité, c'est précisément cette bourgeoisie qui, servilement prosternée devant les hobereaux prussiens avec à leur tête Guillaume II, a toujours été le plus fidèle allié du tsarisme et l'ennemi du mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans de Russie. En réalité, cette bourgeoisie alliée aux hobereaux fera tous ses efforts, quelle que soit l'issue de la guerre, pour soutenir la monarchie tsariste contre la révolution en Russie.

En réalité, la bourgeoisie allemande a entrepris une guerre de rapine contre la Serbie pour la soumettre et étouffer la révolution nationale des Slaves du Sud, tout en portant le gros de ses forces militaires contre des pays plus libres, la Belgique et la France, afin de piller un concurrent plus riche. La bourgeoisie allemande répand la fable d'une guerre qui serait défensive de son côté ; en fait, elle a choisi le moment le plus propice, de son point de vue, pour déclencher la guerre, en utilisant les derniers perfectionnements de son matériel de guerre et en devançant l'emploi des nouveaux armements déjà envisagés et décidés par la Russie et la France.

A la tête de l'autre groupe de nations belligérantes se trouve la bourgeoisie anglaise et française, qui dupe la classe ouvrière et les masses laborieuses en les assurant qu'elle fait la guerre pour la patrie, la liberté et la culture, contre le militarisme et le despotisme de l'Allemagne. En réalité, cette bourgeoisie a, depuis longtemps, acheté de ses milliards et préparé, pour attaquer l'Allemagne, les troupes du tsarisme russe, la monarchie la plus réactionnaire et la plus barbare de l'Europe.

En vérité, la lutte de la bourgeoisie anglaise et française a pour but de mettre la main sur les colonies allemandes et de ruiner une nation concurrente, qui se distingue par un développement économique plus rapide. Et c'est pour ce noble but que des nations « avancées », « démocratiques », aident le tsarisme barbare à opprimer plus encore la Pologne, l'Ukraine, etc., à écraser encore plus la révolution en Russie.

Les deux groupes de pays belligérants ne le cèdent en rien l'un à l'autre, dans cette guerre, qu'il s'agisse des pillages, des actes de sauvagerie, ou des innombrables atrocités. Mais pour duper le prolétariat et détourner son attention de la seule guerre véritablement libératrice, - c'est-à-dire de la guerre civile contre la bourgeoisie, celle de « son propre » pays comme celle des pays « étrangers », - pour atteindre ce noble objectif, la bourgeoisie de chaque pays cherche, par des phrases mensongères sur le patriotisme, à exalter la portée de « sa » guerre nationale et assure qu'elle veut triompher de l'ennemi, non pour piller et conquérir des territoires, mais pour « libérer » tous les peuples, sauf le sien.

Mais plus les gouvernements et la bourgeoisie de tous les pays s'évertuent à diviser les ouvriers et à les dresser, les uns contre les autres, plus on applique férocement, dans ce noble but, le régime de la loi martiale et de la censure militaire (qui, même aujourd'hui, en temps de guerre, vise bien plus l'ennemi « intérieur » que celui du dehors), - et plus le prolétariat conscient est impérieusement tenu de sauvegarder sa cohésion de classe, son internationalisme, ses convictions socialistes, contre le déchaînement du chauvinisme de la clique bourgeoise « patriotique » de tous les pays. Renoncer à cette tâche, ce serait, pour les ouvriers conscients, renoncer à leur idéal de liberté et de démocratie, sans parler de leurs aspirations au socialisme.

Force est de constater, avec une profonde amertume, que les partis socialistes des principaux pays européens n'ont pas accompli cette tâche qui leur incombait, et que l'attitude des chefs de ces partis - du parti allemand surtout - confine à la trahison pure et simple de la cause du socialisme. En cette heure d'une portée historique capitale, la plupart des chefs de l'actuelle, de la II• Internationale socialiste (1889-1914), cherchent à substituer le nationalisme au socialisme. En raison de leur comportement, les partis ouvriers de ces pays ne se sont pas opposés à l'attitude criminelle des gouvernements, mais ont appelé la classe ouvrière à aligner sa position sur celle des gouvernements impérialistes. Les leaders de l'Internationale ont trahi le socialisme en votant les crédits de guerre, en reprenant les mots d'ordre chauvins (« patriotiques ») de la bourgeoisie de « leurs » pays, en justifiant et en défendant la guerre, en entrant dans les ministères bourgeois des pays belligérants, etc., etc. Les plus influents des chefs socialistes et des organes de la presse socialiste de l'Europe contemporaine professent un point de vue bourgeois chauvin et libéral, et nullement socialiste. Si le socialisme se trouve ainsi déshonoré, la responsabilité en incombe avant tout aux social-démocrates allemands, qui étaient le parti le plus fort et le plus influent de la II• Internationale. Mais on ne saurait justifier pour autant les socialistes français acceptant des postes ministériels dans le gouvernement de cette même bourgeoisie qui avait trahi sa patrie et s'était alliée à Bismarck pour écraser la Commune.

Les social-démocrates allemands et autrichiens essaient de justifier leur soutien de la guerre en prétendant lutter ainsi contre le tsarisme russe. Nous déclarons, nous social-démocrates russes, que cette justification est un simple sophisme. Ces dernières années, le mouvement révolutionnaire contre le tsarisme a de nouveau pris de vastes proportions dans notre pays. La classe ouvrière de Russie a toujours été à la tête de ce mouvement. Les grèves politiques qui se sont déroulées ces dernières années, et auxquelles ont participé des millions de travailleurs, avaient pour mot d'ordre le renversement du tsarisme et l'instauration de la république démocratique. A la veille même de la guerre, le président de la République française, Poincaré, a pu voir de ses propres yeux dans les rues de Pétersbourg, au cours de la visite qu'il fit à Nicolas II, des barricades dressées par les mains des ouvriers russes. Le prolétariat de Russie n'a reculé devant aucun sacrifice pour délivrer l'humanité de cette honte qu'est la monarchie tsariste. Mais nous devons dire que si quelque chose peut, dans certaines conditions, retarder la chute du tsarisme, si quelque chose peut aider le tsarisme dans sa lutte contre tout le mouvement démocratique do Russie, c'est précisément la guerre d'aujourd'hui, qui met les coffres-forts de la bourgeoisie anglaise, française et russe au service des buts réactionnaires du tsarisme. Et si quelque chose peut entraver la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière russe contre le tsarisme, c'est précisément l'attitude des chefs de la social-démocratie allemande et autrichienne, attitude que la presse chauvine de Russie ne cesse de nous donner en exemple.

Si même l'on admet que les forces de la social-démocratie allemande étaient insuffisantes au point de lui faire abandonner toute action révolutionnaire, il ne fallait pas, même dans ce cas, rejoindre le camp chauvin ; il ne fallait pas commettre des actes qui ont fait dire avec raison aux socialistes italiens que les chefs des social-démocrates allemands déshonorent le drapeau de l'Internationale prolétarienne.

La guerre a déjà causé et causera encore des préjudices immenses à notre Parti, le Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Toute notre presse ouvrière légale est détruite. La plupart des syndicats sont interdits ; nombreux sont nos camarades qui ont été arrêtés et déportés. Mais notre représentation parlementaire - la Fraction ouvrière social-démocrate de Russie à la Douma d'Etat - a jugé que son devoir socialiste lui interdisait absolument de voter les crédits de guerre, et l'obligeait même à quitter la salle des séances de la Douma pour marquer encore plus énergiquement sa protestation ; elle a jugé de son devoir de stigmatiser la politique des gouvernements d'Europe comme une politique impérialiste. Et, malgré la répression décuplée du gouvernement tsariste, les ouvriers social-démocrates de Russie publient déjà des premières proclamations illégales contre la guerre, s'acquittant ainsi de leur devoir envers la démocratie et l'Internationale.

Si les représentants de la social-démocratie révolutionnaire, en la personne de la minorité des social-démocrates allemands et des meilleurs social-démocrates des pays neutres, éprouvent une honte cuisante devant cette faillite de la II• Internationale ; si, en Angleterre et en France, des voix socialistes s'élèvent contre le chauvinisme de la majorité des partis social-démocrates ; si les opportunistes, comme ceux, par exemple, des Sozialistische Monatshefte [Cahiers mensuels socialistes] allemands, qui ont adopté depuis longtemps une position nationale-libérale, se félicitent avec juste raison de leur victoire sur le socialisme européen, le pire service que l'on puisse rendre au prolétariat est de balancer entre l'opportunisme et la social-démocratie révolutionnaire (comme le fait le « centre » du parti social-démocrate allemand), et de s'appliquer à passer sous silence ou à masquer sous des phrases diplomatiques la faillite de la II• Internationale.

Au contraire, il faut reconnaître ouvertement cette faillite et en comprendre les causes, afin de pouvoir travailler à un rassemblement socialiste nouveau, plus solide, des ouvriers de tous les pays.

Congrès de Stuttgart en 1907

Les opportunistes ont saboté les décisions des congrès de Stuttgart, de Copenhague et de Bâle [1], qui faisaient un devoir aux socialistes de tous les pays de lutter contre le chauvinisme quelles que lussent les conditions, qui les obligeaient à répondre par une propagande renforcée en faveur de la guerre civile et de la révolution sociale à toute guerre déclenchée par la bourgeoisie et les gouvernements. La faillite de la II• Internationale est celle de l'opportunisme, qui a grandi sur le terrain spécifique d'une époque historique révolue (dite « pacifique ») et qui, en ces dernières années, domina pratiquement dans l'Internationale. Les opportunistes ont préparé de longue date cette faillite, en répudiant la révolution socialiste pour lui substituer le réformisme bourgeois ; en répudiant la lutte des classes et la nécessité de la transformer, le cas échéant, en guerre civile, et en se faisant les apôtres de la collaboration des classes ; en prêchant le chauvinisme bourgeois sous le nom de patriotisme et de défense de la patrie, -et en méconnaissant ou en niant cette vérité fondamentale du socialisme, déjà exposée dans le Manifeste du Parti communiste , que les ouvriers n'ont pas de patrie ; en se bornant, dans la lutte contre le militarisme, à un point de vue sentimental petit-bourgeois, au lieu d'admettre la nécessité de la guerre révolutionnaire des prolétaires de tous les pays contre la bourgeoisie de tous les pays ; en faisant un fétiche de la légalité et du parlementarisme bourgeois qui doivent nécessairement être mis à profit, et en oubliant qu'aux époques de crise, les formes illégales d'organisation et d'agitation deviennent indispensables. Le courant anarcho-syndicaliste - « complément » naturel de l'opportunisme, non moins bourgeois et non moins hostile au point de vue prolétarien, c'est-à-dire marxiste - s'est manifesté, non moins honteusement, par une paraphrase béate des mots d'ordre chauvins au cours de la crise actuelle.

On ne saurait accomplir actuellement les tâches du socialisme, on ne saurait réaliser le véritable rassemblement international des ouvriers, sans rompre résolument avec l'opportunisme et sans faire comprendre aux masses que son fiasco est inévitable.

La social-démocratie de chaque pays doit, en premier lieu, lutter contre le chauvinisme de son pays. En Russie, ce chauvinisme s'est entièrement emparé du libéralisme bourgeois (des « cadets [2] »), et partiellement des populistes [3] jusques et y compris les socialistes-révolutionnaires [4] et les social-démocrates « de droite ». (En particulier, il faut absolument flétrir les interventions chauvines, par exemple, de E. Smirnov, P. Maslov et G. Plékhanov, reprises et largement utilisées par la presse « patriotique » bourgeoise.)

Dans la situation actuelle, on ne saurait dire, du point de vue du prolétariat international, quel est le groupe de nations belligérantes dont la défaite serait le moindre mal pour le socialisme. Mais pour nous, social-démocrates russes, il est hors de doute que, du point de vue de la classe ouvrière et des masses laborieuses de tous les peuples de Russie, le moindre mal serait la défaite de la monarchie tsariste, le plus réactionnaire et le plus barbare des gouvernements, qui opprime le plus grand nombre de nations et les masses les plus larges de l'Europe et de l'Asie.

Le mot d'ordre politique immédiat de la social-démocratie d'Europe doit être la formation d'Etats-Unis républicains d'Europe. Mais à la différence de la bourgeoisie, prête à « promettre » tout ce qu'on voudra pourvu qu'elle puisse entraîner le prolétariat dans le flot général du chauvinisme, les social-démocrates montreront tout ce qu'il y a de mensonger et d'absurde dans ce mot d'ordre si les monarchies allemande, autrichienne et russe ne sont pas renversées par la révolution.

Pour la Russie, les tâches des social-démocrates, vu l'immense retard de ce pays qui n'a pas encore achevé sa révolution bourgeoise, doivent être, comme par le passé, les trois conditions fondamentales d'une transformation démocratique conséquente : république démocratique (avec l'égalité complète des nations et leur droit à disposer d'elles-mêmes), confiscation des terres des grands propriétaires fonciers et journée de travail de 8 heures. Mais, dans tous les pays avancés, la guerre met à l'ordre du jour la révolution socialiste, mot d'ordre qui s'impose d'autant plus impérieusement que les charges de la guerre pèsent plus lourdement sur les épaules du prolétariat et que le rôle de ce dernier devra être plus actif dans la reconstruction de l'Europe, après les horreurs de la barbarie « patriotique » actuelle, multipliées par les gigantesques progrès techniques du grand capitalisme. L'utilisation par la bourgeoisie des lois du temps de guerre pour bâillonner complètement le prolétariat, oblige ce dernier à créer des formes illégales d'agitation et d'organisation. Laissons les opportunistes « sauvegarder » les organisations légales en trahissant leurs convictions ; les social-démocrates révolutionnaires, eux, utiliseront leur expérience en matière d'organisation et les liaisons de la classe ouvrière afin d'élaborer des formes clandestines de lutte répondant à cette époque de crise, lutte pour le socialisme et l'union des ouvriers, non pas avec la bourgeoisie chauvine de leur pays, mais avec les ouvriers de tous les pays. L'Internationale prolétarienne n'est pas morte et ne mourra pas. En dépit des obstacles, les masses ouvrières créeront une nouvelle Internationale. Le triomphe actuel de l'opportunisme est éphémère. Plus la guerre fera de victimes, et plus seront évidentes, pour les masses ouvrières, la trahison de la cause ouvrière par les opportunistes, ainsi que la nécessité de tourner les armes contre le gouvernement et la bourgeoisie de leur propre pays.

La transformation de la guerre impérialiste actuelle en guerre civile est le seul mot d'ordre prolétarien juste, enseigné par l'expérience de la Commune, indiqué par la résolution de Bâle (1912) et découlant des conditions de la guerre impérialiste entre pays bourgeois hautement évolués. Si grandes que paraissent à tel ou tel moment les difficultés de cette transformation, les socialistes ne renonceront jamais, dès l'instant que la guerre est devenue un fait, à accomplir dans ce sens un travail de préparation méthodique, persévérant et sans défaillance.

C'est seulement en s'engageant dans cette voie que le prolétariat pourra s'arracher à l'influence de la bourgeoisie chauvine et avancer résolument, d'une manière ou d'une autre, avec plus ou moins de rapidité, sur le chemin de la liberté réelle des peuples et du socialisme.

Vive la fraternité internationale des ouvriers contre le chauvinisme et le patriotisme de la bourgeoisie de tous les pays !

Vive l'Internationale prolétarienne, affranchie de l'opportunisme !

Le Comité central du Parti ouvrier social-démocrate de Russie

Notes

 1. Le Congrès de Stuttgart de la IIe Internationale se tint du 18 au 24 août 1907. Le POSDR y fut représenté par 37 délégués comprenant, parmi les bolcheviks, Lénine, Lounatcharski, Litvinov, etc. Le travail du congrès se fit essentiellement dans les commissions, chargées d'élaborer les projets de résolutions pour les séances plénières. Lénine participa à la commission qui rédigea la résolution sur « Le militarisme et les conflits internationaux ». Avec Rosa Luxembourg, il apporta au projet de résolution de Bebel l'amendement historique sur le devoir pour les socialistes d'utiliser la crise ouverte par la guerre pour soulever les masses et renverser le capitalisme ; cet amendement fut adopté par le congrès.

Le Congrès de Copenhague de la IIe Internationale se tint du 28 aida au 3 septembre 1910. Le POSDR y était représenté notamment par Lénine, Plekhanov, Lounatcharski, Kollontaï, I. Pokrovski. Plusieurs commissions furent constituées en vue de la discussion préalable et de l'élaboration de résolutions sur les différentes questions. Lénine participa aux travaux de la commission des coopératives.

La résolution sur La lutte contre le militarism et la guerre adoptée par le congrès, confirma celle du congrès de Stuttgart sur Le militarisme et les conflits internationaux et formula un certain nombre de revendications que les députés socialistes devaient défendre au sein des Parlements dans la lutte contre la guerre ; 1) arbitrage international obligatoire pour tous les conflits entre Etats ; 2) désarmement général ; 3) abolition de la diplomatie secrète ; 4) autonomie de tous les peuples et protection des peuples contre les agressions militaires et les persécutions.

Le Congrès de Bâle de la IIe Internationale se tint les 24 et 25 novembre 1912. Ce fut un congrès extraordinaire, convoqué en raison de la guerre balkanique et de la guerre européenne menaçante. Il adopta un manifeste où il soulignait le caractère impérialiste de la guerre mondiale imminente et appelait les socialistes de tous les pays à lutter activement contre la guerre.

 2. Nom familier du Parti constitutionnel-démocrate, le parti de la bourgeoisie avancée d'alors en Russie.

 3. Populistes : courant apparu en Russie vers 1860-1870 dont l'objectif essentiel était la lutte contre l'autocratie et la redistribution des terres. Ils n'hésitaient pas à utiliser l'arme du terrorisme contre le tsarisme.

 4. Socialistes-révolutionnaires : Parti fondé en 1902 sur la base de divers groupements populistes et dirigé par V. Tchernov. Leur principal objectif était la « socialisation de la terre ».

(Lénine, Oeuvre , tome 21, Éditions du progrès, Moscou, 1973)

Haut de page


Lisez Le Marxiste-Léniniste
Site web:  www.pccml.ca   Courriel: redaction@cpcml.ca