Numéro 27 - 10 juin
2015
Supplément
Histoire de la Deuxième Guerre mondiale
L'apaisement, la conciliation avec
les nazis et l'anticommunisme
anglo-américains
Les nazis se
préparent à envahir le district de Chomutov en
Tchécoslovaquie le 9 octobre 1938, conséquence de la
politique anglo-américaine d'apaisement avec les
hitlériens.
Le
débarquement
de
Normandie,
6
juin
1944
• Les falsifications de l'histoire ne peuvent
changer les faits de l'histoire
- Dougal MacDonald -
Le premier ministre
canadien Mackenzie King
• Honteux éloges d'Adolf Hitler et
du
programme nazi et «compréhension» des ambitions
d'Hitler à l'Est (Autriche et Tchécoslovaquie)
Les camps de
concentration de Dachau
• Les premiers prisonniers ont
été les adversaires politiques du régime
L'opération
«Unthinkable»
• L'invasion planifiée par Churchill
de
l'Union soviétique, juillet 1945
- Yuriy Rubtsov -
Le recrutement des
criminels de guerre nazis par les États-Unis
• L'héritage abominable du
«stay-behind»
Le débarquement de Normandie, 6
juin 1944
Les falsifications de l'histoire ne peuvent
changer les
faits de l'histoire
- Dougal MacDonald -
Manifestation de
travailleurs syndiqués
britanniques pour exiger que le Royaume-Uni ouvre un deuxième
front pour combattre l'Allemagne nazie, 1941
L'historique victoire soviétique à
Stalingrad, le 2 février 1943, marque le tournant de la
Deuxième Guerre mondiale. Quatre mois avant cette victoire, en
octobre 1942, les armées nazies se trouvaient à peine
à 120 km de Moscou, avaient fait irruption dans Stalingrad et
pénétré les contreforts du Caucase. L'Union
soviétique faisait face à 257
divisions ennemies de 10 000 à 15 000 soldats chacune, dont 207
allemandes, mais même en ces jours terribles, l'armée et
le peuple soviétiques, dirigés par Staline, ont
trouvé la force d'arrêter l'ennemi et de lui porter des
coups féroces. Rapidement, ils ont inversé le cours des
événements. Les troupes soviétiques sont
passées à l'offensive et ont
redoublé leurs coups puissants contre les Allemands, d'abord
à Stalingrad où toute la 6e armée allemande a
été encerclée et détruite, puis à la
bataille historique de chars de Koursk.
Tout au long de la guerre, les États-Unis et la
Grande-Bretagne ont fourni une certaine aide matérielle à
l'Union soviétique, leur allié de fait, dans sa lutte
à mort contre l'Allemagne nazie, mais ce que l'Union
soviétique voulait vraiment était une aide militaire
véritable. Staline, le dirigeant de l'Union soviétique, a
demandé à plusieurs reprises à
Winston Churchill, le premier ministre britannique, et à
Franklin Roosevelt, le président des États-Unis, d'ouvrir
un deuxième front en Europe occidentale. Un débarquement
anglo-américain en Europe continentale aurait forcé
Hitler à retirer une partie de ses troupes et matériel du
front de l'Est, ce qui aurait aidé l'Union soviétique et
accéléré la
défaite des nazis.
Les dirigeants politiques et militaires
anglo-américains étaient divisés sur les
possibilités et les avantages d'un deuxième front. Un
certain nombre de commandants de l'armée, dont le chef
d'état-major de l'Armée des États-Unis, le
général George Marshall, et le général
Dwight Eisenhower, qui devint plus tard président des
États-Unis, voulaient
un débarquement en France dès que possible. Le
président Roosevelt a donné son soutien cette
idée. En mai 1942, Roosevelt promettait à Viatcheslav
Molotov, ministre des Affaires étrangères de l'Union
soviétique, que les États-Unis ouvriraient un
deuxième front en Europe avant la fin de l'année.
Winston Churchill, le premier ministre britannique,
s'opposait ouvertement à un deuxième front. Churchill
était satisfait que Hitler et Staline soient engagés dans
une guerre sans merci sur le front de l'Est avec des pertes
énormes, et pensait que sa poursuite de la guerre
bénéficierait aux impérialistes
anglo-américains. Le point de vue de
Churchill a finalement prévalu, et les plans des alliés
pour l'ouverture d'un deuxième front en 1942 ont
été rejetés. En même temps, il y avait dans
les milieux dirigeants américains des éléments qui
s'opposaient aussi à un deuxième front. Le 24 juin 1941,
le sénateur et futur président des États-Unis,
Harry S. Truman, déclarait : « Si
nous voyons l'Allemagne gagner, nous devrions aider la Russie et, si la
Russie est en train de gagner, nous devrions aider l'Allemagne, pour
que le plus grand nombre possible périsse des deux
côtés ».
Roosevelt voyait des
avantages à ne pas ouvrir un
deuxième front. Cela permettait aux milieux dirigeants
américains d'engager plus d'hommes et de matériel dans la
guerre dans le Pacifique, où les intérêts
économiques et stratégiques des États-Unis
étaient plus directement menacés qu'en Europe. Roosevelt
et ses conseillers militaires et
politiques considéraient que la défaite de l'Allemagne
exigerait d'énormes sacrifices et estimaient que le peuple
américain n'allait pas les soutenir. Un débarquement en
Europe conduirait à une bataille sanglante et coûteuse
avec l'Allemagne nazie. En évitant l'engagement dans un
deuxième front, les États-Unis et leurs alliés
britanniques pouvaient
minimiser leurs pertes, et intervenir lorsque l'Allemagne et l'Union
soviétique seraient épuisées. Les
États-Unis et son allié britannique pourraient alors
créer une Europe d'après-guerre conforme à leurs
intérêts économiques et politiques.
Le refus des Anglo-américains d'ouvrir un
deuxième second front s'est accompagné d'un barrage de
propagande pour en dissimuler les véritables raisons. Ils ont
déclaré que leurs forces combinées
n'étaient pas encore assez puissantes, qu'elles n'étaient
pas préparées à une telle opération, et
qu'il fallait d'abord détruire la flotte des sous-marins
allemands pour protéger le transport transatlantique des troupes
nécessaires. En réalité, dès
l'été 1942, un débarquement important et
l'ouverture d'un deuxième front en France ou ailleurs en Europe
de l'Ouest étaient possibles. Les troupes alliées
étaient formées, prêtes et disponibles, les
transports de troupes à travers l'océan Atlantique se
faisaient
régulièrement, l'Allemagne avait peu de troupes
disponibles pour défendre les côtes de l'Europe
continentale et ces troupes étaient de qualité
inférieure à celles engagées sur le front de l'Est.
Staline, qui savait que l'ouverture d'un deuxième
front était parfaitemement réalisable et également
importante, a continué d'insister sur la nécessité
d'un débarquement anglo-américain en France. Churchill
subissait également d'intenses pressions pour un deuxième
front de ministres conservateurs, notamment de Stafford Cripps, et
surtout des
syndicats britanniques qui appuyaient l'Union soviétique.
Cependant, Churchill et les opposants au deuxième front ont
utilisé en leur faveur la débâcle de Dieppe qui
s'est produite à cette période. Le 19 août 1942, un
contingent de soldats alliés parti d'Angleterre a
effectué un débarquement au port français de
Dieppe, pour créer un semblant de
« deuxième front », mais fut
écrasé par les Allemands.
Sur un total de 6 086 hommes engagés dans le
débarquement de Dieppe, 3623, soit presque 60 pour cent, ont
été tués, blessés ou faits prisonniers. La
majeure partie des pertes ont été subies par les soldats
canadiens qui formaient le principal de la force d'assaut. Sur les 5
000 soldats canadiens engagés, 907 soldats canadiens ont
été tués, 2 460
blessés et 1 946 ont été faits prisonniers, des
pertes de plus de 68 pour cent. L'échec du raid de Dieppe a non
seulement miné les efforts pour ouvrir un deuxième front
mais aussi alimenté la propagande allemande qui a
ridiculisé l'incompétence des alliés, vanté
la puissance militaire allemande et a servi à élever le
moral des civils en Allemagne,
qui avaient bien besoin de quelques bonnes nouvelles.
Les propagandistes anglo-américains affirment que
le raid de Dieppe, l'opération Jubilee, était un effort
pour apporter un certain soulagement à l'Union soviétique
sur le front de l'Est. Cependant, Dieppe était une
opération sans envergure, avec peu de chance de faire une
quelconque différence au niveau des combats sur le front de
l'Est. Cette
opération n'a certainement pas poussé Hitler à
transférer des troupes de l'Est à l'Ouest. Au contraire,
après Dieppe, le commandement allemand a raisonnablement
jugé qu'aucun deuxième front ne serait ouvert dans un
proche avenir et qu'il pouvait transférer plus de troupes de
l'ouest à l'est, où il en avait
désespérément besoin. Dieppe n'a été
d'aucune aide à l'Armée rouge.
Après le débarquement allié de juin
1944 en Normandie, du nom de code d'Opération Overlord, une
justification bidon de l'opération Jubilee a été
élaborée. Le raid de Dieppe a été
salué comme une « répétition
générale » du débarquement de Normandie
réussi. Dieppe aurait été un raid
« test » des fortifications
allemandes en préparation du grand débarquement à
venir. Lord Mountbatten, l'architecte de l'opération Jubilee, a
été tenu responsable de cette catastrophe. Il a
déclaré que : « la bataille de Normandie
a été gagnée à Dieppe. Pour chaque homme
mort à Dieppe, au moins 10 de plus ont été
épargnés en Normandie en 1944 ». Cela
a donné naissance à un mythe utile : la
tragédie de Dieppe a conduit au triomphe d'Overlord.
Il y a de nombreux éléments qui indiquent
que le raid de Dieppe était destiné à être
un échec militaire. En premier lieu, on savait que le port de
Dieppe était l'une des positions défensives les plus
fortes de la côte atlantique de la France. La ville est
bordée de hautes falaises abruptes qui, en 1942, étaient
hérissées de mitrailleuses et de canons,et
était un piège mortel pour tous attaquants. De plus, une
mauvaise planification, des préparatifs et un matériel
inadéquats font qu'il est très probable que l'objectif de
Jubilee était l'échec et non le succès militaire.
Quoi qu'il en soit, si Jubilee a été conçue pour
réduire au silence les voix qui réclamaient un
deuxième front, elle a été un grand succès.
Le désastre de Dieppe a permis à Churchill et Roosevelt
de ne pas s'engager à l'Ouest alors que l'Union
soviétique était engagée dans une lutte à
mort contre les nazis sur le front de l'Est.
L'Union soviétique a fini par obtenir l'ouverture
d'un deuxième front, mais bien plus tard, avec le
débarquement en Normandie le 6 juin 1944, près d'un an et
demi après les batailles décisives de Stalingrad et de
Koursk. En juin 1944, les Anglo-américains avaient des raisons
urgentes de débarquer sur les côtes de France.
L'Armée rouge
avançait implacablement vers Berlin et les nazis étaient
en déroute. Il était devenu impératif pour les
Anglo-américains de débarquer leurs propres troupes en
France et d'entrer en Allemagne afin de garder la plus grande partie du
pays hors de ce qu'ils considéraient comme les mains des
Soviétiques. En d'autres termes, quand le deuxième front
a
finalement été ouvert en Normandie en juin 1944, cela n'a
pas été fait pour aider les Soviétiques, mais pour
empêcher les Soviétiques de jouer un rôle
décisif dans la victoire sur les hitlériens, même
si l'Union soviétique avait déjà joué ce
rôle et gagné l'admiration des peuples du monde. Aucune
falsification de l'histoire ne pourra jamais ternir cet
héritage glorieux !
Le premier ministre canadien Mackenzie
King
Honteux éloges d'Adolf Hitler et du programme
nazi et «compréhension» des ambitions d'Hitler
à l'Est (Autriche et Tchécoslovaquie)
Le premier ministre
canadien Mackenzie King (deuxième de la gauche) aux
côtés des responsables nazis à la
cérémonie d'ouverture de la compétition de sports
allemande au Stade olympique de Berlin, en Allemagne, en 1939
« Mon
impression
de
l'homme tandis que
j'étais assis auprès de lui et que je m'entretenais avec
lui fut celle d'un homme qui aimait vraiment ses compatriotes et son
pays, et qu'il ferait n'importe quel sacrifice pour eux. »
(Journal de W. L Mackenzie King, 29 juin 1937)
Le 30 juin 1937, le premier ministre du Canada William
Lyon
Mackenzie King, lors de son passage en Allemagne, a rendu visite au
ministre allemand des Affaires étrangères, le baron
Neurath. Ce dernier
a prétendu qu'Hitler était contre la guerre et a
parlé du « bon
travail » accompli par Hitler depuis qu'il était au
pouvoir, puis
s'est mis à dénigrer la population juive de Berlin. King
le raconte
dans son journal : « Il me dit que j'aurais
détesté vivre à Berlin avec
des Juifs et me parla de la façon dont ils s'étaient
multipliés dans la
ville (...). Il me dit qu'il n'y avait aucun plaisir à aller
dans un
théâtre rempli de Juifs (...). Ils étaient en train
de prendre le
contrôle
de toutes les entreprises, des finances (...). Il fallait les expulser
pour que les Allemands contrôlent réellement leur propre
ville et leurs
affaires. » Les deux hommes ont également
parlé de l'aversion des
Allemands pour les Américains. Neurath s'est dit d'accord avec
King,
qui suggérait que tout le monde devrait combattre les
préjugés et
promouvoir la bonne volonté. King s'est rendu au domicile du
diplomate
pour déjeuner et y a pris grand plaisir. Semble-t-il que Neurath
était
un homme très aimable et agréable, selon lui.[1]
King était heureux lorsqu'il quitta Berlin.
« Quand je songe à ma
visite en Allemagne, je peux honnêtement dire que c'était
aussi
agréable, instructif et stimulant que toutes les autres visites
que
j'ai pu faire ailleurs, écrit-il dans son journal. En fait, je
me
demande si j'ai jamais passé quatre jours plus
intéressants ou, en
réalité,
comparables en importance. » Il était
« immensément soulagé » et
croyait qu'il n'y aurait pas de guerre. Bibliothèque et Archives
Canada, dans un texte sur le sujet de la visite de King en Allemagne et
de son appui à Hitler et aux nazis, fait ainsi l'apologie de
cette
conciliation avec le fascisme :
« Rétrospectivement,
on peut s'interroger sur ses impressions concernant Hitler. Il
espérait
bien sûr que la guerre pourrait être
évitée. »[2]
Voici d'autres extraits du journal de King.[3]
Berlin, jeudi 29 juin 1937
Entretien avec Hermann Goering
À 10 h 30, ma première sortie de la
journée, je me rends
voir le général Goering qui me reçoit dans un
bureau spacieux
surplombant un jardin. Il était accompagné de Pickering
et Hewel. M.
Schmidt, l'interprète officiel, était également
présent. Goering était
assis à son bureau quand nous sommes entrés, en uniforme
blanc. De
l'autre
côté de son bureau des chaises et un divan étaient
placés en fonction
d'un entretien.
Don d'un bison du Canada
Le général Goering a débuté
l'entretien en disant
quelques mots pour me souhaiter un bon séjour et me souhaiter la
bienvenue à Berlin. Il a ensuite parlé du bison
reçu du Canada, pour
lequel il désirait me remercier. Je lui ai dit que j'avais vu
l'inscription au zoo et que j'avais revu le Dr Herk. Je lui ai dit
qu'il nous faisait plaisir de
leur procurer certains de ces animaux et que nous serions heureux de
leur en donner d'autres s'ils le désirent.
Commerce entre le Canada et l'Allemagne
La discussion a ensuite porté sur les relations
commerciales. Goering a dit qu'il espérait que nous puissions
étendre
le commerce, que l'Allemagne aurait besoin de beaucoup de blé
cette
année et aimerait échanger des produits finis. Il m'a
demandé quels
produits finis nous prendrions. Je lui ai dit que nous allions devoir
consulter nos
experts, que c'était un peu en dehors de mon domaine que sont
les
affaires politiques plus larges. Il a dit que l'Allemagne avait besoin
de recevoir des matières premières d'autres pays. Pour
initier un
sentiment amical je lui ai raconté que j'étais né
à Berlin [maintenant Kitchener, Ontario — ndlr]
et que je représentais Waterloo Nord au
Parlement. Cela l'a amené à me demander combien il y
avait de Français
et d'Allemands au Canada. J'ai répondu qu'ils
représentaient 40 % et
5 % de la population respectivement.
Liberté du Canada dans le Commonwealth
britannique, réactions du Canada et de la Grande-Bretagne
à l'union avec l'Autriche
Quand nous sommes arrivés au sujet de la
politique
générale, il a commencé à parler du pouvoir
du Canada d'agir de
lui-même en matières commerciales et autres. Il a
demandé s'il était
nécessaire dans les rapports avec les dominions britanniques de
passer
par Londres et si nos négociations se faisaient à trois
plutôt que
directement.
Il a dit que les Irlandais et l'Afrique du Sud avaient leur
légation
ici et qu'il posait la question puisque le Canada n'en avait pas. J'ai
exprimé ma surprise et lui ai dit qu'il ne nous est jamais venu
à
l'esprit de négocier autrement que par la voie directe, qu'en
fait
j'étais responsable de l'établissement des
légations et je lui ai
expliqué pourquoi nous
en avions d'abord établies à Washington, Tokyo et Paris.
Nous n'en
avions pas créé d'autres parce que nous n'avions pas
encore trouvé les
bonnes personnes pour le poste et que nous commencions à peine
à nous
intéresser plus largement aux affaires du monde. Je lui ai fait
remarquer que parfois le fait d'avoir nos propres légations
était perçu
dans certains pays comme un signe de séparation de la
Grande-Bretagne.
C'est la liberté dont nous jouissions tous qui maintenait
l'empire
britannique uni. Chaque pas que nous avons fait vers
l'indépendance et
l'expression autonome nous a rapprochés beaucoup plus que ce
n'eut été
le cas si la Grande-Bretagne avait démontré une tendance
à nous
contrôler. Que toutes nos actions étaient purement
volontaires ; que
notre système volontaire provenait de notre héritage de
la liberté et
que nous sentions que cette liberté est mise en péril par
tout acte
agressif envers la Grande-Bretagne, que notre peuple réagirait
immédiatement pour protéger notre liberté commune.
Projet
d'itinéraire de la visite de Mackenzie King à Berlin en
1937. Cliquer sur l'image pour agrandir.
|
Goering a dit qu'il comprenait parfaitement le sentiment
d'unité de
l'empire britannique et a demandé si nous suivrions
nécessairement la
Grande-Bretagne en toute chose. Je lui ai dit que c'était ne pas
comprendre notre position. Nous étions un pays aussi libre que
les
autres. Nous avons pris nos décisions à la lumière
des questions
soulevées. Il
a ensuite dit, pour citer un exemple, qu'il aimerait poser une question
directe : si les peuples d'Allemagne et d'Autriche, puisqu'ils
sont de
la même race, désiraient s'unir, et que la Grande-Bretagne
tentait de
les en empêcher, le Canada soutiendrait-il la Grande-Bretagne en
toute
action dans ce sens ? J'ai répondu : notre attitude
sur cette question serait la même que pour toute autre question
qui
puisse surgir, c'est-à-dire que nous voudrions examiner toutes
les
circonstances entourant l'affaire et prendrions nos décisions
à la
lumière des faits qui existent à ce moment-là,
toutes circonstances
prises en considération. Le général Goering a dit
qu'il croyait que
c'était une attitude
très raisonnable. J'ai dit que c'était la position que
j'avais affirmée
au Parlement, connue comme étant la position canadienne par
rapport à
tout pays.
Le général Goering a alors dit :
Puisque j'ai posé la question dans
ces termes, je ne voudrais pas que vous pensiez qu'il va y avoir une
tentative de prise de possession de l'Autriche, mais je parle d'un
développement qui pourrait se produire. Il a également
parlé de la
position serrée de l'Allemagne et de la nécessité
d'entrevoir des
possibilités d'expansion en Europe. Il a ensuite dit qu'il ne
pouvait
pas comprendre pourquoi l'Angleterre soit si irritée ou surprise
par la
décision de Neurath d'annuler son voyage en Angleterre au moment
de
l'incident de Leipzig. Il a dit que l'Angleterre pouvait certainement
comprendre que le secrétaire aux Affaires
étrangères reste chez lui
dans
un moment de crise comme celui-là. En outre, herr Hitler voulait
son
ministre des Affaires étrangères à ses
côtés dans cette situation. Je
lui ai dit qu'à mon avis c'était l'expression d'une
déception, que
l'Angleterre attendait avec impatience l'arrivée de Neurath et
que, le
peuple anglais ayant des intérêts partout dans le monde,
était enclin à
ne pas
attacher la même importance que d'autres pays à des
incidents pareils.
Qu'il n'aimerait pas montrer au monde qu'il était
préoccupé par ces
événements, que cela était attribuable à sa
disposition générale.
L'Angleterre cherche à contrôler les
actions de l'Allemagne
J'ai dit au général Goering que
c'était ma troisième
conférence et que je n'avais jamais vu une attitude aussi
amicale
envers l'Allemagne que cette année. Lorsqu'il a dit quelque
chose au
sujet d'une volonté de l'Angleterre de contrôler les
actions de
l'Allemagne, je lui ai dit que ce qui préoccupait d'abord
l'Angleterre
était le risque
d'une action précipitée qui pourrait mettre à feu
toute l'Europe ;
qu'elle était un observateur intéressé sur toutes
les questions
internationales. Je lui ai ensuite parlé de Chamberlain et dit
que
j'étais très heureux de son attitude et de sa
compréhension en général.
Plusieurs d'entre nous au Canada avions eu la chance de bien
connaître
Chamberlain. J'étais heureux d'avoir pu connaître son
attitude réelle,
son discours l'autre jour à la Chambre était sur le
même ton que ce
qu'il a dit à la conférence. L'Allemagne avait beaucoup
de problèmes
qu'il fallait comprendre ; qu'elle faisait preuve de retenue face
à
certains ; qu'un autre pays n'avait pas à s'ingérer
dans les
politiques particulières des autres pays. Goering a dit qu'il
était
heureux d'entendre ce que je disais à propos de Chamberlain.
J'ai également dit que je croyais que le roi
actuel était
compréhensif, qu'il m'avait parlé de sir Neville
Henderson et que je le
trouvais convenable pour ce poste. (À cet égard, herr
Hewel m'avait dit
qu'ils craignaient que le présent roi ne soit pas aussi amical
envers
l'Allemagne que le roi Édouard ; que ce dernier avait
donné l'ordre aux
anciens combattants d'aller faire un voyage en Allemagne.) Parlant de
l'empire, je lui ait dit que j'étais moi-même
entièrement dévoué à la
paix, que je détestais gaspiller de l'argent pour la guerre mais
qu'à
la dernière session du parlement canadien j'avais dû
demander une
hausse des dépenses pour la défense à cause de la
crainte générale qui
avait été créée qu'une autre grande guerre
pourrait éclater par le
réarmement et ainsi de suite. J'ai dit qu'il devait juger de
lui-même
du désir du Canada de préserver la liberté dont il
jouit au sein du
Commonwealth britannique ; que je n'aurais pas aidé mon
parti et je
n'aurais pas été fidèle au sentiment des Canadiens
si je n'avais pas
défendu cette position, que c'était entièrement
volontaire de ma part,
indépendant de toute représentation de la Grande-Bretagne
et, comme il
le savait, devant la Conférence impériale.
J'ai dit que j'espérais qu'il vienne au Canada.
Il m'a cordialement
remercié et dit que j'étais le premier à lui faire
une telle
invitation. Il a dit être très occupé, ce à
quoi j'ai répondu que les
hommes occupés ont besoin de changement et qu'un voyage
transocéanique
serait très agréable. Il a dit qu'il aimerait venir
quelques jours
chasser le wapiti
ou l'ours. J'ai dit que je serais heureux de faire les arrangements
nécessaires.
L'entretien avec Goering a duré de 10 h 30
à 12 h. Il était évident
que le général avait plusieurs autres engagements qu'il
laissait
passer. Il restait juste assez de temps pour venir à
l'hôtel rencontrer
herr Hitler à 12 h 45.
Entretien avec Adolf Hitler
Quand nous sommes arrivés au vieux palais
d'Hindenburg,
nous avons été accueillis par une garde d'honneur. Tout
l'édifice est
comme un vieux palais et les préposés étaient en
habit de cour. On nous
a fait entrer dans ce qui avait été le bureau
d'Hindenburg et on nous a
montré le masque de la mort qui repose sur son bureau et son
portrait sur le mur.
Plus tard on nous a fait monter à l'étage,
avec une garde
officielle. Nous avions déjà rencontré des
représentants des affaires
étrangères et de l'état-major d'Hitler. Lorsqu'on
m'a finalement fait
entrer dans la pièce où herr Hitler m'a reçu, il
faisait face à la
porte ; il portait une robe du soir ; il s'est avancé
et m'a serré la
main ; il a dit qu'il était heureux de me voir en Allemagne
et il m'a
indiqué un fauteuil devant une petite table, adossée
à une chaise, à la
droite de laquelle il s'est assis. M. Schmidt s'est assis à la
gauche
d'Hitler. Lorsque je suis entré j'ai vu que d'autres personnes
étaient
également présentes. On m'a expliqué plus tard
qu'Hitler avait reçu
des diplomates étrangers venus présenter leurs lettres de
créance et
que c'était la raison pour laquelle d'autres
représentants officiels
étaient présents. Un d'entre eux était un
militaire en uniforme, les
autres étaient en habit de cour. Nous commencions tout juste la
conversion quand Pickering et Hewell sont entrés. J'ai
compté au total
onze personnes
dans la pièce qui entendaient nos conversations. L'entretien a
duré
jusqu'après 14 heures. Une heure et quart au total.
Alors que nous nous apprêtions à nous
assoir, j'ai déposé un
exemplaire de luxe de la biographie de Rogers sur la table et l'ai
ouvert à la page avec les photos de la maison où je suis
né, et de
Woodside, à Berlin (Ontario). J'ai dit à herr Hitler que
j'avais amené
ce livre pour lui montrer où j'étais né et le
rapport que j'avais avec
Berlin, en
Allemagne, par Berlin au Canada. Que je voulais qu'il sache que j'avais
passé les premières années de ma vie à
Berlin et que j'avais plus tard
représenté le comté de Waterloo au Parlement. J'ai
dit que je croyais
bien connaître le peuple allemand. J'ai mentionné que
j'avais été
inscrit à la municipalité de Berlin il y a 37 ans et
avais vécu avec
Anton Weber de l'autre côté du Tiergarten. Pendant que je
parlais,
Hitler regardait le livre d'une façon très amicale et m'a
souri en
tournant les pages et en voyant son inscription. Il m'a remercié
et a
ensuite attendu que je commence la conversation.
L'armement rendu nécessaire pour le maintien du
respect,
à cause du Traité de Versailles
Je lui ai dit que j'étais impatient de visiter
l'Allemagne à cause de ces vieilles associations et aussi parce
que je
désirais ardemment voir s'établir les relations les plus
amicales entre
les peuples de différents pays. J'avais eu l'intention d'aller
en
Allemagne l'année précédente mais n'avais pas eu
la chance de le faire.
J'étais notamment
reconnaissant envers Ribbentrop pour sa gentillesse à
prévoir un voyage
si intéressant. J'étais particulièrement impatient
de rencontrer herr
Hitler et de m'entretenir avec lui de questions d'intérêt
mutuel.
J'ai alors parlé de ce que j'avais vu du travail
constructif de son
régime et j'ai dit que j'espérais que ce travail
continue. Que rien ne
saurait venir détruire ce travail. Que d'autres pays allaient
à coup
sûr emboîter le pas pour le bien de l'humanité.
Hitler a parlé avec
beaucoup de modestie de ce travail, disant que l'Allemagne ne
prétendait pas à
la propriété de ce qui a été entrepris. Ils
ont accepté des idées de
toute source et les ont appliquées si elles convenaient. Il a
cité par
exemple le fait d'avoir obtenu de la
« Roumanie », je crois, une idée
concernant l'amélioration de la condition des travailleurs et
avait
cherché à l'appliquer à l'échelle
nationale ; que pour faire
passer leurs vues, ils avaient dû adopter une forme
d'organisation qui
permettait d'appliquer les principes et les politiques dans l'ensemble
du pays ; qu'ils avaient eu beaucoup de difficulté à
atteindre cette
position mais qu'ils avançaient maintenant dans ce sens.
Je lui ai dit que j'avais espéré pouvoir
dissiper la peur qui
rendait les nations méfiantes les unes des autres et qui
était
responsable de la course aux armements. Cela ne peut que faire du tort
au bout du compte. Que j'étais un homme qui détestait les
dépenses à
des fins militaires ; que le gouvernement libéral du Canada
partageait
mon
point de vue à cet égard ; que j'avais la plus
grande majorité qu'ait
jamais obtenue un premier ministre au Canada. J'avais trouvé
nécessaire, cependant, pour maintenir l'unité de mon
parti et pour
répondre au sentiment au pays, d'instituer une hausse des
estimations
de dépenses pour l'armée, la marine et les services de
l'air à la
dernière
session du Parlement. Que cela était entièrement dû
à la crainte
qu'éclate une autre Grande Guerre, laquelle peur était
créée par
l'armement de l'Allemagne, etc. Hitler a hoché de la tête
pour me
laisser savoir qu'il comprenait.
Il a ensuite dit qu'en Allemagne, ils se devaient
d'agir, ce qu'ils
ont fait bien malgré eux. Qu'après la guerre, ils avaient
été
complètement désarmés et n'avaient pas
cherché à accroître leur
armement. Par ailleurs, la France n'avait pas ralenti son armement,
elle l'avait au contraire accru à un rythme rapide ;
l'Allemagne a vu
que si elle
ne voulait pas être à la merci des conditions, elle devait
prendre des
mesures pour se défendre. Il a dit qu'il faut se rappeler que
l'Allemagne a été presque complètement
dépouillée au sortir de la
guerre, que ses colonies lui ont été
enlevées ; qu'elle n'avait plus
d'argent pour acheter des choses à l'étranger. Nous
devions produire
tout nous-mêmes ; cela voulait dire que nous avons dû
nous arranger
pour obtenir le matériel de défense dont nous avions
besoin. Pour
affronter la situation, nous devons nous armer plus rapidement que les
autres nations, que nous nous serions armés nous aussi si nous
avions
été dans cette position après la guerre. Notre
objectif est de nous
placer en
position d'être respectés. L'Angleterre s'armait
rapidement et nous n'y
voyions pas d'objection. Nous savons qu'elle en a besoin pour se donner
l'autorité qu'elle a. Nous croyons nécessaire de nous
placer nous aussi
dans une position où nous serons respectés. Nous avons
dû intervenir
une ou deux fois mais ce n'était pas l'option que nous
préférions. Nous avons vu qu'ou bien nous resterions dans
un état
permanent de sujet, ou bien nous prendrions les mesures pour affirmer
nos droits. Toutes nos difficultés provenaient de
l'inimitié du Traité
de Versailles ; le fait d'être tenus de respecter les termes
de ce
traité indéfiniment nous a forcés à faire
ce que nous avons fait. Il a
parlé
de l'avancée de la Rhur comme affirmation de la position de
l'Allemagne
pour éviter la soumission perpétuelle. Il a par contre
ajouté que
maintenant que la majeure partie du Traité de Versailles est
écartée,
des actions de ce genre ne seraient plus nécessaires.
L'Allemagne ne veut pas la guerre, la guerre
anéantirait
la civilisation européenne
Il a dit qu'en ce qui concerne la guerre, vous n'avez
pas à craindre l'Allemagne. Nous ne désirons pas la
guerre ; notre
peuple ne veut pas la guerre et nous non plus. Rappelez-vous que j'ai
moi-même vécu la guerre, comme tous les membres du
gouvernement. Nous
savons que la guerre est une chose horrible et personne
d'entre nous ne veut une autre guerre, mais permettez-moi d'aller plus
loin. Supposons que la guerre éclate, quelles en seraient les
conséquences ? Supposons que la France soit victorieuse
dans une guerre
contre l'Allemagne, quel en serait le prix ? Elle se retrouverait
avec
la même destruction que l'Allemagne. Elle verrait que la
civilisation européenne aura été détruite.
Mais supposons que nous gagnions la guerre. Quelles en
seraient les
conséquences ? Exactement les mêmes. La civilisation
de nos deux pays
aura été détruite, voire de la majeure partie de
l'Europe ; tout ce qui
resterait serait l'anarchie. Nous devons tous chercher à limiter
les
possibilités de conflit. La Grande Guerre n'a pas
commencé en Allemagne. Elle a commencé en ----. Elle
s'est répandue à
d'autres parties de l'Europe et est devenue une guerre mondiale. Nous
aurions dû laisser ceux qui ont commencé les affrontements
dans les
Balkans continuer de se faire la guerre entre eux et ainsi ne pas
laisser la guerre se répandre. Parlant de la possibilité
d'une guerre,
il a
dit quelque chose à l'effet qu'une nation comme l'Allemagne,
dans sa
position, avait des aspirations légitimes. Que si on ne lui
permettait
pas de les réaliser d'une façon naturelle, il pourrait y
avoir des
problèmes, si on l'empêchait de faire les choses
nécessaires à son
existence mais qui peuvent se faire sans offusquer quiconque. Il ne
voyait pas
pourquoi l'Allemagne n'aurait pas les mêmes droits que les autres
nations à cet égard.
Le contrôle exercé par l'Angleterre, la
France, la Ligue des nations
Il a fait une référence au contrôle
que l'Angleterre
cherchait selon lui à exercer sur l'Allemagne de concert avec
d'autres
pays. Je lui ai dit que je ne croyais pas que l'Angleterre cherchait
à
exercer un contrôle ; je pensais qu'il serait plus juste de
décrire la
position de l'Angleterre envers les affaires européennes comme
celle
d'un observateur attentif, que l'Angleterre craignait qu'une action
précipitée dans une partie de l'Europe provoque le
conflit, lequel
conflit pourrait se répandre à l'ensemble de l'Europe et
faire en sorte
que l'Angleterre elle-même et peut-être le monde entier
soient
entraînés dans une autre grande guerre mondiale. Que je
croyais que ce
qui
préoccupait surtout l'Angleterre était que tout soit fait
pour assurer
le progrès de façon évolutionnaire et non par des
gestes soudains qui
puissent avoir des conséquences fatales. Encore une fois, Hitler
a dit
qu'il comprenait cela, que cela se comprenait bien et que
lui-même,
comme le peuple allemand, avait le même sentiment concernant le
danger
d'actions précipitées. Qu'il croyait que des choses de ce
genre
devaient être surveillées de près.
C'est à ce moment-là qu'il a dit que
c'était là le danger avec la
Ligue des nations, qu'elle tendait à transformer en guerre
mondiale
tout conflit qui pourrait être régional. J'ai dit que je
croyais que
parfois les Allemands ne comprennent pas l'Angleterre, ou que
l'Angleterre ne comprend pas les Allemands. Je pensais que certains
d'entre nous au
Canada comprenions les uns et les autres mieux qu'eux-mêmes. Que
nous
avons eu exactement le même sentiment envers l'Angleterre et les
Américains ; qu'au Canada nous devions continuellement
expliquer aux
Anglais ce que les Américains essaient de dire en certaines
choses et
aux Américains ce que les Anglais essayaient de
dire ; qu'il ne fallait pas trop juger l'Anglais par ce qu'il a
dans la
tête, qu'il fallait regarder ce qu'il a dans le coeur. On
trouvera
qu'il a le coeur à la bonne place. J'ai dit par exemple que je
m'étais
entretenu avec le général Goering qui m'a dit que les
Allemands ne
pouvaient pas comprendre que l'Angleterre soit irritée par
l'annulation
de
la visite du ministre des Affaires étrangères herr
Neurath. J'ai dit
que les Anglais ne comprenaient pas pourquoi les Allemands voudraient
mettre fin au voyage ; que pour comprendre l'attitude anglaise, il
faut
regarder comment l'Angleterre a géré ses affaires face au
monde.
Qu'elle faisait partie d'un grand empire qui s'étendait à
de
nombreuses régions du globe. Qu'il n'était pas dans sa
disposition de
faire preuve d'alarme devant un petit incident. Elle
préférerait que le
monde pense que ce fût une affaire sans grande importance pour
elle.
Je lui ai dit que j'avais dit à Goering que
lorsqu'un Anglais croise
quelqu'un qui vient de mettre le feu à sa maison et qu'il est en
robe
de soirée, son premier geste sera de redresser sa cravate et de
voir à
ce que son veston soit droit et il montrerait le moins
d'inquiétude
possible, même s'il est bouleversé dans son
âme ; que les Anglais
ont toujours cherché à cacher leurs sentiments ou
plutôt à ne pas les
montrer ; que cela expliquerait leur attitude face à
l'annulation de la
visite de Neurath. Si la situation avait été
renversée, l'Angleterre
aurait sûrement insisté pour que le ministre des Affaires
étrangères
poursuive son voyage comme si de rien n'était. Herr Hitler a
encore une
fois hoché de la tête et m'a regardé, et a ensuite
commencé à parler à
l'interprète. Il a dit que l'affaire Leipzig était une
affaire grave et
qu'il voulait tout naturellement que son ministre des Affaires
étrangères soit à ses côtés dans un
moment pareil. Qu'en ce qui
concerne ce que j'ai dit à propos de la poursuite du voyage de
Neurath,
il dirait qu'il y
a deux types d'entretien : un entretien comme lui et moi avions en
ce
moment, un échange libre et franc, où chacun peut en
venir à comprendre
le point de vue de l'autre ; que c'était bien et que c'est
ce qui était
prévu lors du voyage de Neurath en Angleterre. Par contre il y a
les
entretiens et les visites qui ont un objectif différent, qui
est de tenter de régler pour de bon certains problèmes
concrets. Hitler
a ensuite dit qu'il y a des problèmes sur lesquels il ne peut y
avoir
de discussion ou pour lesquels il est futile de chercher à
convaincre
l'autre. Il a dit que par exemple il pourrait essayer de me persuader
que le Canada doit quitter les îles britanniques et qu'il
était dans
notre
intérêt de le faire. Qu'il pourrait continuer de parler
ainsi pendant
des semaines et des années tout en sachant que c'était
inutile, que
nous n'entendrions pas ce qu'il dit aussi solide que soit l'argument.
Sur la possibilité d'une guerre et les fausses
attentes soulevées par la presse
Il
a ensuite dit qu'il allait de même pour l'Allemagne et des
tentatives
de la persuader de ne jamais donner son accord à une entente qui
pourrait forcer son pays à aller en guerre dans un avenir
rapproché,
dans un contexte qu'il ne connaissait pas en ce
moment et qui était impossible à prévoir, et que
l'Allemagne ne se
commettrait jamais à un tel engagement. Il a dit que lui,
Hitler, afin
de maintenir son contrôle sur le pays, devait avoir l'appui du
peuple.
Il a dit qu'il n'était pas comme Staline qui tuait ses
généraux et les
membres du gouvernement qui ne partageaient pas ses opinions mais que
pour sa part, il devait être appuyé par ce que le peuple
lui-même
désirait vraiment et que le peuple allemand ne voulait pas la
guerre ni
des engagements pouvant mener à une guerre
prématurée. (Alors qu'il
s'exprimait ainsi, j'avoue que le raisonnement qu'il défendait
était
identique à celui que j'avais défendu devant le parlement
canadien lors
de
la dernière session.)
Il a poursuivi en disant que les quotidiens ne cessaient
de
brouiller les cartes, qu'avant même que Neurath eut quitté
l'Allemagne,
après que sa visite eut été annoncée, le Times
et le Telegraph et
d'autres quotidiens avaient commencé à dresser une liste
de sujets qui
devaient être fixés en préparation d'un entretien
qu'il
devait tenir. Ils ont mentionné toutes sortes de sujets qui pour
eux
devaient être discutés et pour lesquels ils
espéraient un règlement.
Hitler a ensuite déclaré : parfois la presse
crée des attentes au sujet
du règlement de questions qui n'auraient jamais dû
être soulevées , et
soulever ces questions pour discussion sans qu'elles ne se
règlent crée
un climat de déception encore plus lourd qu'il ne devrait
l'être. Selon
lui, le moindre des deux maux serait qu'il n'y ait tout simplement pas
d'entretien.
De la question des colonies allemandes et des dangers
du bolchévisme et du communisme
Je
lui ai dit que je ne croyais pas que les Britanniques avaient des
opinions précises à ce sujet, et qu'en fait ils
étaient déçus
puisqu'ils attendaient cette visite avec impatience. Un peu plus tard,
il a parlé du règlement de certains différends
épineux entre l'Angleterre, l'Allemagne et la France. Il a dit
qu'il ne
voyait pas d'obstacles majeurs à obtenir une entente
satisfaisante.
Pour lui, la question des colonies ne devait pas poser de
problèmes et
devait être réglée éventuellement.
Maintenant que le traité de
Versailles était chose du passé, le pire était
passé. Il sentait que
vis-à-vis la
France une entente était facile entre l'Angleterre, la France et
l'Allemagne, une entente qui serait appréciée des trois
pays. La seule
chose, par contre, qu'il ne pouvait comprendre et qui posait
problème
était le traité d'Alliance entre la France et la Russie,
ainsi que
d'autres traités auxquels l'Angleterre avait donné son
accord.
Je n'ai pas eu le temps de répondre à ce
qu'il venait de dire
puisqu'il avait parlé depuis déjà quelque temps.
Cependant, plus tôt,
en discutant de cette question, il avait parlé des dangers du
bolchévisme et du communisme. Il a dit que l'Angleterre ne se
rendait
pas compte comment ils étaient sérieux et ce qu'elle
aurait elle-même à
confronter
dans quelques années. Il a dit que si l'Allemagne n'avait pas
traité de
la menace communiste au moment et de façon opportuns, la
situation de
l'Allemagne aujourd'hui serait la même que celle en Espagne, dont
la
vie même était en péril, victime de tout ce qui
provenait de la Russie.
(Lorsque j'ai discuté avec Goring, celui-ci a dit qu'il
était
stupéfait du montant d'argent venant de l'Angleterre pour venir
en aide
aux communistes. Il a dit que l'Allemagne connaissait la situation,
qu'elle ne croyait pas que le gouvernement de l'Angleterre participait
à ces contributions financières mais que, peu importe,
ces sommes
quittaient l'Angleterre et se rendaient jusqu'en Espagne.)
Lorsque j'ai parlé de la conférence en
Angleterre, je lui ai dit que
j'avais participé à la conférence de 1923 et de
1926 ainsi qu'à la plus
récente, et que je n'avais jamais ressenti un sentiment aussi
favorable
et amical envers l'Allemagne que lors de cette conférence. Il y
avait
certes beaucoup de choses que les Britanniques ne pouvaient
comprendre, et d'autres qu'ils n'aimaient pas, mais je n'avais jamais
décelé dans mes conversations avec le peuple ou avec le
gouvernement
d'inimitié envers l'Allemagne et qu'au contraire j'avais
ressenti un
désir de rapprochement et d'amitié envers elle.
De la paix et de la sécurité au
sein du Commonwealth britannique des nations
Hitler m'a dit qu'il était très heureux de
me l'entendre dire. Je
lui ai dit que lui ainsi que d'autres ne devraient pas mal
interpréter
la nature et la position de l'empire britannique, que le Canada, par
exemple, était un pays aussi libre et indépendant que
l'Allemagne
elle-même, mais que nous ressentions que notre liberté
était liée en
grande partie au fait que nous étions membres de l'empire
britannique,
et qu'il en allait de même pour l'Australie, l'Afrique du Sud et
la
Nouvelle-Zélande. Chaque pays était libre de gérer
ses propres affaires
et la paix et la sécurité de chacun était
assurées aussi longtemps que
le Commonwealth britannique des nations continuerait d'exister et que
toute menace à la paix venant d'un acte d'agression de la part
d'un
pays donné ferait en sorte que tous les membres
réagiraient d'une seule
voix. Je lui ai dit que nous chérissions notre liberté
par-dessus tout
et tout ce qui pourrait mettre en péril la
sécurité de ce cette liberté
en détruisant une partie de l'empire pousserait certainement
tous les
partis
à interpréter les évènements dans leurs
propres intérêts et dans
l'intérêt de l'ensemble.
Hitler a dit qu'il comprenait comment il pouvait en
être ainsi. J'ai
dit que l'empire n'entretenait aucun projet d'agression et que nous
n'approuverions aucunement les actes de nature agressive de notre part
ni de la part d'autres pays. J'ai expliqué longuement comment la
liberté était importante pour nous et j'ai fait valoir
qu'à l'occasion
du
couronnement lui-même, au moment de la Grande Guerre, rien
n'avait été
fait sous pression, tout avait été fait sur une base
volontaire, que
davantage de personnes auraient participé au couronnement s'il y
avait
eu des accommodations d'hôtellerie et de transport. J'ai dit que
cette
liberté que nous chérissons, incarnée dans la
Couronne, était garante
de notre unité.
Herr Hewel m'avait dit qu'il pensait qu'Hitler allait
m'allouer au
moins une demi-heure d'entretien mais qu'il pouvait facilement me
consacrer davantage de temps. Néanmoins, à mesure que
nous discutions,
j'ai observé que nous avions parlé pendant au moins une
heure et que
les personnes dans la pièce lui indiquaient qu'il avait d'autres
engagements. Cependant Hitler les a ignorés et a poursuivi la
conversation. Enfin, lorsque j'ai senti qu'il cherchait à mettre
un
terme à l'entretien, je me suis empressé de lui dire que
j'avais
quelques petites choses que je tenais vraiment à lui dire
personnellement. Je tenais à lui parler de M. Chamberlain. Je
lui ai
dit que je pensais que M.
Chamberlain comprenait bien les Affaires étrangères et
qu'il avait une
vision large. Je tenais à dire à Hitler comment nos
députés ainsi que
moi-même avaient entretenu des préjugés à
son égard au sujet de
politiques que nous jugions étroites, nationalistes et
impérialistes.
J'ai expliqué que nous en sommes arrivés à nous
défaire de ces préjugés
pour
nous rendre compte que les pays européens seraient bien
administrés par
lui. J'ai expliqué que lors d'une récente entrevue sur la
question de
l'affaire Leipzig, ses propos étaient entièrement
conformes à ce qu'il
avait dit à la conférence lorsqu'il a été
question de l'Allemagne, et
j'ai dit que je croyais que cela reflétait sa véritable
attitude
vis-à-vis la
question. Hitler m'a dit qu'il était heureux de l'entendre. J'ai
mis
l'emphase sur la nécessité de prendre son temps sur
toutes questions,
d'être patient et de ne rien bousculer, et qu'avec le temps tous
pouvaient finir par s'entendre.
Hitler donne un portrait de lui-même en cadeau
Comme
je me préparais à partir, Hitler s'est penché et a
pris une boîte rouge
carrée ornée d'un aigle en or. De ses deux mains, il me
l'a offerte
tout en me demandant de l'accepter en honneur de ma visite en
Allemagne. Il m'a aussi dit qu'il avait beaucoup apprécié
la discussion
que nous avions eue ensemble et m'a remercié de ma visite. En
ouvrant
la boîte, j'ai vu qu'il s'agissait d'un splendide portrait de lui
signé
de sa main. Je n'ai pas caché le plaisir que j'éprouvais.
Je lui ai
serré la main tout en le remerciant sincèrement, lui
disant que pour
moi c'était un gage de son amitié et que son cadeau
aurait toujours une
place
dans mon coeur. Il a voulu le faire porter par quelqu'un d'autre mais
je lui ai dit que je préférais le porter moi-même.
Il a alors reculé
légèrement pour me serrer la main et pour me souhaiter au
revoir de
façon plus ou moins formelle. Je lui ai dit que j'aimerais avoir
d'autres occasions de discuter des aspects constructifs de son travail,
des
ambitions qu'il avait pour le bien supérieur des moins
fortunés. Je lui
ai affirmé que j'étais complètement d'accord avec
sa démarche et que
j'étais convaincu qu'elle allait réussir, et que je
souhaitais qu'on se
souvienne de lui pour la grandeur de ses réalisations et qu'il
ne
devait laisser rien ni personne détruire ces
réalisations. Je lui ai
souhaité le
meilleur des succès dans ses efforts pour aider
l'humanité.
Impressions d'Hitler
Je l'ai remercié à nouveau de
m'avoir accordé le privilège d'un aussi long entretien.
Il a souri de
façon affable et son regard n'était pas
dénué d'affection. Mon
impression d'Hitler au cours de notre entretien fut qu'il s'agissait
là
d'un homme qui aime profondément son prochain et son pays et qui
sacrifierait
tout pour leur bien, et qu'il se perçoit lui-même comme
celui qui
libère son peuple de la tyrannie.
Pour mieux comprendre Hitler, il faut se rappeler les
moyens limités
de sa jeunesse, son incarcération, etc. Il est vraiment
merveilleux de
constater tout ce qu'il a pu accomplir au moyen de l'autoformation. Sa
façon réservée est non sans me rappeler Cardin,
jusqu'à ce qu'il
commence à parler et à se laisser emporter par ses
propos. Tout
comme Cardin, sous un extérieur plutôt calme bouille une
profonde
nature émotionnelle. Contrairement à l'impression
laissée par ses
photos, son visage est très calme. Il n'est pas celui d'une
personne
fougueuse et stressée, mais d'un homme calme et passif, toujours
en
profonde réflexion. Sa peau était douce et son visage ne
portait aucun
signe de
fatigue ou d'épuisement. J'ai été surtout
impressionné par ses yeux.
L'aspect larmoyant de ses yeux laissait entrevoir un homme
profondément
lucide et sympathique. Il a toujours porté le regard directement
sur
moi lors de notre entretien sauf lorsqu'il abordait plus
profondément
un sujet. Il restait alors assis, très calme, en parlant
franchement,
sans
chercher ses mots, regardant le traducteur à l'occasion ainsi
que
moi-même.
Mackenzie King
avec des officiers allemands au stade olympique de Berlin en 1937
|
Lorsque M. Schmidt, le traducteur, traduisait en partie
ce qu'Hitler
avait dit, celui-ci me regardait de biais et souriait, satisfait de
constater que je comprenais le sens de ce qu'il disait. Aussi, lorsque
je disais quelque chose d'un peu humoristique, il me jetait un regard
rempli de reconnaissance et me souriait agréablement. Il
était très
gentil, doux
(il manque un mot dans le texte original — note du LML) et, il
n'était
pas difficile de comprendre comment les gens du peuple pouvaient
nourrir un amour profond pour lui. Pendant notre entretien d'une heure
et quart, il n'a jamais agi de façon agitée. Il est
resté calme, bien
installé dans son fauteuil, les mains jointes devant lui, et
c'est
seulement
lorsqu'il m'a tendu son portrait que ses mains se sont
brièvement
séparées. Il était en tenue de soirée et
portait une cravate blanche.
Il s'était vêtu ainsi pour recevoir les personnes qu'il
avait
rencontrées plus tôt. Il s'agissait d'une des rares fois
qu'il se
rendait à Berlin. Ses bureaux sont à proximité de
sa maison dans les
montagnes. C'est là qu'il
passe le clair de son temps. Il visite très peu Berlin et ne se
rend
dans la capitale par avion que très rarement. Il dit qu'il a
besoin de
la tranquillité de la nature pour mieux réfléchir
et trouver des
solutions aux problèmes du pays. Je suis convaincu qu'ainsi il
faisait
preuve d'une profonde sagesse.
En lui parlant, l'image de Jeanne d'Arc m'est venue en
tête. Il est
définitivement une personne mystique. Hewel me disait que le
peuple
allemand en grand nombre commençait à penser qu'il
était doté d'une
mission céleste, et que plusieurs l'honoraient tel un dieu. Il a
dit
qu'Hitler tentait de se tenir à l'écart de ces
élans de dévotion
puisqu'il
ne voulait qu'assumer le rôle d'un humble serviteur qui ne
cherche qu'à
bien servir son pays. Il s'abstient de toute boisson alcoolisée
et est
végétarien. Il n'est pas marié et il pratique
l'abstinence dans toutes
ses habitudes et manières. En réalité, selon les
témoignages des
personnes qui le côtoient, sa vie semblerait être celle
d'un
solitaire sauf lorsqu'il rencontre les jeunes ou les foules de temps
à
autre.
Hewel me disait que lorsque von Ribbentrop l'avait fait
venir à
Munich pour le rencontrer, lui et Hitler, concernant ma visite, et pour
recevoir l'instruction de m'informer de tous les sujets, il a
trouvé
qu'Hitler avait l'air très fatigué, qu'il avait l'air
d'un homme
vieilli. Il est étrange, par contre, qu'à chaque fois
qu'il
s'intéressait à un sujet, aux
affaires étrangères, toute sa fatigue semblait
disparaître et il avait
à nouveau l'air frais et dispo. Il a dit, par exemple, qu'une
petite
fille voulait son autographe pendant qu'il était troublé
par des
affaires d'État, et que lorsqu'il l'a vue sa disposition a
changé
complètement. Il a dit qu'il avait une très grande
passion pour la
jeunesse allemande.
Hewel me dit qu'il est très religieux, qu'il
croit beaucoup en
Dieu ; en fait, il s'est créé plus de
congrégations religieuses en
Allemagne ces dernières années que durant de nombreuses
années
précédentes ; que les problèmes avec
l'Église étaient des problèmes
politiques, qui ont à voir avec son ingérence dans les
affaires
politiques.
Le monde extérieur a mal interprété ses vues
religieuses. Que son
discours sur la race a à voir avec le maintien de la
pureté du sang
allemand. Qu'il croit fermement à la dualité physique et
mentale de la
nature humaine et à la nécessité de les
développer toutes deux. Ce
qu'il désire le plus décidément, c'est de donner
à chaque homme les
mêmes
possibilités que les autres en matière de
développement physique et
industriel, de loisir, de beauté, etc. Il est
particulièrement épris de
la beauté, il aime les fleurs et dépensera plus d'argent
de l'État sur
des jardins et des fleurs que sur la plupart des choses.
J'ai dit que j'aimais M. Henderson, l'ambassadeur
britannique, et
j'ai fait remarquer à Hitler qu'il ne devait pas
considérer comme
étrange que l'ambassadeur ne soit pas avec moi ; que ce
n'était pas là
le signe de différends entre la Grande-Bretagne et le Canada,
mais
plutôt un signe d'autonomie complète et de confiance
mutuelle. Je lui
ai raconté que le roi George m'avait dit qu'il croyait que je
m'entendrais bien avec Henderson et que toutes les expressions qu'il
avait utilisées me plairaient à cause de son attitude
très amicale
envers l'Allemagne. (J'avais à l'esprit ce que Miéville
m'avait dit,
que les Allemands avaient pensé que le roi Édouard
était leur ami
puisque c'est lui qui
avait ordonné la visite de soldats britanniques en Allemagne.
Cela ne
s'était jamais produit avant que le roi n'insiste, de dire
Miéville. Il
craignait que le nouveau roi ne soit pas aussi disposé.)
En terminant cette dictée, j'ai ramassé
une note laissée sur la
table par Nicol durant la dictée mais que je n'avais pas voulu
lire
avant d'avoir terminé ce que j'avais à dire. Sur
l'enveloppe il y avait
les mots suivants : « Plantes pour le jardin. Mes
meilleurs voeux,
E.C.D., Ladysford, 29-6-37 ». Elle contenait la carte de
madame Davidson et avait de toute évidence été
amenée par le jardinier
à bord de l'Empress qui s'était occupé
des plantes qui m'étaient envoyées de Tyrie.
J'inclus ici des notes de l'entretien telles que
préparées par
Pickering. Je ne les avais pas lues avant la dictée, sauf pour
le
paragraphe concernant le roi, et Pickering n'avait aucune idée
de ce
que je dictais sauf en ce qui concerne l'introduction.
Mouvement de la jeunesse, impressions de Berlin
À la sortie de la résidence officielle,
une garde
d'honneur attendait à la porte, ainsi que de nombreux reporters
avec
leurs caméras. Beaucoup de gens s'étaient
rassemblés de l'autre côté de
la rue, derrière la clôture. Herr Hewell et Pickering
m'ont raccompagné
à l'hôtel Adlon et nous avons déjeuné
ensemble dans un restaurant
quasi-extérieur, après quoi je me suis reposé
très brièvement.
À 17 heures, nous sommes allés nous
entretenir avec des jeunes gens
sur le mouvement de la jeunesse et les voyages, les excursions et la
quête de la joie dans la force, et sur la beauté et
l'industrie que
l'on retrouve partout en Allemagne. Comme ce fut le cas partout
où nous
sommes allés, de jeunes dirigeants sont venus me rencontrer
à l'hôtel
et m'ont expliqué ce que nous allions voir et le mouvement en
général.
J'ai trouvé ces jeunes hommes très francs, très
alertes, d'une allure
propre, d'un esprit actif, de jeunes gens enthousiastes. Il y avait un
ordre et une efficacité splendides dans tout ce que nous avons
vu. Aux
bureaux de ces jeunes gens, on nous a servi le thé, puis nous
sommes
retournés à l'hôtel pour nous reposer avant d'aller
à l'opéra.
Je pensais que ce que j'aimerais surtout faire c'est
prendre une
bonne marche, alors je suis parti seul de l'hôtel en direction du
Tiergarten. J'ai bien aimé la statue du lion blessé avec
sa femelle et
ses petits. J'ai vu qu'elle avait été
érigée en 1874, l'année de ma
naissance. J'ai essayé de trouver la maison dans laquelle
j'avais
séjourné avec les
Weber à Berlin. J'ai fait mon chemin en demandant des directives
aux
passants. J'ai reconnu le canal et d'autres endroits et suis finalement
arrivé à la maison en question, où j'ai cueilli
des feuilles d'une haie
et me suis rappelé les sentiments que j'avais quand j'ai
vécu là il y a
37 ans. J'ai pensé à combien j'étais chanceux
d'avoir eu un aussi bon
ami que M. Dickie. Il s'agissait de toute évidence d'un des
meilleurs
quartiers de Berlin et c'était la résidence d'une famille
exceptionnelle. Je dois cet avantage exceptionnel à
l'amitié entre mon
père et M. Dickie. J'ai poursuivi ma marche dans le Tiergarten
et suis
arrivé à l'hôtel vers 19 h 20, ayant parcouru au
moins cinq ou six
milles à
pied.
Durant la marche j'ai beaucoup apprécié le
fait d'être dans un bois,
d'entendre les oiseaux chanter, et je me suis senti heureux des
entretiens de la journée et du bien que cela allait faire. De
retour à
l'hôtel j'avais à peine le temps de m'habiller avant de
quitter pour
l'Opéra un peu avant 20 h.
À l'opéra, harmonie et joie
À l'opéra, j'ai été
reçu par deux membres de
l'état-major du général Goering qui étaient
la politesse et la
gentillesse incarnées. On nous a réservé ce qui
aurait été la loge
royale à l'époque, constituée de
l'extrémité centrale de la première
galerie, directement en face de la scène. J'occupais le
siège situé au
centre, où l'empereur
s'assoyait et où Hitler s'assoit quand il va à
l'opéra. Les gens de
l'assistance se sont sans doute passé le mot rapidement car
presque
tout le monde s'est retourné en direction de la loge où
j'étais.
J'étais impressionné par le fait que ceux qui aiment
l'opéra sont ceux
qui semblent préférer la musique, etc., plutôt que
l'aspect social, car
les habits
formels brillaient par leur absence. Tous les balcons et toutes les
galeries étaient remplis. On m'a dit que c'était ainsi
à tous les
spectacles. La pièce était Le bal masqué.
Elle
était
interprétée
de
façon
magistrale : très beau chant,
excellente mise en scène, beaucoup de merveilleux tableaux.
Entre le
troisième et le quatrième acte,
on nous a amenés à un souper spécial dans la
grande salle près de la
loge, séparée du reste par une haie. Sir Ogilvie Forbes
et son épouse,
Pickering et Hewel étaient présents. J'ai trouvé
qu'un des hommes à qui
j'ai parlé était une personne exceptionnelle. Il a
parlé de forces
occultes à l'oeuvre pour amener de meilleures conditions
après cette
période de stress et de tension.
Je suis retourné à l'hôtel
après ce que Pickering a qualifié de
journée sans doute la plus significative de ma vie.
J'étais épuisé mais
je croyais que rien ne pouvait mieux conclure la journée que la
musique
et le chant glorieux qui ont semblé remplir la salle
d'opéra d'harmonie
et de joie. À la dernière scène, des participants
invisibles se sont
joints en choeur pour célébrer la vie du personnage
principal. Une fin
triomphale en toute chose.
Notes
1. Mackenzie King à Berlin, Bibliothèque
et
Archives
Canada.
2. Ibid.
3. Traduit de l'anglais par Le Marxiste-Léniniste0
Les camps de concentration de Dachau
Les premiers prisonniers ont été les
adversaires politiques du régime
Plaque du lieu de
mémoire de la fosse commune au
camp de concentration de Dachau
|
Le 21 mars 1933, le chef de la police de Munich,
Heinrich Himmler, a ordonné qu'un camp de concentration soit
construit à Dachau. Sur le site Web qui est le mémorial
au camp de concentration de Dachau, on peut y lire :
« En juin 1933, Theodor Eicke a
été nommé commandant du camp de concentration. Il
a élaboré un plan et des règles organisationnelles
avec des stipulations détaillées qui deviendront plus
tard la norme pour tous les camps de concentration. Aussi, avec Eicke
vient la division du camp de concentration en deux zones, à
savoir le camp
des prisonniers entourés par une variété
d'équipements de sécurité et des tours de garde et
le soi-disant camp de la zone de commandement avec des bâtiments
administratifs et des casernes pour les SS.
« Nommé plus tard à la position
d'inspecteur pour tous les camps de concentration, Eicke a
établi le camp de concentration de Dachau comme le modèle
pour tous les autres camps et comme l'école d'assassinat pour
les SS. »
Le site poursuit : « Les premiers
prisonniers ont été des adversaires politiques du
régime, les communistes, les sociaux-démocrates, des
syndicalistes, aussi parfois des membres de partis politiques
conservateurs et libéraux. Les premiers prisonniers juifs ont
également été envoyés au camp de
concentration de Dachau en raison de
leur opposition politique. ».
Nous reproduisons ci-dessous un article à partir
des archives du Manchester Guardian, précurseur du Guardian, en
date du 21 mars 1933 qui titrait « les communistes seront
internés à Dachau. »
***
Le président de la police de Munich a
informé la presse que le premier camp de concentration qui
contiendra 5 000 prisonniers politiques doit être organisé
dans les prochains jours près de la ville de Dachau en
Bavière.
Ici, dit-il, les communistes, les
« marxistes » et les dirigeants du Reichsbanner
qui ont menacé la sécurité de l'État seront
détenus. Il a été impossible de trouver de la
place pour tous dans les prisons de l'État ni qu'il a
été possible de les libérer. L'expérience a
montré, a-t-il dit, que dès qu'ils sont
libérés, ils ont toujours
recommencé leur agitation. Si la sécurité et
l'ordre de l'État doivent être garantis de telles mesures
sont inévitables, et elles seront effectuées sans
considérations mesquines. [La déclaration de Himmler se
poursuit par les paroles suivantes « . ... les demandes
continuelles quant aux dates de libération des prisonniers
individuels de garde de
protection ne font qu'entraver le travail de la police »].[1]
C'est la première déclaration claire en
ce qui concerne les camps de concentration. L'étendue de la
terreur peut être mesurée à partir de la taille de
ce camp bavarois qui, d'après ce qu'on peut estimer, ne sera que
l'un des nombreux camps.
La déclaration du président de la police
de Munich ne laisse planer aucun doute quant au sort des socialistes et
républicains qui recevront exactement la même sorte
« d'éducation civique » que les
communistes. Il est largement admis que la lutte contre les socialistes
atteindra son apogée après l'ajournement du Reichstag la
semaine
prochaine.
Note du LML
1. Source : Camp de concentration de Dachau, de
1933 à 1945, la rédaction : Barbara Distel et Ruth
Jakusch, Éditeur : Comité international de Dachau
1978.
L'opération
«Unthinkable»
L'invasion planifiée par Churchill de l'Union
soviétique, juillet 1945
- Yuriy Rubtsov -
À la fin de mai 1945, Joseph Staline a
ordonné au maréchal Gueorgui Joukov de quitter
l'Allemagne et de venir à Moscou. Il était
préoccupé par les actions des alliés britanniques.
Staline a déclaré que les forces soviétiques
désarmaient les Allemands et les envoyaient dans les camps de
prisonniers tandis que les Britanniques ne le faisaient pas.
Au contraire, ils ont coopéré avec les troupes allemandes
pour qu'elles maintiennent leurs capacités de combat. Staline a
pensé qu'il y avait des plans pour les utiliser plus tard. Il a
souligné que c'était une violation flagrante de l'accord
inter-gouvernemental qui stipulait que les forces qui se rendaient
devaient être immédiatement dissoutes. Les
services de renseignement soviétiques ont obtenu le texte du
télégramme secret, envoyé par Winston Churchill au
maréchal Bernard Montgomery, le commandant des forces
britanniques. Il le chargeait de recueillir les armes et de les garder
prêtes pour les rendre aux Allemands dans le cas où
l'offensive soviétique se serait poursuivie.
Selon les instructions reçues de Staline, Joukov
a sévèrement condamné ces activités devant
le Conseil de contrôle allié (l'Union soviétique,
les États-Unis, le Royaume-Uni et la France). Il a dit que
l'histoire du monde connaissait peu d'exemples d'une telle trahison et
du refus de respecter leurs engagements de la part de nations qui
avaient un
statut d'alliées. Montgomery a nié l'accusation. Quelques
années plus tard, il a admis qu'il avait reçu une telle
instruction et l'avait exécutée. Il devait se conformer
à l'ordre comme un soldat.
Une bataille acharnée faisait rage dans les
environs de Berlin. En ce temps, Winston Churchill avait dit que la
Russie soviétique était devenue une menace mortelle pour
le monde libre. Le premier ministre britannique a voulu créer un
nouveau front à l'Est pour arrêter l'offensive
soviétique dès que possible. Churchill était
obsédé par le
sentiment qu'après la chute de l'Allemagne une nouvelle menace
émergeait du fait de l'Union soviétique.
Rapport de
l'état-major inter-armées de
planification sur l'opération
« Unthinkable », 22 mai 1945
|
Voilà pourquoi Londres voulait que Berlin soit
prise par les forces anglo-américaines. Churchill voulait aussi
que les Américains libèrent la Tchécoslovaquie et
Prague avec une Autriche contrôlée par tous les
alliés sur un pied d'égalité.
Pas plus tard qu'en avril 1945, Churchill a
chargé l'état-major interarmées de planification
des forces armées britanniques de mettre en place
l'Opération « Unthinkable »
[Opération impensable], nom de code de deux plans connexes pour
un conflit entre les alliés occidentaux et l'Union
soviétique. On a demandé aux généraux de
concevoir les moyens d'« imposer à la Russie la
volonté des États-Unis et de l'Empire
britannique ». La date hypothétique pour le
début de l'invasion alliée de l'Europe tenue par les
Soviétiques a été prévue pour le 1er
juillet 1945. Dans les derniers jours de la guerre contre l'Allemagne
hitlérienne, Londres se préparait déjà
à frapper
l'Union soviétique par derrière.
Le plan envisageait de déclencher une guerre
totale pour occuper les parties de l'Union soviétique qui
étaient importantes à son effort de guerre et de porter
ainsi un coup décisif aux forces armées
soviétiques rendant l'URSS incapable de continuer le combat.
Le plan prévoyait la possibilité d'une
retraite en profondeur des forces soviétiques dans leur
territoire selon les tactiques utilisées dans les guerres
précédentes. Le plan a été estimé
irréalisable par les chefs de l'état-major britannique en
raison de la supériorité numérique des forces
terrestres soviétiques, dans un rapport de un à trois en
Europe, et
au Moyen-Orient où le conflit était aussi projeté.
Les unités allemandes étaient nécessaires pour
équilibrer le rapport des forces. Voilà pourquoi
Churchill voulait qu'elles restent aptes au combat.
Le cabinet de guerre a déclaré :
« L'armée russe a développé un haut
commandement capable et expérimenté. L'armée est
extrêmement robuste, vit et se déplace avec des moyens de
survie plus légers que toutes les armées de l'Ouest, et
emploie des tactiques audacieuses fondées en grande partie sur
le mépris des pertes dans la
réalisation de son objectif. L'équipement s'est
rapidement amélioré pendant toute la guerre et est
maintenant bon. On en sait assez sur son développement pour dire
qu'il n'est certainement pas inférieur à celui des
grandes puissances. La facilité que les Russes ont
montrée dans le développement et l'amélioration
des armes et des équipements
existants et dans leur production de masse a été
très frappante. Il y a des cas connus où les Allemands
ont copié les fonctions de base de l'armement
russe. » Les planificateurs britanniques sont arrivés
à des conclusions pessimistes. Le rapport effectivement
déclare : « Si nous nous lançons dans la
guerre avec la Russie, nous
devons être prêts à être engagés dans
une guerre totale, qui serait à la fois longue et
coûteuse ». La supériorité
numérique des forces terrestres soviétiques laisse peu de
chance au succès. L'évaluation, signée par le chef
d'état-major de l'Armée, le 9 juin 1945, a conclu :
« Il est au-delà de notre pouvoir de remporter un
succès
rapide mais limité et nous serons engagés dans une guerre
prolongée contre de lourds aléas. Ces aléas,
d'ailleurs, deviendraient chimériques si les Américains
se lassaient et devenaient indifférents, attirés au loin
par l'aimant de la guerre du Pacifique. »
Le premier ministre a reçu une copie du projet de
plan le 8 juin. Bien qu'exaspéré, Churchill ne pouvait
pas faire grand-chose à ce sujet tellement la suprématie
de l'Armée rouge était évidente. Même avec
une bombe nucléaire dans les stocks de l'armée
américaine, Harry Truman, le nouveau président
américain, a dû en tenir compte.
En rencontrant le ministre soviétique des
Affaires étrangères Viatcheslav Molotov, le
président Truman a pris le taureau par les cornes. Il a fait une
menace à peine voilée d'utilisation de sanctions
économiques contre l'Union soviétique. Le 8 mai, le
président américain a ordonné de réduire
considérablement les fournitures du prêt-bail sans
notification préalable. Au point que les navires
américains, déjà en route pour l'Union
soviétique, sont retournés dans leurs bases. Peu de temps
après, l'ordre de réduire le prêt-bail a
été annulé, sinon l'Union soviétique
n'aurait pas rejoint la guerre contre le Japon, quelque chose dont les
États-Unis avaient grand besoin. Mais les relations
bilatérales
ont été endommagées. Le mémorandum
signé par le secrétaire d'État par intérim
Joseph Grew le 19 mai 1945 déclarait que la guerre avec l'Union
soviétique était inévitable. Il appelait à
prendre une position plus ferme dans les relations avec l'Union
soviétique. Selon lui, il était opportun de commencer le
combat avant que l'URSS ne puisse se
remettre de la guerre et restaurer son immense armée, son
potentiel économique et territorial.
Les militaires étaient poussés par les
politiciens. En août 1945 (la guerre avec le Japon était
en cours), un plan des cibles stratégiques en URSS et en
Mandchourie a été soumis au général L.
Groves, le chef du programme nucléaire américain. Le plan
contenait la liste des quinze plus grandes villes de l'Union
soviétique : Moscou, Bakou,
Novosibirsk, Gorki, Sverdlovsk, Tcheliabinsk, Omsk, Kouibychev, Kazan,
Saratov, Molotov (Perm), Magnitogorsk, Grozny, Stalinsk (le Donetsk
contemporain ) et Nizhny Tagil. Les cibles étaient
décrites : géographie, potentiel industriel et les
priorités de frappe. Washington ouvrait un nouveau front. Cette
fois contre son allié.
Londres et Washington ont immédiatement
oublié qu'ils avaient combattu au coude à coude avec
l'Union soviétique pendant la Deuxième Guerre mondiale,
ainsi que les engagements pris aux conférences de Yalta, Potsdam
et San Francisco.
Le recrutement des criminels de guerre
nazis par les États-Unis
L'héritage abominable du
«stay-behind»
LML publie ci-dessous un extrait d'un article de Martin
A. Lee intitulé « Les néo-nazis de la
CIA : un curieux mariage qui donne des ailes à
l'extrême-droite en Allemagne », publié
à l'origine dans Intelectual Capital (US), No 377, le
25 mai 2000. On y explique ce qu'était les forces-communistes
« stay-behind » établies par les
puissances occidentales en Europe pendant la guerre froide. Ces
unités étaient composées
généralement de fascistes et d'anciens nazis et ont
ciblé des forces progressistes et ceux qu'on croyait être
des sympathisants communistes.
***
[...] Les forces ouest-allemandes
« stay-behind »[bien dévoilées en
1952] se sont rapidement regroupées grâce à un coup
de pouce de la CIA qui a recruté des milliers d'anciens nazis et
des fascistes afin de servir comme espions durant la guerre froide.
« C'était devenu une façon de faire de
recruter instinctivement tout
bâtard en autant qu'il était anticommuniste, a
expliqué Harry Rostizke, ancien chef du bureau soviétique
de la CIA. L'empressement à enrôler des collaborateurs
signifie que vous n'examinez pas leur passé de trop
près. »
Le joueur clé du côté allemand de
cette alliance méprisable d'espions a été le
général Reinhard Gehlen, qui avait été le
plus haut gradé parmi les espions anti-soviétiques
d'Adolf Hitler. Pendant la Deuxième Guerre mondiale,
Gehlenétait responsable des opérations de renseignements
militaires allemands sur le front de l'Est.
Alors que la guerre tire à sa fin, Gehlen sent
que les États-Unis et l'URSS seront bientôt à
couteaux tirés. Il se rend aux Américains et se
présente comme quelqu'un qui peut apporter une contribution
décisive à la lutte imminente contre les communistes.
Gehlen a offert de partagerla grande quantité de renseignements
qu'il avait accumulée sur
l'URSS.
Les maîtres-espions américains ont mordu
à l'appât
Avec mandat de continuer d'espionner à l'Est tout
comme il l'avait fait auparavant, Gehlen a rétabli son
réseau d'espions à la demande des services de
renseignements américains. Incorporé dans la CIA
naissante à la fin des années 1940,
l'« Organisation Gehlen », comme on l'a
appelée, est devenue les yeux et les oreilles
de la CIA en Europe centrale....
Faux papiers
émis au criminel de guerre nazi
Reinhard Gehlen par le département de la guerre des
États-Unis
|
En dépit de sa promesse de ne pas recruter des
nazis endurcis, Gehlen a déroulé le tapis rouge pour les
milliers d'anciens membres de la Gestapo, de la Wehrmacht et des SS.
Certains des pires criminels de guerre qu'on puisse imaginer, y compris
les bureaucrates qui ont supervisé de sang-froid la machine
administrative de l'Holocauste, ont
trouvé un emploi dans l'Organisation Gehlen. Basé
près de Munich, ce réseau est par la suite devenu le
Bundesnachtrichtendienst (BND), le principal service de renseignements
étrangers de l'Allemagne de l'Ouest. Gehlen a été
nommé directeur du BND en 1955.
En même temps qu'il remettait des renseignements
à ses patrons américains, Gehlen a aidé des
milliers de fugitifs fascistes à s'échapper et trouver
refuge à l'étranger, souvent avec la
bénédiction des services de renseignements
américains.
Les expatriés du troisième Reich ont
ensuite servi de « conseillers en
sécurité » à des régimes
répressifs en Amérique latine et au Moyen-Orient.
Ironiquement, certaines des recrues de Gehlen joueront plus tard un
rôle majeur dans les groupes néo-fascistes à
travers le monde qui méprisent les États-Unis et l'OTAN.
Friedhelm Busse a dirigé plusieurs groupes
d'ultra extrême-droite en Allemagne, tandis qu'un autre
protégé de Gehlen, Gerhard Frey, est devenu un dirigeant
néo-nazi après la guerre froide. Riche éditeur,
Frey appuie financièrement et dirige actuellement la Deutsche
Volksunion (DVU), qui est considérée par les services de
renseignements de
l'armée américaine comme « un parti
néo-nazi ». Au cours des deux dernières
années, la DVU a récolté des votes selon des
pourcentages atteignant les deux chiffres dans les élections
d'État dans l'Est de l'Allemagne, où la transition
brusque du communisme au capitalisme a entraîné un
chômage élevé et un mécontentement social
généralisé. Aigri par la réalité
décevante de l'unification allemande, une
génération perdue de jeunes Allemands de l'Est attendent
de joindre un parti nazi pas encore né.
Même avant que Frey ait formé la DVU en
1971 avec l'objectif déclaré de « sauver
l'Allemagne du communisme », il a reçu le soutien
secret de Gehlen, le chef espion puissant de Bonn. Mais quand la guerre
froide a pris fin, le chef de la DVU a brusquement changé de
tactique et a exigé que l'Allemagne quitte l'OTAN. Les
journaux de Frey ont commencé à publier des articles
incendiaires condamnant les États-Unis et louangeant la Russie
comme un partenaire plus approprié pour l'Allemagne
réunifiée. Frey a également fait partie des
dirigeants néo-fascistes qui ont soutenu Saddam Hussein et
condamné la guerre américaine contre l'Irak en 1991.
Un pacte avec le diable
Dans le jargon des espions américains, il est
appelé un « blowback », les
conséquences imprévues des activités
secrètes jamais révélées au public
américain. Le recrutement secret d'un réseau d'espionnage
nazi pour mener une guerre clandestine contre l'Union soviétique
a été le « péché
originel » de la CIA et il s'est finalement retourné
contre les États-Unis. Une conséquence imprévue
des agissements malsains de la CIA avec l'Organisation se manifeste
aujourd'hui par la résurgence du mouvement néo-fasciste
en Europe dont on peut retracer l'origine idéologique au Reich
d'Hitler grâce aux agents de Gehlen qui ont opéré
pour le compte des services de renseignements américains. En
outre, en subventionnant un maître espion nazi haut placé
et en enrôlant des criminels de guerre hautement compromettants
la CIA s'est elle-même compromise en ouvrant la porte à la
manipulation d'un service de renseignement étranger où
fourmillent les agents soviétiques.
« Une des plus grandes erreurs que les
États-Unis ont jamais commise dans leur service de
renseignements a été d'embaucher Gehlen », a
avoué plus tard un fonctionnaire de la CIA. Avec ce baiser sub
rosa fatidique, la scène était prête pour que
Washington tolère des violations des droits humains et autres
actes
discutables au nom de l'anticommunisme.
Lisez Le
Marxiste-Léniniste
Site web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
|