Le
                              Marxiste-Léniniste

Numéro 66 - 23 avril 2013

Une autre dangereuse loi présentée au parlement canadien

Le gouvernement Harper veut changer
la façon de faire la réglementation


«Harper: vous êtes une menace à la sécurité ! Vos coupures dans la règlementation environnementale,
les droits des femmes, la lutte contre le changement climatique, les programmes d'emploi, etc.
nous mettent tous en danger !!»

Une autre dangereuse loi présentée au parlement canadien
Le gouvernement Harper veut changer la façon de faire la réglementation
Résumé législatif de l'incorporation par renvoi dans la loi sur les textes réglementaires
Opposition au Sénat
Positions des partis à la Chambre des communes

Projet de loi émanent d'un député
La proposition de dépouiller des Canadiens de leur citoyenneté soulève des inquiétudes concernant les droits civils - Matthews Behrens


Une autre dangereuse loi présentée au parlement canadien

Le gouvernement Harper veut changer
la façon de faire la réglementation

Le 13 février, la deuxième lecture du projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires et le Règlement sur les textes réglementaires en conséquence, a débuté à la Chambre des communes. Le titre abrégé est : Loi sur l'incorporation par renvoi dans les règlements.

Le projet de loi S-12 amende la Loi sur les textes réglementaires qui établit les formalités associées à la procédure d'élaboration des règlements. Selon le résumé du projet de loi, celui-ci amende la Loi sur les textes réglementaires de la façon suivante :

- il prévoit une habilitation expresse permettant l'incorporation par renvoi dans les règlements ;

- il impose aux autorités réglementaires l'obligation de veiller à ce que les documents, indices, taux ou nombres incorporés par renvoi soient accessibles ;

- il prévoit qu'une déclaration de culpabilité ou une sanction administrative ne peut découler d'une contravention se rapportant à tout document, indice, taux ou nombre incorporé par renvoi que si les exigences en matière d'accessibilité sont respectées.

Il permettrait la délégation et la « sous-délégation » de pouvoirs du parlement de créer et de réviser des règlements à d'autres institutions et même à d'autres pays. Il étend à plus de représentants du gouvernement le pouvoir de déléguer et de sous-déléguer ces pouvoirs au nom de la dictature Harper.

Qui peut créer la réglementation, comment et dans quel intérêt, tout cela a à voir avec la souveraineté du pays et la primauté du droit. C'est ce qui permet d'éviter un état d'anarchie dans lequel les pouvoirs policiers du premier ministre et des autres ministres sont utilisés pour défendre le droit de monopole plutôt que de garantir le droit public. La façon dont la réglementation est faite nous dit s'il existe ou non une primauté du droit, ou si l'anarchie a été élevée au niveau de l'autorité comme on le voit sous les gouvernements néolibéraux, comme celui que nous avons au Canada sous la dictature de Stephen Harper.

Le gouvernement Harper a déjà démontré comment il veut interpréter les règlements quand il a unilatéralement aboli la Commission canadienne du blé, sans passer par un plébiscite comme le prévoyait la loi. Après avoir promis en campagne électorale de ne pas faire de changement sans un plébiscite, les conservateurs ont déclaré que les règlements exigeant un plébiscite ne s'appliquaient pas à l'existence de la commission du blé comme telle.

Ce gouvernement se sert de sa majorité au parlement pour adopter des lois omnibus et imposer des limites de temps pour le débat en chambre sur des textes de loi massifs, contenant des amendements à des dizaines de loi, touchant des centaines de clauses et modifiant la façon dont le pouvoir est exercé. C'est la méthode qu'il utilise pour restreindre le débat et la discussion sur la direction dans laquelle le gouvernement Harper entraîne le Canada.

Dans le cas du projet de loi omnibus sur la criminalité, il a fait adopter des changements qui éliminent le pouvoir discrétionnaire des juges de tenir compte des circonstances de l'accusé ou dans lesquelles l'acte a été commis. Cela veut dire que le juge doit s'appuyer sur la stricte légalité d'un cas plutôt, sans que justice ne soit nécessairement servie. En imposant des peines minimales obligatoires pour plusieurs actes, c'est la cause de la justice qui est sacrifiée. Il étend l'utilisation et la portée des pouvoirs arbitraires de l'exécutif alors qu'il élimine ou limite la possibilité pour les professionnels d'exercer leur discrétion pour voir à ce que justice soit servie. Cette mesure ne peut avoir qu'un motif et c'est de s'assurer qu'aucune autre autorité ne gêne l'exercice de ses pouvoirs pour le compte des monopoles. Il s'agit de l'exercice de pouvoirs dictatoriaux qui non seulement sapent la primauté du droit mais l'éliminent.

Maintenant, le gouvernement Harper veut se servir de sa majorité pour faire adopter des lois qui laissent l'application des lois à la discrétion des ministres.

Un critère de base pour déterminer si un pays est démocratique est que les citoyens doivent pouvoir connaître la façon dont le système fonctionne et doivent percevoir qu'ils ont réellement leur mot à dire sur le choix de ce système. La réglementation est le mécanisme par lequel les lois sont appliquées en pratique. Elle est un aspect central de toute société car c'est elle qui détermine les règles et les normes que doivent respecter les membres de la société. La réglementation établit les normes régissant tous les aspects de la vie en société suivant les paramètres énoncés dans les lois adoptées par une instance législative. La grosseur des boîtes de soupe, l'accessibilité aux prestations d'assurance-emploi, l'approbation des projets d'extraction des ressources, les limites de vitesse sur les routes, les critères d'admissibilité au statut de réfugié et de citoyenneté, la façon dont se fait le commerce avec d'autres pays — tout cela est régi par des règlements basés sur des lois adoptées par des gouvernements.

La violation des règlements signifie la violation de la primauté du droit et entraîne des pénalités, des amendes et des peines. Il est donc évident que la réglementation doit être établie de façon cohérente, systématique et démocratique dans l'intérêt de ceux qui vivent sous son règne pour être considérée comme légitime. Si des lois sont adoptées qui ne limitent pas le pouvoir de réglementation de façon à ce qu'il soit redevable envers l'autorité publique et si la réglementation ne se limite pas à faire respecter le droit public, alors on ne peut pas dire qu'il y a primauté du droit. L'arbitraire prend le dessus, l'anarchie est érigée en autorité. Cela ouvre la porte à un règne de terreur d'État où l'État crée des prétextes pour se servir de ses pouvoirs de coercition d'une manière qui porte atteinte aux droits humains, qui favorise des intérêts privés et des États étrangers aux dépens de l'intérêt public, sans aucune forme de responsabilité envers le peuple, sans parler de responsabilité envers les institutions démocratiques de la société.

Ce que fait le gouvernement actuel sur la question de la réglementation mérite une attention sérieuse de la part de la classe ouvrière et de ses alliés. Cela concerne les pouvoirs discrétionnaires appartenant aux fonctionnaires et agences gouvernementales suivant leur mandat spécifique au service du droit public. Quand il s'agit de l'interprétation et de l'application des lois, si la loi repose sur la défense du bien public, c'est une chose, mais si elle repose sur les intérêts des monopoles et leur désir d'impunité, c'en est une autre. Qui décide et qui contrôle le processus décisionnel est crucial. Les décisions autorisant la torture comme celles des administrations Bush et Obama aux États-Unis sont prises par décret exécutif suivant la réglementation établie ! Quand la réglementation ne défend plus le citoyen ou le résident mais viole ses droits, la société a un sérieux problème sur les bras.

Dans le débat sur cette question à la Chambre des communes, certains députés choisissent délibérément de fermer les yeux, comme le critique du NPD en la matière pour qui tout se résume à savoir si la réglementation sera traduite en français ou pas.

Dans ce numéro du Marxiste-Léniniste nous reproduisons des articles pertinents sur la Loi sur l'incorporation par renvoi dans les règlements.

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Résumé législatif de l'incorporation par renvoi
dans la loi sur les textes réglementaires

Le projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur les textes réglementaires et le Règlement sur les textes réglementaires en conséquence, donne au gouvernement le pouvoir exprès d'incorporer dans la loi des éléments de règlement auxquels la loi fait référence. L'incorporation par renvoi, telle qu'elle est expliquée par John Mark Keyes, conseiller législatif en chef du ministère de la Justice du Canada et directeur des Services législatifs, est « une technique de rédaction par laquelle un texte législatif [...] inclut des éléments (texte, renseignements ou concepts) énoncés ailleurs. Ces éléments sont inclus sans être reproduits dans le texte législatif. »[1]

À titre d'exemple, un texte législatif peut incorporer par renvoi une de ses propres dispositions, des dispositions tirées d'un autre texte législatif adopté par le même législateur, des textes législatifs d'autres législateurs ou, encore, des textes non législatifs comme des normes techniques ou des accords internationaux.

L'incorporation « statique » ou « figée » renvoie au document tel qu'il existe à ce moment-là. Selon Keyes, « lorsque l'incorporation est statique, les modifications apportées au contenu (y compris son abrogation) après son incorporation ne changent rien au fonctionnement de la loi l'incorporant. Celle-ci continue d'incorporer la version originale du contenu, quelles que soient les modifications ultérieures ». Autrement dit, il faudra modifier le texte réglementaire pour y incorporer les modifications apportées au document incorporé.

Par contre, l'incorporation dite « dynamique », « évolutive », ou « ouverte » permet d'incorporer automatiquement les modifications apportées ultérieurement au document incorporé.

Keyes fait également remarquer que l'incorporation par renvoi peut faciliter l'harmonisation : « C'est particulièrement important lorsqu'il y a lieu d'harmoniser des textes législatifs interjuridictionnels, par exemple pour faciliter des opérations ou activités transfrontalières. »

En 2007, le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a déposé un rapport dans lequel il exprimait son point de vue sur certaines questions concernant le principe de l'incorporation par renvoi. Le rapport commence par une explication de ce principe :

« Lorsque le Parlement confère un pouvoir réglementaire, l'autorité réglementante exerce généralement ce pouvoir en rédigeant elle-même le texte du règlement requis. Celle-ci peut aussi décider d'utiliser dans le règlement le contenu d'un document qui existe déjà. Elle a alors le choix d'intégrer le contenu du document en le reproduisant intégralement dans le règlement ou en faisant simplement renvoi au titre du document dans le règlement. Dans ce dernier cas, le contenu du document est alors « incorporé par renvoi » au règlement. La conséquence juridique de l'incorporation par renvoi est que le libellé du document incorporé est intégré au règlement comme s'il y avait été reproduit intégralement. L'incorporation par renvoi d'un document existant n'est rien de plus qu'une technique de rédaction, et l'autorité réglementante peut utiliser cette technique sans y être autorisée par un pouvoir particulier. Ce type d'incorporation par renvoi est alors qualifié de « figé » ou « statique ». »

Le Comité mixte estimait cependant que pour que l'incorporation « dynamique », « évolutive » ou « ouverte » soit justifiée, la disposition habilitante devrait énoncer expressément le pouvoir d'y recourir, par exemple en précisant qu'il est possible de prendre des règlements incorporant par renvoi des documents « avec leurs modifications successives ».

Le Comité mixte expliquait également le principe étayant la distinction qu'il faisait entre l'incorporation « dynamique » et l'incorporation « figée » :

« [Les propos précédents] s'inspirent de la règle interdisant la subdélégation (souvent énoncée par la maxime latine delegatus non potest delegare : "le délégataire ne peut pas déléguer à son tour"), qui correspond au principe juridique selon lequel la personne à qui un pouvoir législatif a été délégué ne peut à son tour le déléguer à un tiers, sauf si la loi l'y autorise clairement. Dans le contexte des règlements, cela signifie que l'autorité — qu'il s'agisse du gouverneur en conseil, d'un ministre, d'un office, d'une commission ou d'un autre organisme — à qui la loi confère le pouvoir de prendre des règlements ne peut pas, en l'absence d'une habilitation claire, en déléguer l'exercice à une autre personne ou à un autre organisme. Cela vise à protéger le choix du législateur quant à la personne ou l'organisme qui exercera le pouvoir délégué. La position du Comité [mixte] a toujours été que l'incorporation par renvoi d'un document externe "avec ses modifications successives" dans un règlement équivaut à une subdélégation du pouvoir réglementaire, étant donné que ce sera l'organisme modifiant le document incorporé, et non le titulaire du pouvoir réglementaire, qui déterminera le contenu du règlement. »

Ce pouvoir d'effectuer une incorporation par renvoi dynamique peut découler d'une loi habilitante conférant expressément le pouvoir d'incorporer des documents « avec leurs modifications successives » ou par une formulation interprétée comme suffisamment large pour permettre l'incorporation par renvoi dynamique. En particulier, le Comité mixte note une distinction entre le pouvoir de faire le règlement « concernant » une question et le pouvoir de faire un règlement « prévoyant » ou « prescrivant » quelque chose :

« Si l'autorité réglementante se voit accorder le pouvoir de "prévoir" ou d'"établir" des normes de sécurité pour le transport des marchandises dangereuses, les modifications subséquentes apportées au document incorporé devront être intégrées au règlement qui y fait renvoi au moyen de la modification du règlement. En revanche, le pouvoir de prendre des règlements "concernant" les normes de sécurité applicables au transport des marchandises dangereuses est plus large, et un règlement prévoyant l'intégration des modifications subséquentes apportées au document incorporé par renvoi pourrait être considéré comme un règlement "concernant" de telles normes. »

Le Comité mixte a ajouté qu'un projet de loi présenté en 1995, applicable à la réglementation en général et non à des règlements découlant d'une loi en particulier, prévoyait clairement que « l'incorporation par renvoi peut viser le document soit dans sa version à une date donnée, soit avec ses modifications successives », mais que ce projet de loi ne s'est pas rendu au-delà de la première lecture.

Il est intéressant de noter que par rapport aux modifications proposées par le projet de loi S-12, le premier projet de loi omnibus du gouvernement Harper, le projet de loi C-38, a fait en sorte qu'il n'est dorénavant plus obligatoire de distribuer la Gazette du Canada en document imprimé. La Gazette du Canada est la publication dans laquelle tous les règlements doivent être publiés pour que les citoyens soient informés des règlements qu'ils doivent respecter. La publication n'est plus disponible qu'en format digital. Le projet de loi S-12 va encore plus loin en éliminant la responsabilité du gouvernement de publier, même en format digital, les règlements incorporés par renvoi dans une législation. Selon l'article 18.4 du projet de loi, il est entendu que les documents, indices, taux et nombres qui sont incorporés par renvoi dans un règlement « n'ont pas à être transmis pour enregistrement ni à être publiés dans la Gazette du Canada du seul fait de leur incorporation ». Ce qui veut dire que les différents aspects des règlements du gouvernement Harper seront de moins en moins connus de la population.

Le nouveau projet de loi affirme que toute incorporation par réglementation devra être rendue accessible au public. Cependant, on ne peut trouver aucune définition de cette accessibilité. Si cette définition dépend des mêmes autorités réglementaires à qui le projet de loi accorde une autorité de plus en plus centralisée sur la vie quotidienne des Canadiens, cela devient problématique puisque les définitions qu'elles mettront de l'avant seront conformes à l'objectif de centraliser le pouvoir décisionnel entre les mains d'un groupe de personnes toujours plus restreint.

Le paragraphe 18.1(4) élargit le sens de l'expression « autorité réglementaire ». Si c'est le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor qui est l'autorité réglementaire, celle-ci comprend alors :

- le ministre qui recommande la prise du règlement,

- le ministre responsable devant le Parlement de son exécution, tout organisme ou personne — autre que Statistique Canada ou un organisme de normalisation accrédité par le Conseil canadien des normes — dont l'un ou l'autre de ces ministres est responsable devant le Parlement.

Si un ministre est l'autorité réglementaire, celle-ci comprend alors « tout organisme ou personne — autre que Statistique Canada ou un organisme de normalisation accrédité par le Conseil canadien des normes — dont ce ministre est responsable devant le Parlement ».

L'article 18.2 prévoit que les pouvoirs « conférés » par l'article 18.1 « s'ajoutent à tout pouvoir d'incorporation par renvoi que confère la loi habilitante en cause et cet article ne limite pas ce pouvoir ». Il semble qu'il faille entendre ici que, lorsque des pouvoirs plus étroits sont conférés par une loi habilitante en matière d'incorporation par renvoi, l'article 18.1 les élargit et que, lorsqu'ils sont plus larges, il ne les limite pas.

Note

1. Keyes est un expert de ce qu'on appelle la législation exécutive et a témoigné devant le comité sénatorial ayant étudié le projet de loi. On le cite copieusement dans le résumé législatif officiel produit par les Services législatifs.

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Opposition au Sénat

Nous reproduisons des extraits des remarques du sénateur libéral Mac Harb lors du débat sur le projet de loi S-12, Loi sur l'incorporation par renvoi dans les règlements le 10 décembre, lors de la troisième lecture au Sénat. Le gouvernement a déposé le projet de loi d'abord au sénat et il est présentement en deuxième lecture à la Chambre des communes. Le sénateur Harb jette une lumière sur la méthode d'incorporation par renvoi et comment cela contredit la primauté du droit. On voit qu'il y a usurpation de l'autorité du parlement de réviser et d'approuver les règlements.

* * *

Le sénateur Terry Mercer (libéral) : Honorables sénateurs, la tradition ou la pratique veulent que tous les projets de loi présentés ici ou à l'autre endroit soient soumis à un comité interne qui détermine si la mesure proposée est bien conforme à la Constitution ; je crois que le comité en question se trouve au ministère de la Justice. Le sénateur sait-il si ce projet de loi a été soumis à cet examen ?

Le sénateur Mac Harb (libéral) : C'est une question intéressante. En fait, il faudrait se demander si cette étape devrait exister. Quand le Parlement autorise le gouvernement à faire une chose, la volonté du Parlement est suprême. Le Parlement pourrait retirer ce pouvoir. Comme nous le savons, dans notre système, un ministre se trouve pratiquement en situation de conflit d'intérêts quand il vote sur un projet de loi qui aura des incidences sur son gouvernement, sur la Couronne. Il participe à un vote qui lui donnera plus de pouvoir.

Comme les sénateurs ont pu le constater, la réponse à la question de savoir si le Parlement a un certain droit de regard sur ce que le gouvernement fait, la réponse est oui et non. Dans notre régime démocratique, le ministre joue tant le rôle de ministre que celui de député. À l'avenir, le Parlement ne pourra plus décider ce qui arrive concrètement après l'adoption d'un projet de loi ; il se contentera d'établir les grandes orientations et, en ce qui concerne les détails pratico-pratiques, il incombera alors au gouvernement, au ministre ou à ses agents, de prendre les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre le programme général.

Pour répondre à la question du sénateur, il s'agit, à mon avis, d'une initiative très peu judicieuse. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 1970 ont toujours adopté la même position, à savoir que le gouvernement ne devrait jamais avoir le droit absolu de prendre des règlements sans l'autorisation expresse du Parlement. Il ne faut pas l'oublier.

Le Parlement, tant le Sénat que la Chambre des communes, a estimé pendant de nombreuses années que le gouvernement agissait alors de façon illégale, mais le pouvoir exécutif a, un jour, dit au Parlement : « Pardon, mais c'est moi le patron, ici. Je veux que vous rendiez légal ce que vous estimiez être illégal par le passé. » Le pouvoir exécutif a ajouté : « Par conséquent, à compter d'aujourd'hui, vous ne pouvez plus dire que certaines règles outrepassent mes pouvoirs, car vous me les avez accordés. »

Remarquez, sénateurs, que nous pouvons retirer ces pouvoirs par la suite. C'est ce que prétend le gouvernement, mais comment le pourrions-nous ? Ce sera impossible tant que les ministres adopteront ces lois. Le problème, c'est qu'on ne peut pas vraiment accorder au Parlement les pouvoirs qui lui ont expressément été conférés par la Constitution.

Le sénateur Mercer : Honorables sénateurs, il me semble qu'on ne cesse d'entendre parler de gouvernement ouvert, transparent et responsable, mais que c'est tout le contraire qui se produit. De plus en plus, le pouvoir passe des deux Chambres qui se trouvent dans cet édifice à l'édifice Langevin, en face, qui abrite le cabinet du premier ministre et le Bureau du Conseil privé. Ai-je raison ?

Le sénateur Harb : C'est une pente glissante, j'en conviens. Par le passé, le gouvernement a déjà eu recours à cette technique à l'occasion. Nous lui avons dit d'arrêter mais, depuis 2006, date à laquelle le gouvernement actuel est arrivé au pouvoir, il a eu recours à cette tactique plus souvent que jamais, 170 fois, en fait, selon les statistiques. C'est beaucoup. Il faut se poser la question suivante : si nous tenons vraiment à déléguer, pourquoi ne pas établir des lignes directrices, comme l'a demandé ma collègue, le sénateur Fraser ? Pourquoi ne pas établir les conditions aux termes desquelles de telles modifications peuvent être faites et de quelle façon, en tant que Canadien assujetti à ces règles, je pourrais y avoir accès ? Comme ces règles ne paraîtront pas dans la Gazette du Canada, je ne pourrai pas savoir en quoi elles consistent. Que se passera-t-il si ces règles changent à l'occasion ? Quelle version devrai-je consulter ? Pire, qu'arrivera-t-il si quelqu'un fait référence à un document portant sur un accord commercial avec un autre pays ? Ces accords changent à l'occasion. Devrai-je prendre un avion pour Londres, Bruxelles, la Chine ou Dieu sait où afin de dénicher le bon document ? Comment s'assurer que tout est à jour ? Ce sont toutes là des questions fort importantes.

Par souci d'équité envers le ministère de la Justice, John Mark Keyes, premier conseiller législatif du ministère, a fait preuve d'une grande honnêteté. Voici ce qu'il a déclaré aux membres du comité : « C'est à vous de décider, de me dire ce que vous voulez faire. Une chose est certaine, le comité et le Parlement nous ont dit vouloir de la clarté. Ils ne veulent pas que nous fassions cela. » Toutefois, le gouvernement a maintenant décidé qu'il veut agir ainsi.

Je rappelle aux honorables sénateurs d'en face que, tôt ou tard, il y aura un changement de gouvernement. Ces mêmes sénateurs, qui font pression pour que le projet de loi soit adopté, diront peut-être : « Nous sommes désolés. Nous nous sommes trompés. » Voilà un élément important qu'il ne faut pas oublier quand nous parlons d'institutions démocratiques et de surveillance exercée par le Parlement. Nous devons exercer cette surveillance que la Constitution nous permet d'exercer. Il ne faut pas abdiquer cette responsabilité. Nous pouvons toutefois la déléguer. Bien entendu, nous pouvons déléguer tout ce que nous voulons dans les limites de la loi. Nous sommes en train de déléguer un pouvoir à l'exécutif, mais le devrions-nous ? La réponse est non. Alors, pourquoi le faisons-nous ?

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Positions des partis à la Chambre des communes

À titre d'information nous vous présentons des extraits des interventions du Parti conservateur, du NPD, du Parti libéral et du Parti vert lors du débat sur le projet de loi à la Chambre des communes le 13 février lors de la deuxième lecture. Ils montrent le danger de ce projet de loi pour le fonctionnement des institutions démocratiques du Canada.

* * *

Parti conservateur

Présentant la position du gouvernement, le député conservateur Robert Goguen est intervenu au nom du ministre de la Justice en disant: « [...] Le projet de loi S-12 vise à renforcer l'accès, par le gouvernement, à une technique de rédaction qui est essentielle pour que la réglementation soit moderne et pour qu'elle puisse être adaptée aux circonstances. Il reconnaît également les obligations en conséquence que les organismes de réglementation doivent assumer lorsqu'ils utilisent cet outil. Le projet de loi établit un équilibre important, qui tient compte de la réalité de la réglementation moderne, tout en veillant à ce que les mécanismes de protection appropriés soient inscrits dans la loi. Personne ne pourra se voir infliger une peine ou une sanction s'il lui était impossible d'avoir accès aux documents pertinents.

« Le projet de loi établira en toutes lettres le cadre juridique de l'utilisation de cette technique et confirmera la validité des règlements existants où des documents sont incorporés par renvoi, si tant est que ce cadre soit respecté. Tout indique que l'utilisation de cette technique sera essentielle à la mise en oeuvre d'initiatives de modernisation de la réglementation au Canada, en collaboration avec nos partenaires, soit les organismes de réglementation aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

« En terminant, je dirais que l'adoption de cette mesure législative est la prochaine étape logique et nécessaire pour assurer l'accès, de manière responsable, à l'incorporation par renvoi dans les règlements. J'invite tous les députés à appuyer ce projet de loi et à reconnaître le grand pas en avant qu'il nous permettra de réaliser. »

Nouveau Parti démocratique

Chris Charlton, députée néodémocrate de Hamilton Mountain, est co-présidente du Comité d'examen de la réglementation qui étudie tous les nouveaux règlements du parlement pour s'assurer qu'ils soient conformes à la loi. Selon elle, le comité s'inquiète depuis longtemps de l'incorporation par renvoi. Voici ce qu'elle a dit au nom du comité et au nom du NPD.

« Un élément transparaît toutefois dans une bonne partie de la couverture médiatique ces derniers temps: la tendance du premier ministre à faire obstacle au processus démocratique, laquelle représente une menace pour l'institution qu'est le Parlement. Le projet de loi S-12 n'en est qu'une preuve de plus. Son titre aride cache une mesure qui habilitera les gouvernements à procéder par voie réglementaire, sans l'autorisation expresse du Parlement. Sans vouloir être alarmiste, je dirais que le projet de loi portera atteinte à nos valeurs démocratiques. Il risque aussi de faire de citoyens honnêtes, des criminels. [...]

« Les Canadiens doivent pouvoir avoir l'assurance que les règlements qui les gouvernent ont été dûment autorisés par le Parlement. C'est pourquoi le Comité mixte permanent d'examen de la réglementation a adopté à l'unanimité, en 2007, un rapport dans lequel il demandait au gouvernement de cesser d'avoir recours à l'incorporation par renvoi sans la permission du Parlement.

« Le comité mixte était, et est encore, d'avis qu'en l'absence d'une délégation expresse de pouvoir ou d'indication claire du contraire dans la loi habilitante, l'incorporation par renvoi d'un document externe est justifiée seulement lorsque c'est la version à une date donnée du document qui est incorporée, par opposition à la version avec ses modifications successives. En fait, l'incorporation par renvoi d'un document externe avec ses modifications successives a été qualifiée d'erronée et d'illégale, parce que les règlements ainsi établis n'ont pas obtenu l'autorisation expresse du Parlement. Et le gouvernement le sait, ça.

« À l'autre endroit, la sénatrice conservatrice Linda Frum a souligné dans son intervention sur ce projet de loi que: « L'incorporation par renvoi est une technique de rédaction très utilisée de nos jours, mais ce projet de loi rendrait son recours légitime [...] ». Voilà des mots qui sont très importants: « [...] ce projet de loi rendrait son recours légitime [...] ». En utilisant ces mots, la sénatrice confirme que le gouvernement a agi illégalement chaque fois qu'il a utilisé cette technique sans autorisation explicite du Parlement. Ne nous faisons pas d'illusions; cela ne s'est pas produit une ou deux fois seulement.

« Depuis 2006, le conservateurs ont utilisé l'incorporation par renvoi dynamique à 170 reprises. Le projet de loi S-12 est essentiellement conçu pour donner au gouvernement une protection juridique a posteriori pour ses activités illégales passées et présentes. Dit autrement et de façon plus précise, l'article 18.7 proposé validerait rétroactivement un grand nombre de dispositions qui ont été incorporées sans autorisation légitime.

« Cela touche au coeur même de l'autorité du Parlement de déléguer ses pouvoirs et de choisir qui peut créer des règles en son nom. Il est ahurissant que tous les députés ne soient pas troublés par cette perspective. Cependant, il est presque certain que la discipline de parti, telle qu'elle la conçoit l'exécutif, fera en sorte que le projet de loi soit adopté sans amendement.

«Outre mes préoccupations liées à la répartition des pouvoirs qu'entraîne l'incorporation par renvoi dynamique, j'aimerais aussi aborder le problème de l'accessibilité. Si nul n'est censé ignorer la loi, encore faut-il que la loi soit accessible. Le problème que posent les incorporations par renvoi, c'est que le texte du document incorporé ne figure pas dans le règlement comme tel.

« À qui les Canadiens doivent-ils s'adresser pour connaître leurs droits et leurs obligations ? Les documents incorporés par renvoi peuvent être difficiles à comprendre ou à trouver. S'il s'agit de normes créées par des organismes privés, il peut même y avoir des frais associés à leur consultation. Dans le projet de loi, rien n'indique que les ministères sont tenus de rendre les documents disponibles, ni même de donner des renseignements sur l'endroit où les trouver. Si les documents incorporés par renvoi peuvent être modifiés par la suite, comment les citoyens peuvent-ils savoir qu'un changement est entré en vigueur ? Les versions antérieures des textes seront-elles toujours disponibles ? Enfin, que se passera-t-il quand on voudra incorporer par renvoi une loi, une norme ou un accord provenant d'un État, d'une province ou d'un organisme unilingue ? Le gouvernement se servira-t-il de cette échappatoire pour contourner la Loi sur les langues officielles ?

« Le paragraphe 18.3(1) proposé dans le projet de loi dit: « L'autorité réglementaire veille à ce que le document, l'indice, le taux ou le nombre incorporé par renvoi soit accessible. » Mais, qu'entend-on exactement par « accessible » ? Ces éléments seront-ils aussi facilement accessibles aux Autochtones et aux Canadiens des régions rurales ? Les gens devront-ils se déplacer pour se procurer le texte ou le trouvera-t-on uniquement sur Internet ? Ces façons de faire seraient-elles conformes à la définition de l'accessibilité?

« Ces questions m'amènent à penser qu'on laisserait aux tribunaux le soin de définir la notion d'accessibilité en ce qui concerne le matériel incorporé. Mais, la responsabilité de préciser ce terme ne devrait-elle pas nous incomber à nous, à titre de législateurs ? J'estime simplement que les citoyens ne devraient pas avoir à consacrer du temps et de l'argent à des procédures judiciaires pour connaître leurs droits et leurs obligations. Nous pouvons, et nous devons, certainement clarifier ce point ici même, à la Chambre.

« À ce stade-ci, je pense qu'il faille tout reprendre à zéro. J'éprouve néanmoins de sérieuses réserves au sujet du projet de loi S-12 et j'en ai exprimées un grand nombre durant le bref temps de parole qui m'est accordé ici aujourd'hui. Toutefois, en qualité de co-présidente du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, je sais qu'un grand nombre des questions que j'ai soulevées aujourd'hui préoccupent d'autres députés de tous les partis de la Chambre et que nous pourrions tenir compte de ces points de vue dans le cadre d'une étude plus approfondie de ce projet de loi au comité. »

Parti libéral

Parlant au nom du Parti libéral, le député Massimo Pacetti a fait échos aux inquiétudes soulevées par le sénateur Harb durant le débat au Sénat. Il a dit: « [...] Avec la mondialisation et l'environnement dans lequel nous vivons aujourd'hui, la réglementation devient de plus en plus complexe. Par exemple, nous devons nous plier à des normes internationales, tant pour des raisons commerciales que de sécurité. Cette réalité se reflète dans la réglementation canadienne. Afin de simplifier la rédaction de celle-ci, les autorités réglementaires ont de plus en plus recours à l'incorporation par renvoi. [...]

« Selon les analystes du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, la Constitution canadienne ne permet pas la subdélégation du pouvoir de prendre un règlement. Lorsque le Parlement délègue, par exemple, à un ministère un pouvoir de réglementer, celui-ci ne devrait pas déléguer à nouveau ce pouvoir à une autre entité en ayant recours à une incorporation par renvoi ouvert. [...]

« Nous croyons que le Parlement, qui représente l'ensemble des Canadiens, ne peut accepter une subdélégation du pouvoir de réglementer telle que permise par le projet de loi S-12, à moins qu'il l'ait expressément autorisée lors de la délégation de ce pouvoir de réglementer par une loi habilitante. »

Parti vert

Elizabeth May est intervenue au nom du Parti vert. Elle a dit:

« Je suis heureuse de prendre part au débat sur le projet de loi S-12. Je remercie le député de Toronto—Danforth et je tiens à souligner, dans un esprit tout à fait non partisan puisqu'il n'est pas membre de mon parti, que nous avons beaucoup de chance de compter parmi nous quelqu'un de son calibre, qui a déjà enseigné dans des facultés de droit et peut présenter à la Chambre une analyse de cette question, qui peut sembler très aride, mais qui est en fait directement liée aux dangereux changements touchant la démocratie parlementaire fondée sur le modèle de Westminster. Dans cette enceinte, on constate que de plus en plus de pouvoirs sont concentrés entre les mains du Cabinet du premier ministre et qu'on fait de moins en moins preuve de respect à l'égard de l'institution qu'est le Parlement et à l'égard des organismes chargés de prendre des règlements. Ce projet de loi représente une menace, car il devient de plus en plus difficile de savoir si des règlements sont pris.

« Un autre aspect me préoccupe également. Nous avons accepté des changements à la réglementation relative aux médicaments dans le projet de loi C-38, lequel prévoyait que les médicaments n'allaient désormais plus être ajoutés par voie de règlement, mais pourraient simplement être ajoutés à une liste établie par Santé Canada, sans qu'il soit nécessaire de publier le tout dans la Gazette du Canada ou de l'inscrire dans un règlement ordinaire. Nous devons protéger certains des aspects les plus ennuyeux de notre pouvoir de législateur afin de protéger les droits des Canadiens. »

Bloc québécois

Le Bloc québécois n'est pas intervenu lors de la deuxième lecture du projet de loi.

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Projet de loi émanent d'un député

La proposition de dépouiller des Canadiens
de leur citoyenneté soulève des inquiétudes
concernant les droits civils

Les reportages au début d'avril au sujet de Canadiens qu'on présume impliqués dans l'attaque contre un site gazier en Algérie ont amené de l'eau au moulin du gouvernement qui cherche depuis un certain temps à limiter l'accès aux droits de citoyenneté.

Au centre de cette tentative de créer une citoyenneté à deux paliers se trouve un projet de loi d'abord déposé par le député conservateur de Calgary Devinder Shory qui propose de réduire d'un an la durée de résidence au Canada requise pour obtenir la citoyenneté canadienne pour les résidents permanents qui sont membres des forces armées. Cette partie du projet de loi C-425 a fait l'objet de très peu d'objection dans une grande mesure parce qu'elle n'affecte pratiquement personne : la citoyenneté est requise pour être membre de l'armée canadienne sauf dans de très rares circonstances. Ce qui inquiète davantage, c'est que ce projet de loi en apparence anodin pourrait ouvrir une porte de derrière à des mesures plus insidieuses permettant de dépouiller certaines catégories de personnes de leur citoyenneté canadienne.

Le projet de loi C-425, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (valorisation des Forces armées canadiennes), stipule : « Le citoyen canadien qui possède une nationalité étrangère ou qui est un résident autorisé d'un pays étranger est réputé avoir demandé à répudier sa citoyenneté canadienne s'il commet un acte de guerre contre les Forces armées canadiennes. » Une disposition semblable s'applique aux résidents non permanents. Contrairement aux projets de loi du gouvernement, les projets de loi émanant d'un député ne sont pas révisés par le ministre de la Justice pour s'assurer qu'ils respectent la Charte des droits et libertés.

Puisqu'il ne définit pas les termes comme « résident autorisé » et « acte de guerre » et ne précise pas de procédés permettant d'établir ces définitions, les critiques craignent qu'il serve à cibler certaines communautés en fonction de l'origine raciale, de l'appartenance religieuse ou des convictions politiques, un peu comme les Canadiens musulmans ont fait l'objet de l'attention des forces de sécurité au cours des deux dernières décennies dans une mesure disproportionnée.

En effet, comme le député libéral Irwin Cotler l'a fait remarquer à la Chambre des communes, la loi C-425 « suscite des préoccupations sérieuses sur le plan constitutionnel, notamment en raison des garanties offertes par les articles 6, 7 et 15 de la Charte, particulièrement en ce qui concerne l'origine nationale ou ethnique, voire la nationalité, reconnue comme une considération analogue ».

Le projet de loi C-425 qui est présentement à l'étude par le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration sera sans doute amendé pour inclure une référence à des actes de terrorisme à la demande du ministre de l'Immigration Jason Kenney. Mais c'est le manque de précision des termes qui inquiète particulièrement les députés de l'opposition et les défenseurs des droits civils, surtout à la lumière des nombreux cas de réfugiés, résidents permanents et citoyens canadiens qui ont été ciblés, interrogés, harcelés, détenus et parfois torturés à cause de la trop vague interprétation du gouvernement de ce qu'est une menace à la sécurité nationale.

Abdullah Almalki d'Ottawa, qui était interviewé à l'émission The Current du réseau CBC plus tôt cette année, se demande s'il n'aurait pas perdu sa citoyenneté si le projet de loi C-425 avait été en vigueur quand il a été détenu en Syrie, torturé à cause de fausses informations provenant des agences canadiennes du renseignement. La possibilité de pouvoir dépouiller des Canadiens de leur citoyenneté et de leur interdire de revenir au Canada, dit-il, est très pratique pour le gouvernement car non seulement peut-il priver un Canadien de ses droits devant la justice, il peut aussi éviter l'attention, l'embarras, le scandale, au pays et à l'échelle internationale, pour sa complicité dans l'identification à tort de Canadiens comme terroristes et leur torture par un autre État. »

Maître Barbara Jackman, qui a plaidé dans de nombreuses causes relatives aux questions de sécurité, s'inquiète aussi que ce projet de loi, s'il est adopté, soit utilisé contre des gens comme ses clients, dont beaucoup ont été qualifiés de terroristes du simple fait qu'ils défendent les droits humains et s'opposent à la tyrannie de gouvernements étrangers. Parlant au réseau CBC récemment, rappelant un projet loi qui se proposait de dépouiller des gens de leur citoyenneté en 2010 et qui est resté sur les tablettes, a fait remarquer que si les mêmes critères de détermination de ce qu'est un « motif raisonnable étaient appliqués au projet de loi C-425, « nous aurions dans la loi sur la citoyenneté ce que nous avons dans la loi sur l'immigration, un seuil très bas d'admissibilité. Si vous avez 20 % des chances de croire que quelqu'un a fait quelque chose, vous pouvez lui enlever son statut de résident permanent. Maintenant vous pourrez lui enlever sa citoyenneté. Cela fait peur. »

Muslimlink n'a pu rejoindre le député Shory pour lui poser la question, mais il a tout de même affirmé devant le comité permanent que « la citoyenneté canadienne est un privilège. Une personne qui dénigre les valeurs canadiennes, qui attaque ceux qui protègent les valeurs canadiennes, ne devrait pas avoir le droit de se dire citoyen canadien. » Il a dit qu'un de ses motifs pour présenter ce projet de loi est que lorsqu'il est arrivé au Canada dans les années 1980 « très souvent on pouvait quitter la maison sans verrouiller les portes. Aujourd'hui nous activons le système d'alarme quand nous dormons dans la maison. »

Mais l'imprécision de ses propos inquiète certains parlementaires. Comme le fait remarquer le député libéral de Winnipeg Kevin Lamoureux, la définition de loyal envers le Canada peut être étirée. « Si vous avez un citoyen du Canada en Afghanistan qui crie des injures ou lance des pierres aux forces armées canadiennes, est-ce un acte de déloyauté ? »

Interrogé par des députés sur son idée de citoyenneté à deux paliers, M. Shory a confirmé qu'avec son projet de loi, même si une personne est née au Canada, qu'elle a la double citoyenneté (souvent un fait de la naissance et non un choix), elle pourrait aussi perdre sa citoyenneté canadienne.

Jason Kenney a semblé plus direct. Il a dit qu'il aurait aimé que le projet de loi s'applique à tous les ressortissants canadiens, « mais on me dit que, sur le plan juridique, nous ne le pouvons pas ». En effet, cela irait à l'encontre de la Convention de l'ONU sur la réduction des cas d'apatride.

M. Kenney est aussi candide en ce qui concerne la procédure légale. « Nous ne devons pas être trop stricts ou légalistes quand il s'agit du processus de renonciation à la citoyenneté. Si une personne décide de son plein gré de demander la citoyenneté d'un pays en guerre avec le Canada, par exemple, et qu'elle commet un acte de guerre contre notre pays, nous ne devons pas être strictement légalistes au point d'attendre patiemment qu'elle signe un formulaire de répudiation de la citoyenneté. Nous devons voir dans ses actes une répudiation de sa loyauté envers le Canada et, donc, de sa citoyenneté. Ce sont là les prémisses. »

Étant donné que des Canadiens musulmans ayant une double citoyenneté ont été décrits à tort comme une menace imminente à la sécurité nationale et détenus sans raison comme personne soupçonnée de terrorisme dans un autre pays, les critiques font remarquer que puisque le Canada se considère généralement en guerre (contre le terrorisme), ceux qui sont ainsi étiquetés à tort pourraient être vus comme des personnes ayant fait un acte de répudiation.

M. Kenney dit qu'il ne voit pas « pourquoi cette disposition toucherait plus de 10 personnes », mais c'est près de trois millions de Canadiens qui pourraient en craindre les répercussions, dont bon nombre qui ont la double citoyenneté, qui vivent à l'étranger pendant des périodes prolongées chaque année. Beaucoup pourraient mal interpréter ce que veut dire exprimer des points de vue controversés ou participer à des activités pouvant être perçues comme « suspectes ».

Le député néodémocrate Don Davies fait remarquer qu'on n'a pas invoqué des lois comme celle-là pour accélérer le traitement des demandes de résidence permanente de médecins et infirmières et que, mise à part les clauses sur la répudiation de la citoyenneté, tout ce discours sur un projet de loi qui risquerait de toucher seulement quelques individus par année détourne l'attention des coupures qui sont faites dans les services d'immigration au pays et à l'étranger tandis que plus de 300 000 individus attendent de 3 à 5 ans pour obtenir la citoyenneté.

Et si la chose n'a pas été dite explicitement, les récentes déclarations du gouvernement sur la possibilité d'empêcher des Canadiens « radicalisés » de voyager à l'étranger soulèvent des questions. Cela comprendra-t-il la saisie de passeport, par exemple, une pratique courante aux États-Unis durant la Guerre froide pour les personnes soupçonnées d'avoir des sympathies de gauche ?

Ce qui est clair, par contre, c'est que les communautés qui ont déjà été ciblées risquent d'en subir davantage. Lorsqu'on lui a demandé récemment en commission parlementaire si c'est tout le monde qui serait visé par ces définitions de menace à la sécurité nationale, le directeur adjoint du renseignement du SCRS Michael Peirce a répondu : « On ne voit pas beaucoup de PDG qui se radicalisent. »

(Publié dans homesnotbombs.blogspot.ca. Traduction : LML)

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