Numéro 66 - 23
avril
2013
Une autre dangereuse loi
présentée au parlement canadien
Le gouvernement Harper veut
changer
la façon de faire la réglementation
«Harper: vous êtes une menace à
la
sécurité ! Vos coupures dans la
règlementation
environnementale,
les droits des femmes, la lutte contre le
changement climatique, les
programmes d'emploi, etc.
nous mettent tous en danger !!»
Une
autre
dangereuse loi présentée au
parlement canadien
• Le gouvernement Harper
veut changer la
façon de faire la réglementation
• Résumé
législatif de
l'incorporation par renvoi dans la loi sur les
textes
réglementaires
• Opposition au
Sénat
• Positions des partis
à la Chambre des
communes
Projet de loi
émanent d'un député
• La proposition de
dépouiller des
Canadiens de leur citoyenneté
soulève des
inquiétudes concernant les droits civils
- Matthews
Behrens
Une autre dangereuse loi
présentée au parlement canadien
Le gouvernement Harper veut changer
la façon de faire la réglementation
Le 13 février, la deuxième
lecture du
projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi sur
les textes
réglementaires et le Règlement sur
les textes
réglementaires en conséquence,
a
débuté à la Chambre des
communes. Le titre
abrégé est : Loi sur
l'incorporation par renvoi
dans les
règlements.
Le projet de loi S-12 amende la Loi sur
les
textes réglementaires qui
établit les
formalités associées à la
procédure
d'élaboration des
règlements. Selon le résumé
du projet de loi,
celui-ci amende la Loi sur les textes
réglementaires
de la façon suivante :
- il prévoit une habilitation expresse
permettant
l'incorporation par renvoi dans les
règlements ;
- il impose aux autorités
réglementaires
l'obligation de veiller à ce que les
documents, indices, taux ou
nombres incorporés par renvoi soient
accessibles ;
- il prévoit qu'une déclaration de
culpabilité ou une sanction administrative
ne peut
découler d'une contravention se rapportant
à tout
document, indice, taux
ou nombre incorporé par renvoi que si les
exigences en
matière d'accessibilité sont
respectées.
Il permettrait la délégation et la
« sous-délégation »
de pouvoirs du
parlement de créer et de réviser des
règlements
à d'autres institutions et
même à d'autres pays. Il étend
à
plus de représentants du gouvernement le
pouvoir de
déléguer et de
sous-déléguer ces pouvoirs
au nom de la dictature
Harper.
Qui peut créer la réglementation,
comment
et dans quel intérêt, tout cela a
à voir avec la
souveraineté du pays et la primauté
du droit. C'est ce
qui permet
d'éviter un état d'anarchie dans
lequel les pouvoirs
policiers du premier ministre et des autres
ministres sont
utilisés pour défendre le droit de
monopole plutôt
que de garantir le droit public. La façon
dont la
réglementation est faite nous dit s'il
existe ou non une
primauté du droit, ou si l'anarchie a
été
élevée au niveau
de l'autorité comme on le voit sous les
gouvernements
néolibéraux, comme celui que nous
avons au Canada sous la dictature de Stephen
Harper.
Le gouvernement Harper a déjà
démontré comment il veut
interpréter les
règlements quand il a
unilatéralement aboli la Commission
canadienne du blé,
sans passer par un plébiscite comme le
prévoyait la loi.
Après avoir promis en campagne
électorale de ne pas faire
de changement sans un plébiscite, les
conservateurs ont déclaré que les
règlements
exigeant un plébiscite ne s'appliquaient
pas à
l'existence de la commission du blé comme
telle.
Ce gouvernement se sert de sa majorité au
parlement pour adopter des lois omnibus et imposer
des limites de temps
pour le débat en chambre sur des textes
de loi massifs, contenant des amendements à
des dizaines de loi,
touchant des centaines de clauses et modifiant la
façon dont le
pouvoir est exercé. C'est la
méthode qu'il utilise pour restreindre le
débat et la
discussion sur la direction dans laquelle le
gouvernement Harper
entraîne le Canada.
Dans le cas du projet de loi omnibus sur la
criminalité, il a fait adopter des
changements qui
éliminent le pouvoir discrétionnaire
des juges de tenir
compte
des circonstances de l'accusé ou dans
lesquelles l'acte a
été commis. Cela veut dire que le
juge doit s'appuyer sur
la stricte légalité d'un cas
plutôt, sans que
justice
ne soit nécessairement servie. En imposant
des peines minimales
obligatoires pour plusieurs actes, c'est la cause
de la justice qui est
sacrifiée. Il étend l'utilisation
et la portée des pouvoirs arbitraires de
l'exécutif alors
qu'il élimine ou limite la
possibilité pour les
professionnels d'exercer leur discrétion
pour voir à ce
que
justice soit servie. Cette mesure ne peut avoir
qu'un motif et c'est de
s'assurer qu'aucune autre autorité ne
gêne l'exercice de
ses pouvoirs pour le compte des
monopoles. Il s'agit de l'exercice de pouvoirs
dictatoriaux qui non
seulement sapent la primauté du droit mais
l'éliminent.
Maintenant, le gouvernement Harper veut se servir
de sa
majorité pour faire adopter des lois qui
laissent l'application
des lois à la discrétion des
ministres.
Un critère de base pour déterminer
si un
pays est démocratique est que les citoyens
doivent pouvoir
connaître la façon dont le
système fonctionne et
doivent
percevoir qu'ils ont réellement leur mot
à dire sur le
choix de ce système. La
réglementation est le
mécanisme par lequel les lois sont
appliquées en
pratique.
Elle est un aspect central de toute
société car c'est
elle qui détermine les règles et les
normes que doivent
respecter les membres de la société.
La
réglementation
établit les normes régissant tous
les aspects de la vie
en société suivant les
paramètres
énoncés dans les lois
adoptées par une instance
législative. La grosseur
des boîtes de soupe, l'accessibilité
aux prestations
d'assurance-emploi, l'approbation des projets
d'extraction des
ressources, les limites de vitesse sur les routes,
les critères d'admissibilité au
statut de
réfugié et de citoyenneté, la
façon dont se
fait le commerce avec d'autres pays — tout cela
est régi par des
règlements
basés sur des lois adoptées par des
gouvernements.
La violation des règlements signifie la
violation
de la primauté du droit et entraîne
des
pénalités, des amendes et des
peines. Il est donc
évident que la
réglementation doit être
établie de façon
cohérente, systématique et
démocratique dans
l'intérêt de ceux qui vivent sous son
règne pour
être considérée comme
légitime. Si des lois sont adoptées
qui ne limitent pas
le pouvoir de réglementation de
façon à ce qu'il
soit redevable envers l'autorité publique
et si la
réglementation ne se limite pas à
faire respecter le
droit public, alors on ne peut pas dire qu'il y a
primauté du
droit. L'arbitraire prend le dessus, l'anarchie
est
érigée en autorité. Cela
ouvre la porte à
un règne de terreur d'État où
l'État
crée des prétextes pour se servir de
ses pouvoirs de
coercition d'une manière qui
porte atteinte aux droits humains, qui favorise
des
intérêts privés et des
États
étrangers aux dépens de
l'intérêt public,
sans aucune forme de responsabilité envers
le peuple, sans parler de responsabilité
envers les institutions
démocratiques de la société.
Ce que fait le gouvernement actuel sur la
question de la
réglementation mérite une attention
sérieuse de la
part de la classe ouvrière et de ses
alliés. Cela
concerne les pouvoirs discrétionnaires
appartenant aux
fonctionnaires et agences gouvernementales suivant
leur mandat
spécifique au service du droit public.
Quand il s'agit de l'interprétation et de
l'application des
lois, si la loi repose sur la défense du
bien public, c'est une
chose, mais si elle repose sur les
intérêts
des monopoles et leur désir
d'impunité, c'en est une
autre. Qui décide et qui contrôle le
processus
décisionnel est crucial. Les
décisions autorisant la
torture
comme celles des administrations Bush et Obama aux
États-Unis
sont prises par décret exécutif suivant
la
réglementation établie !
Quand
la réglementation ne défend plus le
citoyen ou le
résident mais viole ses droits, la
société a un
sérieux problème sur les bras.
Dans le débat sur cette question à
la
Chambre des communes, certains
députés choisissent
délibérément de fermer les
yeux, comme le critique
du NPD en
la matière pour qui tout se résume
à savoir si la
réglementation sera traduite en
français ou pas.
Dans ce numéro du Marxiste-Léniniste
nous reproduisons des articles pertinents sur la Loi
sur
l'incorporation par renvoi dans les
règlements.
Résumé législatif de
l'incorporation par renvoi
dans la loi sur les textes réglementaires
Le projet de loi S-12, Loi modifiant la Loi
sur les
textes réglementaires et le
Règlement sur les textes
réglementaires en conséquence,
donne
au gouvernement le pouvoir exprès
d'incorporer dans la loi des
éléments de règlement
auxquels la loi fait
référence. L'incorporation par
renvoi, telle qu'elle est
expliquée par John Mark Keyes, conseiller
législatif en
chef du ministère de la Justice du Canada
et directeur des
Services législatifs, est « une
technique
de rédaction par laquelle un texte
législatif [...]
inclut des éléments (texte,
renseignements ou concepts)
énoncés ailleurs. Ces
éléments sont inclus
sans être
reproduits dans le texte
législatif. »[1]
À titre d'exemple, un texte
législatif
peut incorporer par renvoi une de ses propres
dispositions, des
dispositions tirées d'un autre texte
législatif
adopté par
le même législateur, des textes
législatifs
d'autres législateurs ou, encore, des
textes non
législatifs comme des normes techniques ou
des accords
internationaux.
L'incorporation
« statique » ou
« figée » renvoie au
document tel qu'il
existe à ce moment-là. Selon Keyes,
« lorsque
l'incorporation est statique, les modifications
apportées au
contenu (y compris son abrogation) après
son incorporation ne
changent rien au fonctionnement de
la loi l'incorporant. Celle-ci continue
d'incorporer la version
originale du contenu, quelles que soient les
modifications
ultérieures ». Autrement dit, il
faudra modifier le texte réglementaire pour
y incorporer les
modifications apportées au document
incorporé.
Par contre, l'incorporation dite
« dynamique »,
« évolutive », ou
« ouverte » permet
d'incorporer automatiquement
les
modifications apportées
ultérieurement au document
incorporé.
Keyes fait également remarquer que
l'incorporation par renvoi peut faciliter
l'harmonisation :
« C'est particulièrement
important lorsqu'il y a
lieu d'harmoniser des textes législatifs
interjuridictionnels,
par exemple pour faciliter des opérations
ou activités
transfrontalières. »
En 2007, le Comité mixte permanent
d'examen de la
réglementation a déposé un
rapport dans lequel il
exprimait son point de vue sur certaines questions
concernant le principe de l'incorporation par
renvoi. Le rapport
commence par une explication de ce principe :
« Lorsque le Parlement confère
un
pouvoir réglementaire, l'autorité
réglementante
exerce généralement ce pouvoir en
rédigeant
elle-même le texte
du règlement requis. Celle-ci peut aussi
décider
d'utiliser dans le règlement le contenu
d'un document qui existe
déjà. Elle a alors le choix
d'intégrer le contenu
du document en le reproduisant
intégralement dans le
règlement ou en faisant simplement renvoi
au titre du document
dans le règlement. Dans ce dernier cas,
le contenu du document est alors
« incorporé par
renvoi » au règlement. La
conséquence
juridique de l'incorporation par renvoi est que le
libellé
du document incorporé est
intégré au
règlement comme s'il y avait
été reproduit
intégralement. L'incorporation par renvoi
d'un document existant
n'est rien de
plus qu'une technique de rédaction, et
l'autorité
réglementante peut utiliser cette technique
sans y être
autorisée par un pouvoir particulier. Ce
type d'incorporation
par renvoi est alors qualifié de
« figé » ou
« statique ». »
Le Comité mixte estimait cependant que
pour que
l'incorporation
« dynamique »,
« évolutive » ou
« ouverte » soit
justifiée, la disposition habilitante
devrait énoncer
expressément le pouvoir d'y recourir, par
exemple en
précisant qu'il est possible de prendre des
règlements
incorporant par renvoi des documents
« avec leurs
modifications successives ».
Le Comité mixte expliquait
également le
principe étayant la distinction qu'il
faisait entre
l'incorporation
« dynamique » et
l'incorporation
« figée » :
« [Les propos
précédents]
s'inspirent de la règle interdisant la
subdélégation (souvent
énoncée par la
maxime latine delegatus non potest
delegare : "le
délégataire ne peut pas
déléguer à son tour"), qui
correspond au principe
juridique selon lequel la personne à qui un
pouvoir
législatif
a été délégué
ne peut à son
tour le déléguer à un tiers,
sauf si la loi l'y
autorise clairement. Dans le contexte des
règlements, cela
signifie que l'autorité — qu'il
s'agisse du gouverneur en conseil, d'un ministre,
d'un office, d'une
commission ou d'un autre organisme — à qui
la loi confère
le pouvoir de prendre des
règlements ne peut pas, en l'absence d'une
habilitation claire,
en déléguer l'exercice à une
autre personne ou
à un autre organisme. Cela vise à
protéger le
choix
du législateur quant à la personne
ou l'organisme qui
exercera le pouvoir délégué.
La position du
Comité [mixte] a toujours été
que l'incorporation
par renvoi
d'un document externe "avec ses modifications
successives" dans un
règlement équivaut à une
subdélégation du pouvoir
réglementaire,
étant donné que ce sera
l'organisme modifiant le document
incorporé, et non le titulaire
du pouvoir réglementaire, qui
déterminera le contenu du
règlement. »
Ce pouvoir d'effectuer une incorporation par
renvoi
dynamique peut découler d'une loi
habilitante conférant
expressément le pouvoir d'incorporer des
documents « avec leurs modifications
successives » ou par une formulation
interprétée comme suffisamment large
pour permettre
l'incorporation
par renvoi dynamique. En particulier, le
Comité mixte note une
distinction entre le pouvoir de faire le
règlement
« concernant » une question
et
le pouvoir de faire un règlement
« prévoyant » ou
« prescrivant » quelque
chose :
« Si l'autorité
réglementante
se voit accorder le pouvoir de "prévoir" ou
d'"établir"
des normes de sécurité pour le
transport des marchandises
dangereuses, les modifications subséquentes
apportées au
document incorporé devront être
intégrées au
règlement qui y fait renvoi au moyen de la
modification
du règlement. En revanche, le pouvoir de
prendre des
règlements "concernant" les normes de
sécurité
applicables au transport des marchandises
dangereuses
est plus large, et un règlement
prévoyant
l'intégration des modifications
subséquentes
apportées au document incorporé par
renvoi pourrait
être considéré comme
un règlement "concernant" de telles
normes. »
Le Comité mixte a ajouté qu'un
projet de
loi présenté en 1995, applicable
à la
réglementation en général et
non à des
règlements découlant d'une loi en
particulier, prévoyait clairement que
« l'incorporation par renvoi peut viser
le document soit
dans sa version à une date donnée,
soit avec ses
modifications
successives », mais que ce projet de
loi ne s'est pas rendu
au-delà de la première lecture.
Il est intéressant de noter que par
rapport aux
modifications proposées par le projet de
loi S-12, le
premier projet de loi omnibus du gouvernement
Harper, le projet de loi C-38, a fait en sorte
qu'il n'est
dorénavant plus obligatoire de distribuer
la Gazette du
Canada en document imprimé. La Gazette
du Canada
est la publication dans laquelle
tous les règlements doivent être
publiés pour que
les citoyens soient informés des
règlements
qu'ils doivent respecter. La publication n'est
plus disponible qu'en
format digital. Le projet de loi S-12 va
encore plus loin en
éliminant la responsabilité
du gouvernement de publier, même en format
digital, les
règlements incorporés par renvoi
dans une
législation. Selon l'article 18.4 du
projet de loi, il
est entendu que les documents, indices, taux et
nombres qui sont
incorporés par renvoi dans un
règlement
« n'ont pas à être
transmis pour enregistrement
ni à être publiés dans la Gazette
du Canada
du seul fait de leur incorporation ».
Ce qui veut dire que
les différents aspects des
règlements
du gouvernement Harper seront de moins en moins
connus de la population.
Le nouveau projet de loi affirme que toute
incorporation
par réglementation devra être rendue
accessible au public.
Cependant, on ne peut trouver aucune
définition de cette accessibilité.
Si cette
définition dépend des mêmes
autorités
réglementaires à qui le projet de
loi accorde une
autorité de plus en plus
centralisée sur la vie quotidienne des
Canadiens, cela devient
problématique puisque les
définitions qu'elles mettront
de l'avant seront conformes à l'objectif
de centraliser le pouvoir décisionnel entre
les mains d'un
groupe de personnes toujours plus restreint.
Le paragraphe 18.1(4) élargit le sens de
l'expression « autorité
réglementaire ». Si c'est le
gouverneur en conseil ou
le Conseil du Trésor qui
est l'autorité réglementaire,
celle-ci comprend
alors :
- le ministre qui recommande la prise du
règlement,
- le ministre responsable devant le Parlement de
son
exécution, tout organisme ou personne —
autre que Statistique
Canada ou un organisme de normalisation
accrédité par le Conseil canadien
des normes — dont l'un
ou l'autre de ces ministres est responsable devant
le Parlement.
Si un ministre est l'autorité
réglementaire, celle-ci comprend alors
« tout
organisme ou personne — autre que Statistique
Canada ou un organisme de
normalisation accrédité par le
Conseil canadien des
normes — dont ce ministre est responsable devant
le
Parlement ».
L'article 18.2 prévoit que les
pouvoirs
« conférés »
par l'article
18.1 « s'ajoutent à tout
pouvoir d'incorporation
par renvoi
que confère la loi habilitante en cause et
cet article ne limite
pas ce pouvoir ». Il semble qu'il
faille entendre ici que,
lorsque des pouvoirs plus étroits
sont conférés par une loi
habilitante en matière
d'incorporation par renvoi, l'article
18.1 les élargit et
que, lorsqu'ils sont plus larges, il ne les limite
pas.
Note
1. Keyes est un expert de ce qu'on appelle
la
législation exécutive et a
témoigné devant
le comité sénatorial ayant
étudié le projet
de
loi. On le cite copieusement dans le
résumé
législatif officiel produit par les
Services législatifs.
Opposition au Sénat
Nous reproduisons des extraits des remarques du
sénateur libéral Mac Harb lors du
débat sur le
projet de loi S-12, Loi sur l'incorporation
par renvoi
dans les règlements le 10
décembre, lors de la
troisième lecture au Sénat. Le
gouvernement a
déposé le projet de loi d'abord au
sénat et il est
présentement
en deuxième lecture à la Chambre des
communes. Le
sénateur Harb jette une lumière sur
la méthode
d'incorporation par renvoi et comment cela
contredit la
primauté du droit. On voit qu'il y a
usurpation de
l'autorité du parlement de réviser
et d'approuver les
règlements.
* * *
Le sénateur Terry Mercer
(libéral) :
Honorables
sénateurs, la tradition ou la pratique
veulent que
tous les projets de loi présentés
ici ou à l'autre endroit soient soumis
à un comité
interne qui détermine si la mesure
proposée est bien
conforme à la Constitution ; je crois
que le comité
en question se trouve au ministère de la
Justice. Le
sénateur sait-il si ce projet de loi a
été soumis
à cet examen ?
Le sénateur Mac Harb
(libéral) :
C'est
une question intéressante. En fait, il
faudrait se
demander si cette étape devrait exister.
Quand le Parlement autorise le gouvernement
à faire une chose,
la volonté du Parlement est suprême.
Le Parlement pourrait
retirer ce pouvoir. Comme nous
le savons, dans notre système, un ministre
se trouve
pratiquement en situation de conflit
d'intérêts quand il
vote sur un projet de loi qui aura des incidences
sur son gouvernement, sur la Couronne. Il
participe à un vote
qui lui donnera plus de pouvoir.
Comme les sénateurs ont pu le constater,
la
réponse à la question de savoir si
le Parlement a un
certain droit de regard sur ce que le gouvernement
fait,
la réponse est oui et non. Dans notre
régime
démocratique, le ministre joue tant le
rôle de ministre
que celui de député. À
l'avenir, le Parlement ne
pourra plus
décider ce qui arrive concrètement
après
l'adoption d'un projet de loi ; il se
contentera d'établir
les grandes orientations et, en ce qui concerne
les détails
pratico-pratiques, il incombera alors au
gouvernement, au ministre ou
à ses agents, de prendre les mesures
nécessaires pour
mettre en oeuvre le programme
général.
Pour répondre à la question du
sénateur, il s'agit, à mon avis,
d'une initiative
très peu judicieuse. Les gouvernements qui
se sont
succédé depuis 1970 ont
toujours adopté la même position,
à savoir que le
gouvernement ne devrait jamais avoir le droit
absolu de prendre des
règlements sans l'autorisation expresse
du Parlement. Il ne faut pas l'oublier.
Le Parlement, tant le Sénat que la Chambre
des
communes, a estimé pendant de nombreuses
années que le
gouvernement agissait alors de façon
illégale,
mais le pouvoir exécutif a, un jour, dit au
Parlement :
« Pardon, mais c'est moi le patron,
ici. Je veux que vous
rendiez légal ce que vous estimiez
être illégal par le
passé. » Le pouvoir
exécutif a ajouté :
« Par
conséquent, à compter d'aujourd'hui,
vous ne pouvez plus
dire que certaines
règles outrepassent mes pouvoirs, car vous
me les avez
accordés. »
Remarquez, sénateurs, que nous pouvons
retirer
ces pouvoirs par la suite. C'est ce que
prétend le gouvernement,
mais comment le pourrions-nous ?
Ce sera impossible tant que les ministres
adopteront ces lois. Le
problème, c'est qu'on ne peut pas vraiment
accorder au Parlement
les pouvoirs qui lui ont
expressément été
conférés par la
Constitution.
Le sénateur Mercer :
Honorables sénateurs, il me semble qu'on ne
cesse d'entendre
parler de gouvernement ouvert, transparent
et responsable, mais que c'est tout le contraire
qui se produit. De
plus en plus, le pouvoir passe des deux Chambres
qui se trouvent dans
cet édifice à l'édifice
Langevin, en face, qui abrite le cabinet du
premier ministre et le
Bureau du Conseil privé. Ai-je
raison ?
Le sénateur Harb :
C'est une
pente glissante, j'en conviens. Par le
passé, le gouvernement a
déjà eu recours à cette
technique
à l'occasion. Nous lui avons dit
d'arrêter mais, depuis
2006, date à laquelle le gouvernement
actuel est arrivé
au pouvoir, il a eu recours à cette
tactique plus
souvent que jamais, 170 fois, en fait, selon les
statistiques. C'est
beaucoup. Il faut se poser la question
suivante : si nous tenons
vraiment à déléguer,
pourquoi ne pas établir des lignes
directrices, comme l'a
demandé ma collègue, le
sénateur Fraser ?
Pourquoi ne pas établir les conditions aux
termes
desquelles de telles modifications peuvent
être faites et de
quelle façon, en tant que Canadien
assujetti à ces
règles, je pourrais y avoir
accès ? Comme
ces règles ne paraîtront pas dans la
Gazette du Canada, je
ne pourrai pas savoir en quoi elles consistent.
Que se passera-t-il si
ces règles changent à
l'occasion ? Quelle version devrai-je
consulter ? Pire,
qu'arrivera-t-il si quelqu'un fait
référence à un
document portant sur un accord commercial
avec un autre pays ? Ces accords changent
à l'occasion.
Devrai-je prendre un avion pour Londres,
Bruxelles, la Chine ou Dieu
sait où afin de dénicher
le bon document ? Comment s'assurer que tout
est à
jour ? Ce sont toutes là des questions
fort importantes.
Par souci d'équité envers le
ministère de la Justice, John Mark Keyes,
premier conseiller
législatif du ministère, a fait
preuve d'une grande
honnêteté. Voici
ce qu'il a déclaré aux membres du
comité :
« C'est à vous de
décider, de me dire ce que
vous voulez faire. Une chose est certaine, le
comité et
le Parlement nous ont dit vouloir de la
clarté. Ils ne veulent
pas que nous fassions cela. »
Toutefois, le gouvernement a
maintenant décidé qu'il veut agir
ainsi.
Je rappelle aux honorables sénateurs d'en
face
que, tôt ou tard, il y aura un changement de
gouvernement. Ces
mêmes sénateurs, qui font pression
pour que
le projet de loi soit adopté, diront
peut-être :
« Nous sommes désolés.
Nous nous sommes
trompés. » Voilà un
élément
important qu'il ne
faut pas oublier quand nous parlons d'institutions
démocratiques
et de surveillance exercée par le
Parlement. Nous devons exercer
cette surveillance que la
Constitution nous permet d'exercer. Il ne faut pas
abdiquer cette
responsabilité. Nous pouvons toutefois la
déléguer. Bien entendu, nous pouvons
déléguer tout
ce que nous voulons dans les limites de la loi.
Nous sommes en train de
déléguer un pouvoir à
l'exécutif, mais le
devrions-nous ? La réponse est non.
Alors, pourquoi le faisons-nous ?
Positions des partis à la Chambre des
communes
À titre d'information nous vous
présentons
des extraits des interventions du Parti
conservateur, du NPD, du Parti
libéral et du Parti vert lors du
débat sur
le projet de loi à la Chambre des communes
le 13 février
lors de la deuxième lecture. Ils montrent
le danger de ce projet
de loi pour le fonctionnement des
institutions démocratiques du Canada.
* * *
Parti conservateur
Présentant la position du gouvernement, le
député conservateur Robert Goguen
est intervenu au nom du
ministre de la Justice
en disant: « [...] Le projet de loi S-12
vise à renforcer
l'accès, par le gouvernement, à une
technique de
rédaction qui est essentielle pour que la
réglementation
soit moderne et pour qu'elle puisse être
adaptée aux
circonstances. Il reconnaît également
les obligations en
conséquence que les organismes de
réglementation
doivent assumer lorsqu'ils utilisent cet outil. Le
projet de loi
établit un équilibre important, qui
tient compte de la
réalité de la réglementation
moderne, tout
en veillant à ce que les mécanismes
de protection
appropriés soient inscrits dans la loi.
Personne ne pourra se
voir infliger une peine ou une sanction s'il lui
était impossible d'avoir accès aux
documents pertinents.
« Le projet de loi établira en
toutes
lettres le cadre juridique de l'utilisation de
cette technique et
confirmera la validité des
règlements existants où
des
documents sont incorporés par renvoi, si
tant est que ce cadre
soit respecté. Tout indique que
l'utilisation de cette technique
sera essentielle à la mise en oeuvre
d'initiatives de modernisation de la
réglementation au Canada,
en collaboration avec nos partenaires, soit les
organismes de
réglementation aux États-Unis et
ailleurs dans le monde.
« En terminant, je dirais que l'adoption de
cette
mesure législative est la prochaine
étape logique et
nécessaire pour assurer l'accès, de
manière
responsable,
à l'incorporation par renvoi dans les
règlements.
J'invite tous les députés à
appuyer ce projet de
loi et à reconnaître le grand pas en
avant qu'il nous
permettra
de réaliser. »
Nouveau Parti démocratique
Chris Charlton, députée
néodémocrate de Hamilton Mountain,
est
co-présidente du Comité d'examen de
la
réglementation qui étudie tous les
nouveaux
règlements du parlement pour s'assurer
qu'ils soient conformes
à la loi. Selon elle, le comité
s'inquiète depuis
longtemps de l'incorporation par renvoi. Voici ce
qu'elle a dit au nom
du comité et au nom du NPD.
« Un élément
transparaît
toutefois dans une bonne partie de la couverture
médiatique ces
derniers temps: la tendance du premier ministre
à faire obstacle
au processus démocratique, laquelle
représente une menace
pour l'institution qu'est le Parlement. Le projet
de loi S-12 n'en est
qu'une preuve de plus. Son titre
aride cache une mesure qui habilitera les
gouvernements à
procéder par voie réglementaire,
sans l'autorisation
expresse du Parlement. Sans vouloir être
alarmiste,
je dirais que le projet de loi portera atteinte
à nos valeurs
démocratiques. Il risque aussi de faire de
citoyens
honnêtes, des criminels. [...]
« Les Canadiens doivent pouvoir avoir
l'assurance
que les règlements qui les gouvernent ont
été
dûment autorisés par le Parlement.
C'est pourquoi le
Comité
mixte permanent d'examen de la
réglementation a adopté
à l'unanimité, en 2007, un rapport
dans lequel il
demandait au gouvernement de cesser d'avoir
recours
à l'incorporation par renvoi sans la
permission du Parlement.
« Le comité mixte était, et
est
encore, d'avis qu'en l'absence d'une
délégation expresse
de pouvoir ou d'indication claire du contraire
dans la loi habilitante,
l'incorporation par renvoi d'un document externe
est justifiée
seulement lorsque c'est la version à une
date donnée du
document qui est incorporée, par opposition
à la version avec ses modifications
successives. En fait,
l'incorporation par renvoi d'un document externe
avec ses modifications
successives a été qualifiée
d'erronée et d'illégale, parce que
les règlements
ainsi établis n'ont pas obtenu
l'autorisation expresse du
Parlement. Et le gouvernement le sait, ça.
« À l'autre endroit, la
sénatrice
conservatrice Linda Frum a souligné dans
son intervention sur ce
projet de loi que: « L'incorporation par
renvoi est une
technique de rédaction très
utilisée de nos jours,
mais ce projet de loi rendrait son recours
légitime [...]
». Voilà des mots qui sont
très importants: «
[...] ce projet
de loi rendrait son recours légitime [...]
». En utilisant
ces mots, la sénatrice confirme que le
gouvernement a agi
illégalement chaque fois qu'il a
utilisé cette
technique sans autorisation explicite du
Parlement. Ne nous faisons pas
d'illusions; cela ne s'est pas produit une ou deux
fois seulement.
« Depuis 2006, le conservateurs ont
utilisé
l'incorporation par renvoi dynamique à 170
reprises. Le projet
de loi S-12 est essentiellement conçu pour
donner
au gouvernement une protection juridique a
posteriori pour ses
activités illégales passées
et présentes.
Dit autrement et de façon plus
précise, l'article 18.7
proposé validerait rétroactivement
un grand nombre de
dispositions qui ont été
incorporées sans
autorisation légitime.
« Cela touche au coeur même de
l'autorité du Parlement de
déléguer ses pouvoirs
et de choisir qui peut créer des
règles en son nom. Il
est ahurissant que
tous les députés ne soient pas
troublés par cette
perspective. Cependant, il est presque certain que
la discipline de
parti, telle qu'elle la conçoit
l'exécutif, fera
en sorte que le projet de loi soit adopté
sans amendement.
«Outre mes préoccupations
liées
à la répartition des pouvoirs
qu'entraîne
l'incorporation par renvoi dynamique, j'aimerais
aussi aborder le
problème de
l'accessibilité. Si nul n'est censé
ignorer la loi,
encore faut-il que la loi soit accessible. Le
problème que
posent les incorporations par renvoi, c'est que le
texte
du document incorporé ne figure pas dans le
règlement
comme tel.
« À qui les Canadiens doivent-ils
s'adresser pour connaître leurs droits et
leurs obligations ? Les
documents incorporés par renvoi peuvent
être difficiles
à
comprendre ou à trouver. S'il s'agit de
normes
créées par des organismes
privés, il peut
même y avoir des frais associés
à leur
consultation. Dans le projet de
loi, rien n'indique que les ministères sont
tenus de rendre les
documents disponibles, ni même de donner des
renseignements sur
l'endroit où les trouver. Si les
documents incorporés par renvoi peuvent
être
modifiés par la suite, comment les citoyens
peuvent-ils savoir
qu'un changement est entré en vigueur ? Les
versions
antérieures des textes seront-elles
toujours disponibles ? Enfin,
que se passera-t-il quand on voudra incorporer par
renvoi une loi, une
norme ou un accord
provenant d'un État, d'une province ou d'un
organisme unilingue ?
Le gouvernement se servira-t-il de cette
échappatoire pour
contourner la Loi sur les langues
officielles ?
« Le paragraphe 18.3(1) proposé dans
le
projet de loi dit: « L'autorité
réglementaire
veille à ce que le document, l'indice, le
taux ou le nombre
incorporé
par renvoi soit accessible. » Mais,
qu'entend-on exactement par
« accessible » ? Ces
éléments seront-ils aussi
facilement accessibles aux Autochtones et aux
Canadiens des régions rurales ? Les gens
devront-ils se
déplacer pour se procurer le texte ou le
trouvera-t-on
uniquement sur Internet ? Ces façons de
faire
seraient-elles conformes à la
définition de
l'accessibilité?
« Ces questions m'amènent à
penser
qu'on laisserait aux tribunaux le soin de
définir la notion
d'accessibilité en ce qui concerne le
matériel
incorporé. Mais,
la responsabilité de préciser ce
terme ne devrait-elle
pas nous incomber à nous, à titre de
législateurs ?
J'estime simplement que les citoyens ne devraient
pas
avoir à consacrer du temps et de l'argent
à des
procédures judiciaires pour connaître
leurs droits et
leurs obligations. Nous pouvons, et nous devons,
certainement
clarifier ce point ici même, à la
Chambre.
« À ce stade-ci, je pense qu'il
faille tout
reprendre à zéro. J'éprouve
néanmoins de
sérieuses réserves au sujet du
projet de loi S-12 et j'en
ai exprimées un
grand nombre durant le bref temps de parole qui
m'est accordé
ici aujourd'hui. Toutefois, en qualité de
co-présidente
du Comité mixte permanent d'examen de
la réglementation, je sais qu'un grand
nombre des questions que
j'ai soulevées aujourd'hui
préoccupent d'autres
députés de tous les partis de la
Chambre et que
nous pourrions tenir compte de ces points de vue
dans le cadre d'une
étude plus approfondie de ce projet de loi
au
comité. »
Parti libéral
Parlant au nom du Parti libéral, le
député Massimo Pacetti a fait
échos aux
inquiétudes soulevées par le
sénateur Harb durant
le débat au Sénat. Il a dit: «
[...] Avec la
mondialisation et l'environnement dans lequel nous
vivons aujourd'hui,
la réglementation devient de plus en plus
complexe. Par exemple, nous devons nous plier
à des normes
internationales, tant pour des raisons
commerciales que de
sécurité. Cette
réalité se reflète
dans
la réglementation canadienne. Afin de
simplifier la
rédaction de celle-ci, les autorités
réglementaires ont de plus en plus recours
à
l'incorporation par renvoi.
[...]
« Selon les analystes du Comité
mixte
permanent d'examen de la réglementation, la
Constitution
canadienne ne permet pas la
subdélégation du pouvoir de
prendre un règlement. Lorsque le Parlement
délègue, par exemple, à un
ministère un
pouvoir de réglementer, celui-ci ne devrait
pas
déléguer à nouveau ce
pouvoir à une autre entité en ayant
recours à une
incorporation par renvoi ouvert. [...]
« Nous croyons que le Parlement, qui
représente l'ensemble des Canadiens, ne
peut accepter une
subdélégation du pouvoir de
réglementer telle que
permise
par le projet de loi S-12, à moins qu'il
l'ait
expressément autorisée lors de la
délégation de ce pouvoir de
réglementer par une
loi habilitante. »
Parti vert
Elizabeth May est intervenue au nom du Parti
vert. Elle
a dit:
« Je suis heureuse de prendre part au
débat
sur le projet de loi S-12. Je remercie le
député de
Toronto—Danforth et je tiens à souligner,
dans un esprit tout
à fait non partisan puisqu'il n'est pas
membre de mon parti, que
nous avons beaucoup de chance de compter parmi
nous quelqu'un de son
calibre, qui a déjà
enseigné dans des facultés de droit
et peut
présenter à la Chambre une analyse
de cette question, qui
peut sembler très aride, mais qui est en
fait directement
liée aux dangereux changements touchant la
démocratie
parlementaire fondée sur le modèle
de Westminster. Dans
cette enceinte, on constate que de plus en
plus de pouvoirs sont concentrés entre les
mains du Cabinet du
premier ministre et qu'on fait de moins en moins
preuve de respect
à l'égard de l'institution qu'est
le Parlement et à l'égard des
organismes chargés
de prendre des règlements. Ce projet de loi
représente
une menace, car il devient de plus en plus
difficile de
savoir si des règlements sont pris.
« Un autre aspect me préoccupe
également. Nous avons accepté des
changements à la
réglementation relative aux
médicaments dans le projet de
loi C-38,
lequel prévoyait que les médicaments
n'allaient
désormais plus être ajoutés
par voie de
règlement, mais pourraient simplement
être ajoutés
à une liste établie
par Santé Canada, sans qu'il soit
nécessaire de publier
le tout dans la Gazette du Canada ou de l'inscrire
dans un
règlement ordinaire. Nous devons
protéger
certains des aspects les plus ennuyeux de notre
pouvoir de
législateur afin de protéger les
droits des
Canadiens. »
Bloc québécois
Le Bloc québécois n'est pas
intervenu lors
de la deuxième lecture du projet de loi.
Projet de loi émanent d'un
député
La proposition de dépouiller des
Canadiens
de leur citoyenneté soulève des
inquiétudes
concernant les droits civils
- Matthews Behrens -
Les reportages au début d'avril au sujet
de
Canadiens qu'on présume impliqués
dans l'attaque contre
un site gazier en Algérie ont amené
de l'eau au moulin
du gouvernement qui cherche depuis un certain
temps à limiter
l'accès aux droits de citoyenneté.
Au centre de cette tentative de créer une
citoyenneté à deux paliers se trouve
un projet de loi
d'abord déposé par le
député conservateur
de Calgary Devinder
Shory qui propose de réduire d'un an la
durée de
résidence au Canada requise pour obtenir la
citoyenneté
canadienne pour les résidents permanents
qui sont
membres des forces armées. Cette partie du
projet de loi
C-425 a fait l'objet de très peu
d'objection dans une
grande mesure parce qu'elle n'affecte pratiquement
personne : la
citoyenneté est requise pour
être membre de l'armée canadienne
sauf dans de très
rares circonstances. Ce qui inquiète
davantage, c'est que ce
projet de loi en apparence anodin pourrait ouvrir
une porte de derrière à des mesures
plus insidieuses
permettant de dépouiller certaines
catégories de
personnes de leur citoyenneté canadienne.
Le projet de loi C-425, Loi modifiant la Loi
sur la
citoyenneté (valorisation des Forces
armées canadiennes),
stipule :
« Le citoyen
canadien qui possède une nationalité
étrangère ou qui est un
résident autorisé
d'un pays étranger est réputé
avoir demandé
à répudier sa citoyenneté
canadienne
s'il commet un acte de guerre contre les Forces
armées
canadiennes. » Une disposition
semblable s'applique aux
résidents non permanents. Contrairement
aux projets de loi du gouvernement, les projets de
loi émanant
d'un député ne sont pas
révisés par le
ministre de la Justice pour s'assurer qu'ils
respectent la Charte
des droits et libertés.
Puisqu'il ne définit pas les termes comme
« résident
autorisé » et
« acte de guerre » et ne
précise pas de
procédés permettant d'établir
ces définitions, les critiques craignent
qu'il serve à
cibler certaines communautés en fonction de
l'origine raciale,
de l'appartenance religieuse ou des convictions
politiques, un peu comme les Canadiens musulmans
ont fait l'objet de
l'attention des forces de sécurité
au cours des deux
dernières décennies dans une mesure
disproportionnée.
En effet, comme le député
libéral
Irwin Cotler l'a fait remarquer à la
Chambre des communes, la
loi C-425 « suscite des
préoccupations
sérieuses
sur le plan constitutionnel, notamment en raison
des garanties offertes
par les articles 6, 7 et 15 de la
Charte,
particulièrement en ce qui concerne
l'origine nationale ou ethnique, voire la
nationalité, reconnue
comme une considération
analogue ».
Le projet de loi C-425 qui est
présentement
à l'étude par le Comité
permanent de la
citoyenneté et de l'immigration sera sans
doute amendé
pour
inclure une référence à des
actes de terrorisme
à la demande du ministre de l'Immigration
Jason Kenney. Mais
c'est le manque de précision des termes qui
inquiète particulièrement les
députés de
l'opposition et les défenseurs des droits
civils, surtout
à la lumière des nombreux cas de
réfugiés,
résidents permanents
et citoyens canadiens qui ont été
ciblés,
interrogés, harcelés, détenus
et parfois
torturés à cause de la trop vague
interprétation
du gouvernement de ce qu'est
une menace à la sécurité
nationale.
Abdullah Almalki d'Ottawa, qui était
interviewé à l'émission The
Current du
réseau CBC plus tôt cette
année, se demande s'il
n'aurait pas perdu
sa citoyenneté si le projet de loi
C-425 avait
été en vigueur quand il a
été détenu
en Syrie, torturé à cause de fausses
informations
provenant des agences
canadiennes du renseignement. La
possibilité de pouvoir
dépouiller des Canadiens de leur
citoyenneté et de leur
interdire de revenir au Canada, dit-il, est
très
pratique pour le gouvernement car non seulement
peut-il priver un
Canadien de ses droits devant la justice, il peut
aussi éviter
l'attention, l'embarras, le scandale,
au pays et à l'échelle
internationale, pour sa
complicité dans l'identification à
tort de Canadiens
comme terroristes et leur torture par un autre
État. »
Maître Barbara Jackman, qui a plaidé
dans
de nombreuses causes relatives aux questions de
sécurité,
s'inquiète aussi que ce projet de loi, s'il
est adopté,
soit utilisé contre des gens comme ses
clients, dont beaucoup
ont été qualifiés de
terroristes du simple fait
qu'ils défendent les droits humains et
s'opposent à
la tyrannie de gouvernements étrangers.
Parlant au réseau
CBC récemment, rappelant un projet loi qui
se proposait de
dépouiller des gens de leur
citoyenneté
en 2010 et qui est resté sur les tablettes,
a fait remarquer que
si les mêmes critères de
détermination de ce qu'est
un « motif raisonnable étaient
appliqués
au projet de loi C-425, « nous aurions
dans la loi sur la
citoyenneté ce que nous avons dans la loi
sur l'immigration, un
seuil très bas d'admissibilité. Si
vous avez 20 % des chances de croire que
quelqu'un a fait quelque
chose, vous pouvez lui enlever son statut de
résident permanent.
Maintenant vous
pourrez lui enlever sa citoyenneté. Cela
fait peur. »
Muslimlink n'a pu rejoindre le
député
Shory pour lui poser la question, mais il a tout
de même
affirmé devant le comité permanent
que « la
citoyenneté
canadienne est un privilège. Une personne
qui dénigre les
valeurs canadiennes, qui attaque ceux qui
protègent les valeurs
canadiennes, ne devrait pas avoir le
droit de se dire citoyen canadien. » Il
a dit qu'un de ses
motifs pour présenter ce projet de loi est
que lorsqu'il est
arrivé au Canada dans les années
1980
« très souvent on pouvait
quitter la maison sans
verrouiller les portes. Aujourd'hui nous activons
le système
d'alarme quand nous dormons dans la
maison. »
Mais l'imprécision de ses propos
inquiète
certains parlementaires. Comme le fait remarquer
le
député libéral de Winnipeg
Kevin Lamoureux, la
définition
de loyal envers le Canada peut être
étirée.
« Si vous avez un citoyen du Canada en
Afghanistan qui crie
des injures ou lance des pierres aux forces
armées
canadiennes, est-ce un acte de
déloyauté ? »
Interrogé par des députés
sur son
idée de citoyenneté à deux
paliers, M. Shory a
confirmé qu'avec son projet de loi,
même si une personne
est née au Canada,
qu'elle a la double citoyenneté (souvent un
fait de la naissance
et non un choix), elle pourrait aussi perdre sa
citoyenneté
canadienne.
Jason
Kenney a
semblé plus direct. Il a dit qu'il aurait
aimé que le
projet de loi s'applique à tous les
ressortissants canadiens,
« mais on me dit que,
sur le plan juridique, nous ne le pouvons
pas ». En effet,
cela irait à l'encontre de la Convention de
l'ONU sur la
réduction des cas d'apatride.
M. Kenney est aussi candide en ce qui concerne la
procédure légale. « Nous
ne devons pas
être trop stricts ou légalistes quand
il s'agit du
processus
de renonciation à la citoyenneté. Si
une personne
décide de son plein gré de demander
la citoyenneté
d'un pays en guerre avec le Canada, par exemple,
et qu'elle
commet un acte de guerre contre notre pays, nous
ne devons pas
être strictement légalistes au point
d'attendre patiemment
qu'elle signe un formulaire de
répudiation de la citoyenneté. Nous
devons voir dans ses
actes une répudiation de sa loyauté
envers le Canada et,
donc, de sa citoyenneté. Ce sont là
les
prémisses. »
Étant donné que des Canadiens
musulmans
ayant une double citoyenneté ont
été
décrits à tort comme une menace
imminente à la
sécurité nationale et
détenus sans raison comme personne
soupçonnée de
terrorisme dans un autre pays, les critiques font
remarquer que puisque
le Canada se considère
généralement
en guerre (contre le terrorisme), ceux qui sont
ainsi
étiquetés à tort pourraient
être vus comme
des personnes ayant fait un acte de
répudiation.
M. Kenney dit qu'il ne voit pas
« pourquoi
cette disposition toucherait plus de 10
personnes », mais
c'est près de trois millions de Canadiens
qui pourraient en craindre les
répercussions, dont bon nombre
qui ont la double citoyenneté, qui vivent
à
l'étranger pendant des périodes
prolongées chaque
année. Beaucoup pourraient mal
interpréter ce que veut
dire exprimer des points de vue
controversés ou participer
à des activités pouvant être
perçues comme
« suspectes ».
Le
député
néodémocrate Don Davies fait
remarquer qu'on n'a pas
invoqué des lois comme celle-là pour
accélérer le traitement des demandes
de résidence
permanente de médecins et
infirmières et que, mise
à part les clauses sur la
répudiation de la
citoyenneté, tout ce discours sur un projet
de loi qui
risquerait
de toucher seulement quelques individus par
année
détourne l'attention des coupures qui sont
faites dans les
services d'immigration au pays et à
l'étranger tandis
que plus de 300 000 individus attendent de
3 à 5 ans
pour obtenir la citoyenneté.
Et si la chose n'a pas été dite
explicitement, les récentes
déclarations du gouvernement
sur la possibilité d'empêcher des
Canadiens
« radicalisés »
de voyager à l'étranger
soulèvent des questions.
Cela comprendra-t-il la saisie de passeport, par
exemple, une pratique
courante aux États-Unis durant la Guerre
froide pour les personnes
soupçonnées d'avoir des
sympathies de gauche ?
Ce qui est clair, par contre, c'est que les
communautés qui ont déjà
été
ciblées risquent d'en subir davantage.
Lorsqu'on lui a
demandé récemment en
commission parlementaire si c'est tout le monde
qui serait visé
par ces définitions de menace à la
sécurité
nationale, le directeur adjoint du renseignement
du
SCRS Michael Peirce a répondu :
« On ne voit pas
beaucoup de PDG qui se radicalisent. »
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