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Lucien Dallaire : Nous sommes environ 95 travailleurs présentement. L'entreprise de Boucherville est un centre de services qui vend de l'acier sous toutes ses formes, de la poutrelle, de la plaque, des tubes, etc. On vend l'acier à une grande variété de clients, depuis les particuliers jusqu'aux grandes entreprises comme CANAM qui est un chef de file dans les produits de construction. Nous sommes répartis sur trois quarts de travail et travaillons aussi les fins de semaine en temps supplémentaire. LML : Votre convention collective est maintenant échue depuis le premier mai. Quelles sont vos principales demandes ? LD : Ce qu'on veut en premier lieu c'est de restreindre la sous-traitance. La compagnie prend ses camions, les camions qui appartiennent à Acier Leroux, et donnent le travail en sous-traitance pendant que nos chauffeurs sont laissés dans la place à passer le balai ou même à la maison. L'entreprise veut faire de plus en plus de sous-traitance de la sorte. Évidemment, les sous-traitants sont payés beaucoup moins cher que nos travailleurs et ils n'ont aucune défense syndicale. Une autre grande question ce sont les libérations syndicales. Si on écoute la direction, on n'aura plus d'heures pour libérer les représentants syndicaux pour s'occuper des cas de CSST ou monter des griefs. Aux travailleurs du quart de jour, elle dit que si les représentants syndicaux veulent faire leur travail de représentation syndicale, ils doivent le faire après leur quart de travail et bénévolement. S'ils sont sur le quart de soir, soit de 3 heures à 11 heures, la direction veut qu'ils fassent leur représentation syndicale la fin de semaine et toujours bénévolement. En santé et sécurité, on nous dit que s'il y a accident, il faudra attendre la fin de semaine pour faire l'enquête, alors que l'accident peut très bien s'être produit pendant la semaine. Selon eux, ces choses-là, ce n'est pas leur problème. En réalité ils veulent nuire à l'activité du syndicat. Ils reconnaissent qu'il y a un syndicat mais ils ne veulent pas le laisser travailler. Une autre question, ce sont les congés de maladie. Nous n'en avons que quatre par année dans la convention et ils veulent nous en enlever deux. Il y a trois ans, en situation de crise économique, nous avons accepté de faire des concessions, Maintenant l'acier va bien, mais la compagnie est encore dans un pattern de concessions. Ce qui est le plus choquant c'est qu'ils ne nous écoutent même pas. Quand nous nous rencontrons pour négocier, nous, on les écoute parler de ce qu'ils veulent pendant trois heures, puis quand vient le temps de présenter nos demandes, la chef négociatrice nous dit qu'elle n'a plus le temps, elle a un avion à prendre et elle quitte la table. Ils ne veulent même pas entendre nos revendications qui sont pourtant modestes. On veut une convention qui nous permet de travailler à des conditions acceptables et de faire notre travail syndical. LML : Qu'est-ce qui est arrivé le 10 septembre ? LD : Les travailleurs ont pris leur pause dans l'après-midi puis quand ils sont venus pour rentrer les portes étaient barrées. Fait à noter, les gardes de sécurité étaient déjà là sur place quand on nous a empêchés de rentrer. Ils étaient déjà prêts. Personne n'est voulu nous parler. On a demandé aux patrons, est-ce que c'est un lockout, on nous a dit non vous n'êtes pas en lockout, alors pourquoi on ne peut pas rentrer, avons-nous dit. Pas de réponse. Depuis ce temps, les portes sont toujours barrées, on n'a même pas le droit de stationner nos voitures dans la cour, on voit les patrons, les secrétaires, les contremaîtres entrer dans la place pour aller y travailler pendant que nous, nous sommes dehors. Depuis qu'on nous a empêchés de rentrer, nous faisons du piquetage qui couvre les trois quarts de travail. Ce qu'ils veulent, c'est démolir notre convention collective. La première chose qu'ils nous ont dit quand on s'est assis la première journée pour négocier c'est « votre convention, on va la faire maigrir ! » Ça fait 19 ans que je travaille ici, c'est le pire que j'ai vu. Des choses comme ça, ça n'arrive pas seulement chez nous. Les grandes entreprises aujourd'hui veulent être les seuls maîtres à bord. Elles se fichent même des lois.
Les travailleurs de Bombardier et la population
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Lors de la manifestation contre la fermeture de l'usine Goodyear à Valleyfield le 3 février 2007, au moment où beaucoup d'autres fermetures étaient annoncées |
Nous sommes environ présentement 350 travailleurs à l'usine. Il y a 95 % de nos contrats qui proviennent des États-Unis, pour différents États américains. Les seuls contrats québécois qu'on a fait, c'est pour le métro de Montréal en 1974-75, plus récemment pour les trains de banlieue de la région métropolitaine de Montréal et on s'apprête à fabriquer les nouveaux wagons de métro pour Montréal.
On calcule qu'un emploi chez Bombardier représente 10 emplois de la région. Il y a beaucoup de gens des petites usines aux alentours qui dépendent de Bombardier, des fournisseurs qui viennent de la région. On couvre une grande région, ici il n'y a pas de grosses usines. Tu enlèves Bombardier de la région et F.F. Soucy, propriété de Papiers White Birch à Rivière-du-Loup, après cela il n'y a plus de grosses usines dans la région. C'est pour ça que les gens sont sensibles à ce qui se passe chez Bombardier.
En 2006, on était 1000 personnes dans l'usine, à part les employés de bureaux. Avec les bureaux on était 1400-1450, maintenant on est 350. On couvre les gens qui viennent de paroisses environnantes, de Rivière du Loup à Saint-Jean-Chrysostome mais le gros bassin est de Rivière-du-Loup à Montmagny. Il y a un impact sur la région. On a eu des années de grosses périodes de mises à pied, comme l'an passé où on était seulement 90 personnes dans l'usine. Toute la région est affectée, tout le monde se connaît. Tu vas dans les épiceries, c'est un sujet de conversation, « qu'est-ce qui se passe à Bombardier, quand est-ce que ça reprend ? »
LML : Dans votre combat pour le maintien des emplois à l'usine, vous concentrez vos efforts sur la lutte à la sous-traitance. Comment le problème se pose-t-il ?
ML : Si on recule de 10 ans, vers le début des années 2000, et on part des années 1974-1975, on voit qu'on fabriquait pratiquement tous les wagons de a à z ici. Cela partait sur une feuille de papier, l'ingénierie, le design, tout se faisait ici. Il y avait seulement la finition intérieure qui était faite à Plattsburgh. De plus en plus, avec les années 2000, on nous dit c'est la mondialisation, la sous-traitance a commencé. Avant ça, elle était très limitée, par exemple il y en avait si nos machines étaient débordées. D'année en année, il y a des pièces qui sont sorties, il y a de la découpe qui se fait ailleurs, cela amène moins de travail. Notre gros combat à l'heure actuelle c'est la sous-traitance. Avant, lorsque la caisse partait d'ici, il restait seulement la finition à faire et celle-ci était faite à Plattsburgh. On est conscient que dans les années à venir on ne sera jamais plus de 1000 ici, mais on veut sauvegarder un maximum d'emplois.
On a été capable de maintenir nos conditions de travail pour les travailleurs qui restent même si depuis 2002-2003 les négociations deviennent de plus en plus difficiles, mais la sous-traitance, on a bien de la misère avec ça. L'employeur a toujours des raisons. On ne croit pas que c'est une question de coûts, que ça coûte moins cher de le faire faire ailleurs, on est vraiment sceptique à ce sujet-là. Si c'était les coûts, on verrait les chiffres. À un moment donné, la compagnie nous a dit que c'est une question de spécialisation. Nous à La Pocatière on serait spécialisé dans l'acier inoxydable, d'autres dans l'aluminium, etc. Il y aurait une spécialisation entre les usines. Mais en fait tout est mêlé, la raison de la spécialisation ne tient pas. Les coûts non plus. Lorsqu'une partie de la production que nous faisions est transférée au Mexique par exemple, oui les salaires des travailleurs mexicains sont plus bas que les nôtres, mais la compagnie doit payer plus cher pour les frais de transport. C'est une décision organisationnelle interne de la part de Bombardier. On ne croit pas qu'ils sauvent sur les coûts. On n'est pas certain pourquoi ils font cela, mais ça ne nous donne pas une bonne impression pour l'avenir de l'usine.
LML : Bombardier dit qu'elle doit transférer une partie plus grande de la production vers les États-Unis à cause du Buy America Act qui, selon elle, oblige les constructeurs ferroviaires à produire en sol américain au moins 60 % des voitures et locomotives destinés à des projets financés, en tout ou en partie, par le gouvernement. Quel est ton point de vue là-dessus ?
ML : Nous ne croyons pas à cela non plus. Le Buy America Act ne date pas d'hier et nous avons toujours vécu avec lui. Comme je l'ai dit, environ 95 % de nos contrats sont américains.
Le 60-65 % de contenu américain nous l'avons toujours respecté. La raison en est que la plus grande partie du matériel est achetée aux États-Unis, l'acier, les appareils électriques, etc. C'est ça qui représente la plus grande partie des coûts. Pour la construction d'un wagon de métro, la main-d'oeuvre représente à peine entre 10 et 15 % du coût total. C'est le matériel qui coûte cher. Le contenu américain a toujours été respecté. Même chose pour la production qui va se faire dans les usines mexicaines pour le marché américain. Ils vont respecter le contenu américain, ils vont acheter le matériel aux États-Unis. Le Buy America Act, c'est un faux prétexte.
LML : Qu'en est-il de votre campagne pour préserver les emplois en relation avec la construction des nouveaux wagons de métros de Montréal?
ML : Nous faisons tout ce que nous pouvons pour conserver nos emplois. Nous en avons besoin et la région en a besoin. Lorsque Bombardier a décidé en 2010 de transférer la production des wagons de métro de la ville de Chicago de La Pocatière vers Plattsburgh, nous avons monté des griefs et nous étions prêts à aller en cour pour demander une injonction contre cela. Pour éviter cela, nous avons signé une entente avec Bombardier qui dit spécifiquement que concernant le contrat de la Société des Transports de Montréal, les pièces primaires et les sous-ensembles mineurs et majeurs seraient fabriqués à La Pocatière. Nous n'avons pas signé cette entente tout seuls. Les deux parties l'ont signée. C'état noir sur blanc. Mais là, on l'a débuté le contrat de Montréal et on s'aperçoit que ce n'est pas ça qui se produit.
C'est de là qu'on en est venu à demander une ordonnance de sauvegarde et à déposer un grief. L'ordonnance de sauvegarde a été entendue en juillet dernier et elle n'a pas été retenue par le juge. Une des raisons certainement c'est qu'à la dernière minute Bombardier a assoupli ses positions et consenti à nous redonner la fabrication de certaines pièces. Pour obtenir une ordonnance de sauvegarde, il faut faire la preuve qu'il y a urgence alors l'urgence n'était plus évidente. Notre représentation sur le fonds de l'affaire va être entendue en octobre prochain. On n'arrête pas notre combat et on va démontrer que l'employeur ne respecte pas l'entente.
Il faut bien voir à quel jeu se livre Bombardier. Nous possédions dans l'usine toutes les machines nécessaires pour faire la production y compris pour la production des wagons de métro de Montréal. Avant, le matériel arrivait en feuilles de métal chez nous, on avait les machines pour les découper, toute la pièce était machinée ici. On avait toute l'expertise et on l'a encore.
Il y a quelques années, Bombardier s'est mise à dire que les machines sont vieilles, notamment les découpeuses d'acier. Elles ont sorti quelques machines de l'usine, maintenant on ne les a plus, une fois qu'elles sont sorties la compagnie nous dit qu'on n'a plus les machines nécessaires. Il y avait une découpeuse dont on peut dire que oui elle était désuète, mais l'autre avec une bonne maintenance aurait pu être réparée et notre équipe de maintenance est formidable. Bien sûr il aurait fallu des investissements, mais l'intention de Bombardier c'était de sortir les machines. Une fois qu'elles sont sorties, évidemment qu'on envoie le découpage se faire faire ailleurs.
Ils nous ont dit qu'ils veulent changer le parc machines pour le moderniser alors cela leur donnait une raison supplémentaire de sortir des machines. Ils nous ont dit qu'ils allaient présenter le projet à la maison-mère de Berlin parce que maintenant le siège social de Bombardier est à Berlin. Alors nous on s'informait régulièrement, on demandait où en est rendu le projet du parc machines et tout à coup on nous dit que le projet a été refusé, ça s'arrête là. Tout s'enchaîne. Une fois que les machines sont sorties, on nous dit que le parc machines ne sera pas changé.
Si Bombardier était de bonne foi, elle achèterait une découpeuse. Une machine comme cela ça coûte 1,3 million $. Avec ça on serait capable de tout faire. Qu'une multinationale nous dise qu'elle ne veut pas investir 1,3 million $ en nous disant que ce ne serait pas rentable, qu'il n'y aura pas assez d'acier à découper pour rentabiliser la machine, je ne crois pas à ça. Ils ne veulent pas investir 1,3 million $ et le projet de construction des wagons de métro de Montréal ça vaut 1,3 milliard !
LML : Vous avez distribué des tracts dans la région pour mobiliser la population.
ML : Oui, nous avons fait une campagne de tracts juste avant l'été pour sensibiliser la population, pour que les gens soient au courant de ce qui se passe chez Bombardier. Nous avons distribué des tracts ici au centre-ville de La Pocatière, à Montmagny, Rivière-du-Loup, etc. Tout le monde s'arrêtait pour prendre nos tracts. Le sentiment général qui s'est exprimé c'est que « oui vous faites bien ». Nous avons l'appui de la population. Les gens sont inquiets. Qu'est-ce qui va nous arriver quand le contrat de fabrication des métros de Montréal va être terminé ? Il reste une autre flotte de wagons de métros de Montréal qui doit être remplacée, mais le contrat n'est pas signé encore. On pense aux jeunes. On veut les garder dans la région, mais s'ils ne savent pas s'ils vont travailler dans les années qui viennent est-ce qu'ils vont rester ? La question est sérieuse. Il y a des travailleurs de Bombardier à La Pocatière qui ont perdu leur droit de rappel tellement cela fait longtemps qu'ils ont été mis à pied. Le droit de rappel à l'usine est de six ans et cela fait plus de six ans qu'ils n'ont pas été rappelés après avoir été mis à pied.
Au moment où on se parle, nous sommes
aussi en
négociations pour le renouvellement de la
convention collective
à Bombardier. Nous sommes encore dans le
normatif et n'avons pas
touché les questions monétaires
encore.
À titre d'information
Selon les données fournies par le Registre des entreprises de décembre 2011 de Statistiques Canada, l'île de Montréal connaît depuis plus de dix ans une chute drastique du nombre d'établissements commerciaux et industriels.
Le secteur manufacturier est particulièrement touché par une baisse de plus de 40 % des entreprises oeuvrant dans le secteur de la fabrication. Les données sont alarmantes : au début de l'an 2000, il y avait plus de 6000 industries manufacturières réparties dans toute l'île de Montréal contre seulement 3600 en décembre 2011. Il s'agit d'une perte nette de 2400 usines qui ont fermé depuis un peu plus de dix ans. Ce sont les secteurs aussi variés que le textile, l'agro-alimentaire, la fabrication d'outils et de produits métalliques, le pharmaceutique, la pétrochimie, le caoutchouc, les produits informatiques qui ont connu une constante instabilité.
Au niveau de l'ensemble des entreprises ayant
pignon sur
rue sur l'île, il y en aurait maintenant 58
953, soit une baisse
constante de 7 % depuis 2000. L'année 2011
a été
particulièrement difficile avec une perte
de 865 entreprises. En
2001, l'île de Montréal comptait 63
176 entreprises et le
nombre d'entreprises
toujours existantes en 2011(58 953) est le plus
bas des 12
dernières années (Voir tableau).
Source :Statistiques Canada, registre des entreprises décembre 2011
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