Élection du nouveau président de la Chambre des communes

Les luttes de factions au sein du Parlement soulignent le besoin d'un renouvellement démocratique du processus politique

– Anna Di Carlo –

Le 3 octobre, le député libéral de Hull-Aylmer Greg Fergus a été élu président de la Chambre des communes. Il fallait élire un nouveau président après la démission d'Anthony Rota, sacrifié comme seul responsable des deux ovations que l'ensemble de la Chambre des communes a accordées le 22 septembre à un ancien membre de la SS Galicie, une division nazie de l'Armée ukrainienne durant la Deuxième Guerre mondiale. On a beaucoup parlé du fait que Greg Fergus est le premier Noir à occuper le poste de président de la Chambre, et le Parti marxiste-léniniste du Canada est tout à fait d'accord : c'est un fait significatif[1]. Mais ce qui a moins retenu l'attention est ce qu'il a dit lorsqu'il a été élu, bien que tous les candidats au poste de président tiennent essentiellement le même discours[2].

Comme de nombreux présidents avant lui, Greg Fergus a promis de mettre fin à la rancoeur entre les députés et aux dysfonctionnements de la Chambre. « En tant que président, je vais agir rapidement pour restaurer l'honneur de la Chambre », a-t-il dit en s'adressant aux députés. « Il y a le respect dans la manière dont nous nous traitons les uns les autres et dont nous parlons aux Canadiens. En d'autres termes, c'est une question de décorum. »

Dans son discours d'acceptation, il a réitéré son souhait de décorum : « Je vais vraiment mettre l'accent sur ce point et j'aurai besoin de votre aide à tous pour que cela se concrétise, car des débats difficiles auront lieu ici. »

Mais il ne s'agit pas de décorum. Il s'agit de l'incapacité du Parlement d'aujourd'hui de rétablir l'équilibre nécessaire pour dire que les décisions prises par le gouvernement représentent « la volonté nationale » et sont bonnes pour « le pays ». Il s'agit de la nécessité urgente de renouveler le processus politique afin d'éliminer les positions de pouvoir et les privilèges et d'investir les Canadiens du pouvoir de décider de leurs affaires. Il s'agit de changer l'orientation de l'économie pour que ce ne soient pas les profits des intérêts privés étroits et des oligopoles qui soient placés au centre des préoccupations du gouvernement, mais le bien-être de la population. Une fois que le peuple est oublié, bafoué et réduit au silence, l'illusion que les membres du Parlement représentent leurs « électeurs » ou que les institutions du Canada sont « démocratiques » sans que l'on puisse discuter de ce que cela signifie, constituent un autre obstacle à la résolution des problèmes et à la recherche d'une voie qui favorise les intérêts du peuple.

Aujourd'hui, les luttes de factions intenses entre des intérêts privés étroits qui se font appeler partis politiques sont menées par des sociétés de marketing engagées par ces partis cartellisés pour diffamer, discréditer, attaquer, déformer, désinformer et faire tout ce qu'il faut – mentir, tricher – pour se frayer un chemin vers des positions de pouvoir et de privilège. Dire que le problème est le décorum à la Chambre des communes fait partie du bavardage quotidien qui a pour fonction de faire en sorte qu'il n'y ait pas de discussion de fond sur tous les sujets qui préoccupent profondément les Canadiennes et les Canadiens, non seulement concernant les affaires intérieures mais aussi le rôle du Canada dans le monde.

À la question posée par CBC News à savoir si Greg Fergus pouvait atteindre son objectif de rétablir le décorum à la Chambre des communes, un expert a répondu par un simple « non ». « Le Parlement a toujours été controversé, il a toujours été chahuté. Il n'y a jamais eu de moment de calme », a-t-il dit. Tari Ajadi, professeur adjoint de sciences politiques à McGill, a abondé dans le même sens, en notant que le Parlement connaît depuis longtemps un déclin constant. « Pour ce qui est de l'impact réel et significatif sur le corps politique, a-t-il dit à CBC News, je pense qu'il est nul. Pour ce qui est de l'impact réel et significatif sur le décorum à la Chambre des communes, je pense qu'il sera également nul. Je ne pense pas que cette nomination va changer les choses de manière significative. »

Enfin, lorsqu'on lui a posé la question, Greg Fergus a lui-même répondu qu'il ne pensait pas qu'il aurait un quelconque impact.

S'il est clair que la volonté du président de rétablir le décorum restera lettre morte, ces questions et réponses révèlent typiquement un refus d'aller au coeur du problème, à savoir qu'aujourd'hui les partis politiques n'ont plus aucun statut au Parlement et ne sont plus les organisations premières qui relient les citoyens du pays aux affaires politiques et aux prises de décisions des gouvernements. S'ils ont des membres, ceux-ci ne jouent aucun rôle dans l'élaboration des politiques ou dans la définition de l'orientation du pays. Les députés ne sont que les instruments de ce qu'on leur demande de faire et de dire, et même les ministres, à commencer par le premier ministre, ne sont que les instruments de ce que décident les intérêts privés étroits qui se sont emparés des fonctions publiques. Aujourd'hui, ce sont les agences de renseignement qui définissent la politique en se déclarant juges et décideurs de ce qui relève de la sécurité nationale, de la sécurité de l'économie et de tout ce qui détermine les questions relatives à la criminalité et à la punition, à la guerre et à la paix.

Depuis les élections fédérales de 1993, qui ont porté le Parti libéral au pouvoir, la Chambre des communes a perdu son équilibre et un système cartellisé de gouvernement de parti s'est installé. La recherche désespérée d'argent par les libéraux pour financer les élections a débouché sur le scandale des commandites, qui a montré que la corruption était devenue une caractéristique essentielle du gouvernement du parti. Loin de l'éliminer en renouvelant le processus politique, comme le demandaient les Canadiens, un gouvernement après l'autre, avec la pleine coopération de tous les partis cartellisés ayant des sièges à la Chambre des communes, a entrepris de modifier les lois électorales dans le sens de renforcer leurs positions de privilège et de pouvoir et d'empêcher les Canadiens d'avoir leur mot à dire sur les décisions qui les affectent, eux et la société. Sont également exclus les partis politiques qui ne siègent pas à la Chambre des communes et les organisations de travailleurs, de femmes, de jeunes et d'intérêts particuliers. En outre, depuis les attentats du 11 septembre 2001, outre les intérêts privés étroits regroupés en oligopoles qui fonctionnent en cartels et en coalitions, les agences de renseignement canadiennes et étrangères ont ouvertement accaparé le pouvoir et disent au gouvernement quelles politiques il doit dicter lorsqu'il s'agit de questions fondamentales relatives à la définition du crime et de la punition et aux problèmes de guerre et de paix.

La violation de la conscience des citoyens et la privation de leur droit à la liberté d'expression et d'organisation au nom de la sécurité nationale et de lois de lutte à la haine et de lutte aux terroristes sont devenues monnaie courante. Le seul « droit » des Canadiens est de se soumettre aux opinions, aux politiques et aux valeurs défendues par l'État au risque de perdre leur emploi, leur carrière et leur réputation par des campagnes de salissage et de diffamation. À l'origine, l'idée d'inscrire le droit de parole, le droit d'organisation et le droit de conscience dans les constitutions était de protéger ceux qui ne pensaient pas comme l'État, qui ne croyaient pas aux mêmes causes ou ne partageaient pas les mêmes aspirations. Aujourd'hui, parce que les vues de l'État sont tellement intéressées et inadmissibles, son seul recours est de criminaliser les citoyens, de les emprisonner, de leur infliger des amendes et de les priver des droits que toute personne humaine est censée avoir.

Le manque d'équilibre au Parlement est un grave problème pour les Canadiens, car les gouvernements des pouvoirs de police défendent des positions extrémistes au nom de la défense de la démocratie contre l'autoritarisme. Ce n'est qu'en s'engageant dans le renouvellement du processus démocratique qu'ils pourront établir une forme de gouvernement qui respecte les droits qui appartiennent à chacun du fait qu'il est humain. Il n'y aura pas de problème de décorum.

Notes

1. Dans le cadre de sa série intitulée Being Black in Canada, CBC News a interviewé des Canadiens noirs de premier plan sur la signification de l'élection de Greg Fergus au poste de président de la Chambre des communes.

George Elliot Clarke, professeur d'anglais à l'Université de Toronto et ancien poète officiel du Parlement, a dit que l'élection d'un président noir était historique. « Il s'agit bien sûr d'un événement majeur pour l'histoire des Noirs canadiens, l'histoire des Afro-Canadiens et l'histoire de ce pays. » CBC News a résumé son point de vue en disant qu'« il pense que cela remet en question la hiérarchie raciale occidentale qui place les Blancs au sommet ».
Debra Thompson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l'inégalité raciale dans les sociétés démocratiques à McGill, a dit que l'élection de Greg Fergus est « très significative ». « Il n'est pas fréquent de voir des Noirs aux échelons supérieurs du pouvoir dans ce pays. La représentation n'est certainement pas tout, mais c'est quelque chose, a-t-elle dit. Lorsque vous grandissez en tant que Noir dans ce pays [...] et que vous vous promenez dans le monde et que personne en position d'autorité ne vous ressemble, cela limite la façon dont vous imaginez votre vie progresser et ce que vous pensez pouvoir accomplir en tant que personne. »
Velma Morgan, d'Operation Black Vote Canada, s'est fait l'écho à ce sentiment : « Pour notre communauté, nous sommes en mesure de voir quelqu'un qui nous ressemble. Et pour tous les autres, cela signifie que nous comptons, que nous avons contribué à notre société et que nous continuons de le faire. »

2. Un extrait d'un article publié le 2 octobre par Alex Ballingall, journaliste basé à Ottawa et couvrant la politique fédérale pour le Toronto Star, décrit bien ce que les députés ont à dire sur le niveau du discours à la Chambre des communes.

« [...] Non seulement la personne qu'ils choisiront devra éloigner l'institution de l'ignominie de la controverse nazie, mais certains de ceux qui sont en lice pour le poste disent qu'il y a un besoin profond et urgent de réparer le discours politique à la Chambre, qui était inacceptable même avant que les parlementaires n'applaudissent quelqu'un qui a combattu pour le Troisième Reich d'Hitler.
« 'Affreux' – c'est le mot que Sean Casey, député libéral de longue date et candidat au poste de président de la Chambre des communes, a utilisé pour résumer l'état du décorum dans l'actuelle Chambre des communes.
« 'Il n'est pas acceptable de se trouver dans un environnement où les gens sont intimidés et malmenés régulièrement pendant la période des questions. Il n'est pas acceptable que des gens crient après le président de la Chambre. Voilà où nous en sommes', a-t-il ajouté.
« Pour la députée néo-démocrate Carol Hughes, l'une des deux vice-présidents adjoints qui briguent désormais le poste le plus élevé, le ton des débats est devenu 'inacceptable' et doit changer. Sa collègue adjointe, la députée libérale Alexandra Mendès, estime que les discussions à la Chambre sont devenues 'incontrôlables'.
« 'Si nous voulons continuer à intéresser les Canadiens à ce qui se passe à la Chambre des communes, nous devons leur montrer que nos débats et nos échanges se font dans le respect et la maturité, et que nous ne nous lançons pas des insultes les uns aux autres', a-t-elle ajouté.
« Le député conservateur Chris d'Entremont est l'actuel vice-président de la Chambre des communes et brigue également le poste vacant de Rota. Il a attribué une grande partie du ton 'plus vif' du Parlement aux perturbations causées par la pandémie de COVID-19, qui a forcé les députés à participer aux débats de façon virtuelle pendant de longues périodes.
« 'Les députés n'ont pas eu l'occasion de se connaître, si bien qu'il n'y a pas d'amitiés qui se créent ici et qu'on ne comprend pas la position des autres députés', a-t-il déclaré au Star.
« Pourtant, quelle que soit leur origine, les candidats à la présidence semblent s'accorder sur le fait que quelque chose doit changer dans la manière dont les débats sont arbitrés à la Chambre des communes.
« Selon Mme Mendès, il suffit d'appliquer plus rigoureusement les règles qui existent déjà pour faire respecter le décorum. Par exemple, elle dit que la Chambre est devenue trop indulgente en autorisant les députés à signaler l'absence d'une personne à la Chambre – ce qui est explicitement interdit mais se produit fréquemment sans conséquence.
« Hughes et Casey ont également insisté sur le fait que le prochain président doit être plus strict, notant que certains députés sont devenus trop à l'aise pour contester les décisions sur la façon de gérer les débats et sur les types de déclarations acceptables.
« 'Nous avons aujourd'hui à la Chambre des députés expérimentés qui défient ouvertement la présidence et qui se font taper sur les doigts à plusieurs reprises', a déclaré M. Casey, appelant le prochain président à faire preuve de plus de 'fermeté'. 'Les règles de base doivent être établies dès le départ et respectées.'
« Elizabeth May, leader parlementaire du Parti et députée de la Colombie-Britannique, a dit qu'elle se lançait dans la course à la présidence, mais qu'elle ne faisait pas activement campagne. Pour elle, la nécessité de faire respecter les règles existe depuis de nombreuses années, y compris une convention qui interdisait aux députés de lire des discours écrits et qui a été largement abandonnée.
« 'Les débats que nous avons au Parlement sont essentiellement un exercice de mauvais théâtre d'école secondaire, a dit Mme May. Ce n'est pas édifiant.'
« Mme May a également déploré qu'au cours des dernières décennies, les présidents successifs ont accepté d'utiliser les listes fournies par les whips de chaque parti pour décider à qui donner la parole pendant les débats de la période des questions. Pour elle, cela signifie que les députés sont plus enclins à plaire à leurs chefs partisans qu'à respecter les règles de conduite du président de la Chambre des communes.
« 'Plus des agents de coulisses des partis ont à voir avec ce qui se passe sur le plancher du Parlement, plus il y a perte d'un discours respectueux', croit-elle.
« Pour orienter le débat à la Chambre des communes, M. Rota interrompait souvent les échanges pour demander aux députés d'arrêter de crier les uns sur les autres. Plus rarement, il nommait publiquement un député qui se comportait mal ou modifiait l'ordre dans lequel les députés étaient appelés à poser des questions. Il était rare qu'il aille plus loin et ces mesures n'étaient peut-être pas très efficaces.
« L'année dernière, par exemple, Anthony Rota a expulsé la députée conservatrice Raquel Dancho de la Chambre après qu'elle eut refusé de s'excuser d'avoir accusé un député libéral de mentir lors d'un débat sur le contrôle des armes à feu. Dans les jours qui ont suivi, Mme Dancho a affirmé qu'elle avait été punie pour avoir 'dit la vérité', tandis que les conservateurs ont cité l'incident dans une campagne de collecte de nouveaux dons auprès de leurs partisans.
« De telles situations laissent croire que le prochain président devra s'abstenir d'éjecter les députés, et plutôt refuser de leur donner la parole pendant les débats s'ils utilisent un langage ou se comportent d'une manière jugée 'antiparlementaire', de dire M. Casey.
« Pour M. d'Entremont, il est parfois préférable de trouver un terrain d'entente, en particulier lorsque les députés des deux côtés de la Chambre sont engagés dans un débat houleux. Un tel exemple s'est produit après l'incident nazi, lorsque la députée conservatrice Melissa Lantsman a qualifié la leader parlementaire libérale Karina Gould de 'honte'. Les libéraux ayant demandé à Mme Lantsman de s'excuser pour avoir utilisé un langage non parlementaire, et M. d'Entremont ayant supervisé le débat après la démission d'Anthony Rota, il a pris une journée pour réfléchir à ce qui s'était passé. Le lendemain, il a jugé que les propos de M. Lantsman n'étaient pas 'antiparlementaires', même s'ils ne respectaient pas 'la civilité et le respect essentiels' que les parlementaires doivent se témoigner les uns aux autres. Il a décidé de ne prendre aucune mesure à la suite de cet incident, si ce n'est d'encourager les députés à utiliser un langage plus convivial.
« Cette décision a suscité les critiques du député libéral Chris Bittle, qui a déclaré qu'elle montrait que M. d'Entremont ne devrait pas être le prochain président du Parlement. Mais M. d'Entremont a répondu qu'il pensait avoir trouvé le bon équilibre, d'autant plus que 'l'on en disait plus' pendant le débat, de part et d'autre.
« 'Dans de nombreuses situations comme celle-ci, lorsque tout le monde est contrarié, vous êtes probablement au bon endroit', a-t-il dit.
Selon lui, le prochain président devra être plus strict, c'est-à-dire qu'il devra être plus prompt à apaiser les tensions lorsque les esprits s'échauffent à la Chambre.
« 'Quel que soit le prochain président, il devra faire preuve de plus de discernement et de rapidité dans ses décisions, et ne pas laisser les choses aller un peu trop loin', a-t-il soutenu.
« Outre les responsabilités qui lui incombent, le président de la Chambre bénéficie d'une augmentation de salaire de 92 800 dollars, qui vient s'ajouter au salaire annuel de base de 194 600 dollars versé à tous les députés. Il reçoit également les clés d'une résidence officielle appelée 'La Ferme', un domaine du XIXe siècle situé dans les collines de la Gatineau, que le premier ministre William Lyon Mackenzie King a légué au gouvernement fédéral lorsqu'il y est décédé en 1950.
« Les avantages mis à part, ce rôle est essentiel à la démocratie canadienne, et il est désormais assorti de la responsabilité supplémentaire d'aider la Chambre à se remettre de la bévue qu'a été la reconnaissance d'un homme qui a combattu avec une unité nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale, selon Mme May.
« 'J'apprécie Anthony (Rota) en tant que personne, mais je pourrais le tuer parce que c'était tellement inutile. C'était mortifiant. Vous vous sentez physiquement mal à cause de ce qui s'est passé, dit-elle. Et c'est certainement horrible, rien que les conséquences et la façon dont, bien sûr, tout le monde va jouer à des jeux partisans avec cela.
« 'Le prochain président de la Chambre des représentants aura tout un défi à relever.' »

(Toronto Star, 2 octobre 2023. Traduction : LML)


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Volume 53 Numéro 10 - Octobre 2023

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