Faits saillants de la déclaration de fin de mission

Le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d'esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, Tomoya Obokata, a publié une déclaration le 6 septembre à l'issue de sa visite de deux semaines au Canada. Il note que même si le Canada « a ratifié la majorité des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et des conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail visant à prévenir le travail forcé, le travail des enfants et l'exploitation au travail et à garantir les droits des travailleurs, et qu'il participe aux forums mondiaux sur les formes contemporaines d'esclavage », « plusieurs traités importants n'ont pas encore été ratifiés ». Il s'agit notamment de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que des normes internationales du travail relatives à la protection des travailleurs migrants.

Le rapporteur spécial recommande leur « ratification et leur mise en oeuvre rapides [...] afin de remédier aux violations des droits fondamentaux des travailleurs. »


Travailleurs migrants

Le rapporteur spécial écrit qu'il « est troublé par le fait que certaines catégories de travailleurs migrants sont rendues vulnérables » « par les politiques qui régissent leur statut d'immigration, leur emploi et leur logement au Canada ». Il se dit particulièrement préoccupé par le fait que « cette main-d'oeuvre est racialisée de manière disproportionnée, ce qui témoigne d'un racisme et d'une xénophobie profondément enracinés dans le système d'immigration du Canada ». Il écrit notamment que « les filières agricoles et de bas salaires du Programme des travailleurs étrangers temporaires constituent un terreau fertile pour les formes contemporaines d'esclavage », avant de déclarer qu'il « est troublé par les rapports selon lesquels la proportion de travailleurs entrant au Canada par le biais de ce programme est en forte augmentation. »

À maintes reprises, remarque-t-il, « le gouvernement du Canada a été informé des risques de mauvais traitements et d'exploitation et de l'absence de contrôle efficace des programmes de travailleurs étrangers temporaires », « notamment par le biais de rapports du vérificateur général et des commissions parlementaires compétentes. »

« Les travailleurs qui entrent au Canada par le biais de ces programmes, poursuit-il, reçoivent des permis de travail fermés, ce qui signifie qu'ils ne peuvent pas changer d'employeur et qu'ils risquent d'être expulsés à la fin de leur emploi. » Et bien que le gouvernement canadien maintienne que les travailleurs étrangers temporaires peuvent quitter leur emploi et rester au Canada légalement jusqu'à l'expiration de leur visa, l'expert de l'ONU note que ce n'est pas une option pour la plupart d'entre eux. »

Il détaille les obstacles auxquels ils sont confrontés : « il leur est interdit de travailler jusqu'à ce qu'ils puissent trouver un nouvel employeur pour entreprendre une évaluation de l'impact sur le marché du travail en leur nom, un processus qui, en soi, prend de nombreux mois. Ils ne peuvent pas non plus accéder à la plupart des services sociaux destinés aux personnes sans emploi en raison de leur statut temporaire. Cela crée une relation de dépendance entre les employeurs et les employés, rendant ces derniers vulnérables à l'exploitation et aux mauvais traitements, que beaucoup se sentent incapables de dénoncer de peur de perdre leur statut migratoire et/ou leur emploi. »

Il est également important de reconnaître « l'existence de la servitude pour dettes chez de nombreux migrants, qui paient parfois de grosses sommes d'argent à des courtiers en recrutement dans leur pays d'origine », déclare le rapporteur spécial « Les droits des travailleurs migrants, ajoute-t-il, sont encore restreints par l'écart de gouvernance entre la juridiction fédérale qui régit leur entrée au Canada et les juridictions provinciales et territoriales qui réglementent les conditions de travail dans 90 % des emplois.

« L'incapacité des travailleurs à signaler les mauvais traitements s'est aggravée par le fait que de nombreux travailleurs résident dans des logements fournis par l'employeur, ce qui est explicitement exigé des employeurs dans le cadre de certains PTET, et peuvent donc se retrouver sans abri s'ils perdent leur emploi. Même lorsque les travailleurs ne sont pas tenus de résider dans un logement fourni par l'employeur, ils ont peu d'alternatives abordables, car de nombreux employeurs sont basés dans des endroits éloignés et il y a une pénurie générale de logements abordables au Canada. »

Une précarité similaire existe dans le cas des étudiants internationaux « qui travaillent plus de 20 heures par semaine, des demandeurs d'asile en attente de leur permis de travail, des travailleurs migrants sans papiers et de ceux qui ont perdu leur statut » « car ils ne peuvent pas dénoncer les mauvais traitements par crainte d'être expulsés. Les employeurs qui connaissent leur statut peuvent les exploiter sous la menace de les dénoncer aux services de l'immigration. »

Le rapporteur spécial indique également qu'il a reçu des informations de première main de nombreuses sources, « notamment des travailleurs migrants eux-mêmes, soulignant les conditions de travail et de vie épouvantables dans la réalité. Il s'agit notamment d'horaires de travail excessifs, de l'obligation d'effectuer des tâches extracontractuelles, de tâches physiquement dangereuses, de bas salaires, de l'absence de rémunération des heures supplémentaires, du refus d'accès aux soins de santé et/ou au transport vers les établissements médicaux, de l'accès limité aux services sociaux, notamment aux services destinés aux nouveaux arrivants et aux cours de langue, ainsi que du harcèlement sexuel, de l'intimidation et de la violence ». « Les personnes occupant un logement fourni par l'employeur ont fait état de conditions de vie surpeuplées et insalubres, d'un manque d'intimité, d'une absence de dispositions de logement tenant compte des spécificités des hommes et des femmes », etc.

Les inspections du travail, de la santé et de la sécurité « ne sont pas régulières et, lorsqu'elles le sont, elles peuvent être effectuées à distance par téléphone et sur présentation de photos ou, lorsqu'elles ont lieu en personne, avec un préavis donné aux employeurs dans la plupart des cas afin qu'ils puissent faire les préparatifs nécessaires. »

La plupart des travailleurs migrants, ajoute-t-il, ne connaissent pas non plus les mécanismes de plainte et « craignent de signaler des cas de violation du droit du travail par peur du chômage et de l'expulsion, ainsi que d'autres obstacles tels que les barrières linguistiques et l'accès limité à l'internet. »

Même si les travailleurs migrants en situation d'exploitation et de mauvais traitements peuvent demander un permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables, il souligne que « ce n'est pas une solution efficace » parce que « le travailleur doit rester avec l'employeur abusif ou survivre au Canada sans pouvoir travailler légalement ou accéder à la plupart des services sociaux jusqu'à ce que la demande de permis de travail ouvert soit accordée », et « la norme de preuve élevée requise dans la pratique pour recevoir une décision positive malgré un seuil légal de 'motifs raisonnables' , et les barrières linguistiques et le manque de capacité à naviguer dans le processus juridique pour obtenir un permis sans aide extérieure ». Même une fois le permis obtenu, il est d'une durée limitée et non renouvelable, et stigmatise de nombreuses personnes dans la pratique, car les futurs employeurs peuvent considérer les détenteurs de ce permis comme des « fauteurs de troubles ».

Quant à la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes du Canada (2019-2024), elle « ne s'engage pas à examiner ou à réviser les politiques gouvernementales qui facilitent directement le travail forcé, y compris les volets agricole et bas salaire du Programme des travailleurs étrangers temporaires. »

Le rapporteur spécial se dit également préoccupé par le fait que « le taux de poursuite et de sanction des formes contemporaines d'esclavage est assez faible au Canada » et suppose que « le nombre de victimes et d'incidents dans l'ensemble est probablement beaucoup plus élevé lorsque l'exploitation du travail et d'autres formes d'esclavage contemporain » sont prises en compte.


Travailleurs agricoles migrants du Guatemala au Canada

Conclusions

Parmi les nombreux remèdes nécessaires pour remédier à la situation, le rapporteur spécial souligne la nécessité de « mesures visant à promouvoir une diligence raisonnable en matière de droits humains dans les activités des entreprises canadiennes, à réformer les programmes de migration qui servent de terreau aux formes contemporaines d'esclavage et à mettre fin à la discrimination raciale dans les politiques de migration. »

« Les causes profondes des formes contemporaines d'esclavage, telles que la pauvreté, l'inégalité et la discrimination, qui ont été amplifiées par l'héritage du colonialisme et du racisme, déclare-t-il, doivent être traitées plus sérieusement. Une coordination plus étroite et des approches unifiées dans toutes les juridictions » « sont également nécessaires dans un certain nombre de domaines affectant le bien-être des victimes ou des personnes menacées par les formes contemporaines d'esclavage. Ce faisant, il est essentiel que les personnes et les communautés concernées soient pleinement associées à tous les processus décisionnels ayant une incidence sur leur vie. »

Recommandations clés concernant les droits humains des migrants

« ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990 et d'autres traités importants;

« modifier le programme des travailleurs étrangers temporaires pour permettre aux travailleurs de choisir librement leur employeur, sans restriction ni discrimination;

« appliquer pleinement la législation provinciale/territoriale sur les normes d'emploi aux personnes bénéficiant du programme des travailleurs étrangers temporaires, sans aucune exemption ou exception, y compris en ce qui concerne les droits syndicaux;

« renforcer les inspections du travail et du logement. Allouer suffisamment de ressources humaines et autres à cette fin, et travailler en collaboration avec les organisations de la société civile et les syndicats;

« garantir l'accès aux soins de santé pour tous les travailleurs migrants sans aucune discrimination;

« faciliter et simplifier la demande de permis de travail ouvert pour les travailleurs vulnérables;

« créer des voies d'accès à la résidence à long terme ou permanente pour tous les travailleurs migrants sans aucune discrimination;

« renforcer la coordination entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux et les organisations non gouvernementales afin de fournir un soutien et une assistance aux victimes;

« régulariser le statut d'immigration des travailleurs migrants sans papiers qui ont été victimes de formes contemporaines d'esclavage;

« assurer une surveillance plus stricte des recruteurs et des consultants en matière d'immigration;

« s'attaquer aux causes profondes des mauvais traitements et de l'exploitation des travailleurs migrants, en particulier le racisme et la xénophobie;

« promouvoir une approche unifiée de la protection des droits des travailleurs migrants à travers le Canada grâce à une coordination et une communication plus proactives entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux;

« veiller à ce que les employeurs qui se livrent à l'exploitation de la main-d'oeuvre soient tenus pour responsables et fassent l'objet de sanctions appropriées;

« inclure les travailleurs migrants dans toutes les décisions affectant leur bien-être;

« réglementer tous les PTET, y compris ceux qui ne font pas partie du programme des travailleurs agricoles saisonniers, par le biais d'accords bilatéraux avec les pays d'origine et en autorisant la surveillance et la protection des travailleurs par les consulats. »


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Volume 53 Numéro 10 - Octobre 2023

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