L'effondrement de Crédit Suisse

– K.C. Adams –


Manifestations d'activistes pour le climat contre le renflouement de Crédit Suisse par le gouvernement, le 20 mars 2023 (à gauche) et le 4 avril 2023

Crédit Suisse est un oligopole supranational et la deuxième plus grande institution financière de Suisse. Communément appelée une société de portefeuille, la banque a son siège à Zurich et possède des actifs et fait des transactions dans plus de 150 endroits. Environ 70 % de ses 50 000 employés étaient répartis dans 50 pays et géraient des actifs d'une valeur de 1 750 milliards de dollars à la fin de 2021.

L'oligopole a sombré dans la crise cette année, après plusieurs années d'enregistrement de pertes importantes. En 2021, son fonds d'investissement américain Archegos Capital et le fonds britannique Greensill Capital, aujourd'hui insolvable, ont enregistré des pertes de plusieurs milliards de dollars. En même temps, d'autres problèmes sont apparus au sein de sa branche d'investissement américaine, la First Boston. Par la suite, la valeur des actions du Crédit Suisse sur le marché boursier a chuté de trois quarts. Manquant de fonds pour assurer le service de ses dettes, la banque a annoncé au début de l'année son intention d'emprunter 54 milliards de dollars supplémentaires. L'effet cumulé de ces mesures a incité les titulaires de comptes à retirer 119 milliards de dollars de la banque.

Les médias financiers affirment que de nombreuses transactions de la banque impliquent des contrats dérivés utilisant des valeurs fictives empruntées qui font passer de l'argent d'une main à l'autre sans aucun lien avec la production sociale. Cette pratique a commencé surtout avec l'acquisition par Crédit Suisse de la société First Boston en 1988, marquant l'élimination de fait de toute réglementation interdisant aux banques d'agir de la sorte aux États-Unis. Avec l'inflation des prix et la hausse des taux d'intérêt en 2022, un grand nombre de ses contrats dérivés et de ses avoirs obligataires ont perdu une grande partie de leur valeur notionnelle, ce qui a contraint la banque à déclarer une perte nette de 7,3 milliards de francs suisses (près de 8 milliards de dollars) en 2022 et à prévoir une autre perte « substantielle » en 2023.

Face à ces pertes et prise avec un manque de fonds, la banque a demandé l'aide de ses principaux actionnaires aux États-Unis, en France et en Arabie saoudite, qui ont tous refusé d'investir davantage. L'élite dirigeante suisse a tiré la sonnette d'alarme. Sous prétexte que Crédit Suisse est trop grand pour faire faillite, les dirigeants de la banque et le gouvernement ont invoqué une ordonnance d'urgence pour forcer la liquidation d'une partie des actifs de la banque tout en préservant les actifs de ses créanciers les plus puissants et une reprise par UBS, la plus grande institution financière de Suisse. Le décret exécutif a court-circuité les actionnaires du Crédit Suisse, qui auraient autrement eu le droit de vote, ainsi que les membres non exécutifs de l'Assemblée fédérale suisse, de son Conseil national et de son Conseil des États.

Le décret a incité Dominik Gross, de l'Alliance suisse des organisations de développement, à dire que « le recours par le gouvernement à des pouvoirs d'urgence pour faire passer cette transaction va au-delà des normes légales et démocratiques ».

De même, le Parti communiste (Suisse) souligne dans une déclaration sur le sujet : « Le Parti Communiste déplore également un énième abus du droit de nécessité pour contourner le processus de consultation démocratique du Parlement suisse, ce qui s'est déjà produit avec la pandémie et les sanctions. Les problèmes de Crédit Suisse étaient connus depuis plusieurs mois, mais le Parlement n'a pas été consulté sur les instruments et les stratégies d'une éventuelle sortie de crise. »

Dominik Gross a également dénoncé les aspects de l'accord relatifs au sauvetage de la banque, qui semblent à première vue favoriser certains propriétaires des actifs de Crédit Suisse et UBS, qui est elle-même au bord de la crise. Dans un article de Bloomberg News intitulé « Le sauvetage des banques pourrait coûter des milliards aux contribuables suisses », il déclare : « Les contribuables doivent eux aussi payer pour des milliards de francs d'investissements de pacotille et pourtant le gouvernement, la FINMA (l'autorité de régulation des marchés) et la banque centrale n'ont donné que peu d'explications sur la garantie de neuf milliards de francs accordée par l'État à UBS. »

Les détails du sauvetage sont rares, hormis la garantie gouvernementale de 109 milliards de dollars d'« aide à la liquidité » pour UBS de la part de la banque centrale suisse et un garantie contre perte de 9 milliards de francs. Le gouvernement a décrété une dépréciation de certaines obligations du Crédit Suisse en dehors de toute procédure de faillite, ce qui a déclenché une avalanche d'actions en justice. Les actionnaires du Crédit Suisse recevront un pourcentage de 3,24 milliards de dollars en actions UBS, tandis que UBS reprendra les 1,75 trillion de dollars d'actifs gérés par Crédit Suisse, ce qui augmentera considérablement les presque 4 trillions de dollars déjà gérés par UBS. Même avant cet apport d'actifs, UBS était réputée gérer la plus grande quantité de richesses privées au monde, comptant parmi ses clients environ la moitié des milliardaires de la planète.

À la suite de ce rachat, UBS a annoncé d'importants licenciements. Citant un cadre supérieur d'UBS, le journal suisse Sonntagszeitung écrit que 36 000 employés des sociétés combinées seront licenciés dans le monde entier. Parmi eux, 11 000 se trouvent en Suisse. Les deux oligopoles mondiaux employaient ensemble 125 000 personnes dans le monde à la fin de 2022, dont environ 30 % en Suisse.

Pour couronner le tout, lors de la crise économique de 2008, la Banque nationale suisse (banque centrale) a renfloué UBS en achetant 60 milliards de dollars de ses actifs toxiques et 5,3 milliards de dollars d'actions afin de calmer les créanciers nerveux qui menaçaient de retirer leur argent.

Comportement et conditions sociales

Ce n'est pas la conscience des humains qui détermine leur être;
c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience.

Il est souvent suggéré que des politiques mauvaises ou irresponsables sont à l'origine des crises financières et économiques récurrentes. Les renflouements gouvernementaux qui utilisent des fonds publics pour sauver les institutions sont également qualifiés de mauvaises politiques, car il n'y a pas de compensation pour le public ni financière (à réinvestir au profit de la société) ni en termes d'emploi dans la garantie des postes de travail.

Les partis cartellisés sont particulièrement habiles à réduire toute l'affaire à de mauvaises politiques malgré le fait que, quel que soit le gouvernement au pouvoir, ce sont les pratiques de payer les riches qui dominent. L'économie politique du système impérialiste lui-même n'est pas analysée pour trouver ses contradictions internes qui conduisent à des crises récurrentes. La structure de l'État n'est pas non plus examinée et exposée comme empêchant la classe ouvrière d'imposer son contrôle sur ce qui lui appartient de droit, de défendre les droits de tous et de remplacer les rapports de production dépassés par des rapports qui sont en harmonie avec les forces productives socialisées.

Le fait est que l'anarchie a été érigée en autorité et que cela a des conséquences dévastatrices. Les prérogatives de l'exécutif de l'État suisse ont servi à favoriser des intérêts privés étroits, comme c'est le cas aux États-Unis, en France, au Canada, en Allemagne, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays. La politisation des intérêts privés étroits est au coeur de la restructuration néolibérale de l'État. En d'autres termes, l'État n'est plus seulement au service d'intérêts privés étroits, il est directement géré par ces intérêts. Cela montre la nécessaire de mettre la direction de l'économie sous le contrôle des producteurs parce que les élites dirigeantes ne font qu'accumuler de grandes richesses aux dépens des peuples et mènent le monde à la catastrophe.

L'offensive antisociale, en particulier les stratagèmes pour payer les riches, la destruction des programmes sociaux et l'utilisation des pouvoirs de police, s'est accélérée à la suite de la crise économique de 2008 : des nuages de plus en plus sombres s'accumulent annonçant des guerres plus importantes et l'effondrement économique et politique menace l'existence de l'humanité et de la Terre Mère. Le comportement et les objectifs de l'élite dirigeante reflètent les conditions matérielles dans lesquelles elle exerce son pouvoir et exproprie la valeur produite par les travailleurs.

La classe ouvrière moderne ne ressemble à aucune autre classe opprimée de l'histoire passée. Pour se libérer de l'oppression impérialiste, elle doit créer de nouvelles formes économiques, politiques et sociales qui ne dépendent pas de l'exploitation d'autres êtres humains. Ces formes donneront la base matérielle nécessaire pour garantir les droits de toutes et tous.

Dans la préface de sa Critique de l'économie politique, Karl Marx écrit :

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées.

« Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience.

« À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves.

« Alors s'ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Lorsqu'on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel – qu'on peut constater d'une manière scientifiquement rigoureuse – des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu'au bout. Pas plus qu'on ne juge un individu sur l'idée qu'il se fait de lui-même, on ne saurait juger une telle époque de bouleversement sur sa conscience de soi; il faut, au contraire, expliquer cette conscience par les contradictions de la vie matérielle, par le conflit qui existe entre les forces productives sociales et les rapports de production. »

La classe ouvrière doit donner une nouvelle direction à l'économie et se donner les moyens de priver les oligopoles, qui opèrent sous forme de cartels et de coalitions, de leur pouvoir de décision et de leur capacité à agir en toute impunité. C'est ce que les luttes des travailleurs des sociétés capitalistes agonisantes s'efforcent de réaliser.


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Volume 53 Numéro 5 - Mai 2023

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