La santé et sécurité des travailleurs migrants

– Entrevue avec Michel Pilon –

Michel Pilon est le directeur général du Réseau d'aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec (RATTMAQ).

En ce qui concerne le RATTMAQ, nous nous posons beaucoup de questions au sujet du problème d'assurer la santé et la sécurité des travailleurs que nous représentons. C'est le cas principalement du fait que la nouvelle loi adoptée par le gouvernement du Québec, dite de modernisation du régime de santé et sécurité au travail, prévoit que dans 80 % des entreprises il y aura dorénavant des comités de santé et sécurité.

La grande problématique pour nous, c'est comment on va choisir les travailleurs. Est-ce que l'employeur va les choisir et alors ils deviendront des comités fantoches. Comment va-t-on implanter ces comités dans notre secteur, qui va former les travailleurs, et qui va les défendre en cas de problèmes, si l'employeur n'est pas satisfait par rapport à une décision que fait le travailleur ? Je parle ici des travailleurs non syndiqués parce que nous on représente, dans une proportion de 60 %, des personnes non syndiquées. Qui va représenter ces travailleurs non syndiqués s'ils font face à des représailles de l'employeur ?

La deuxième préoccupation c'est tout le problème des accidents de travail et des maladies professionnelles. Nous dénonçons la judiciarisation de tout ce processus-là. Les employeurs ont le gros bout du bâton. Ils peuvent contester tout ce qu'ils veulent et ils le font systématiquement. Les travailleurs non syndiqués n'ont pas les moyens de se défendre. Souvent, ils renoncent à leurs droits qui existent dans la loi.

Un des gros problèmes auxquels nous faisons face, ce sont les Mutuelles de prévention. Ce sont de gros bureaux d'avocats de Montréal qui sont payés environ 200 000 $ par année pour contester à peu près tout ce qui est contestable. Et l'accès à la justice n'existe pas en ce qui concerne les travailleurs. Elles s'appellent des mutuelles de prévention, mais moi je les appelle des mutuelles de gestion. Elles ne font aucune prévention. Tout ce qu'elles font c'est gérer les dossiers afin que cela coûte le moins cher possible aux employeurs. Leur méthode est de contester systématiquement les dossiers de CNESST.

On en est rendu à une situation où ce sont les employeurs qui dictent au travailleur temporaire quel médecin aller voir et le médecin en question est souvent un médecin pro-employeur qui cache au travailleur qu'il souffre d'une maladie professionnelle. On se retrouve souvent avec les médecins de l'employeur qui contestent les diagnostics, les atteintes permanentes, les limitations fonctionnelles.

Les travailleurs n'ont pas les moyens d'accéder à la justice. Cela fait des années que nous revendiquons que le travailleur puisse avoir droit à un avocat pour pouvoir se défendre devant les tribunaux.

Au RATTMAQ, nous faisons de la représentation des travailleurs temporaires, mais ceux que nous représentons et défendons devant les tribunaux, cela représente la pointe de l'iceberg. Les travailleurs ont peur de faire des réclamations. Ils ont des permis fermés. Ils sont liés à un employeur unique. Il y en a plein d'autres que nous pourrions défendre mais il y a tellement d'employeurs qui n'ont pas déposé de réclamation du travailleur à la CNESST. Et il y a aussi tellement de travailleurs qui n'ont pas fait de réclamation auprès de la CNESST parce qu'ils ne connaissent pas leurs droits. Premièrement parce qu'ils ne connaissent pas le français et quand ils connaissent finalement leurs droits, ils font souvent les choses en retard par rapport au délai prévu de six mois pour présenter une réclamation.

Je pense à ce cas d'un travailleur, un dossier d'un travailleur avec un cancer au poumon suite à l'utilisation de pesticides fongicides. Je l'ai gagné l'an dernier malgré un délai d'un an et demi dans la présentation de la réclamation. La juge m'a donné raison parce que le travailleur ne connaissait pas ses droits. Mais, est-ce qu'il faut à chaque fois plaider un motif raisonnable pour le hors délai, à chaque fois qu'un travailleur ne connaît pas ses droits ?

Pour faire notre travail à la défense des droits des travailleuses et travailleurs agricoles migrants qui viennent travailler au Québec, nous avons un kiosque permanent à l'Aéroport de Montréal, et nous les accueillons à leur arrivée. Ils arrivent tous par l'Aéroport de Montréal. L'an dernier, nous avons rencontré environ 38 800 travailleurs en tout à l'aéroport. Nous avons une équipe de six personnes à plein temps sur place pour les accueillir. Dès qu'ils sortent de la zone internationale, ils passent à notre kiosque.

On leur remet un agenda dans lequel ils peuvent inscrire leurs heures de travail, parce que souvent ils ne les prennent pas en note. Dans cet agenda, il y a aussi des code-barres qui les renseignent sur leurs droits en matière de santé et sécurité du travail. Nous établissons avec eux un lien WhatsApp, ce qui nous permet de leur envoyer des vidéos et nous permet de communiquer visuellement. Le RATTMAQ a fait notamment 14 vidéos sur YouTube sur divers sujets, dont une en matière d'accidents de travail et de maladies professionnelles, une sur les normes du travail et une sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et sur la Charte canadienne des droits et libertés parce que nous utilisons les deux. WhatsApp est gratuit, ce qui est aussi un grand avantage. Ils vont travailler dans plusieurs régions, parfois aussi loin que les îles de la Madeleine ou la Côte-Nord, et nous appellent pour de l'information ou même des causes.

Récemment, il y a un travailleur qui a été frappé par son employeur. Nous sommes allés le chercher, nous le logeons dans une de nos résidences d'urgence que nous avons au RATTMAQ, nous avons déposé des plaintes pour voie de fait contre l'employeur et nous sommes en train de demander un permis ouvert comme travailleur vulnérable.

Ces travailleurs oeuvrent tous dans le secteur agro-alimentaire, que ce soit le domaine agricole ou la transformation alimentaire, viande ou poisson. Ils viennent de plusieurs pays, notamment le Mexique et le Guatemala.

Je souhaite ardemment que la situation des travailleurs agricoles temporaires s'améliore, qu'ils aient une meilleure accessibilité à la justice, et ils ne l'ont pas en ce moment. Je souhaite que cette accessibilité soit quelque chose de concret, et qu'on cesse de s'acharner sur les travailleurs avec des mutuelles de prévention qui ne pensent pas à la prévention mais pensent aux poches des employeurs.


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Volume 53 Numéro 5 - Mai 2023

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