Pleurons les morts ! Luttons pour les vivants !

Les travailleurs de Suncor soulèvent la nécessité d'exercer un contrôle sur leurs conditions de travail

– Peggy Morton –

Suncor, l'un des cinq grands oligopoles des sables bitumineux, et l'entrepreneur Christina River Construction ont chacun plaidé coupables le 14 avril à un chef d'accusation d'avoir enfreint la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Alberta dans le cas du décès de Patrick Poitras.

Patrick Poitras

Patrick est décédé le 13 janvier 2021 après avoir été chargé de déneiger un bassin de décantation. La glace a cédé et son bulldozer est passé au travers de la glace. Les conditions étaient si dangereuses que les secouristes n'ont pu récupérer son corps que deux jours plus tard.

Patrick n'avait que 25 ans. Il travaillait dans les sables bitumineux depuis six ans et prévoyait de rentrer définitivement au Nouveau-Brunswick dans quelques mois. La veille de sa mort, il avait parlé à son père et lui avait fait part de ses craintes quant aux conditions dangereuses dans lesquelles il devait travailler.

Vingt-huit accusations ont été portées contre les entreprises en novembre 2022, 19 contre Suncor et neuf contre Christina River Construction. Les accusations portaient sur le non-respect des protocoles de sécurité, l'absence de vérification correcte de l'épaisseur de la glace et l'ignorance de mesures antérieures montrant que la glace n'était pas assez épaisse pour supporter le poids d'un bulldozer.

Les mesures de glace disponibles ont montré que l'épaisseur minimale de la glace était inférieure à 43 centimètres, comme l'exigeait le plan de sécurité de Suncor. Suncor a également été accusée de ne pas avoir pris en compte le poids de la neige lors de travaux sur un étang gelé et de ne pas avoir veillé à ce que le site soit supervisé par un ingénieur des glaces.

Christina River Construction a également été accusée de ne pas avoir utilisé de géoradar pour déterminer l'épaisseur de la glace et de ne pas avoir vérifié si la glace pouvait supporter la charge du véhicule. Les accusations portaient également sur l'absence de dispositif de flottaison et de plan de sécurité au cas où le bulldozer serait submergé.

Lorsque l'affaire a été jugée le 14 avril, 26 des 28 chefs d'accusation ont été abandonnés sans explication, et Suncor et l'entrepreneur ont chacun plaidé coupable à un chef d'accusation, une entente proposée dans le cadre d'une soumission conjointe de la Couronne et de la défense, et accepté par le juge qui présidait l'audience. Ils ont été condamnés à des amendes de 420 000 $ et 325 000 $ respectivement.

Patrick Poitras est le douzième travailleur à mourir au travail à Suncor depuis 2014, sans compter les décès dus à la COVID, qui n'ont jamais été signalés. Pourtant, le procureur de la Couronne a abandonné la plupart des accusations graves et a préféré conclure un entente pour que les responsables s'en sortent indemnes.

Suncor a réalisé un profit brut de 27,707 milliards de dollars et un profit net de 9,077 milliards de dollars en 2022. C'est peut-être légal, mais on ne peut en aucun cas parler de justice lorsque les gouvernements et l'État permettent à ces oligopoles de poursuivre leurs activités, de présenter leurs excuses habituelles et d'inscrire les amendes dans leurs livres de comptes comme un coût mineur de l'activité.

La famille de Patrick, qui a le coeur brisé, s'est exprimée avec force sur cette mort tout à fait évitable. Sa mère, Cathina Cormier, a déclaré que les tribunaux de l'Alberta n'avaient pas rendu justice pour la mort de son fils.« C'est une blague », a déclaré Cathina Cormier au Journal of Commerce, qualifiant l'amende de 420 000 dollars infligée à Suncor, une société multimilliardaire, de « tape sur les doigts ». Le père de Patrick Cormier a expliqué que son fils s'était beaucoup inquiété du danger du travail qu'on lui demandait d'effectuer et qu'il l'avait encouragé à refuser tout travail dangereux.

Chaque décès d'un travailleur, chaque vie précieuse qui prend fin, soulève la question de savoir comment les travailleurs peuvent défendre leur droit à des lieux de travail sécuritaires et salubres. Même les droits limités des travailleurs qui existent dans la Loi sur la santé et la sécurité au travail de l'Alberta ont été vidés de leur substance par le gouvernement Kenney avec le projet de loi 47.

Forum ouvrier a écrit à l'époque : « Le projet de loi 47 est la dernière d'une série d'attaques contre les travailleurs et leurs organisations de défense par l'adoption de lois. Tout en disant reconnaître la sécurité et les droits des travailleurs, le projet de loi 47 abaisse considérablement les obligations de l'employeur, prive les travailleurs du droit de choisir leurs propres représentants en santé et sécurité, vide de leur substance les comités mixtes de santé et de sécurité aux places de travail, impose de nouvelles définitions du travail dangereux et ouvre la porte à la discrimination par les employeurs contre les travailleurs qui refusent un travail dangereux. » La loi 47 a établi un nouveau processus d'enquête sur les travaux potentiellement dangereux, dans le cadre duquel l'employeur est seul à enquêter lorsqu'un travailleur refuse un travail dangereux. Le travailleur n'a plus le soutien d'un membre du comité mixte de santé et de sécurité au travail ou d'un collègue de travail de son choix.

Selon le Code criminel du Canada, une personne qui, en faisant quelque chose ou en omettant de faire quelque chose qu'il est de son devoir d'accomplir, fait preuve d'une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui, est coupable de négligence criminelle. Par devoir, on entend l'obligation imposée par la loi aux fins de la présente section. La mort d'une personne par négligence criminelle est considérée comme un homicide coupable, c'est-à-dire un homicide par négligence ou un meurtre. Pourtant, la sanction habituelle en cas de décès d'un travailleur est une amende.

La Loi Westray, entrée en vigueur en 2004, était l'aboutissement de plus de dix ans de travail des travailleurs et de leurs organisations en faveur d'une législation qui tiendrait les employeurs criminellement responsables des blessures et des décès au travail de travailleurs dus à leurs actions ou à leur inaction[1]. Près de 20 ans plus tard, il n'y a eu que deux condamnations, et une seule personne a été emprisonnée pour négligence criminelle ayant causé un décès sur le lieu de travail. Entre 2001 et 2021, 320 travailleurs sont décédés dans le secteur pétrolier et gazier, rien qu'en Alberta et en Saskatchewan.

Les travailleurs et leurs familles continuent de s'exprimer et de résister à ces attaques contre leurs droits, et montrent leur détermination à demander des comptes aux gouvernements et aux employeurs. Les travailleurs savent par expérience qu'ils doivent compter sur leur propre unité et organisation. Ce sont eux qui assument leurs responsabilités sociales en matière de sécurité des lieux de travail, et ce sont les travailleurs qui doivent exercer un contrôle sur leurs conditions de travail.

Note

1. Le 9 mai 1992, les vingt-six mineurs travaillant dans la mine de charbon de Westray, en Nouvelle-Écosse, ont été tués lorsque le méthane s'est enflammé, provoquant une explosion. Avant la tragédie, les travailleurs, les responsables syndicaux et les inspecteurs du gouvernement avaient tous soulevé de graves problèmes de sécurité, auxquels l'entreprise avait refusé de donner suite.


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Volume 53 Numéro 5 - Mai 2023

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