Fraude dans la gestion du réseau d'électricité ontarien

En juin 2018, Canadian Accountant a publié un article qui décrit ce qu'est la comptabilisation des activités à tarifs réglementés. Trois des quatre grands cabinets comptables (KPMG, Deloitte, Ernst&Young et PriceWaterhouseCoopers) étaient à l'époque payés par le gouvernement de l'Ontario pour des conseils sur la manière d'introduire la « comptabilisation des activités à tarifs réglementés » à la SIERE. Cette pratique comptable fait partie des principes comptables généralement reconnus (GAAP) des États-Unis. Elle permet « la reconnaissance des soldes découlant de la réglementation des tarifs ». Ce système a été utilisé par Enron, l'enfant-vedette de la comptabilité imaginative en 2000[1]. L'idée sous-jacente est que les industries fortement réglementées, telles que les services publics du secteur public et les sociétés privées de pipelines d'énergie, qui ne sont pas en mesure de fixer leurs propres tarifs, devraient avoir un moyen de reporter les coûts, par exemple en construisant une nouvelle centrale électrique. La comptabilisation des activités à tarifs réglementés permet aux services publics de placer ces coûts dans des comptes spéciaux pour les reporter sur les années suivantes, à condition que leur organisme de réglementation (dans ce cas, la Commission de l'énergie de l'Ontario) leur donne le droit de recouvrer ces coûts par le biais de factures futures. Ces droits peuvent être inscrits à l'actif – même si aucune électricité n'a été produite, utilisée ou facturée[2].

Un mois plus tard, le ministre des Finances de l'Ontario de l'époque, le même Charles Sousa qui a été élu pour les libéraux de Trudeau en décembre dernier lors d'une élection fédérale partielle dans la circonscription de Mississauga-Lakeshore, a annoncé un budget provincial équilibré pour 2017-2018. « [E]t l'année prochaine et l'année d'après, nous prévoyons qu'il sera également équilibré », s'est-il vanté.

La vérificatrice générale de l'Ontario, Bonnie Lysyk, est intervenue pour s'interroger sur le coût des milliards de dollars engagés lors de la réduction des tarifs de l'électricité. Comme le rapporte un article du Globe and Mail de 2018, Bonnie Lysyk a souligné : « Pour que ce [manque à gagner] n'apparaisse pas dans les résultats, ils ont créé une comptabilité imaginative pour le faire disparaître des états financiers du gouvernement. » En utilisant cette nouvelle comptabilité, le gouvernement a déclaré avoir équilibré les livres de la province pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2018, quelques mois seulement avant une élection générale. Mais Lysyk a déclaré que ce n'était pas vrai. Et le Bureau de la responsabilité financière (BRF), l'organisme chargé de fournir à l'assemblée législative des analyses et des conseils indépendants sur les finances de l'Ontario, était d'accord : en décembre, le BRF prévoyait que la province accumulerait en fait un déficit de 4 milliards de dollars – un écart, disait-il, qui s'accentuerait nettement à mesure que les emprunts hors bilan du gouvernement se poursuivraient[3].

À quoi faut-il s'attendre pour l'avenir ?

Bonnie Lysyk a déclaré qu'elle craignait que le succès du gouvernement Wynne dans la dissimulation de ses emprunts n'encourage une comptabilité plus agressive, comme elle l'appelle, tant en Ontario que dans les autres provinces.

« Si vous pouvez vous en tirer en faisant quelque chose qui n'est pas conforme à la comptabilité, la fois suivante, vous recommencerez et vous recommencerez encore », a-t-elle dit. « Très bientôt, ils n'auront plus de chiffres qui auront une quelconque intégrité derrière eux. »

Le Conseil des normes comptables du Canada (CNC) est considéré comme un « organisme indépendant qui a le pouvoir d'établir des normes comptables pour toutes les entités canadiennes à l'extérieur du secteur public ». Ses recherches révèlent une utilisation généralisée des GAAP américains par les services publics d'électricité en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec[4]. Le professeur Michel Magnan de l'Université Concordia et ancien directeur du CNC avait un conseil à donner aux Ontariens au sujet du service public/privé d'électricité de l'Ontario. « Suivez l'argent à la trace », a-t-il dit.

À cet égard, le Globe and Mail a rapporté en 2018, que KPMG a touché entre 86 000 et 92 000 dollars d'honoraires annuels au cours des trois années précédentes pour avoir vérifié les livres de la SIERE de l'Ontario. Pour ses conseils sur la nouvelle utilisation de la comptabilisation des activités à tarifs réglementés par la SIERE, KPMG a gagné 652 000 $ en 2017.

Actuellement, le conseil d'administration de la SIERE est composé d'un directeur général et de « 8 à 10 autres personnes nommées par le ministre » de l'Énergie de l'Ontario, qui nomme également le « premier directeur général de la SIERE. Le conseil d'administration nomme les directeurs généraux suivants et désigne l'un des administrateurs comme président ». En examinant la biographie de ces administrateurs, on constate qu'ils ont occupé des postes importants dans de grands cabinets d'avocats privés ou dans le secteur privé des mines et/ou de l'énergie, comme Trans Mountain, Enbridge et l'Association canadienne du gaz. D'autres ont occupé des postes importants dans le secteur financier, dans les sociétés Merrill Lynch Royal Securities, Nesbitt Thomson et BMO Nesbitt. Un exemple est Joe Oliver qui entre et sort de la porte tournante publique/privée avec des rôles tels que ministre des Finances un jour et président du conseil d'administration de la SIERE le lendemain.

On peut voir comment les intérêts privés étroits sont des oligopoles qui ont usurpé le pouvoir politique en s'emparant directement des fonctions de l'État. Quand il s'agit de décider de l'avenir de la société d'électricité de l'Ontario, la fraude est la règle du jeu. Tout est permis, sanctionné au nom d'idéaux élevés. Leur promotion d'un « programme d'énergie verte » par la production privée de batteries rechargeables au lithium et de stockage d'électricité, le tout par un système de stratagèmes pour payer les riches, va certainement aboutir à ce que la société d'électricité de l'Ontario et le gouvernement provincial accumuleront d'énormes déficits. Les travailleurs devraient intensifier la pression sur les tentatives du gouvernement de cacher cette réalité par une comptabilité imaginative.

Notes

1. « What Kathleen Wynne's Hydro fiasco tell us about the accounting profession », Collin Ellis, Canadian Accountant, 6 juin 2018

2. « Bad books : How Ontario's new hydro accounting could cost taxpayers billions », Matthew McClearn, Globe and Mail, 3 mai 2018

3. « Analyse des retombées financières du Plan ontarien pour des frais d'électricité équitables », Bureau de la responsabilité financière de l'Ontario, printemps 2017

4. « Document de recherche Information financière reflétant les aspects économiques des activités à tarifs réglementés », Conseil des normes comptables, Document de recherche, novembre 2018


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Volume 53 Numéro 4 - Avril 2023

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