La direction que donne le gouvernement Legault à l'économie du Québec

La transformation des minéraux critiques dans la région de Bécancour

– Pierre Chénier –


Le port de Bécancour au Québec

La zone industrielle et portuaire de Bécancour sur le fleuve St-Laurent, dans le centre du Québec, offre une infrastructure industrielle et portuaire de classe mondiale pour soutenir l'établissement d'industries lourdes. Elle est ciblée par le gouvernement Legault comme une infrastructure essentielle à la poursuite de l'intégration du Québec à l'économie et à la machine de guerre des États-Unis.

Le gouvernement des États-Unis ne cache pas qu'il s'efforce de sécuriser les chaînes d'approvisionnement « Made in America » pour les minéraux critiques, y compris les éléments des terres rares, le lithium et le cobalt, dont les États-Unis ont besoin, entre autres choses, pour leur capacité de combat. Les déclarations selon lesquelles ce développement sera bénéfique aux Québécois et aux Canadiens en assurant la transition vers une énergie verte et le développement de véhicules électriques civils comme exemple clé de cette transition ne peuvent cacher le fait que l'infrastructure en cours de construction sert la machine de guerre et les efforts des États-Unis pour dominer le monde. Cela va à l'encontre de la volonté des Québécois et des Canadiens de construire une économie qui veille au bien-être de la population et qui favorise les échanges sur la base de l'avantage réciproque.

https://cpcml.ca/images2017/Antiwar/170409-Montreal-Syrie-20.jpgDes développements récents ont mis en évidence les objectifs militaires agressifs qui sont poursuivis par la construction de ces usines et infrastructures. Un accent important est mis sur le fait que le Canada rompt ses relations avec la Chine afin que l'armée américaine prenne le contrôle de divers gisements miniers au Canada grâce aux récents financements publics annoncés par l'administration Biden. Les fonds publics aux États-Unis ont été donnés à l'armée et celle-ci les utilise maintenant pour aider les sociétés américaines à prendre le contrôle de divers projets miniers au Canada afin de placer le Canada, ses ressources, son territoire et ses travailleurs sous leur contrôle, tout cela au nom de la sécurité nationale et de contrer l'influence chinoise sur le Canada. Les Québécois et les Canadiens sont tenus dans l'ignorance et placés devant un fait accompli.

Au début du mois de novembre, le gouvernement canadien a ordonné à trois entreprises chinoises de se désinvestir d'un trio de sociétés minières canadiennes basées dans le pays, sous le prétexte frauduleux d'assurer la sécurité nationale du Canada. Il s'agit là de tentatives des agences de renseignement d'attiser l'hystérie contre la Chine afin d'établir le contrôle incontesté par les États-Unis des minéraux critiques et des chaînes d'approvisionnement du Canada par le biais d'infrastructures telles que les ports, les autoroutes, les chemins de fer, etc.

La « transition énergétique » du premier ministre du Québec François Legault met de l'avant ce qu'il appelle un « pôle mondial pour toute la filière batterie » dans la zone industrielle et portuaire de Bécancour.

En 2022, de nombreux monopoles des secteurs minier et manufacturier liés à la production de piles rechargeables au lithium-ion ont fait connaître leur intention de s'installer dans la région de Bécancour, le long du fleuve St-Laurent, pour y effectuer le traitement du lithium, du nickel et du graphite, des minéraux que les États-Unis déclarent comme étant critiques à leur sécurité nationale et leur capacité de combat. Le lithium en particulier est utilisé dans la fabrication de missiles et dans les équipements portables utilisés par les soldats. Tout en se disant favorables à une économie verte, ces monopoles des secteurs minier et manufacturier exigent des tarifs d'hydroélectricité qu'eux jugent favorables à leurs intérêts étroits privés.

En juin dernier, l'oligopole minier brésilien Vale a annoncé son intention d'installer à Bécancour une usine avec une capacité annuelle de traitement de 25 000 tonnes de sulfure de nickel pour les transformer en sulfate de nickel, le composé chimique utilisé dans la production de matériaux actifs pour les batteries lithium-ion à base de nickel. Le nickel proviendrait des opérations minières de Vale à Voisey's Bay, au Labrador, ou de celles de Sudbury en Ontario. Le 23 novembre, Vale et General Motors ont annoncé qu'ils avaient signé un accord pour fournir du sulfate de nickel à une usine que Vale propose d'établir à Bécancour.

Le parc industriel de Bécancour doit aussi accueillir deux autres projets d'envergure : celui de la firme allemande BASF et celui de l'alliance entre l'aciérie sud-coréenne POSCO et le constructeur automobile américain General Motors pour la fabrication de matériaux pour les cathodes – élément principal de la batterie au lithium-ion. Le nickel entre aussi dans la fabrication de la cathode de ces mêmes batteries, ce qui explique l'intérêt de Vale pour Bécancour.

Le graphite utilisé pour la fabrication des composants d'anode des batteries au lithium-ion est présentement extrait à 120 km au nord de Montréal dans la mine à ciel ouvert de Nouveau Monde Graphite (NMG). Ce projet minier a été approuvé par le gouvernement du Québec, sans que toutes les études environnementales demandées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) aient été réalisées. NMG est détenue en partie par le groupe britannique Pallinghurst et Investissement Québec et maintenant par les entreprises japonaises Mitsui et Panasonic, qui ont annoncé le 20 octobre dernier qu'ils investissaient 25 millions de dollars américains avec une contrepartie de Pallinghurst et Investissement Québec de 12,5 millions de dollars américains chacun.


La carte produite par Nouveau Monde Graphite montre le pôle de Bécancour pour la production des batteries au lithium et son accès aux marchés.

Le graphite de haute pureté qui y est extrait pourrait également être utilisé pour la production d'armes. Il sera traité dans une future usine de raffinage qui sera construite à Bécancour, dans le cadre d'une « toute nouvelle production intégrée d'anodes au Canada ». En avril déjà, les gouvernements fédéral et ontarien ont annoncé l'octroi de centaines de millions de dollars non spécifiés à la société européenne Stellantis et à LG Energy Solution de Corée du Sud « pour construire une usine de batteries pour véhicules électriques de 5 milliards de dollars à Windsor ».

Lors de sa visite au Canada les 27 et 28 octobre, qui visait à dire au Canada de s'aligner sur les tentatives des États-Unis d'isoler davantage la Chine et la Russie et d'intégrer encore plus le Canada à la machine de guerre des États-Unis, le secrétaire d'État Anthony Blinken a d'ailleurs visité, avec la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly, une usine pilote à Montréal pour le recyclage des batteries au lithium-ion des véhicules électriques. Cette usine pilote, Recyclage Lithion, est détenue conjointement par les intérêts privés étrangers General Motors (GM), la société sud-coréenne IMM Global Battery Limited et les gouvernements canadien et québécois. En avril, le gouvernement Legault a investi 15 millions de dollars en actions dans Recyclage Lithion et lui a accordé 7,5 millions de dollars en subventions

L'emplacement envisagé pour la première de ces usines de recyclage n'a pas encore été déterminé, mais si GM obtient ce qu'elle veut du gouvernement Legault en ce qui concerne les tarifs d'hydroélectricité, il y a de fortes chances qu'elle installe une usine de 500 millions de dollars dans la région de Bécancour, qui s'accorde bien avec les corridors de commerce qui alimentent le secteur manufacturier américain.

À Sorel, situé à moins de 100 km en amont de Bécancour, l'usine appartenant à la compagnie minière anglo-australienne Rio Tinto transforme le minerai de titane de Havre St-Pierre pour en extraire du dioxyde de titane et de l'oxyde de scandium, deux autres minéraux stratégiques qui ont aussi des applications militaires. Le 11 octobre dernier, lors d'une visite de l'usine à Sorel, le premier ministre Justin Trudeau et le ministre de l'Innovation, des Sciences et de l'Industrie François-Philippe Champagne ont annoncé des subventions du gouvernement fédéral de 222 millions de dollars à Rio Tinto pour procéder « à l'électrification des fournaises et au remplacement du charbon » pour la « décarbonation » de l'usine. Rio Tinto a déjà annoncé qu'elle va aussi procéder à cette même usine au raffinage du lithium qui proviendrait de plusieurs sources à l'échelle internationale si « les conditions y sont favorables ».


Le complexe métallurgique de Rio Tinto, à Sorel-Tracy

Il va de soi que pour ces riches intérêts privés étroits la question d'obtenir du gouvernement du Québec un tarif pour l'hydroélectricité qu'eux jugent favorable va être un facteur déterminant dans leurs décisions d'aller de l'avant avec ces projets à Bécancour et à Sorel. Guy Leblanc, PDG d'Investissement Québec, le pourvoyeur de subventions du ministère de l'Économie et de l'Innovation du Québec dont Fitzgibbon est le ministre, a abondé dans le même sens :

« Nous sommes en discussion avec plusieurs groupes. Ça se confirme : l'ensemble de la chaîne va s'établir au Québec. Pour la première fois dans l'histoire du Québec, on va faire de la transformation de nos minéraux sur place. »

Même si cette transformation se fait sur place, rien n'indique que le gouvernement Legault sera en mesure de contrôler où ces minéraux transformés aboutiront. En d'autres mots, cette chaîne d'approvisionnement en minéraux critiques qui débute avec leur extraction, puis leur transformation n'est pas sous le contrôle du gouvernement Legault, mais bien de grands intérêts privés anglo-américains, brésiliens, européens, sud-coréens et japonais qui rivalisent avec la Chine et la Russie.

Elle est une partie intégrante de l'intégration plus poussée du Québec et du Canada à la machine de guerre impérialiste américaine, au nom du développement de l'économie verte. La zone industrielle et portuaire de Bécancour est en train d'être préparée comme une infrastructure essentielle de cette intégration.


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Volume 52 Numéro 68 - 3 décembre 2022

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