Alcoa/Rio Tinto manipule la clause de « force majeure »
pour réaliser ses objectifs antiouvriers

Les travailleurs demandent que le gouvernement Legault force Alcoa/Rio Tinto à respecter ses engagements dans son contrat d'énergie


Manifestation des travailleurs d'ABI, le premier mars 2019, devant le bureau de circonscription du premier ministre François Legault

On porte beaucoup attention dans le lockout actuel, imposé par Alcoa/Rio Tinto aux travailleurs d'ABI depuis plus d'un an, à la clause de force majeure qui existe dans le contrat d'hydroélectricité entre le gouvernement du Québec, Hydro-Québec et Alcoa. Depuis le début du lockout le 11 janvier 2018, le recours à la clause de force majeure pour libérer le cartel de la plus grande partie de ses obligations de paiements, a privé Hydro-Québec de plus de 250 millions de dollars en électricité réservée pour la compagnie.

Alors que les travailleurs demandent que le cartel respecte son contrat, qui lui accorde des taux préférentiels sur son électricité, le gouvernement Legault se cache derrière la farce de la « force majeure », privant Hydro-Québec et les Québécois d'une vaste somme d'argent et finançant en partie ce lockout injuste et cet assaut contre le moyen de subsistance des travailleurs et de la communauté. Les Québécois demandent avec une force de conviction toujours plus grande que le gouvernement Legault fasse appliquer le contrat d'énergie et ne permette pas à Alcoa/Rio Tinto d'attaquer les travailleurs du Québec et de violer ses obligations sociales en toute impunité.

Le gouvernement du Québec et Hydro-Québec ont accordé de nouveaux tarifs d'électricité à un taux préférentiel pour les trois alumineries d'Alcoa au Québec, à Bécancour, Deschambault et Baie-Comeau, qui sont entrés en vigueur le 1er janvier 2015. Le contrat prévoit qu'un bloc d'électricité est réservé à Alcoa, qu'Hydro-Québec est obligé de produire et qu'Alcoa doit payer. L'arrangement comprend une clause de force majeure qui est ainsi définie :

« L'expression 'Force majeure' signifie tout événement imprévisible, irrésistible et échappant au contrôle d'une Partie qui retarde, interrompt ou empêche l'exécution, totale ou partielle par cette Partie de ses obligations en vertu du Contrat (notre souligné) ; sans restreindre la portée de ce qui précède, l'un ou l'autre des événements suivants constitue un événement de Force majeure : guerre, embargo, insurrection, invasion, émeute, rébellion, troubles sociaux, épidémie, inondation, incendie, explosion, foudre, tremblement de terre, verglas, orage, sabotage, conflit de travail, grève, piquetage ou lock-out (y compris les conflits de travail, grèves, piquetages et lock-out chez la Partie invoquant la Force majeure), ainsi que tout acte, omission et toute contrainte par une cour ou par une autorité publique (incluant le défaut ou retard d'émission de permis requis malgré les efforts raisonnables entrepris à cet égard). »

« La Partie affectée par un cas de Force majeure voit ses obligations suspendues dans la mesure seulement et en autant qu'elle agisse avec diligence raisonnable afin d'éliminer ou de corriger les causes et les effets de cette Force majeure. Cependant, le règlement des conflits de travail, grèves, piquetages et lock-out est laissé à l'entière discrétion de la Partie affectée qui fait face à ces difficultés. »

Les nouveaux tarifs préférentiels d'électricité ont été consentis par le gouvernement et Hydro-Québec à la suite de la menace d'Alcoa de fermer ses trois alumineries à compter du 1er janvier 2015 si de nouveaux tarifs, encore plus bas que le tarif préférentiel de l'époque, ne lui étaient pas consentis. Dans le cadre de cette négociation et de la signature de nouveaux contrats, sous menace de fermeture, la clause de force majeure qui était contenue dans les contrats précédents a aussi été reconduite.

Aujourd'hui, le gouvernement dit qu'il doit respecter les termes du contrat et qu'il a les mains liées. Mis à part le fait que les cartels mondiaux imposent ces contrats à sens unique aux autorités publiques pour servir leurs intérêts étroits, le contrat stipule clairement que la force majeure doit être « imprévisible, irrésistible et échappant au contrôle d'une Partie ». Ce lockout planifié et calculé ne peut absolument pas être décrit comme un événement « imprévisible, irrésistible et échappant au contrôle d'une Partie ». Il est entièrement sous le contrôle d'ABI et aurait pu être évité. Le fait que le contrat se contredise lui-même en donnant entière discrétion à la compagnie de résoudre le lockout montre que ces intérêts privés supranationaux ont usurpé le contrôle des autorités partout où ils opèrent et dictent leur volonté étroite.

Avant que le cartel Alcoa/Rinto Tinto ne décrète le lockout, la compagnie s'est retirée deux fois de la table des négociations, au lieu de terminer la négociation : en novembre 2018 et en décembre 2018. En décembre, la compagnie a fait une offre dite finale, disant que si les travailleurs la rejetaient, elle ne négocierait plus.


Les travailleurs d'ABI devant le bureau du premier ministre François Legault le 1er mars 2019

Les travailleurs ont résisté à cet ultimatum et à ces menaces, et rejeté cette offre après le temps des Fêtes, les 9 et 10 janvier, 2019, soulignant cependant qu'elle pourrait servir de base à une entente et qu'on n'était pas loin d'un règlement. Alors que le syndicat demandait une rencontre avec la compagnie pour expliquer la raison du rejet de l'offre, Alcoa a immédiatement fermé l'usine et imposé un lockout aux travailleurs à 3 heures dans la nuit du 11 janvier 2018. La compagnie n'a pas simplement décrété un lockout mais a fermé les deux tiers des cuves, ce qui demande une planification considérable tant pour la fermeture que pour le redémarrage. C'était évidemment un geste planifié et pas du tout hors du contrôle de la compagnie. En 2004, lors de la grève des travailleurs d'ABI, Alcoa avait continué à faire fonctionner l'ensemble des cuves pendant environ un mois. Le refus de négocier du cartel, même après s'être fait dire qu'un règlement était en vue, était une violation évidente d'une négociation collective de bonne foi mais aucune autorité publique n'est intervenue pour lui demander des comptes ou le forcer à payer pour le bloc d'énergie qui lui est réservé.

Il existait des alternatives à ce lockout d'Alcoa/Rio Tinto qui ne peut pas prétendre que sa décision n'était pas entièrement la sienne, ou qu'elle était hors de son contrôle et imprévisible. Les lockouts sont devenus monnaie courante aujourd'hui de la part des cartels mondiaux, qui utilisent leur immense richesse et leur influence sur les autorités publiques et la production mondiale et leur contrôle des marchés pour isoler des groupes de travailleurs et les forcer à se soumettre à leurs demandes.

Le lockout de Bécancour se produit au même moment où, en Australie occidentale, Alcoa a amené le tribunal national des relations de travail de l'Australie à annuler la convention collective de 1 500 travailleurs, en vertu du Fair Work Act 2009. Les conditions de travail des travailleurs sont maintenant régies par les lois des normes minimales du travail, ce qui veut dire que toutes les protections qui étaient inscrites dans leur convention collective, relatives à la sécurité d'emploi, à la sous-traitance et à d'autres affaires connexes sont éliminées, sans parler des pertes en salaires, en avantages sociaux et en prestations de retraite. Cette réalisation d'Alcoa en Australie nous indique-t-elle où la compagnie s'en va au Québec ? Est-ce que le long déroulement du lockout a été manipulé de façon à produire un résultat semblable à ce qui a été imposé en Australie, de connivence avec le gouvernement ?

En dépit de la formulation de la clause de « force majeure » dans le contrat d'Hydro-Québec avec Alcoa qui laisse le règlement du lockout à l'entière discrétion de la compagnie, l'idée-même de « force majeure » implique qu'elle se produit en dehors du contrôle des humains. En anglais, on appelle aussi une « force majeure » un « acte de Dieu ». Ce qui se passe à ABI n'est pas hors du contrôle de la compagnie. Au contraire, il s'agit d'une manipulation de la « force majeure » pour accomplir des objectifs antiouvriers. Si le rapport de forces est si profondément à sens unique, c'est justement parce que le gouvernement intervient objectivement du côté de l'entreprise en refusant de la rappeler à l'ordre pour sa manipulation de la clause de « force majeure ». Si la compagnie était obligée de payer ce qu'elle doit en vertu du contrat depuis 14 mois, quand elle a mis les travailleurs en lockout, elle ne serait pas si confiante qu'elle peut imposer ses demandes aux travailleurs qui sont sans salaire depuis ce temps-là.

Le gouvernement du Québec refuse de défendre les Québécois et prend partie pour le cartel mondial Alcoa/Rio Tinto. Déclarer que ce lockout bien planifié est hors du contrôle du cartel est une sinistre blague et cela démontre que le gouvernement est un pantin de l'oligarchie financière mondiale. Le gouvernement du Québec doit faire son devoir et forcer ABI à respecter le contrat et payer pour le bloc d'énergie qui lui est réservé, lever le lockout et s'engager dans une véritable négociation avec les travailleurs de l'aluminerie et leur syndicat.


Cet article est paru dans

Numéro 8 - 7 mars, 2019

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Alcoa/Rio Tinto manipule la clause de « force majeure »: Les travailleurs demandent que le gouvernement Legault force Alcoa/Rio Tinto à respecter ses engagements dans son contrat d'énergie - Pierre Chénier


    

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