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Les organisations de défense ont mis de l'avant la demande d'une période de 32 semaines de prestations d'assurance-emploi garanties à tous les travailleurs saisonniers du Canada. Cela permettrait à ces travailleurs d'éviter cette période du trou noir où leurs prestations d'assurance-emploi sont terminées et où ils n'ont pas encore repris leur travail saisonnier. Les organisations ont mis en lumière les tragédies humaines bien documentées et l'anxiété que vivent ces travailleurs qui s'enfoncent dans la pauvreté et sont souvent forcés à l'exil. Le prétexte invoqué pour refuser de faire cette réforme est que le régime de l'assurance-emploi a besoin d'une réforme en profondeur. Le fait même qu'une mesure d'urgence qui allégerait la situation difficile des travailleurs ne sera pas adoptée montre clairement que la « réforme en profondeur » des libéraux ne sera pas favorable aux travailleurs et à leurs communautés. Le ministre Duclos, qui a écrit sur le sujet de l'assurance-emploi, est réputé comme un « spécialiste de la question de la sécurité du revenu ». Il a entre autres écrit un long article en anglais intitulé « A Better Income Security System for All Canadians » ( Un meilleur système de sécurité du revenu pour tous les Canadiens ) qui a été publié dans un ouvrage collectif publié en 2007 intitulé « A Canadian Priorities Agenda : Policy Choices to Improve Economic and Social Well-Being » (Un programme de priorités canadiennes : des choix politiques pour améliorer le bien-être économique et social. Duclos y écrit que l'assurance-emploi, l'aide sociale et d'autres programmes sociaux devraient être remplacés par un « système de sécurité du revenu » qui « porte très attention... aux incitatifs et à leur effet sur le comportement à court et à long terme ». Un aspect du nouveau programme, écrit Duclos, serait la création d' « un transfert de revenu de base... dont la valeur nette déclinerait lorsque les niveaux de revenus augmentent » et qui « remplacerait plusieurs autres programmes de prestations comme l'aide sociale et les prestations d'invalidité, parentales et de maladie ». Duclos y écrit que le régime de l'assurance-emploi « est devenu un programme social lourd et à objectifs multiples qui fait probablement plus de mal que de bien ». Il y écrit aussi que le régime dissuade les travailleurs de se trouver un emploi et qu'il a des effets négatifs sur la participation à long terme des travailleurs au marché du travail. Il recommande que les cotisations à l'assurance-emploi et le niveau des prestations soient basés sur l'expérience ( « experience ratings » ) afin de soi-disant équilibrer les taux de cotisations et les niveaux de prestations. Autrement dit, les entreprises qui déclareraient moins de mises à pied paieraient moins en cotisations et les travailleurs qui font moins de demandes et moins de demandes fréquentes de prestations toucheraient des prestations plus élevées. C'est ce qu'il appelle un système « simplifié » et « équitable ». En ce moment les groupes de réflexion néolibéraux comme le C.D. Howe Institute ( dont le ministre Duclos a été Fellow-in-residence pendant des années) martèlent la nécessité de réformer le régime de l'assurance-emploi pour qu'il soit encore plus aligné sur les besoins du soi-disant marché du travail. Selon leur logique intéressée, le régime cesserait ainsi de « subventionner » les travailleurs qui refusent de se déplacer là où les employeurs veulent qu'ils aillent selon les investissements qu'ils font à un moment donné. Bien que le ministre se soit gardé de dire ce que sera sa réforme en profondeur, il va bien sûr tenir des consultations à la Trudeau maintenant bien connues où le gouvernement définit tous les paramètres à l'avance. La discussion est orientée vers des programmes antisociaux et antiouvriers prédéterminés qui n'amènent aucune solution aux problèmes auxquels les travailleurs font face. Les libéraux subordonnent le régime de l'assurance-emploi à la demande de la grande entreprise à l'effet que les travailleurs doivent être disponibles quand et où les monopoles les veulent pour ensuite être écartés sans aucun souci pour leur bien-être lorsqu'on n'a pas besoin d'eux. C'est ce que la grande entreprise appelle un « marché du travail ». L'élite dominante veut pouvoir déplacer à volonté les travailleurs des régions en décroissance économique vers les régions en essor puis les déplacer encore quand l'essor se transforme en son contraire. Cela rend la vie misérable aux travailleurs en chômage et leur rend difficile voire impossible de demeurer dans leur région et les force à accepter des emplois à des salaires et des conditions de travail en dessous des normes. C'est ce que cette élite appelle corriger les éléments qui dans le régime actuel dissuadent les travailleurs de se trouver un emploi. Dans ce contexte, c'est le comportement des chômeurs qui est censé déterminer s'ils reçoivent des prestations et non les conditions sociales et économiques antiouvrières. Dans sa lettre de mandat mise à jour que le premier ministre Trudeau a envoyée au ministre Duclos en février 2017, on lit d'ailleurs qu'il s'agit d' « améliorer notre régime d'assurance-emploi afin de mieux l'harmoniser aux réalités du marché du travail d'aujourd'hui et de façon à ce qu'il serve les travailleurs et les employeurs ». C'est le refrain bien connu que les travailleurs se font servir, qu'en tant que marchandises ou choses, ils doivent se soumettre aux vicissitudes du « libre marché » en vendant leur capacité de travailler car, comme le disent si bien les lilbéraux, un marché libre et concurrentiel de marchandises humaines et d'autres produits c'est ce qu'il y a de mieux. Les travailleurs rejettent fermement que le point de référence du régime de l'assurance-emploi soit le « marché du travail » organisé par l'État, marqué par l'anarchie et le chaos imposés par la domination de l'économie par les oligopoles mondiaux privés. Ce marché du travail est une source de divisions, d'instabilité, et d'anxiété parmi les travailleurs. Il est une partie intégrante des conditions sociales d'ensemble qui visent à maintenir la classe ouvrière comme une classe exploitée et opprimée, sans organisation de défense de ses droits et sans conditions de vie et de travail de niveau canadien. Cette demande à l'effet que le marché du travail doit être le critère sur lequel repose un programme social élimine le concept même d'un programme social qui assure et garantit les droits de tous. Une « réforme en profondeur » d'un système qui possède une armée permanente de chômeurs à la disposition de la grande entreprise doit comprendre des mesures d'urgence pour alléger le sort des travailleurs, y compris les plus vulnérables d'entre eux, et fournir à tous les travailleurs sans emploi un niveau de vie canadien en tout temps. Une réforme sérieuse s'attaquerait au problème général d'éliminer le chômage une fois pour toutes en tant que plaie antisociale par la planification scientifique de l'économie socialisée de façon à servir le peuple et l'édification nationale. [1]
Note 1. Les relations sociales entre la classe
ouvrière et ceux qui achètent sa capacité L'économie canadienne comprend un système de rapports de production dans lequel les travailleurs vendent leur capacité de travailler et ceux qui possèdent et contrôlent les forces socialisées de production achètent leur capacité de travailler. Pour que ces rapports de production se maintiennent il doit exister un certain équiibre. Pour la classe ouvrière, vendre sa capacité de travailler à l'intérieur de l'économie socialisée est la seule façon de se procurer un niveau de vie canadien. Les travailleurs reconnaissent cette réalité et sont prêts à vendre leur capacité de travailler afin de se reproduire eux-mêmes comme la classe productive et de maintenir l'économie et la société. La vente de la capacité de travailler des
travailleurs possède un
caractère spécifique et un caractère
général. Le caractère spécifique
se manifeste pendant la vie active des travailleurs et leur engagement
dans différents endroits de travail. Le caractère
général existe
pendant toute leur vie en tant que vente de la capacité de
travailler
de toute la
classe ouvrière aux membres de la classe sociale et à
l'État qui
l'achètent en échange d'un niveau de vie canadien, de la
naissance à la
mort, quelles que soient les circonstances. Ceux qui achètent la capacité de
travailler des travailleurs doivent reconnaître que les
travailleurs ont besoin d'un moyen de subsistance de la naissance
à la mort et dans toutes les périodes de leur vie, qu'ils
aient un emploi ou non peu importe la raison. Sinon, l'accord est
rompu. La classe ouvrière accepte l'équilibre qui existe
dans les rapports de production actuels si ceux qui achètent la
capacité des travailleurs de travailler acceptent que cet achat
est bon pour toute la vie des travailleurs , de la naissance à
la mort, qu'ils soient malades, blessés ou en santé, et
qu'il se fait à un niveau de vie canadien qui est acceptable
pour la classe ouvrière. Sans cela, l'arrangement est
inacceptable et la classe ouvrière va créer de nouveaux
rapports socialisés de production qui correspondent à
l'économie moderne socialisée et à ses forces de
production industrielle de masse.
Entrevue Les organisations de défense des chômeurs
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Le trou noir est cette période de la vie d'un chômeur où ses prestations d'assurance-emploi prennent fin avant qu'il ne soit de retour au travail. On estime que plus de 16 000 travailleurs et travailleuses saisonniers du Canada sont aux prises avec ce phénomène, dont 40 % vivent au Québec et 27 % dans les provinces atlantiques. Le trou noir est une expression de l'abandon des chômeurs à leur sort par les riches et leurs gouvernements qui refusent de reconnaître la réalité que vivent les chômeurs.
L'élite dominante ne se reconnaît aucune responsabilité sociale pour un système économique qui prive d'emplois des millions de travailleurs. Elle refuse conséquemment de compenser adéquatement les chômeurs à un niveau de vie canadien. Les mesures prises par les gouvernements successifs n'ont fait qu'aggraver la situation des chômeurs. Aujourd'hui moins de 40 % des chômeurs sont admissibles à l'assurance-emploi et ceux qui le sont font face à des mesures vexatoires qui leur imposent des conditions de vie de plus en plus intenables. Parmi les travailleurs les plus touchés, on trouve ceux qui vivent dans les régions éloignées qui ont perdu le peu d'emplois manufacturiers qui leur restaient et doivent vivre des industries saisonnières comme les pêches, le tourisme ou la sylviculture.
Forum ouvrier s'est entretenu avec Line Sirois, la présidente d'Action-Chômage de la Haute-Côte-Nord, sur cette campagne pour l'abolition du trou noir.
Forum ouvrier : Pouvez-vous d'abord nous expliquer comment il se fait que sur la Haute-Côte-Nord, vous soyez passés d'une obligation d'accumuler 420 heures de travail pour obtenir 32 semaines de prestations d'assurance-emploi à une obligation de travailler 560 heures pour obtenir 18 semaines de prestations.
Line Sirois : Cela s'est fait en 2000, avec le redécoupage des régions économiques de l'assurance-emploi qu'ils sont obligés de revoir aux 5 ans. En 2000, ils ont décidé de prendre la région de la Côte-Nord et de la diviser en deux. Ils ont jumelé la Basse-Côte-Nord avec la Gaspésie, et le reste de la Côte-Nord a été jumelé avec le Bas-Saint-Laurent et d'autres régions au taux de chômage très différent du nôtre. Ce qui a fait que notre taux officiel de chômage a diminué tout d'un coup et qu'on s'est retrouvé du jour au lendemain d'une obligation de travailler 420 heures à une obligation de travailler 560 heures, en un tour de main.
Le calcul est fait selon le taux de chômage officiel de la région économique de l'assurance-emploi. Plus le taux de chômage officiel de la région est bas, plus il vous faut d'heures de travail accumulées pour être admissible aux prestations et moins vous avez droit à de semaines de prestations. À Québec ils demandent 700 heures et accordent 14 semaines d'assurance-emploi. Il n'y a pas une région qui est pareille au Canada, ce n'est pas équitable. À nulle part le calcul est fait selon le taux de chômage qu'on vit réellement dans la région.
Le taux de chômage officiel ne reflète pas la réalité que nous vivons. Par exemple, plus les gens aptes à travailler quittent, plus la population active diminue et plus le taux de chômage diminue. Cela pénalise ceux qui restent.
Chez nous, au lieu de prendre la région de la Côte-Nord et le Nord-du-Québec comme on était avant, ils ont changé les noms des régions et refait les régions ce qui nous a beaucoup pénalisés. Chez nous, pour rajouter une semaine de prestations, il faut travailler pendant deux semaines. Cela veut dire que pour nous autres, pour obtenir 32 semaines d'assurance-emploi, ce qui est notre demande en ce qui concerne tous les travailleurs saisonniers du Canada, il faudrait travailler 1400 heures ce qui est impossible dans la région où on vit. Ils nous imposent un chiffre qui est impossible.
Les gens sont sortis dans la rue en 2000, ils ont bloqué des routes, ont fait beaucoup de moyens de pression ce qui a donné lieu à des mesures alternatives mais toujours temporaires. En 2012, avec la réforme Harper toutes les mesures qui avaient été mises en place ont été enlevées, notamment l'ajout de cinq semaines supplémentaires de prestations dans des régions désignées dont la nôtre.
Un gros impact de cette réforme c'est l'exode qui s'en est suivi. On ne parle pas juste de jeunes mais de gens de 40-50 ans qui ont vendu leur maison et ont quitté la région. Il y a entre autres nombre de femmes qui ont quitté le travail saisonnier pour aller travailler dans le Grand-Nord comme femmes de chambre.
Nous avons aussi été frappés de plein fouet par la crise forestière sur la Côte-Nord. On ne s'en est jamais remis. La compagnie Kruger a fermé ses portes. Nous sommes environ 12 000 personnes sur la Haute-Côte-Nord et nous avons connu la fermeture de deux scieries qui fournissaient l'emploi principal de nos gens. Une troisième scierie a aussi fermé un peu plus loin. L'emploi forestier, qui était permanent, est devenu largement saisonnier. Cela a fait très mal à la Côte-Nord.
Le problème du trou noir s'est donc trouvé amplifié. Il y a beaucoup de drames humains derrière cela.
FO : Quelles sont les demandes qui sont mises de l'avant par la campagne que vous avez annoncée ?
LS : On demande de rajouter des semaines de prestations pour tous les travailleurs saisonniers. On veut qu'on donne à tous les travailleurs saisonniers les 32 semaines de prestations qu'ils sont supposés avoir. On y a droit, et on le demande partout où il y a de l'industrie saisonnière au Canada, peu importe le taux de chômage.
Nous allons aller sur le terrain, conscientiser les gens et les mobiliser.
Nous avons aussi une demande en ce qui concerne l'assurance-emploi et les prestations de maladie. Quand nous sommes allés rencontrer les décideurs à Ottawa, nous avons demandé l'élimination du trou noir et de la limite de 15 semaines des prestations de maladie ; ce sont deux choses inadmissibles.
Les 15 semaines de maladie, cela est prévu dans le régime d'assurance-emploi. Si le travailleur est admissible au régime et a accumulé 600 heures de travail et qu'il tombe malade, il peut obtenir de l'assurance-emploi à un taux de 55 % de son salaire moyen. C'est universel, c'est pareil partout à la grandeur du Canada, mais on sait très bien que quand les gens ont des maladies graves comme le cancer 15 semaines ce n'est pas suffisant. Le drame humain continue après les 15 semaines, alors on fait quoi ? On n'est pas capable de retourner sur le marché du travail.
On s'attend à ce qu'il y ait des changements là-dessus dans le prochain budget mais, sur la question du trou noir, le ministre a dit qu'il veut faire la réforme en profondeur, alors cela ne se fera pas au budget.
On a d'autres revendications, on veut une caisse autonome de l'assurance-emploi, mais ce sont les deux principales revendications dans l'immédiat parce ce que c'est là qu'on vit des drames humains.
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