SUPPLÉMENT

Numéro 4618 juillet 2020

Discussion sur le «portrait budgétaire» du gouvernement fédéral

Comment se pose le problème
des recettes publiques


Les chiffres sur l'économie disent tout.

Une société moderne a besoin d'énormes revenus publics pour répondre à ses besoins et à ceux de ses membres. Il n'existe qu'une seule source de revenus publics : la base économique de la société et la nouvelle valeur produite par les travailleurs. L'économie moderne de la grande production industrielle est plus que capable de produire suffisamment de revenus publics pour répondre aux besoins de la société et de ses membres. Or, une force sociale dominante contrôlant l'économie et l'État empêche la nouvelle valeur produite par les travailleurs de répondre aux besoins du peuple et de la société. L'élite dirigeante au pouvoir le fait entre autres de la façon suivante.

Une oligarchie impérialiste mondiale a pris le contrôle des secteurs de base de l'économie et du produit social que les travailleurs produisent, et prive la société et ses membres de cette valeur tant nécessaire. Le défi pour le peuple est de prendre le contrôle des secteurs de base de l'économie par l'entreprise publique et de placer le produit social que les travailleurs produisent sous le contrôle de la société et de ses membres dans de nouveaux rapports de production. La société et ses membres pourraient alors utiliser la nouvelle valeur produite par les travailleurs pour répondre aux besoins de la population et résoudre les problèmes comme le décideront les véritables producteurs et les autres membres de la société.

L'État sous le contrôle de l'élite dirigeante utilise une grande partie des revenus publics qu'il amasse pour payer les riches de diverses manières et défendre le privilège, la richesse et le pouvoir des oligarques et servir leurs intérêts privés étroits. Les impôts des particuliers et les emprunts auprès des oligarques sont une source majeure de revenus publics à l'heure actuelle. Ces méthodes d'obtention de revenus publics sont contreproductives et abusives pour les travailleurs qui produisent toute la valeur. Le peuple doit empêcher les gouvernements d'utiliser les recettes publiques pour payer les riches, les empêcher de taxer les particuliers et d'emprunter à l'oligarchie impérialiste mondiale. Les recettes publiques devraient provenir directement des entreprises où les travailleurs produisent la valeur nouvelle et être utilisées pour accroître les investissements dans les programmes sociaux afin de garantir le bien-être du peuple et la reproduction élargie de l'économie. Le peuple doit se donner comme projet de concrétiser cette direction.

Des infrastructures pour payer les riches

Les gouvernements sous le contrôle des oligarques utilisent les revenus publics qu'ils perçoivent pour payer les riches pour construire, entretenir et gérer toutes sortes d'infrastructures publiques, y compris les routes, les ponts, les transports en commun, le logement, les hôpitaux, les établissements d'enseignement, etc.

Une fois les infrastructures publiques construites et opérationnelles, les entreprises privées de l'oligarchie impérialiste refusent de réaliser (payer) le montant total des infrastructures qu'elles consomment dans le cadre de l'exploitation de leurs entreprises. Un problème posé et à résoudre pour le peuple est de veiller à ce que lorsque des entreprises publiques ou privées consomment des infrastructures publiques au cours de leur activité, comme moyen de production, la quantité consommée et transférée dans la valeur de leur production doit être réalisée et comptabilisée d'une manière transparente, complète et directe. Les infrastructures publiques doivent être considérées dans leur véritable forme comme des moyens de production publics essentiels pour tous les secteurs de l'économie et les entreprises, et non comme des produits de consommation que les individus doivent payer.

Des entreprises privées concurrentes, souvent organisées en cartels mondiaux, contrôlent l'économie socialisée. Ceux qui possèdent et contrôlent les entreprises et les cartels ont pour objectif d'exproprier un profit maximum pour leurs propres intérêts privés. Ce contrôle, cet objectif et cette concurrence des entreprises et des cartels pour atteindre cet objectif signifient que les peuples ne peuvent pas mobiliser l'économie moderne et interconnectée et toutes ses parties pour répondre à leurs besoins ou l'organiser pour fonctionner de manière transparente et collective et sans crise. Le problème à résoudre pour le peuple est de savoir comment prendre le contrôle des secteurs de base de l'économie et leur donner un objectif moderne, soit de servir le peuple et la société, et de les organiser pour que chaque partie soutienne et complète le tout sous le contrôle et la direction des véritables producteurs.

La crise économique actuelle racontée par les chiffres

Que doivent penser les Canadiens quand on leur dit qu'à la fin de l'année, ils devront collectivement 1,2 billion de dollars aux oligarques mondiaux ? Que promet l'avenir dans une telle situation ? Comment nous sortir de ce gâchis ?

L'endettement massif envers les intérêts privés signifie que les travailleurs s'emploieront à rembourser la dette avec très peu qui reste pour autre chose. Qui est responsable de cette situation désastreuse et quelle est l'issue ?

Ceux qui contrôlent les gouvernements à tous les niveaux ne semblent pas inquiets, car ils ne font qu'accumuler la dette et répéter sans cesse les mêmes manoeuvres sans résoudre aucun problème. Emprunter aux riches ; utiliser l'argent pour payer les riches ; taxer les travailleurs et les payer moins pour leur capacité de travail ; réduire les investissements dans les programmes sociaux et attendre les doigts croisés la prochaine crise, qui promet d'être plus grave encore que la précédente.

Le gouvernement fédéral et les médias de masse ont allègrement annoncé les chiffres de la crise dans un « portrait économique et budgétaire », puis se sont tout de suite retraités sous le scandale de UNIS. Le cycle de nouvelles de 24 heures s'est poursuivi, comme d'habitude, sans rien examiner en détail, sans s'intéresser à la source des problèmes, mais les chiffres demeurent et le tableau qu'ils brossent n'est pas joli.

L'estimation de 343,2 milliards de dollars annoncée pour le déficit du budget fédéral de cette année se traduit déjà par une augmentation considérable des emprunts publics auprès des bailleurs de fonds privés mondiaux. L'un après l'autre, le Québec et les provinces annoncent également leurs déficits et leurs emprunts, et les montants sont stupéfiants. Non seulement est-ce ahurissant que les gouvernements veuillent emprunter de si vastes sommes, mais on ne peut que s'étonner d'apprendre que les bailleurs de fonds privés aient autant d'argent à prêter. Tous les pays et gouvernements du système impérialiste d'États empruntent des sommes considérables aux oligarques mondiaux pour couvrir leurs stratagèmes pour payer les riches pendant la crise.

Le portrait économique et budgétaire du gouvernement fédéral estime que « le total projeté du principal que le gouvernement empruntera en 2020-2021 s'établit à 713 milliards de dollars, soit 437 milliards de plus que l'émission en 2019-2020. ».

L'emprunt fédéral auprès de bailleurs de fonds privés pour cette année pour financer le déficit totalise 469 milliards de dollars. En plus de ce montant, la dette fédérale existante envers les riches arrivant à échéance sera également remboursée en totalité plus les intérêts dus. Cela mène à des emprunts additionnels pour refinancer la dette arrivant à échéance. L'élite dirigeante considère le refinancement de la dette arrivant à échéance auprès des riches par des emprunts additionnels auprès des riches comme « normal ». La dette fédérale venant à échéance et devant être refinancée s'élève à 244 milliards de dollars. L'ajout de ce montant à emprunter au montant destiné à couvrir le déficit de 469 milliards de dollars porte l'emprunt fédéral pour l'année à 713 milliards de dollars et la dette accumulée à 1,2 billion de dollars. Les 713 milliards de dollars à emprunter sont à peine 3,8 milliards de dollars en dessous de la totalité de la dette fédérale de 716,8 milliards de dollars au début de l'exercice.

L'année prochaine, le gouvernement devra payer pour le service de la dette fédérale accumulée de 1,2 billion de dollars. Même si les taux d'intérêt sur les titres du gouvernement demeurent stables, ce qui est discutable compte tenu de la baisse de la cote de crédit du Canada et de la concurrence d'autres emprunteurs, le service de la dette pour l'année passera à environ 41 milliards de dollars, contre 23,3 milliards de dollars en 2019. Cela peut être calculé en utilisant les récents ratios entre les frais de service de la dette et la dette totale. Par exemple, en 2019, 23,3 milliards de dollars d'intérêts étaient liés à une dette fédérale de 685,5 milliards de dollars, et en 2020, 24,5 milliards de dollars d'intérêts payés étaient liés à une dette fédérale de 716,8 milliards de dollars. Cela équivaut à environ 41 milliards de dollars d'intérêts à payer par rapport à la nouvelle dette totale de 1,2 billion de dollars, qui elle-même n'est pas statique et continue de croître avec les déficits annuels attendus.

Des commentateurs des médias de masse tels qu'Andrew Coyne prévoient que « d'importants déficits vont persister pendant quelques années ». Il explique : « Cela est dû en partie au fait que, contrairement aux années de guerre, les revenus ont subi une baisse cataclysmique - une baisse de 72 milliards de dollars, soit 21 %. Même une croissance rapide à partir d'une base aussi réduite laissera un déficit substantiel sur les hypothèses les plus conservatrices sur la future évolution des dépenses.

« Les revenus de cette année sont estimés à 269 milliards de dollars, contre 612 milliards de dépenses totales. Supposons que les revenus rebondissent l'an prochain - disons de 15 %. Et supposons que la quasi-totalité des 212 milliards de dollars de dépenses de secours en cas de pandémie de cette année soit terminée d'ici la fin de l'année. Supposez tout ce que vous voudrez au sujet des frais d'intérêt. Vous aurez toujours un déficit de plus de 100 milliards de dollars l'année prochaine, ou 5 % du PIB. Et presque autant l'année suivante. Et l'année suivante. »

En spéculant sur un rebond des revenus fédéraux, Coyne doute que la croissance économique sera forte et dépeint un tableau pessimiste qui prévoit même qu'une province ou deux pourraient faire défaut sur leur dette. Il écrit : « À plus long terme, nous sommes toujours confrontés à la même combinaison désastreuse de vieillissement de la population et de croissance lente de la productivité qu'auparavant. Si la croissance dans la période d'après-guerre était en moyenne de 5 % par an après inflation, nous pourrons nous compter chanceux si elle est le tiers de cela. Tout cela pourrait expliquer pourquoi Fitch a récemment abaissé la cote de crédit du gouvernement fédéral. Et c'est sans compter les problèmes beaucoup plus graves entre les provinces et la probabilité qu'une ou plusieurs d'entre elles soient défaillantes ou doivent être renflouées par les autorités fédérales. »

Une nouvelle direction pour l'économie n'effleure jamais l'esprit de ces commentateurs des médias de masse de l'élite dirigeante. Ils prédisent régulièrement une continuation de la même chose qui comprend l'emprunt aux riches pour payer les riches, la destruction des programmes sociaux, la réduction de l'emploi dans la fonction publique, la pression à la baisse sur les salaires et les avantages sociaux des travailleurs, l'augmentation des impôts individuels, en particulier les taxes à la consommation, et continuent même à prédire de nouvelles crises aux conséquences désastreuses.

Les conditions concrètes révèlent la nécessité d'une nouvelle direction pour l'économie et la nécessité d'un renouveau démocratique. La classe ouvrière est la seule force sociale capable de s'organiser pour mener à bien un tel changement historique.


À titre d'information

Extraits du Portrait économique et budgétaire du gouvernement fédéral

Faits saillants de la Stratégie de gestion de la dette du gouvernement du Canada de 2020-2021

En 2020-2021, le programme de la dette du gouvernement du Canada augmentera afin de financer le besoin financier prévu de 469 milliards de dollars. [...]

•  Étant donné un niveau d'émission d'obligations sans précédent et particulièrement à long terme, le gouvernement consultera les participants au marché et les experts afin d'évaluer et d'examiner la capacité du marché de prendre en charge une dette à long terme. Il pourrait être nécessaire d'apporter des ajustements à la Stratégie de gestion de la dette pour assurer la stabilité dans les marchés à revenu fixe du Canada pendant cette période en constante évolution, en tenant compte des besoins d'autres émetteurs, comme les provinces, les municipales et les sociétés.

•  Le total projeté du principal que le gouvernement empruntera en 2020-2021 s'établit à 713 milliards de dollars, soit 437 milliards de plus que l'émission en 2019-2020.

•  En vertu du pouvoir d'emprunt exceptionnel prévu dans la Loi sur la gestion des finances publiques, il a été possible d'obtenir les fonds requis afin de mettre en oeuvre rapidement le Plan d'action économique du Canada pour répondre à la COVID-19.

•  Ces emprunts extraordinaires liés à la COVID-19 sont le facteur qui contribuera le plus à l'augmentation de la dette du gouvernement contractée sur les marchés, passant de 765 milliards de dollars en mars 2020 à une somme prévue de 1,2 billion de dollars d'ici mars 2021.

•  Les emprunts exceptionnels effectués à ce jour en 2020-2021 consistent en majeure partie d'instruments à court terme, principalement en bons du Trésor, compte tenu de la capacité d'émettre ces instruments en volumes rapidement pour une obtention nécessaire de fonds.

•  Le gouvernement a procédé chaque semaine à des adjudications de bons du Trésor et il compte procéder de la sorte jusqu'à la fin de l'exercice.

•  D'ici la fin de l'exercice, l'encours des bons du Trésor devrait s'établir à 294 milliards de dollars, soit environ 142 milliards de plus que le niveau qu'il atteignait à la fin de l'exercice 2019-2020.

•  Le gouvernement a également augmenté régulièrement les émissions d'obligations pour contribuer à gérer le risque de refinancement, réduire la pression sur le secteur des bons du Trésor et, en fin de compte, reconstruire la capacité d'intervention en cas d'un nouveau besoin de financement important dans les plus brefs délais.

•  En conséquence, toutes les échéances du programme d'obligations ont augmenté pour 2020-2021. Le programme représentera jusqu'à concurrence d'un montant combiné sans précédent de 106 milliards de dollars dans les secteurs de 10ans et de 30 ans (c.-à-d. environ cinq et sept fois de plus que les émissions des années précédentes, respectivement).

•  La valeur annuelle des émissions brutes d'obligations devrait s'établir à environ 409 milliards de dollars en 2020-2021, par rapport à 124 milliards en 2019-2020. Cela représente 285 milliards de dollars de plus d'obligations cette année et un montant largement supérieur à l'augmentation prévue de 142 milliards de dollars des bons du Trésor.

•  Afin d'appuyer l'émission accrue d'obligations et de rendre le profil des flux de trésorerie à l'égard des prochaines échéances plus uniforme, trois nouvelles dates d'échéance seront instaurées, soit deux qui favoriseront les obligations à 3 ans à leur propre date d'échéance et une pour les obligations à 10 ans. Ces changements renforceront la capacité d'émission d'obligations et contribueront à prolonger l'échéance moyenne de la dette à de faibles taux d'intérêt.

•  Vu les besoins d'emprunt exceptionnels, le gouvernement a rajusté temporairement les modalités générales régissant les adjudications de titres du gouvernement en vue de favoriser la participation aux adjudications.

•  La Banque du Canada a également instauré un certain nombre de mesures et de mécanismes afin d'appuyer le bon fonctionnement des marchés : elle a entre autres augmenté la quantité de titres du gouvernement du Canada qu'elle achète aux adjudications des bons du Trésor et mis en place un programme d'achat d'obligations sur le marché secondaire. Compte tenu des achats faits par la Banque du Canada sur le marché secondaire, le gouvernement n'entend pas mener d'opérations de rachat d'obligations en 2020-2021.

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