La motion de la Chambre des communes contre la Chine

Le retour de l'hystérie du «péril jaune»

La Chambre des communes examine une motion qui incite à l'hostilité envers la République populaire de Chine. Les partis cartellisés s'engagent sur la voie imprudente de faire la guerre aux prétendues tentatives chinoises de miner les « institutions démocratiques » du Canada. Sous prétexte d'« éliminer l'ingérence étrangère du processus politique du Canada », la résolution criminalise les Canadiens et les résidents permanents d'origine chinoise et, de manière générale, attise un climat hystérique raciste antichinois. C'est une reprise de l'approche raciste et colonialiste qui, au début du XXe siècle, accusait les personnes originaires d'Asie de constituer un « péril jaune ». Une définition du terme « péril jaune » dans le dictionnaire est : « le pouvoir ou le prétendu pouvoir des peuples asiatiques de menacer ou de détruire la suprématie de la civilisation blanche ou occidentale[1] ».

Selon Wikipédia anglais, c'est « une métaphore colorée qui présente les peuples d'Asie orientale comme un danger existentiel pour le monde occidental[2] ».

La motion mérite également l'attention des Canadiens pour son mode opératoire insidieux. Le droit des citoyens et des résidents d'exprimer leurs opinions sur les affaires internationales est en train d'être transformé en une question de personnes « dupées par une puissance étrangère ». La pratique internationale, voire le droit, des pays de promouvoir leurs intérêts économiques, comme le fait le Canada partout dans le monde, est considérée comme acceptable pour le Canada et les États-Unis, mais pas pour la Chine. Au nom de la sécurité nationale, le Canada, les États-Unis et les autres pays de l'alliance des services de renseignement du « Groupe des cinq » peuvent autoriser des entreprises comme Google, Twitter, Facebook et d'autres à surveiller leurs citoyens parce que cela est considéré comme démocratique, mais si la Chine le fait, c'est considéré comme dictatorial. De même, la domination de la gouvernance du Canada par des partis cartellisés, qui servent tous l'oligarchie financière internationale, est considérée comme démocratique, tandis que la domination du Parti communiste de Chine sur la gouvernance en Chine est considérée comme une dictature.

Le pouvoir des intérêts privés domine ce discours qui définit ce qui est dans l'intérêt national du Canada. Ces intérêts privés se sont emparés de l'État des États-Unis, auquel ils ont également subordonné l'État canadien. Ils utilisent leur appareil de désinformation et leurs budgets pour mettre tout le poids de l'État à contribution dans leur effort pour éliminer les concurrents. Les peuples des pays qui composent le système impérialiste d'États sont censés prendre parti.

Selon David Vigneault, directeur du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), « le monde devient plus petit et plus concurrentiel, et les États cherchent naturellement à tirer profit du moindre avantage pour se positionner en chefs de file dans une économie mondiale lucrative. Cette soif de concurrence pousse des acteurs étatiques hostiles à mobiliser tous les éléments du pouvoir de l'État pour faire progresser leurs intérêts nationaux. Cette menace représente le plus grand danger pour la sécurité nationale du Canada et peut avoir de terribles répercussions sur la croissance économique, la capacité d'innover, la souveraineté et les intérêts nationaux du pays. C'est la raison pour laquelle le SCRS échange régulièrement maintenant avec divers intervenants de l'ensemble du gouvernement du Canada, du secteur privé et du secteur de la recherche pour en apprendre davantage et pour les conseiller sur la nature des menaces éventuelles afin qu'ils puissent mieux se préparer et protéger leurs importants travaux[3]. »

Cet aveu que les « intérêts nationaux » du Canada sont servis par les services de sécurité qui défendent les intérêts des oligarques financiers et économiques dans leurs rivalités pour dominer les marchés et les sphères d'influence montre dans quelle mesure ils trouvent eux-mêmes des justifications pour « mobiliser tous les éléments du pouvoir de l'État » dans le sens de leur propre positionnement dans cette « économie mondiale lucrative », poussés par leur « soif de concurrence ». Cela confirme la grave menace qui pèse sur les peuples. Dans le modus operandi établi, cette rivalité ne peut que conduire à l'agression, à la guerre et à l'ingérence à l'étranger, et à la répression des mouvements des peuples au pays et à l'étranger. Les peuples se battent pour un monde nouveau où les économies sont organisées de manière à répondre aux besoins de la population et où les relations internationales, y compris le commerce, sont fondées sur l'avantage mutuel et où les conflits d'intérêts sont résolus de manière pacifique.

Vigneault félicite le gouvernement d'avoir adopté la loi de 2017 sur la sécurité nationale, qui a reçu la sanction royale en juin 2019. Cette loi a été largement contestée par les Canadiens lorsqu'elle a été présentée par le gouvernement Harper, puis adoptée par le gouvernement Trudeau avec des amendements d'apparence pour faire croire que les droits étaient protégés. Selon le directeur du SCRS, les modifications « ont réglé certains problèmes et conféré au SCRS quelques nouveaux pouvoirs, mais il reste encore du travail à faire ». Il appelle plus explicitement à un renforcement des pouvoirs de police quand il écrit qu'« il faudra pousser la réflexion plus loin encore pour faire en sorte que le SCRS dispose des outils dont un service de renseignement moderne a besoin dans le contexte de la menace d'aujourd'hui, et celui de demain ».

Un des exemples de « contexte de la menace d'aujourd'hui » autour duquel la communauté de la sécurité crée l'hystérie actuellement est la prétendue ingérence étrangère dans la distribution des vaccins de la COVID[4].

Il est important de souligner le rôle prépondérant, et occulte par définition, des services de renseignement des « Groupe des cinq » dans le processus décisionnel. Ces services agissent comme ils l'entendent sans que les citoyens ne sachent jamais ce qu'ils font et comment ils le font. Les décideurs au sein du gouvernement agissent également comme ils l'entendent.

En imposant des conceptions de la sécurité, de la paix et de la démocratie tirées de la période de la guerre froide, ils montrent que leurs agissements sont intéressés. Les intérêts que ces conceptions servent et ceux qui les servent ne reconnaissent pas, et représentent encore moins, les membres du corps politique dont les voix ne sont pas entendues, voire dont les voix sont totalement absentes de ce qui passe pour débat.

Tous les partis à la Chambre des communes soutiennent cette motion. Ils se chamaillent sur des détails, comme à savoir si elle doit être adoptée ou non avant d'être examinée par le Comité spécial sur les relations sino-canadiennes, qui est lui-même un instrument de propagande contre la Chine et dont le but est de cacher le désespoir de ceux qui veulent éliminer la Chine comme concurrent[5].

Notes

1. Dictionnaire Collins

2. Le terme « péril jaune » a été inventé en Europe après la défaite militaire de la Chine par le Japon en 1895 et a été initialement appliqué au Japon pour créer une peur d'invasion face à la montée en force des puissances d'Asie orientale.

La peur de l'invasion s'est poursuivie au XXe siècle et a été renforcée par diverses représentations racistes d'Orientaux aux allures sinistres dans des livres et des films. Parmi celles-ci, on peut citer la création de l'écrivain anglais Sax Rohmer, le génie insidieux et diabolique du Dr Fu Manchu.

Au début de la Première Guerre mondiale, en l'absence d'invasion réelle  le discours sur le péril jaune a commencé à s'estomper, mais la création de la peur au sujet de la Chine et des immigrants d'Asie de l'Est s'est poursuivie avec d'autres expressions dénigrantes, en appui aux politiques racistes d'immigration au pays et à l'agression impérialistes à l'étranger.

3. Rapport public du SCRS 2019 : Des renseignements et des conseils fiables pour un Canada sûr et prospère, mai 2020

4. « CSIS warns of threats to vaccine distribution chain », Catharine Tunney, CBC News, 17 décembre 2020

5. Le site web du Comité dit que « le Comité a été nommé par la Chambre pour tenir des audiences servant à examiner tous les aspects des relations sino-canadiennes, y compris ceux qui ont trait aux relations consulaires, économiques et diplomatiques, au droit et à la sécurité. »

Il dit également :

« Les liens entre le Canada et Hong Kong sont anciens et bien connus, notamment en raison de la participation de soldats canadiens, dont nombreux sont morts, à l'effort de guerre pour repousser l'invasion japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale. Aujourd'hui, on estime à 300 000 le nombre de Canadiens vivant à Hong Kong.

« Les libertés et le haut degré d'autonomie de Hong Kong ont été consacrés par la déclaration conjointe sino-britannique de 1984, un traité enregistré auprès des Nations unies. Comme on l'a dit au comité spécial, la communauté internationale a été invitée à soutenir le cadre « un pays, deux systèmes » et à coopérer à la réussite de sa mise en oeuvre. Le Comité spécial note que, bien que le cadre doive durer jusqu'en 2047, de sérieuses questions ont été soulevées par la Loi de sécurité nationale promulguée le 30 juin 2020. En outre, le Comité spécial réaffirme que les libertés consacrées par la Déclaration conjointe et la Loi fondamentale de Hong Kong, notamment la liberté d'expression et de réunion, sont garanties par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui s'applique à Hong Kong. »

Parmi les personnes et les représentants d'organisme qui ont témoigné devant le Comité cette année il y a :

Réunion 8, le mardi 8 décembre 2020 :
Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
- Shawn Steil, directeur général, Politique et coordination de la Chine élargie

Ambassade du Canada en République populaire de Chine
- Dominic Barton, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Canada en République populaire de Chine

Réunion 8, le mardi 24 novembre 2020 :
À titre personnel
- L'hon. John McCallum, ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine
- Robert G. Wright, ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine

Réunion 7, le lundi 23 novembre 2020 :
Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
- Weldon Epp, directeur général, Direction générale de l'Asie du nord et Océanie
- Marta Morgan, sous-ministre, Affaires étrangères
- L'hon. François-Philippe Champagne, ministre des Affaires étrangères

Réunion 6, le mardi 17 novembre 2020 :
Ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement
- Shawn Steil, directeur général, Politique et coordination de la Chine élargie

Réunion 5, le lundi 16 novembre 2020 :
Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration
- Mme Nicole Giles, sous-ministre adjointe associée déléguée, Opérations
- Natasha Kim, sous-ministre adjointe associée, Politiques stratégiques et de programmes
- L'hon. Marco Mendicino, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Réunion 4, le lundi 9 novembre 2020 :
National Democratic Institute
- Adam Nelson, conseiller principal pour Asie-Pacifique
Vancouver Society in Support of Democratic Movement
- Mabel Tung, présidente

À titre personnel
- Bill Chu, fondateur, Canadians for Reconciliation
- Victor Ho, éditeur en chef à la retraite, Sing Tao Daily, édition Colombie-Britannique
- Steve Tsang, directeur, SOAS China Institute, University of London

Réunion 3, le lundi 2 novembre 2020 :
Consulat général du Canada à Hong Kong et Macao
- Jeff Nankivell, consul général du Canada à Hong Kong et Macao, Affaires mondiales Canada

Réunion 2, le lundi 26 octobre 2020 :
À titre personnel :
- Angela Gui
- Nathan Law, militant de Hong Kong, ancien législateur


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 87 - 21 décembre 2020

Lien de l'article:
La motion de la Chambre des communes contre la Chine: Le retour de l'hystérie du «péril jaune» - Pauline Easton


    

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