La fraude derrière la Subvention salariale d'urgence du Canada

L'économiste Michael Smart de l'Université de Toronto a effectué une analyse préliminaire des 50,6 milliards de dollars que le gouvernement fédéral a dépensés jusqu'à présent dans le cadre du programme de la Subvention salariale d'urgence du Canada (SSUC). D'entrée de jeu il affirme : « Il est important de comprendre que ces paiements ne vont pas à des travailleurs individuels. Ils vont aux entreprises. Et je ne crois pas qu'ils permettent de sauver un grand nombre d'emplois. Cela signifie que les paiements deviennent des bénéfices d'entreprise. »

Une enquête de CBC News révèle que beaucoup de grandes entreprises qui ont reçu des millions de dollars dans le cadre de ce programme ont dépensé des sommes considérables pour des éléments non salariaux, tels que le versement de dividendes aux actionnaires, le rachat d'actions, les options d'achat d'actions pour la rémunération des cadres, etc., toutes des choses qui sont permises par la SSUC.

Les entreprises, explique l'économiste, utilisent la subvention pour compenser les salaires versés aux employés. L'argent finit par subventionner tous les employés inscrits sur la liste de paie, et pas seulement ceux qui risquent d'être licenciés en raison de la pandémie. En conséquence, le gouvernement a fini par payer 14 500 dollars par mois aux entreprises pour chaque emploi qui aurait été sauvé sur une période de quatre semaines, soit environ 188 000 dollars par emploi par an. Il est impossible de déterminer exactement combien d'emplois ont réellement été sauvés, car les gouvernements et les entreprises refusent de rendre des comptes. La CBC et d'autres qui se sont penchés sur la question affirment qu'il est impossible d'obtenir des informations des entreprises et du gouvernement sur les emplois spécifiques et le nombre d'emplois réellement sauvés, car un mur de silence est dressé protège cette information. Même si les programmes et les projets utilisent des fonds publics, les gouvernements qui distribuent l'argent et les oligarques qui le reçoivent brandissent le droit de propriété privée pour maintenir l'affaire secrète et empêcher toute enquête et toute révélation de ce qui se passe réellement.

L'économiste de l'Université de Toronto doute que les emplois qu'on dit avoir « sauvés » avec ce programme, du moins dans les grandes entreprises, auraient disparu sans les subventions. « Le problème est que les paiements de la SSUC sont versés pour tous les travailleurs des entreprises touchées, et pas seulement pour ceux qui risquent de subir des pertes de revenus, écrit-il. La SSUC est donc un moyen très coûteux de protéger les travailleurs vulnérables. La plupart des emplois financés par la SSUC existeraient encore en l'absence de la subvention. »

Comme preuve que la SSUC a peu d'impact sur l'emploi, l'économiste a analysé l'impact de la réduction des taux de subvention qui a commencé en septembre, mais qui a ensuite été arrêtée. « Alors que les réformes de septembre ont entraîné une baisse substantielle de la subvention moyenne par travailleur, écrit-il, il n'y a pas eu de chute importante du nombre d'entreprises candidates ou de travailleurs soutenus. Ces éléments laissent croire que la subvention ne permet pas en fait de sauver beaucoup d'emplois et que le coût par emploi sauvé est donc élevé. »

L'auteur soutient que « si les subventions jouent un rôle important dans la prévention des pertes d'emploi, alors les réductions de septembre auraient dû entraîner une augmentation des licenciements dans les entreprises aidées, et une diminution du nombre de travailleurs aidés par le programme à partir de septembre. Mais ce n'est pas ce que démontrent les données agrégées. »

Son étude des réformes de septembre révèle qu'une augmentation de 10 % du taux de subvention n'entraîne qu'une augmentation de 1,1 % de l'emploi dans les entreprises touchées. Comme l'impact estimé de la subvention sur l'emploi est faible, la plupart des emplois subventionnés par la SSUC existeraient encore si le taux de subvention était encore réduit.

Il reproche ensuite au gouvernement « d'avoir cessé ces réformes, gelé les taux de subvention et prolongé le programme en 2021. La décision d'arrêter les réformes de septembre était une erreur et une suppression progressive des subventions devrait recommencer maintenant. »

Avec la prolongation jusqu'à l'année prochaine, « la SSUC est maintenant la plus grande composante de la réponse d'Ottawa à la pandémie, devançant même la Prestation canadienne d'urgence (PCU) et ses successeurs. [...] La SSUC est une subvention pouvant aller jusqu'à 75 % des dépenses salariales admissibles de pratiquement toutes les entreprises canadiennes qui ont connu une baisse de leurs revenus depuis le début de l'année 2020. En vertu de ce programme, plus de 50 milliards de dollars ont été versés à 350 000 entreprises différentes jusqu'à présent, et les dépenses actuelles tournent autour de 1,2 milliard de dollars par semaine. »

Il convient de noter qu'une « baisse de revenus » peut s'appliquer à une filiale d'une grande entreprise ou même un département alors que le reste de l'entreprise continue de fonctionner et d'exproprier la valeur ajoutée de la valeur produite par ses travailleurs.

Michael Smart écrit : « Si les fonds de la SSUC ne permettent pas de sauver beaucoup d'emplois, cela signifie qu'ils finissent par se retrouver dans les bénéfices de l'entreprise. [...] Nous avons appris qu'un grand détaillant a en fait utilisé ses paiements de la SSUC pour financer le versement d'un dividende spécial aux actionnaires cette année. » L'économiste fait référence à un article paru le 23 novembre dans le Toronto Star qui titrait : « Leon's a reçu près de 30 millions de dollars en subventions gouvernementales – maintenant il affiche des profits records et augmente le montant qu'il verse aux actionnaires. »

L'évaluation de la SSUC que fait l'économiste de l'Université de Toronto est qu'« elle n'a pas ciblé les emplois les plus menacés pendant le confinement ». C'est le moins qu'on puisse dire.

(L'analyse complète de Michael Smart est disponible sur le site Finances of the Nation. L'article de CBC News se trouve ici


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 86 - 19 décembre 2020

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