Ce que les Canadiens ont dit à la Commission Spicer

Dans la deuxième partie du Rapport de la Commission Spicer, Ce que nous avons entendu, et plus spécifiquement à la section 9 La responsabilité des leaders et la démocratie participative, les membres de la Commission décrivent comme suit la pensée des gens sur ce qui manque au pays :

« Un des messages dominants, c'est que les participants ont perdu confiance à la fois dans le régime et dans leurs dirigeants politiques. Ils ne pensent pas que leurs élus, surtout au fédéral, gouvernent selon la volonté du peuple ni que les citoyens aient actuellement les moyens de remédier à cela. Nombre d'entre eux, surtout à l'extérieur du Québec, souhaitent et sont prêts à appuyer une réforme profonde du système politique, pour autant qu'elle débouche sur un régime politique humain et efficace et des gouvernants réceptifs et responsables.

« Les participants désirent de tels changements parce qu'ils ont perdu confiance dans le système politique actuel et parce qu'ils doutent que les dirigeants prendront des décisions qui reflètent leurs valeurs et leurs aspirations [notre souligné]. Ils exigeraient moins la participation directe aux décisions si des réformes parvenaient à rétablir leur confiance dans le système. Autrement dit, ils voudraient que les grandes décisions qui les touchent soient prises en toute connaissance de cause en tenant compte des opinions et en pensant au bien-être des citoyens en général ». (pages 108-109)

Voici quelques-unes des réactions des citoyens au Forum, telles que citées dans le rapport à titre d'interventions typiques :

« Un couple d'Ontariens âgés d'environ 70 ans : 'Les principes directeurs doivent être l'honnêteté et le dévouement envers le peuple : rien ne se fera sans cela. Pour le moment, le Parlement est un théâtre burlesque où chacun essaye d'avoir la vedette.'

« Un groupe du Manitoba : 'Le groupe veut que les élus se remuent le derrière et se mettent à diriger le pays.'

« Un groupe du Manitoba : 'On n'arrivera pas à nous faire croire qu'il suffit de trouver la bonne formule pour que tout aille bien. Nos dirigeants politiques ont failli; ils n'ont ni vision, ni légitimité.'

« Un élève du premier cycle secondaire de l'Ontario : 'Nous ne pouvons absolument rien faire. On met au pouvoir un gouvernement qui s'engage à améliorer la situation et ce genre de choses... Quand un gouvernement a-t-il jamais tenu ses promesses ? Ce que je pense n'a aucune importance, j'ai 14 ans et personne ne m'écoute...'

« Un groupe d'Ottawa : 'Nos représentants se comportent d'une façon épouvantable au Parlement; on dirait des enfants indisciplinés. Ils se comportent comme de mauvais garnements, n'ont aucune retenue et ne cessent de se quereller entre partis. Pourquoi ne se serrent-ils pas les coudes et n'exploitent-ils pas leurs meilleures idées ?'

« Un groupe du Nouveau-Brunswick : 'Les priorités politiques ne sont pas nécessairement les priorités nationales... Il faut consulter davantage les organisations populaires.' »

Extrait d'une lettre venant du Québec : « II y a un vide politique : les gouvernants n'ont aucune vision précise, aucune suite dans les idées, aucune notion de notre destin national; les pots-de-vin, la corruption et l'incompétence dominent une bureaucratie alourdie par les complications juridiques et fiscales. »

Les commissaires soulignent que le thème sous-jacent des commentaires au Forum est que les gens veulent des dirigeants politiques qui soient réceptifs et responsables sur une série de sujets :

« ...gestion de l'économie, traitement réservé aux peuples autochtones, réforme constitutionnelle et place du Québec dans la fédération, bilinguisme et multiculturalisme. Dans tous ces domaines les citoyens nous ont dit qu'ils n'avaient pas l'impression d'être gouvernés selon leurs désirs ni selon leurs valeurs fondamentales. » (p. 110)

Au sujet des médias :

« Nombre de participants ont dit aux commissaires que les médias portent une lourde responsabilité à l'égard des problèmes et des difficultés auxquels le Canada se trouve confronté du fait qu'ils ne s'efforcent pas suffisamment de fournir des informations de base fiables et ne donnent pas de nous-mêmes une image constructive. C'est le cas de ce citoyen d'Islington, en Ontario, qui a lancé : 'Les médias, source de désinformation et de confusion par excellence.'

« Les participants sont souvent d'avis que les médias ont la fâcheuse tendance à faire dégénérer les problèmes en crises en exagérant les conflits et en déformant les faits : 'Les médias nous ont fait beaucoup de tort en montant en épingle le sentiment séparatiste au Québec et le lac Meech. Les médias ont versé dans l'exagération et dans le sensationnalisme', a déclaré un groupe de discussion du Manitoba. Un participant de Merville, en Colombie-Britannique : '[les] médias doivent cesser de mettre l'accent sur nos différences et s'attacher davantage à faire ressortir ce que nous avons en commun et ce qui nous unit.' »

Les commissaires concluent :

« À nos yeux, il est clair que les participants au Forum investissent non seulement les dirigeants politiques, mais aussi les médias, de la responsabilité d'adhérer aux valeurs canadiennes fondamentales. »

La plupart des participants, selon les commissaires, croient aux valeurs fondamentales que sont « l'égalité, l'équité et la coopération. »

La notion d'égalité s'applique aux personnes, aux provinces et aux régions du Canada. On s'oppose fortement à l'octroi de privilèges particuliers pour toute province. L'absence d'équité a été soulignée par différents groupes, comme les Acadiens, les autochtones, les anglophones au Québec, les francophones hors Québec, des résidents des prairies et des provinces maritimes.

D'autres soulignent le besoin de coopération si nous voulons réaliser le genre de pays que nous désirons. Il existe ce sentiment généralement répandu que le Canada est un pays improbable avec une population éparse vivant sur une grande étendue et concentrée dans des villes perlées le long de la frontière américaine. Les participants préconisent une coopération active entre Canadiens.

La grande majorité des interlocuteurs du Forum ne pensent pas que leurs dirigeants actuels aient gouverné le pays selon des valeurs fondamentales. Si d'aucuns le déplorent et manifestent leur déception, un nombre bien plus grand de citoyens sont furieux, et leur colère est surtout dirigée contre les politiciens fédéraux. Les commissaires citent les passages suivants :

« ...l'absence de vision est la véritable raison pour laquelle le Forum a été créé. Le premier ministre, son Cabinet, son parti et, à vrai dire, tous les partis et toutes les assemblées législatives, manquent de vision. Aucun d'entre eux n'a été ni n'est capable d'envisager un avenir nouveau pour le Canada, et quand nous réclamons des propositions, ils avouent qu'ils n'en ont pas à faire. »

« ...il y a un autre problème, c'est que le premier ministre est incapable de garder le contact avec le public. La plupart des gens étaient contre le libre-échange, contre la TPS, contre les réductions (pour ne citer que quelques exemples), mais cela ne l'a pas empêché de nous les imposer de force, que nous le voulions ou non. »

« Nos trois chefs politiques ne privilégient pas l'intégrité intellectuelle. »

« Les négociations du lac Meech se sont déroulées dans le secret. Cela ne doit plus jamais se reproduire. »

« Le gouvernement est seul responsable du sentiment généralisé de désunion qui règne au Canada. La façon dont il essaie de régler les problèmes qui compromettent l'unité canadienne est déplorable. »

« Ce sont les politiciens, et surtout notre premier ministre, qui n'ont pas compris le message, et ils ne veulent pas l'entendre. Le premier ministre fera des pieds et des mains pour réaliser la décentralisation, même si cela provoque l'éclatement du pays. S'il perd le Québec, il perd son principal allié. Le plus inquiétant, c'est que ce scénario qui prévoit l'octroi de pouvoirs plus étendus aux provinces, ne déplaît pas du tout à bien des premiers ministres provinciaux. »

Les commissaires notent que bon nombre de Canadiennes et de Canadiens ont le sentiment que

« ... le parlement ne signifie pas grand-chose, parce qu'il est sous la coupe du gouvernement et que les autres représentants élus n'ont que peu ou pas du tout d'influence, est très répandu. Des participants nous ont dit que cette situation serait tolérable si seulement le gouvernement actuel respectait son programme électoral; en l'occurrence, il n'existe presque aucun rapport entre celui-ci et les mesures prises par la suite par le gouvernement [notre souligné]. En effet, au cours de son mandat, il élabore et applique des politiques d'envergure jamais évoquées, ou à peine, pendant la campagne. Comme l'a si bien dit un participant,'' ...on a généralement l'impression qu'il existe un manque de communication entre la population en général et le gouvernement, que les politiciens ne se sentent plus obligés de rendre des comptes au peuple une fois qu'ils ont été élus'. »

Les commissaires font remarquer que les gens jugent nécessaire de trouver les moyens d'obliger les députés à consulter leurs électeurs sur les grandes questions ou de leur donner une plus grande marge de manoeuvre ou d'exiger d'eux qu'ils votent conformément aux désirs de leurs électeurs. Un groupe de discussion de l'Ontario a exprimé le consensus à ce sujet dans les termes suivants :

« Il faut changer de gouvernement. Il faut un système permettant à nos représentants élus de représenter vraiment leurs électeurs et de tenir compte de leurs désirs. [...] Dans un pays moderne où le niveau d'instruction de la population est élevé, il est inadmissible d'invoquer l'excuse que l'on a été élu pour prendre des décisions et que l'on n'a pas besoin de connaître l'opinion des électeurs ».

Un autre intervenant ajoute :

« Dans le régime démocratique actuel, les abus sont monnaie courante, à l'échelle tant fédérale que provinciale; c'est le principal problème. Nos politiciens ne nous écoutent pas et leur conduite est dictée par la solidarité de parti. »

Un groupe du Yukon :

« Nous avons le droit de parole deux fois tous les dix ans seulement. On se fait dire ensuite « les Canadiens m'ont élu, donc... », ce qui est humiliant. Nous en sommes arrivés à nous méfier de cette méthode. Les politiciens n'ont pas à modifier la trame du pays... Ils doivent écouter le peuple au lieu de s'en remettre à une armée de conseillers. Ce n'est pas possible avec les sondages d'opinions. Socrate a démontré que les questions appellent les réponses. »

Un intervenant de Colombie-Britannique :

« Les députés qui sont élus devraient rendre des comptes à leurs électeurs et se comporter aux Communes conformément à l'avis de la majorité d'entre eux pour les questions d'importance nationale. »

Les commissaires notent ensuite que bon nombre de participants ont réclamé le droit de révoquer un député :

« Les citoyens devraient avoir le pouvoir de révoquer un député s'il ne sert pas les intérêts du pays, s'il ne propose pas de projets de loi ou s'il ne défend pas les droits des citoyens et n'essaie pas d'améliorer leur situation ni celle du pays. »

« Il faut modifier la Constitution pour trouver un moyen de destituer les politiciens qui ne gouvernent pas selon les voeux de leurs électeurs. S'ils n'accomplissent pas la mission qui leur a été confiée par ceux-ci, il faut les remplacer. »

L'intervention suivante résume bien une opinion très répandue :

« Il faut pouvoir révoquer le gouvernement et l'obliger à rendre directement des comptes aux électeurs. Vous ne nous gouvernez pas, vous travaillez pour nous. Cessez de nous faire des cachotteries et essayez d'être francs et honnêtes. Les gens de ce pays aspirent à avoir un gouvernement honnête. »

Les deux mécanismes les plus populaires comme moyens pour changer la situation sont la tenue de référendums sur des questions importantes et la création d'une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution :

« II faut créer une assemblée constituante indépendante du gouvernement, dans laquelle les diverses provinces (ou régions) et territoires ainsi que les groupes autochtones seront représentés de façon équitable. »

Un intervenant de la Nouvelle-Écosse écrit : « Mettez fin au fédéralisme exécutif ! »

(Pour un rapport complet sur ce que les Canadiens ont dit à la Commission Spicer, voir : Pour faire face à l'avenir — Les problèmes d'un Canada post-référendaire dans une optique non partisane, Hardial Bains, 1992)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 85 - 16 décembre 2020

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