Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
- Sarah Mullgrave -
Le 3 décembre, le ministre de la Justice et
procureur général du Canada David Lametti a déposé
le projet de loi C-15, la Loi sur la
Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones, à la Chambre des
communes. L'objectif proclamé du projet de loi est
d'affirmer la Déclaration des Nations unies sur
les droits des peuples autochtones (DNUDPA) «
comme un instrument universel, international et
relatif aux droits de la personne, qui s'applique
en droit canadien, et de fournir un cadre pour la
mise en oeuvre de la Déclaration par le
gouvernement du Canada[1].
»
Le projet de loi C-15 comprend sept sections.
S'il est adopté, « le projet de loi exigerait que
le gouvernement du Canada, en consultation et en
collaboration avec les peuples autochtones,
effectue ce qui suit : prendre toutes les
mesures nécessaires pour s'assurer que les lois
fédérales sont conformes à la Déclaration;
élaborer et mettre en oeuvre un plan d'action pour
réaliser les objectifs de la Déclaration; déposer
un rapport annuel sur les progrès réalisés dans
l'harmonisation des lois fédérales et à l'égard du
plan d'action ».
Le plan d'action
doit comprendre des mesures « pour s'attaquer aux
injustices, combattre les préjugés et éliminer
toutes les formes de violence et de discrimination
à l'égard des peuples autochtones, y compris les
aînés, les jeunes, les enfants, les femmes, les
hommes, les personnes en situation de handicap et
les personnes bispirituelles et de diverses
identités de genre; visant à promouvoir le respect
et la compréhension mutuels, ainsi que de bonnes
relations, notamment par l'éducation des droits de
la personne; liées au contrôle, à la surveillance,
aux recours ou aux réparations ou à d'autres
obligations relatives à la mise en oeuvre de la
Déclaration ».
En ce qui concerne le délai, le projet de loi
indique que le plan d'action « doit être élaboré
dès que possible ou, au plus tard, dans les trois
ans suivant la date d'entrée en vigueur du présent
article ».
Le document d'information publié par le
gouvernement le 3 décembre indique entre
autres choses : « Le gouvernement du Canada a
déjà pris des mesures pour refléter la Déclaration
dans certaines lois, y compris la Loi
concernant les enfants, les jeunes et les
familles des Premières Nations, des Inuits et
des Métis et la Loi sur les langues
autochtones. Le projet de loi C-15 constitue
un autre pas en avant[2]. »
L'article 32 de la DNUDPA prescrit
que : « Les États consultent les peuples
autochtones concernés et coopèrent avec eux de
bonne foi par l'intermédiaire de leurs propres
institutions représentatives, en vue d'obtenir
leur consentement, donné librement et en
connaissance de cause, avant l'approbation de tout
projet ayant des incidences sur leurs terres ou
territoires et autres ressources, notamment en ce
qui concerne la mise en valeur, l'utilisation ou
l'exploitation des ressources minérales, hydriques
ou autres. »
Sur ce principe clé, le gouvernement canadien
écrit :
« Des renvois au 'consentement préalable, donné
librement et en connaissance de cause' figurent
dans l'ensemble de la Déclaration. Cette
expression souligne l'importance de reconnaître et
d'assurer le respect des droits des peuples
autochtones et de veiller à ce que les peuples
autochtones participent effectivement et de
manière significative aux décisions qui les
concernent, ainsi que leurs communautés et
territoires. Le consentement préalable, donné
librement et en connaissance de cause, consiste à
travailler en partenariat et en respect. [...]
Malgré ce que certains ont suggéré, il ne s'agit
pas d'un droit de veto sur le processus
décisionnel du gouvernement. »
La question de
l'interprétation du consentement donné en
connaissance de cause comme n'étant pas un droit
de veto est la diversion que le gouvernement
utilise pour tenter de masquer que ses relations
avec les nations autochtones sont celles d'une
puissance coloniale qui déclare son droit de
gouverner les « indigènes ». C'est pitoyable.
Le document d'information du gouvernement Trudeau
répond à la question de l'impact du projet de
loi 15 en ce qui concerne le développement
des ressources naturelles. Le gouvernement
souligne que le gouvernement a l'obligation
constitutionnelle « de consulter et d'accommoder
les groupes autochtones lorsqu'il envisage de
mettre en oeuvre des mesures qui pourraient avoir
des répercussions négatives sur les droits établis
ou potentiels – ancestraux ou issus de
traités ». En même temps, il indique que « le
projet de loi ne crée pas de nouvelles obligations
ni d'exigences réglementaires pour
l'industrie ».
Le document d'information du gouvernement fournit
de l'information spécifique sur l'impact du projet
de loi C-15 sur l'industrie de la pêche. On y
lit : « La pêche, les océans, l'habitat
aquatique et les voies maritimes sont
économiquement et culturellement importants pour
les peuples autochtones. La gestion durable des
ressources halieutiques, la conservation de nos
océans, par l'entremise de la Garde côtière
canadienne, la sécurité de ceux qui circulent sur
les plans d'eau et la protection de
l'environnement maritime sont des priorités
partagées avec les peuples autochtones au Canada
et le gouvernement du Canada.
« Le gouvernement du Canada travaille avec les
peuples autochtones au moyen de processus bien
établis qui favorisent le partenariat dans le
processus décisionnel et dans les activités de
gestion, par exemple, les conseils consultatifs,
les ententes de gestion collaborative et les
discussions bilatérales. Grâce à ces relations, le
gouvernement du Canada collabore avec les peuples
autochtones de manière à refléter le contenu de la
Déclaration.
« Le projet de loi C-15 ne modifie pas
immédiatement les opérations, les politiques ou
les lois relatives au ministère Pêches et Océans
Canada ou à la Garde côtière canadienne. La Loi
sur les pêches et toutes les conditions de
permis resteront en vigueur. L'élaboration du plan
d'action serait un moyen de faire avancer les
discussions que les peuples autochtones pourraient
souhaiter avoir sur les mesures à prendre pour
atteindre les objectifs de la Déclaration. Le
gouvernement du Canada s'efforcera de garantir un
environnement sûr, ordonné et durable pour tous
les pêcheurs qui pratiquent la pêche. »
Le paragraphe
précédent est une référence directe à la lutte que
les Mi'kmaq mènent actuellement contre l'État
canadien pour affirmer leurs droits de pêche
ancestraux et issus de traités. Il est évident que
le projet de loi C-15 sera utilisé pour affaiblir
cette lutte en maintenant le veto du gouvernement
sur les permis de pêche et la réglementation de la
pêche en vertu de la Loi sur les pêches. Par
un tour de passe-passe, les libéraux visent à
miner la lutte des Mi'kmaq pour affirmer leurs
droits de pêche souverains et participer à une «
pêche de subsistance convenable » définie et
réglementée par eux, tout en masquant le fait que
c'est l'État qui a créé les conditions pour
diviser les petits pêcheurs, dont les pêcheurs
autochtones, qui a encouragé les conflits entre
eux par le biais du ministère des Pêches, des
Océans et de la Garde côtière canadienne, qui a
subventionné les plus grands monopoles de la pêche
comme Clearwater Seafoods, qui a bradé les
ressources aux navires-usines et aux chalutiers
étrangers, ce qui a causé beaucoup de problèmes
aux autochtones et aux petits pêcheurs. Le
gouvernement s'est soustrait aux obligations qu'il
a en vertu des traités de paix et d'amitié que la
Couronne a signés en 1760-1761, dans lesquels
les Mi'kmaq ont affirmé leur souveraineté et n'ont
pas cédé leurs droits sur la terre, leurs droits
maritimes ou aucun de leurs droits. L'Assemblée
des chefs Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a
d'ailleurs dénoncé le gouvernement Trudeau parce
qu'il refuse de les rencontrer sur la question des
droits de pêche.
Dans l'ensemble, le projet de loi C-15 est un
document perfide ayant un objectif sinistre. La
vie se chargera de rappeler au gouvernement que
les droits ne peuvent se donner ou être enlevés ou
perdus de quelque façon que ce soit, peu importe
avec qui il consulte et fait des accords. Ils ne
peuvent pas être éteints, ce qui fait qu'aucun
morceau de papier ou document juridique frauduleux
ne peut réaliser le miracle qu'envisage le
gouvernement Trudeau alors que tous les
gouvernements avant lui ont échoué. Toute autre
tentative d'éteindre la souveraineté autochtone,
les droits inhérents et les droits au titre pour
servir les intérêts de l'« industrie » sera,
elle aussi, vouée à l'échec.
Notes
1. La
Déclaration des Nations unies sur les droits des
peuples autochtones (DNUDPA) est une déclaration
juridiquement non contraignante qui a été
adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU
en 2007. À l'époque, 144 pays ont voté
en sa faveur, quatre pays ont voté contre
(l'Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et
les États-Unis) et onze pays se sont abstenus.
Selon l'ONU, la « Déclaration est l'instrument
international le plus complet sur les droits des
peuples autochtones. Elle établit un cadre
universel de normes minimales pour la survie, la
dignité et le bien-être des peuples autochtones
du monde et elle élabore sur les normes
existantes des droits humains et des libertés
fondamentales dans leur application à la
situation particulière des peuples
autochtones. »
En 2010, le gouvernement
conservateur de Stephen Harper a formellement
appuyé la DNUDPA, la décrivant comme un «
document ambitieux », mais n'a pris aucune
action. Les libéraux de Justin Trudeau, dans
leur plateforme électorale de 2015, se sont
engagés à mettre en oeuvre la DNUDPA, et le
Canada a officiellement déclaré en mai 2016
qu'il « l'appuyait formellement et travaillait à
sa mise en oeuvre dans le cadre des lois du
Canada, qui est notre Charte ».
Deux mois plus tard, la ministre
de la Justice Jody Wilson-Raybould s'adressant à
l'Assemblée générale de l'Assemblée des
Premières Nations le 12 juillet, a déclaré
que « les approches très simplistes, comme
l'adoption de la DNUDPA comme loi
canadienne, ne sont pas pratiques et, je le dis
respectueusement, sont une distraction politique
qui retarde le lancement des travaux difficiles
que requiert sa mise en oeuvre réelle. »
En 2018, le député du NPD
Romeo Saganash a présenté le projet de loi
d'initiative parlementaire C-262 à la Chambre
des communes. Il a demandé que la DNUDPA soit
intégrée au droit canadien. Cependant, le projet
de loi est mort au feuilleton du Sénat avant
l'élection fédérale de 2019.
2.
S'exprimant sur la Loi concernant les
enfants, les jeunes et les familles des
Premières Nations, des Inuits et des Métis,
le 7 juillet 2020, la Dre Cindy
Blackstock, la directrice générale de la Société
de soutien à l'enfance et à la famille des
Premières Nations du Canada, a souligné que
malgré cette loi, le sous-financement et
l'incertitude face au financement fédéral des
Services à l'enfance et à la famille des
Premières Nations se poursuit. Elle a dit que le
gouvernement fédéral n'a éprouvé aucun problème
à trouver les fonds pour intervenir face à la
COVID-19 mais que ce n'est pas le cas pour les
enfants autochtones.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 83 - 12 décembre 2020
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