Le droit de conscience est une question de société nouvelle
- Pauline Easton -
Aujourd'hui, dans l'ensemble, les Canadiens
s'inquiètent de ce qui arrive aux sociétés partout
dans le monde, y compris la leur. On leur
donne le droit de faire, de dire et d'agir comme
ils l'entendent tant que cela est sans conséquence
sur le pouvoir qui est au-dessus d'eux. Ils
peuvent acheter ce qu'ils veulent et ils peuvent
voter pour qui ils veulent. La liberté est décrite
tantôt comme un choix du consommateur, tantôt
comme un choix politique. Personne n'est obligé
d'obéir à personne, mais si vous faites quelque
chose qui est contraire aux intérêts privés
étroits dictés par la classe dominante, vous aurez
affaire au « plein poids de la loi ».
En d'autres mots, une caractéristique frappante
de la situation actuelle est que les
gouvernements, qui n'ont aucun argument pour
justifier les terribles choses qu'ils font,
parlent des droits de la même façon : comme
s'il s'agissait d'abstractions sans conséquences.
Comment peut-on avoir une vie de dignité dans un
tel état de choses ?
Une bataille acharnée se mène entre ce qui est
progressiste, positif et sain et ce qui est
régressif, négatif et malsain. Et dans ces
circonstances, les Canadiens doivent trouver
comment s'orienter dans la vie. Ils vivent dans un
monde où les classes existent et, par conséquent,
il y a nécessairement un conflit entre les deux
façons et les deux perspectives qui donnent lieu à
des opinions contradictoires sur pratiquement
tout.
De plus, dans notre société, l'anarchie règne
dans différents domaines, notamment dans
l'économie où, outre la politique consistant à
payer les riches quoi qu'il arrive, tout est
laissé au hasard. Cela comprend le soin et
l'éducation des jeunes générations, le soin et la
protection des personnes âgées et de ceux et
celles qui ont besoin d'une aide sociale et la
prise en charge de tous les autres aspects de la
vie. Tout cela montre que les personnes en
position de pouvoir ne peuvent pas justifier leurs
positions par une logique solide et des faits
tirés de la vie.
Par conséquent, c'est dans l'abstrait qu'elles
trouvent les justifications pour ce qu'elles font.
« Au Canada, tout individu peut faire ce qu'il
veut », disent-elles. Comme si c'était le
seul et dernier mot sur le sujet, comme si cela
pouvait se substituer à une discussion de fond sur
ce qui constitue une démocratie adaptée à son
époque et sur la façon dont les droits sont
définis.
Il n'y a rien qui soutienne cette affirmation. Il
ne peut jamais y avoir de société où un individu
peut faire ce qu'il veut parce que l'existence
même de la société impose des limites à ses
membres. Nous créons notre société, mais pas selon
tous nos souhaits et désirs. Nous ne pouvons pas
dire non plus que nous ne décidons de rien. Ainsi,
l'idée que l'individu peut faire ce qu'il veut est
soit une simple abstraction, un profond
détachement par rapport à la vie, une opinion
négative et malsaine, soit une impossibilité.
B. Paul, le
rédacteur en chef du Nouveau Magazine,
écrivait en octobre 1987, à une époque où la
conscience de la société était basée sur la
supplantation des arrangements de
l'État-providence par l'apparition du
néolibéralisme, appelé néoconservatisme à l'époque[1] :
« Le droit de conscience, le droit d'avoir des
opinions, de les prêcher et de les pratiquer, est
un droit fondamental. Et ce droit n'est pas
uniquement une idée, un exercice intellectuel.
Prenez le cas de l'ouvrier conscient de ses
conditions de vie qui préconise l'abolition du
régime capitaliste. Pourquoi préconiserait-il une
chose pareille ? Parce qu'il ne voit pas
d'autre façon de défendre ses intérêts et
d'assumer son avenir. Cet ouvrier gravite
instinctivement vers le socialisme, alors que pour
le capitaliste l'idée même de l'abolition du
système capitaliste est un péché mortel. »
Il est écrit dans la loi que tous les futurs
citoyens doivent prêter le serment d'allégeance
aux institutions canadiennes, c'est-à-dire à la
société qui est construite sur la base d'une
économie qui paie les riches et qui est membre de
l'alliance militaire impérialiste américaine
agressive qu'est l'OTAN. Cette disposition de la Loi sur la
citoyenneté s'applique uniquement aux
résidents permanents qui veulent obtenir la
citoyenneté ; elle ne s'applique pas aux
Canadiens de naissance.
Cependant, les Canadiens de naissance sont
traités comme des êtres légitimes ou illégitimes
selon qu'ils défendent ou non ce qu'on appelle les
valeurs canadiennes telles que représentées par
les institutions démocratiques dites libérales.
Cela montre que le gouvernement veut préserver le
système qui consiste à payer les riches et faire
respecter le statu quo tout en prétendant qu'une
personne peut croire ce qu'elle veut à condition
de jurer allégeance à « notre mode de vie ».
B. Paul écrit :
« La conscience est d'abord une affaire de
science et de civilisation, de bien-être du
peuple, de liberté et de progrès, d'avancement de
la société. Il n'est donc pas surprenant que
seules les personnes progressistes abordent la
question de la conscience d'une manière sincère,
franche et honnête. Il est généralement reconnu
que la liberté est la reconnaissance de la
nécessité. Notre conscience peut-elle être
détachée de cette nécessité ? »
Sur la question des droits, en particuliers les
droits humains, le gouvernement du Canada défend
une position qui laisse clairement entendre que
les droits sont effectivement une abstraction.
Notre conscience de ce que constitue un droit doit
être encadrée par les institutions démocratiques
libérales anachroniques. Elle consiste à reprendre
la version qui nous est donnée par ces
institutions. Si nous n'acceptons pas ce diktat,
nous sommes des extrémistes d'une espèce ou d'une
autre et nous méritons l'exclusion, la diffamation
et la mort civile. Bref, nous sommes criminalisés.
B. Paul soumet la considération suivante : «
Ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est de créer
une société nouvelle qui sera débarrassée des maux
du capitalisme. Que dire de la conscience qui ne
reconnaît pas cette réalité ? »
Autrement dit, non seulement les contradictions
qui existent aujourd'hui sur la conscience, la
conception du monde et la conduite de chacun
sont-elles très vives, mais elles ont aussi un
caractère urgent. Chacun doit se faire une opinion
sur la direction que doit prendre la société et
chacun doit prendre des mesures concrètes qui la
mènent dans cette direction.
Cela s'applique aussi à la jeune génération. Les
jeunes ressentent un besoin profond de décider de
leur orientation. Cette préoccupation en pousse
certains au nihilisme, au fatalisme et à des
conséquences tragiques. Elle en pousse d'autres à
adopter des positions révolutionnaires. Il en va
de même pour les travailleurs, en particulier les
jeunes travailleurs, d'un océan à l'autre. Tout
cela montre l'importance de la conscience.
Alors que
les gouvernements et les forces de
l'establishment, y compris les médias, les
universités, les groupes de réflexion et les
porte-paroles de toutes sortes d'intérêts
commerciaux et d'organisations sociales et
caritatives, affirment que le droit de s'exprimer
librement est protégé au Canada, la question plus
importante ici est la négation du droit de
conscience. Il n'est pas possible d'avoir le droit
de conscience quand les ennemis de ce droit ont un
tel pouvoir.
Personne ne peut accuser des gens comme Joe
Biden, Justin Trudeau, Chrystia Freeland, Irwin
Cotler et Jason Kenney d'être des hommes et des
femmes de conscience. Non pas parce qu'ils sont
politiquement réactionnaires, mais parce que leur
conception même du monde actuel laisse la question
de la conscience au Moyen-Âge. La question de la
conscience ne peut jamais être réduite au droit de
contre-révolution et de réaction.
« La conscience et la science, la conscience et
le progrès, la conscience et la révolution sont
des choses qui ont beaucoup en commun, écrit B.
Paul. Il est impossible de concevoir l'un sans
l'autre. [...] Ceux qui essaient de justifier des
attitudes égocentriques et autodestructrices
doivent le faire aux dépens de la conscience. Être
sans conscience équivaut à rejeter délibérément
les valeurs humaines et la civilisation, à
favoriser un comportement aveugle et
animal. »
B. Paul souligne qu'il y a une différence entre
préjugé et conscience. « Puisque tous les
individus sont un produit de la société, ils ont
tendance à penser que leurs points de vue et leur
conscience sont quelque chose de fini, de réglé
d'avance. Mais la conscience exige une attitude
tout à fait consciente et entièrement justifiée
par la science, et entièrement dans l'intérêt de
la liberté et du progrès. Nous ne sommes pas des
hommes et des femmes de conscience du simple fait
de ramasser spontanément des choses ici et là. Peu
importe combien de fois on le répétera, ça ne
passe pas. Nous sommes en faveur d'une conscience
bien précise, celle conférée par les
préoccupations et les besoins du peuple. Cette
conscience n'est ni vague ni passagère. Elle puise
sa force dans le progrès de l'humanité vers la
création d'une société où tout ce qui est aveugle
et rétrograde sera chose du passé. »
B. Paul résume cette pensée de façon
succincte : « Le droit de conscience se
rapporte en définitive à la création d'une société
nouvelle. »
Note
1. « À propos de la
conscience », B. Paul, Le Nouveau
Magazine hebdomadaire, 14
octobre 1987
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 82 - 9 décembre 2020
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