Des développements inquiétants aux États-Unis

Les pouvoirs présidentiels sont utilisés pour attaquer et restructurer la main-d'oeuvre fédérale

En octobre, le président des États-Unis Donald Trump a promulgué un décret présidentiel appelant à ce que possiblement des centaines de milliers de travailleurs fédéraux soient reclassifiés pour les transformer à toutes fins pratiques en travailleurs « de gré à gré ». Cette mesure permettrait à l'exécutif de congédier des travailleurs sans raison et sans recours, d'en embaucher d'autres sans tenir compte des conventions collectives et des normes existantes et de leur enlever toute autre forme de protection. Ces travailleurs se verraient également nié le droit à la représentation syndicale. Tous les travailleurs fédéraux considérés comme occupant des « postes d'élaboration de politiques, de création de politiques ou de défense de politiques » doivent être reclassifiés vers cette nouvelle autorité d'embauche dite de « service exempté », portant l'appellation Schedule F. Le président élu Biden n'a pas encore dit s'il allait tenter d'abroger ce décret.

Trump a ordonné aux responsables de départements d'identifier tous ces travailleurs pas plus tard que le 19 janvier, le jour avant qu'il doive, à ce stade, quitter ses fonctions. Le 23 novembre, on rapporte que le Bureau de la gestion et du budget (OMB) entreprendra de reclassifier 88 % de sa main-d'oeuvre (425 travailleurs) au sein de la Schedule F. Bien qu'il soit relativement petit, l'OMB joue un rôle important dans la proposition et la gestion des affaires budgétaires. Le changement accroît ainsi l'autorité du président sur ces questions. Le département de l'Énergie serait lui aussi en train de rapidement reclassifier ses travailleurs.

L'objectif du décret présidentiel est clairement d'enlever tout obstacle actuel empêchant l'exécutif d'embaucher et de congédier arbitrairement les travailleurs fédéraux, y compris les travailleurs ayant le plus d'ancienneté : « Afin de mener à bien les nombreuses activités attribuées à la branche exécutive en vertu de la loi [...] il est nécessaire que le président ait le pouvoir de gestion nécessaire sur ces effectifs particuliers de professionnels [...] Les agences doivent avoir une plus grande flexibilité dans le choix de ces employés qu'elles en ont dans le processus compétitif actuel des services. [...] Les agences ont besoin de la flexibilité nécessaire pour retirer rapidement les employés peu performants de ces postes sans avoir à faire face à des retards importants ou à des litiges. »

La mesure est une prise en charge directe par des intérêts privés des arrangements de la société civile. C'est une attaque contre la main-d'oeuvre fédérale syndiquée par laquelle on met fin aux pratiques convenues touchant aux normes régissant l'embauche, le congédiement et le rendement. C'est aussi une menace contre tous les travailleurs et une pression à la baisse sur leurs conditions de travail. Conformément à la tendance générale, un contrat n'est plus un contrat et un service ne relève plus du bien public.

Les travailleurs fédéraux ont contesté le décret présidentiel et exhorté le Congrès à y faire entrave. Le président de la Fédération américaine des employés gouvernementaux (AFGE), le plus grand syndicat de travailleurs fédéraux, avec 670 000 membres, a dit : « Il s'agit de la plus grande attaque contre la fonction publique de notre vivant. Le président n'épargne aucun effort pour politiser et corrompre le service professionnel. Ce décret présidentiel élimine les droits en vertu des procédures établies et la protection de centaines de milliers d'employés fédéraux et autorisera des élus politiques et d'autres représentants à embaucher et congédier ces travailleurs à volonté. » Le Syndicat national des employés du Trésor, qui comprend les travailleurs de l'OMB, a intenté un procès contestant la légalité de ce décret qui remplace la loi existante.

Le processus signifie que de nombreux responsables de départements gouvernementaux décideront quels travailleurs feront désormais partie de la nouvelle catégorie. Leurs recommandations seront ensuite envoyées au Bureau de la gestion du personnel (BGP) qui a le dernier mot. Cependant, il n'y a aucune définition de ce qui constitue « des postes d'élaboration de politiques, de création de politique ou de défense de politiques ». Un mémorandum de directives du BGP affirme : « Ni le code des États-Unis ni les précédents judiciaires ne définissent précisément ces termes dans le contexte de l'usage statutaire. » Il réitère ensuite les généralisations fournies par le décret présidentiel, qui, elles, sont très vastes. Elles comprennent tout travailleur qui participe à « des négociations de convention collective », « qui révise, fait circuler ou oeuvre à des règlements ou à des délibérations proposées », « participe de façon importante au développement ou à l'ébauche de règlements » ou « à un travail important relié à la politique au sein d'une agence ». La participation à une de ces catégories signifierait que quelqu'un pourrait être reclassifié. Le BGP pourrait autoriser des congédiements même avant le 19 janvier, basés sur les recommandations des responsables de départements.

Normalement, la vaste bureaucratie civile reste en place peu importe les changements d'administration. Celle-ci comprend par exemple la plupart des 760 000 travailleurs de la fonction publique au Pentagone et plusieurs des 240 000 travailleurs au département de la Sécurité nationale. Le décret ne fait pas que créer une main-d'oeuvre « de gré à gré ». Il restructure aussi cette bureaucratie pour qu'elle soit instable et, conformément aux calculs intéressés des mandataires de cet ordre exécutif, une force plus malléable à la disposition de l'exécutif. Il sert aussi à effacer la mémoire qu'une main-d'oeuvre de longue date conserve et qui touche aux normes pour elle-même et pour la gouvernance dans son ensemble, y compris les normes régissant la reddition de comptes.

Il y a présentement des propositions au Congrès à l'effet de ne pas financer le décret présidentiel, bien qu'en toute vraisemblance elles ne réussiront pas à empêcher divers responsables de départements de le mettre en oeuvre ni le début des congédiements. Des lettres ont aussi été envoyées au Congrès en opposition au décret. Elles mettent en lumière l'aspect de restructuration et de consolidation du pouvoir exécutif. Au sujet des protections entourant les embauches et les congédiements, une des lettres fait valoir que les arrangements actuels « n'existent pas que pour les fonctionnaires eux-mêmes, mais plutôt pour veiller à ce que le gouvernement fournisse des services à l'abri d'une influence politique indue. Ils assurent une continuité gouvernementale malgré les changements d'administration, et préservent la connaissance et l'expertise institutionnelle au sein du gouvernement. Ils protègent l'État de droit qui, lui, protège les employés loyaux à la constitution plutôt qu'à un parti politique. Il est urgent que le Congrès agisse, en particulier en raison du fait que nous sommes dans une période de transition. Toute inaction va créer un dangereux précédent, indicatif d'une indifférence de la part du Congrès face à l'expansion du pouvoir exécutif. Le décret présidentiel met fin à un cadre législatif de longue date qui assure des services publics non partisans – un cadre qui veille à ce que les projets de loi adoptés par le Congrès soient mis en oeuvre tels que rédigés, et que les fonds qu'ils contrôlent seront distribués tels que stipulé. Si le Congrès ne dit rien, c'est qu'il accepte non seulement ce décret mais toutes futures mesures administratives visant à démanteler les paramètres législatifs en place pour promouvoir une fonction publique non partisane. »

La mission de Donald Trump en tant que président était de briser les liens entre les structures actuelles de gouvernance et de l'État de droit aux pays et à l'étranger pour poursuivre la politique d'expulsions et la guerre de drone de Barak Obama. Les actions de Trump à la frontière, ses camps de détention pour les enfants, sa répression des manifestants par le biais de forces fédérales et, plus récemment, son mépris pour les protocoles de transition, n'en sont que quelques exemples. Il a consolidé un gouvernement de pouvoirs de police en éliminant les limitations de ces pouvoirs et en y ayant recours plus ouvertement au pays et à l'étranger. Plus l'exécutif concentre le monopole du recours à la force entre ses mains, plus grande est sa capacité d'agir avec impunité, ce qui finit par sembler « normal ». Le décret présidentiel est un exemple des tentatives d'attaquer massivement la main-d'oeuvre fédérale et de la restructurer en faveur des pouvoirs de police de l'exécutif. Ce qui est détruit, c'est le concept même d'un service civil voué au service du bien public – ce qui est encore plus évident du fait que nombre de ces travailleurs jouent un rôle primordial pour assurer le fonctionnement des services de santé et des programmes sociaux pendant la pandémie de la COVID-19.

Il en ressort que les travailleurs de tous les secteurs et de tous les milieux doivent créer de nouvelles formes d'organisation et de résistance puisque tout ce que le président fait n'est pas contraire à la constitution. Il est crucial de ne pas laisser l'espace du changement aux archiréactionnaires qui tiennent à tout prix à soumettre l'ensemble de la main-d'oeuvre à des intérêts privés étroits qui ne rendent de comptes à personne.

(Photos : AFGE)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 81 - 7 décembre 2020

Lien de l'article:
Des développements inquiétants aux États-Unis: Les pouvoirs présidentiels sont utilisés pour attaquer et restructurer la main-d'oeuvre fédérale - Kathleen Chandler


    

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