Des développements inquiétants aux
États-Unis
Les pouvoirs présidentiels sont utilisés pour attaquer et restructurer la main-d'oeuvre fédérale
- Kathleen Chandler -
En octobre, le président des États-Unis Donald
Trump a promulgué un décret présidentiel appelant
à ce que possiblement des centaines de milliers de
travailleurs fédéraux soient reclassifiés pour les
transformer à toutes fins pratiques en
travailleurs « de gré à gré ». Cette mesure
permettrait à l'exécutif de congédier des
travailleurs sans raison et sans recours, d'en
embaucher d'autres sans tenir compte des
conventions collectives et des normes existantes
et de leur enlever toute autre forme de
protection. Ces travailleurs se verraient
également nié le droit à la représentation
syndicale. Tous les travailleurs fédéraux
considérés comme occupant des « postes
d'élaboration de politiques, de création de
politiques ou de défense de politiques »
doivent être reclassifiés vers cette nouvelle
autorité d'embauche dite de « service
exempté », portant l'appellation Schedule F.
Le président élu Biden n'a pas encore dit s'il
allait tenter d'abroger ce décret.
Trump a ordonné aux responsables de départements
d'identifier tous ces travailleurs pas plus tard
que le 19 janvier, le jour avant qu'il doive,
à ce stade, quitter ses fonctions. Le 23
novembre, on rapporte que le Bureau de la gestion
et du budget (OMB) entreprendra de
reclassifier 88 % de sa main-d'oeuvre
(425 travailleurs) au sein de la Schedule F. Bien
qu'il soit relativement petit, l'OMB joue un rôle
important dans la proposition et la gestion des
affaires budgétaires. Le changement accroît ainsi
l'autorité du président sur ces questions. Le
département de l'Énergie serait lui aussi en train
de rapidement reclassifier ses travailleurs.
L'objectif du décret présidentiel est clairement
d'enlever tout obstacle actuel empêchant
l'exécutif d'embaucher et de congédier
arbitrairement les travailleurs fédéraux, y
compris les travailleurs ayant le plus
d'ancienneté : « Afin de mener à bien les
nombreuses activités attribuées à la branche
exécutive en vertu de la loi [...] il est
nécessaire que le président ait le pouvoir de
gestion nécessaire sur ces effectifs particuliers
de professionnels [...] Les agences doivent avoir
une plus grande flexibilité dans le choix de ces
employés qu'elles en ont dans le processus
compétitif actuel des services. [...] Les agences
ont besoin de la flexibilité nécessaire pour
retirer rapidement les employés peu performants de
ces postes sans avoir à faire face à des retards
importants ou à des litiges. »
La mesure est une prise en charge directe par des
intérêts privés des arrangements de la société
civile. C'est une attaque contre la main-d'oeuvre
fédérale syndiquée par laquelle on met fin aux
pratiques convenues touchant aux normes régissant
l'embauche, le congédiement et le rendement. C'est
aussi une menace contre tous les travailleurs et
une pression à la baisse sur leurs conditions de
travail. Conformément à la tendance générale, un
contrat n'est plus un contrat et un service ne
relève plus du bien public.
Les travailleurs fédéraux ont contesté le décret
présidentiel et exhorté le Congrès à y faire
entrave. Le président de la Fédération américaine
des employés gouvernementaux (AFGE), le plus grand
syndicat de travailleurs fédéraux,
avec 670 000 membres, a dit : « Il
s'agit de la plus grande attaque contre la
fonction publique de notre vivant. Le président
n'épargne aucun effort pour politiser et corrompre
le service professionnel. Ce décret présidentiel
élimine les droits en vertu des procédures
établies et la protection de centaines de milliers
d'employés fédéraux et autorisera des élus
politiques et d'autres représentants à embaucher
et congédier ces travailleurs à volonté. » Le
Syndicat national des employés du Trésor, qui
comprend les travailleurs de l'OMB, a intenté un
procès contestant la légalité de ce décret qui
remplace la loi existante.
Le processus signifie que de nombreux
responsables de départements gouvernementaux
décideront quels travailleurs feront désormais
partie de la nouvelle catégorie. Leurs
recommandations seront ensuite envoyées au Bureau
de la gestion du personnel (BGP) qui a le dernier
mot. Cependant, il n'y a aucune définition de ce
qui constitue « des postes d'élaboration de
politiques, de création de politique ou de défense
de politiques ». Un mémorandum de directives
du BGP affirme : « Ni le code des États-Unis
ni les précédents judiciaires ne définissent
précisément ces termes dans le contexte de l'usage
statutaire. » Il réitère ensuite les
généralisations fournies par le décret
présidentiel, qui, elles, sont très vastes. Elles
comprennent tout travailleur qui participe à « des
négociations de convention collective », «
qui révise, fait circuler ou oeuvre à des
règlements ou à des délibérations
proposées », « participe de façon importante
au développement ou à l'ébauche de
règlements » ou « à un travail important
relié à la politique au sein d'une agence ».
La participation à une de ces catégories
signifierait que quelqu'un pourrait être
reclassifié. Le BGP pourrait autoriser des
congédiements même avant le 19 janvier, basés
sur les recommandations des responsables de
départements.
Normalement, la vaste bureaucratie civile reste
en place peu importe les changements
d'administration. Celle-ci comprend par exemple la
plupart des 760 000 travailleurs de la
fonction publique au Pentagone et plusieurs
des 240 000 travailleurs au département
de la Sécurité nationale. Le décret ne fait pas
que créer une main-d'oeuvre « de gré à gré ».
Il restructure aussi cette bureaucratie pour
qu'elle soit instable et, conformément aux calculs
intéressés des mandataires de cet ordre exécutif,
une force plus malléable à la disposition de
l'exécutif. Il sert aussi à effacer la mémoire
qu'une main-d'oeuvre de longue date conserve et
qui touche aux normes pour elle-même et pour la
gouvernance dans son ensemble, y compris les
normes régissant la reddition de comptes.
Il y a présentement des propositions au Congrès à
l'effet de ne pas financer le décret présidentiel,
bien qu'en toute vraisemblance elles ne réussiront
pas à empêcher divers responsables de départements
de le mettre en oeuvre ni le début des
congédiements. Des lettres ont aussi été envoyées
au Congrès en opposition au décret. Elles mettent
en lumière l'aspect de restructuration et de
consolidation du pouvoir exécutif. Au sujet des
protections entourant les embauches et les
congédiements, une des lettres fait valoir que les
arrangements actuels « n'existent pas que pour les
fonctionnaires eux-mêmes, mais plutôt pour veiller
à ce que le gouvernement fournisse des services à
l'abri d'une influence politique indue. Ils
assurent une continuité gouvernementale malgré les
changements d'administration, et préservent la
connaissance et l'expertise institutionnelle au
sein du gouvernement. Ils protègent l'État de
droit qui, lui, protège les employés loyaux à la
constitution plutôt qu'à un parti politique. Il
est urgent que le Congrès agisse, en particulier
en raison du fait que nous sommes dans une période
de transition. Toute inaction va créer un
dangereux précédent, indicatif d'une indifférence
de la part du Congrès face à l'expansion du
pouvoir exécutif. Le décret présidentiel met fin à
un cadre législatif de longue date qui assure des
services publics non partisans – un cadre qui
veille à ce que les projets de loi adoptés par le
Congrès soient mis en oeuvre tels que rédigés, et
que les fonds qu'ils contrôlent seront distribués
tels que stipulé. Si le Congrès ne dit rien, c'est
qu'il accepte non seulement ce décret mais toutes
futures mesures administratives visant à
démanteler les paramètres législatifs en place
pour promouvoir une fonction publique non
partisane. »
La mission de Donald Trump en tant que président
était de briser les liens entre les structures
actuelles de
gouvernance et de l'État de droit aux pays et à
l'étranger pour poursuivre la politique
d'expulsions et la
guerre de drone de Barak Obama. Les actions de
Trump à la
frontière, ses camps de détention pour les
enfants, sa
répression des manifestants par le biais de forces
fédérales et, plus récemment, son mépris
pour les protocoles de transition, n'en sont que
quelques exemples. Il
a consolidé un gouvernement de pouvoirs de police
en
éliminant les limitations de ces pouvoirs et en y
ayant recours
plus ouvertement au pays et à l'étranger. Plus
l'exécutif concentre le monopole du recours à la
force
entre ses mains, plus grande est sa capacité
d'agir avec
impunité, ce qui finit par sembler «
normal ».
Le décret présidentiel est un exemple des
tentatives
d'attaquer massivement la main-d'oeuvre fédérale
et de la
restructurer en faveur des pouvoirs de police de
l'exécutif. Ce
qui est détruit, c'est le concept même d'un
service civil
voué au service du bien public – ce qui est encore
plus
évident du fait que nombre de ces travailleurs
jouent un
rôle primordial pour assurer le fonctionnement des
services de
santé et des programmes sociaux pendant la
pandémie de la
COVID-19.
Il en ressort que les travailleurs de tous les
secteurs et de tous les milieux doivent créer de
nouvelles formes d'organisation et de résistance
puisque tout ce que le président fait n'est pas
contraire à la constitution. Il est crucial de ne
pas laisser l'espace du changement aux
archiréactionnaires qui tiennent à tout prix à
soumettre l'ensemble de la main-d'oeuvre à des
intérêts privés étroits qui ne rendent de comptes
à personne.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 81 - 7 décembre 2020
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États-Unis: Les pouvoirs présidentiels sont utilisés pour attaquer et restructurer la main-d'oeuvre fédérale - Kathleen Chandler
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