La vente de Clearwater Seafoods


Manifestation pour un moyen de subsistance convenable par la pêche devant les installations de Clearwater à Bedford, le 5 novembre 2020, avant la vente

Le 9 novembre, les médias ont annoncé la vente du plus grand monopole privé canadien de fruits de mer des provinces atlantiques, Clearwater Seafoods, à un partenariat entre Premium Brands Holdings Corporation basé à Vancouver, en Colombie-Britannique, et un groupe de Premières Nations mi'kmaq dirigé par la Première Nation Membertou.

Les acheteurs ont accepté un prix d'achat de 1 milliard de dollars tout en assumant les dettes de Clearwater. Chacun des partenaires possèdera 50 % de la compagnie, qui est la plus importante détentrice de permis et de quotas de crustacés au Canada. Selon la compagnie d'analyse commerciale Dunn & Bradstreet, Clearwater Seafoods Incorporated a des actifs de 539 millions de dollars US, un bénéfice net de 31,31 millions de dollars US sur des ventes de 462,81 millions de dollars en 2019 et 1 941 employés au total. Elle détient d'importants droits pour la pêche en haute mer de palourdes, de crabes, de homards, de pétoncles et de crevettes sur la côte du nord-est du Canada. Clearwater Seafoods exploite sa propre flottille, ayant des usines de transformation en mer et sur terre.

Clearwater Seafoods a vu le jour en 1976. Il est issu du rapport Kirby – Naviguer en eaux troubles – une nouvelle politique pour les pêches de l'Atlantique – commandé par le gouvernement libéral de Pierre Elliot Trudeau en 1982, qui s'en est pris au gagne-pain des petits pêcheurs côtiers comme étant une approche « rurale-romantique » de la pêche. Le rapport Kirby a justifié la remise de millions de dollars en subventions et la cession de centaines de millions en ressources en haute mer de fruits de mer, qui appartiennent de droit aux Mi'kmaq, au peuple de la Nouvelle-Écosse et du Canada, à un petit groupe de monopoles privés, dont Clearwater Seafoods qui est devenu le plus grand monopole de fruits de mer des provinces atlantiques.

Clearwater Seafoods a eu le feu vert du ministère de Pêches et Océans Canada (MPO) pour s'autoréglementer, fixer ses propres règles et pêcher à l'année longue pour maximiser ses profits, alors que les petits pêcheurs indépendants et les Mi'kmaq sont tenus de respecter les règlements et les quotas du MPO. Présentement, les agents du MPO saisissent et détruisent les casiers et les filets à homard des pêcheurs mi'kmaq qui affirment leur droit souverain de pêcher le homard pour en tirer une « subsistance convenable ».

Selon les rapports médiatiques, Clearwater est en pourparlers avec les acheteurs depuis plusieurs mois. On lit dans un communiqué de presse du mois de mars 2020 : « Le conseil d'administration de Clearwater a jugé qu'ayant reçu de nombreuses expressions d'intérêt envers la compagnie, le moment était choisi d'entamer, prudemment et dans les meilleurs intérêts de la compagnie et de ses investisseurs, un examen stratégique. »

Selon les rapports de médias, la coalition mi'kmaq investira 250 millions de dollars financés par un prêt de 30 ans de l'Autorité financière des Premières-Nations (AFPN). L'AFPN a été créée en 2005 en vertu d'une loi du Parlement. Son objectif déclaré est de permettre aux Premières Nations d'emprunter de l'argent privé à des banques et à d'autres prêteurs à des « taux préférentiels » pour financer des projets d'infrastructure. Depuis sa fondation, l'AFPN a financé pour près d'un milliard de dollars en prêts à 112 Premières Nations. Il est important de souligner que le 2 juin, le gouvernement fédéral a annoncé que les Premières Nations ayant actuellement des prêts auprès de l'AFPN bénéficieront d'un « allègement des paiements d'intérêts » de l'ordre de 17,1 millions.

Le 10 novembre, l'AFPN a publié un communiqué de presse qui souligne : « L'AFPN a approuvé un prêt de 250 millions de dollars à la Coalition des Premières Nations mi'kmaq afin que celle-ci puisse acheter les permis de pêche en haute mer canadiens de Clearwater. En vertu de l'entente annoncée, les Premières Nations recevront des revenus contractuels de Clearwater sur une base trimestrielle, ce qui aura un impact important en créant des revenus et en stimulant leurs économies. »

La vente a été annoncée alors que les Premières Nations mi'kmaq luttent en ce moment pour affirmer leur souveraineté et mener leur propre pêche au homard pour en tirer une subsistance convenable autoréglementée. Le chef Terry Paul de la Première Nation Membertou a dit que l'achat de Clearwater était « strictement une transaction commerciale » qui n'aura pas de répercussions sur les efforts des Mi'kmaq pour établir leur propre pêche pour en tirer une subsistance convenable autoréglementée. Il a décrit l'achat comme étant « une acquisition générationnelle qui se répercuterait dans nos communautés pour les sept générations à venir. »

La semaine précédente, le chef Terry Paul a démissionné de l'Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, où il était responsable du dossier des pêches depuis plusieurs années. CBC a rapporté le 28 octobre que le chef Paul aurait dit qu'il ne pouvait plus travailler avec l'Assemblée des chefs parce que le MPO avait exécuté, avec succès, une stratégie de diviser pour mieux régner et qu'il minait l'unité des Mi'kmaq.

En outre, la Première Nation Membertou a récemment acheté deux des huit permis de pêche au homard de Clearwater Seafoods pour la somme de 25 millions de dollars. Ces permis autorisent la Première Nation à pêcher dans une zone désignée Zone 41 de pêche au homard, une vaste zone de 80 kilomètres à la pointe sud de la Nouvelle-Écosse qui était la chasse gardée exclusive de Clearwater Seafoods depuis des décennies.

À la suite de la vente récente de Clearwater Seafoods, le docteur Rick Williams, le directeur à la recherche du Conseil canadien des pêcheurs professionnels et l'auteur de A Future for the Fishery : Crisis and Renewal in Canada's Neglected Fishing Industry (Un avenir pour les pêches : crise et renouveau de l'industrie de la pêche négligée au Canada), s'est dit préoccupé que l'entente puisse raviver les tensions entre les pêcheurs autochtones et non autochtones. Il a mentionné à CBC que « Clearwater a une histoire de conflits avec les propriétaires de petites entreprises familiales de pêche. » Il a souligné qu'alors que la compagnie préconisait un modèle de pêche entrepreneurial monopoliste, des groupes de pêcheurs côtiers exhortaient le gouvernement fédéral à conserver la pêche dans les communautés locales. « Maintenant que Clearwater est perçu comme étant la première compagnie appartenant aux Premières Nations, a-t-il dit, la méfiance envers l'expansion de la pêche autochtone sera encore plus grande. Cela ajoutera à la crainte qu'une grande compagnie puisse racheter les permis de pêche au homard par le biais des Premières Nations, ce qu'elle ne pouvait pas faire en tant que compagnie. »

Du début à la fin, l'État canadien est responsable de la destruction des moyens de subsistance des pêcheurs de l'Atlantique et de la violence organisée par l'État pour priver les Mi'kmaq de leurs droits de pêche ancestraux et issus de traités en tant que peuples souverains. Les partenariats financiers entre les nations autochtones et des intérêts privés font partie de la tentative d'anéantir les droits autochtones et d'incorporer les Premières Nations dans l'industrie mondiale de la pêche qui a été la cause de tant de désarroi pour les pêcheurs au pays et à l'étranger, et pour soustraire la Couronne à ses responsabilités fiduciaires envers les droits et les revendications des peuples autochtones.

(Sources : Halifax Examiner, CBC, Autorité financière des Premières Nations, Toronto Star. Photo : Solidarity Kjipuktuk)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 79 - 2 décembre 2020

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