Le mythe de la famine génocidaire en Ukraine
- Dr John Puntis -
« Nous allons empêcher les
koulaks
d'entrer »
|
En 1922, l'Union
soviétique a connu une importante famine dans
certaines régions à la suite des guerres
d'intervention des puissances impérialistes qui
voulaient écraser le nouvel État soviétique.
La famine est réapparue en 1933, surtout en
Ukraine, mais pas exclusivement. Il existe deux
versions totalement différentes de cette seconde
famine. Une analyse objective montre qu'elle
résultait d'une combinaison de mauvaises
conditions climatiques et du sabotage par les
paysans riches, les koulaks, dans leur lutte
contre la collectivisation de l'agriculture. Or,
les
nationalistes ukrainiens soutiennent que la famine
a été provoquée délibérément par Staline
afin de briser le moral du peuple ukrainien et a
entraîné des millions de morts inutiles, en fait
la mort et la destruction d'une telle ampleur
qu'elles éclipsent l'holocauste nazi.
La preuve documentaire produite pour appuyer
cette affirmation est souvent endossée par des
universitaires comme Robert Conquest ou James Mace
de l'Université Harvard. Cette preuve
est extrêmement faible et repose souvent sur des
rapports discrédités de la presse américaine
profasciste des années 1930, ou même sur des
documents nazis. Malgré cela, elle continue de
ressurgir, en particulier dans les années 1980,
dans le cadre d'une tentative des nationalistes
ukrainiens de commémorer le 50e anniversaire de la
famine et en même temps d'alimenter la
rhétorique de la guerre froide de l'ère Reagan.
Les mêmes vieilles photographies granuleuses
apparaissent maintes et maintes fois, montrant
censément les victimes de la famine en Ukraine,
mais dans presque tous les cas elles ne sont
accompagnées d'aucun document ou ne sont pas
datées. Puis celles qui sont retraçables et
documentées proviennent de collections de la
famine de 1922 ou sont même de périodes
antérieures. Rassemblées hâtivement dans le film
Harvest of Despair, ces images ont
été montrées à la télévision britannique, bien
qu'elles aient été rejetées par plusieurs chaînes
privées aux États-Unis en raison de leur manque
flagrant d'objectivité.
Photos falsifiées de la promotion de l'Holodomor,
provenant d'une exposition publique organisée
à Sébastopol (Ukraine) en mars 2009 par
le Service de sécurité de l'Ukraine. Les
photos portaient une légende indiquant qu'elles
provenaient de la famine supposée de
1932-1933, mais il a été prouvé que les trois
photos de gauche étaient des photos de la
dépression aux États-Unis et celle de droite
étaient des photos de la Russie datant de 1921. (www.nr2.ru)
Les organisations nationalistes ukrainiennes au
Canada et ailleurs continuent de propager la
notion de génocide délibéré par la famine, tout en
dissimulant soigneusement leurs origines
antisémites, pronazies et collaboratrices. Une
recherche sur le Web pour « Famine et génocide
ukrainiens » a donné 845 références à cette famine
« provoquée par l'homme », comme
d'habitude illustrées de manière graphique avec
des images d'une époque antérieure. Dans cet
exposé, je vais explorer le contexte de ces
différentes affirmations et contre-affirmations en
me basant sur l'excellent livre de Douglas Tottle
sur le sujet[1].
L'escroquerie journalistique des années 1930
À l'automne 1934, un Américain du nom de
Thomas Walker entra en Union soviétique.
Après moins d'une semaine à Moscou, il a passé le
reste de son séjour de 13 jours à voyager
jusqu'à la frontière mandchoue, d'où il a quitté
l'URSS pour ne jamais y revenir. Quatre mois
plus tard, une série d'articles de Thomas Walker a
commencé à paraître dans la presse Hearst
en Amérique. Walker y est présenté comme « un
célèbre journaliste, voyageur et étudiant des
affaires russes qui a passé plusieurs années à
voyager dans l'Union de la Russie soviétique ».
Les articles décrivent une famine en Ukraine qui
aurait coûté la vie à six millions de
personnes et sont illustrés de photographies de
cadavres et d'enfants affamés. Walker aurait
passé clandestinement un appareil photo « dans des
circonstances extrêmement difficiles et
dangereuses ».
Louis Fischer, un auteur américain qui vivait à
Moscou à l'époque, avait des soupçons.
Pourquoi la presse de Hearst a-t-elle attendu dix
mois avant de publier ces histoires
sensationnelles ? Il a démontré qu'au cours de son
court voyage en Union soviétique, Walker
n'a même pas pu visiter les régions qu'il décrit
et aurait photographiées. Il souligne également
que les preuves photographiques de Walker étaient
vraiment étranges : non seulement les images
semblaient être d'une période antérieure de dix
ans (Fischer pensait probablement à la famine
de la Volga en 1921), mais elles contenaient un mélange
de scènes prises en été et en hiver. Fischer
a également indiqué que la récolte de 1933 en
Ukraine avait été bonne.
Par la suite, certaines de ces images ont été
identifiées comme étant des scènes de l'empire
austro-hongrois et de la Première Guerre mondiale,
et il s'est avéré que les journaux Hearst
déterraient de vieilles images et les retouchaient
à des fins de propagande. Certaines photos
ont été publiées comme ayant été prises en Russie,
et d'autres fois, la même photo était située
en Ukraine pour des raisons évidemment politiques.
Non seulement les photos ainsi que le voyage en Ukraine étaient une
escroquerie, mais Thomas Walker lui-même était un
escroc et un détenu évadé du nom de Robert Green
qui avait purgé une peine pour contrefaçon. Lors
de son procès à la suite de son arrestation, il a
admis que ses photos utilisées dans les articles
des journaux Hearst étaient des faux et n'avaient
pas été prises en Ukraine, tel qu'indiqué.
Malgré ces faits, ces mêmes photos sont celles
utilisées dans les affiches de commémoration,
sur les sites Web et dans le film Harvest of
Despair (Moissons du désespoir).
La presse Hearst
Il va sans dire que la presse Hearst a
poursuivi sa campagne sur la famine génocidaire
malgré le fiasco de Walker. Ce n'est pas
surprenant quand on considère que Hearst lui-même
était connu par des millions d'Américains comme «
le fasciste numéro un de l'Amérique ».
(L'une des principales sources de revenus
personnels de Mussolini au début des années 1930
provenait de son travail de correspondant pour la presse Hearst).
En 1934, Hearst a voyagé en Allemagne nazie et a
rencontré Hitler. Après ce voyage, la
presse Hearst a commencé à publier des articles
sur la famine génocidaire en Ukraine. Le
premier ministre français, Édouard Herriot, qui
revenait récemment de son voyage en Ukraine,
a déclaré qu'il n'avait vu aucune preuve de la
famine. À la suite des articles de Walker,
Hearst a tenté de convaincre les Américains que
l'Union soviétique était une terre de famine
absolue, de génocide et de cannibalisme. À
l'époque, cela était souvent reconnu comme un
sensationnalisme politique, mais au fil des ans,
ces inventions se sont transformées en
« preuves primaires ».
En soulignant ces caractéristiques de la campagne
des années 1930 et les souvenirs sélectifs de ceux qui
ont aidé la presse de Hearst à propager la thèse
de la famine génocidaire, on peut mettre en
lumière la nature de la campagne sur la famine
génocidaire d'aujourd'hui.
Simultanément avec la publication d'articles à
sensation de Hearst en 1935, la presse nazie en
Allemagne et les journaux aux sympathies nazies
ailleurs en Europe ont commencé à publier
des récits similaires. C'est à cette époque que le
livre Human Life in Russia du Dr
Ewald Ammende a été publié. Ce livre a eu une
influence durable sur ceux qui propagent le
mythe de la famine génocidaire et il a été
republié en 1984. Il ne cache pas son manque
d'objectivité en rendant crédibles les correspondants de
Hearst, les récits de l'Allemagne nazie et de
l'Italie fasciste, et en reproduisant les
allégations de « voyageurs » et d'« experts »
anonymes.
La plupart des preuves photographiques des
théoriciens de la famine génocidaire peuvent être
retracées soit dans le livre d'Ammende ou celui de
Thomas Walker. L'origine des photographies
n'est pas documentée, bien qu'il faille souligner
qu'Ammende a participé à l'organisation de
l'aide pour soulager la famine en 1921-1922. Les
photos auraient été prises dans les rues et
sur les places de Kharkov à l'été 1933, bien que
seulement 10 sur 26 semblent montrer des
scènes urbaines. Il n'y a pas de panneaux ou de
points de repère pour les mettre en
contexte.
Le livre Human Life in Russia contient
des photos supplémentaires qui ne figuraient
pas dans l'édition allemande. Le Dr Ditloff,
directeur de la concession agricole du
gouvernement allemand dans le nord du Caucase, aurait
pris ces photos. On peut se demander
comment un fonctionnaire nazi a pu se déplacer
librement en Ukraine en prenant des photos,
mais de toute façon, dans les publications
ultérieures, les mêmes photographies sont soit non
attribuées, soit attribuées à une source
complètement différente. En fait, certaines photos
ont
été identifiées comme étant de la famine de 1922,
et certaines montrent des scènes d'hiver
alors qu'elles auraient été prétendument prises en
été. D'autres publications utilisent les
mêmes photos soit sans crédit, soit en les
attribuant à Thomas Walker, malgré le fait
qu'elles
soient utilisées pour illustrer les événements de
1932-1933 et que Walker ait affirmé les avoir
prises au printemps de 1934.
Il est clair que les preuves photographiques sont
frauduleuses et ont été utilisées
principalement dans le cadre d'une campagne visant
à miner et à discréditer l'Union
soviétique. Malgré cela, elles continuent à être
utilisées encore actuellement.
La guerre froide
La campagne sur la famine génocidaire des
années 1930 s'appuyait fortement sur des
sources de droite douteuses et n'était pas
acceptée par les historiens à l'époque, ce qui a
conduit certains nationalistes ukrainiens à parler
d'une conspiration prosoviétique, de gauche
ou même juive, pour supprimer la vérité. Dans les
années 1950, les nationalistes publièrent
des livres comme Black Deeds of the Kremlin (Les
sombres agissements du Kremlin)
pour propager leur interprétation de l'histoire.
Une section est consacrée aux allégations des
nationalistes sur les exécutions de masse
soviétiques dans les années 1930 à Vynnitsa.
Découverts sous l'occupation nazie en 1943, les
charniers ont été examinés par une
commission nazie et utilisés dans des films de
propagande. Le témoignage d'après-guerre des
soldats allemands a cependant révélé qu'il
s'agissait d'une propagande mensongère nazie et
que les corps étaient ceux des juifs exécutés par
les SS et les milices ukrainiennes.
Les horribles allégations de cannibalisme
contenues dans le volume 2 de Black Deeds of the Kremlin
ont mérité à ce livre le nom de « livre de
recettes nationalistes ukrainiennes » !
Le jeu des chiffres
Massacre perpétré par les nazis à
Vinnytsia, Ukraine, 1942
|
Les théoriciens de la famine génocidaire
soulignent avec force que des millions de
personnes sont mortes en Ukraine. Leur
méthodologie, comme d'habitude, est très suspecte.
Une « étude marquante » de Dana Dalrymple publiée
dans Soviet Studies en 1964
arrive au chiffre de 5,5 millions basé sur la
moyenne des estimations de 20 journalistes
occidentaux. L'un d'eux est notre ami fictif
Thomas Walker. Dalrymple affirme que Walker a
fait son enquête après avoir quitté un voyage
organisé et qu'il avait déjà passé plusieurs années à
voyager en Russie.
Un chiffre similaire est également donné par
l'archevêque de Canterbury, ce partisan
enthousiaste d'Hitler qui avait tenté de soulever
la question de la famine à la Chambre des
lords en 1934 alors qu'en fait le Foreign Office
affirmait qu'il n'y avait aucune preuve à
l'appui des allégations contre le gouvernement
soviétique. Inutile de dire que le témoignage
de Sir John Maynard, un expert renommé de la
famine qui a visité l'Ukraine à l'été 1933 et
démenti les récits de la famine génocidaire, est
rejeté par les nationalistes.
La campagne de la guerre froide a refait surface
dans les années 1980 avec une publicité
considérable et le soutien scientifique de
l'Ukrainian Research Institute de l'Université
Harvard, qui est depuis longtemps un centre de
recherche anticommuniste. En 1983, le livre
The Ninth Circle,
publié pour la première fois par les nationalistes
ukrainiens en 1953 a été réédité,
édité et présenté par le Dr James Mace de
Harvard. Un examen critique de ce livre le qualifie de «
polémique dépourvue de toute documentation et
dépourvue de toute valeur scientifique ». L'auteur, a-t-on
souligné, ne donne aucun détail sur son activité
pendant l'occupation nazie de l'Ukraine et ne fait aucun commentaire
hostile à l'égard des nazis. Encore une fois, les
falsifications de Thomas Walker sont utilisées comme
illustrations, malgré le fait que l'auteur prétend avoir
été témoin de la famine. L'« universitaire
» Mace écrit au sujet du témoignage qu'« un
journaliste américain comme Thomas Walker a écrit des
comptes rendus factuels et détaillés de la famine
fondés sur ce qu'il avait vu en Ukraine en 1933 ». Notez
que le voyage de Walker est commodément antidaté
à1933 alors qu'il a eu lieu en 1934.
Une autre contribution à la littérature sur la
famine génocidaire est celle de Walter Dushnyk
50 years ago : the Famine Holocaust in Ukraine
(Il y a 50 ans : l'Holocauste de la
famine en Ukraine). L'auteur de l'avant-propos de
ce livre est nul autre que Dalrymple. Les
racines de Dushnyk remontent au mouvement fasciste
européen d'avant-guerre, alors qu'il
était actif au sein de l'Organisation des
nationalistes ukrainiens. Encore une fois, un
critique
du livre commente : « au lieu d'être une analyse
scientifique, ce document est une
polémique vitriolique très chargée d'émotivité. En
effet, il a peu à voir avec la science et
manque incontestablement d'objectivité ». Une fois
encore, les mêmes photographies truquées
ou non documentées sont utilisées. Dushnyk calcule
le nombre de morts dus à la famine en
projetant une croissance démographique anticipée,
basée sur le recensement de 1926, sur le
recensement de la population répertoriée en
Ukraine en 1939.
La différence est de 7,5 millions et cela devient
donc le nombre de victimes de la famine.
L'absurdité de cette méthode peut être démontrée
en la transposant au Canada des années
1930 et en montrant que 25 % de la population de
la Saskatchewan a disparu pendant la
grande dépression. En fait, la population de
l'Ukraine a augmenté en termes réels à partir de
1926, pour atteindre près de 3,4 millions en 1939.
Alors qu'il est impossible de donner un
chiffre précis pour le nombre de victimes de la
famine, il a été démontré que les affirmations
de personnes comme Dalrymple, Mace et Dushnyk sont
des exagérations extrêmes fabriquées
pour renforcer leurs allégations politiques de
génocide.
La moisson de tromperie
La campagne sur la famine génocidaire a
atteint son apogée en 1986 avec la publication
du livre de Robert Conquest Harvest of Sorrow
(Sanglantes Moissons) et le film
produit par le comité de recherche sur la famine
de l'Institut St Vladimir, Harvest of
Despair (Moissons du désespoir).
Le film est plein de vieilles photos non
documentées et s'appuie fortement sur des
entrevues
avec d'anciens nazis et des collaborateurs
ukrainiens, ainsi que des transfuges de l'Union
soviétique; même Malcolm Muggeridge y fait une
courte apparition. Les producteurs du film
ont apparemment visionné plus de 304 kilomètres de
films pour n'en utiliser que 220
mètres. Au lieu de présenter des preuves documentées
de la famine, ce qui est présenté est un
montage de photos non documentées, y compris
celles de Walker/Ditlofff, de la famine de
1921-1922 et d'autres images de la propagande nazie.
Avec un mépris total pour la vérité,
certaines scènes sont empruntées aux films de la
guerre civile et aux films soviétiques des
années 1920. Essentiellement, il semble que les
cinéastes ont fouillé dans les archives à la
recherche de morceaux de vieux plans de guerre et
de famine qui ont ensuite été insérés dans
le film avec un grand effet subliminal, liés par
une narration et entrecoupés d'entrevues
partisanes. Tout cela a été reconnu par plusieurs
des participants, mais le film a été largement
diffusé et salué, notamment par la télévision
britannique. Les réalisateurs ont même reçu des
subventions et un soutien logistique de l'Office
national du film du Canada et d'un autre
organisme public, Multiculturalisme Canada.
Clairement, Moissons du désespoir n'est
pas le documentaire objectif qu'il prétend être,
mais plutôt un exercice de propagande grossier
de la guerre froide.
Le livre de Conquest Sanglantes moissons : la
collectivisation des terres, la famine et la
terreur est devenu la meilleure tentative de
légitimer la famine génocidaire. Les
affiliations de droite de Conquest et ses
négations de l'Holocauste sont maintenant bien
connues. Conquest a travaillé pour l'Information
Research Department, le service de
désinformation des services secrets britanniques,
dont les cibles privilégiées étaient « le tiers
monde » et les « Russes ». Dans son livre
précédent, La Grande Terreur, Conquest
soutenait que cinq à six millions de personnes
avaient péri dans la période 1932-1933, dont
la moitié en Ukraine. En 1983, Conquest a augmenté
ses estimations à 14 millions et prolongé
la famine jusqu'en 1937 ! Ces révisions
coïncidaient parfaitement avec les commémorations
du 50e anniversaire de la famine.
Conquest présente les différentes cliques
nationalistes qui ont occupé des parties du
territoire
de l'Ukraine pendant la Guerre civile russe et
l'intervention étrangère comme des
gouvernements authentiques. Les massacres de masse
des juifs ukrainiens qui a eu lieu sous
l'« indépendance » nationaliste en 1918-1919 est
rejeté en trois mots. L'occupation nazie de
l'Ukraine est présentée implicitement comme une
interruption entre les périodes de « terreur »
soviétique et la libération des nazis comme une «
réoccupation » soviétique.
Il y a de nombreux exemples montrant que le livre
de Conquest manque de rigueur
scientifique. Il y a notamment le passage où il
cite les articles d'un correspondant étranger qui
s'avère être nul autre que Thomas Walker, l'homme
qui ne fut jamais. Dans sa note de
référence pour la citation, il change même la date
de l'article de Hearst de 1935 à février
1933. Il convient de répéter les observations de
l'historien américain J. Arch Getty sur la
qualité de ce type de recherche historique :
« De grandes généralisations analytiques ont été
faites à partir de ragots de couloir entendus
de seconde main. Les histoires de camps de
prisonniers ('mon amie a rencontré la femme de
Boukharine dans un camp et elle a dit') sont
devenues des sources principales de la prise de
décision politique centrale soviétique. La
nécessité de généraliser à partir de détails
isolés et
non vérifiés a transformé les rumeurs en sources
et a assimilé la répétition d'anecdotes à la
confirmation. »
Alors que les historiens sérieux n'acceptent pas
les ouï-dire et les rumeurs comme des faits
historiques, comparez ceci avec la position de
Conquest selon laquelle « la vérité ne peut se
répandre que sous forme de rumeurs » et « sur le
plan politique, fondamentalement la
meilleure source est la rumeur, bien qu'elle ne
soit pas complètement infaillible ».
La famine
Pour ce qui est de la
famine comme telle et de ses causes, de façon
générale, les historiens de la droite tiennent peu compte
des facteurs de la sécheresse et du sabotage de la
collectivisation. Il est à noter que dans « Une histoire
de l'Ukraine » par Mikhail Hrushevsky – que les
nationalistes eux-mêmes reconnaissent comme « principal
historien de l'Ukraine » – nous pouvons lire : «
À nouveau, l'année de sécheresse a engendré
des conditions agricoles chaotiques, et au cours de l'hiver de
1932-1933, une grande famine comme celle de 1921-1922 a balayé
l'Ukraine soviétique ». Nulle part est-il mentionné
dans les textes d'histoire que la famine était intentionnelle ou
qu'elle ciblait les Ukrainiens et en fait on s'attarde davantage
à la famine de 1921-1922. Il existe de nombreuses mentions de la
sécheresse en Ukraine en 1931 et 1932. Même Ewald Ammende,
dans son livre Human
Life in Russia, parle des causes climatiques
et naturelles de la famine.
Bien que la sécheresse ait été un facteur
déterminant, la principale cause de la famine fut
la
lutte liée à la collectivisation des régions
rurales pendant cette période. En 1928, il y avait
des
millions de petites fermes de paysans,
l'ensemencement de trois quarts des terres se
faisait
manuellement, un tiers des terres agricoles
étaient moissonnées à la serpe et à la faux, 40 %
du battage était fait au fléau. Plus d'un quart
des ménages ruraux n'avaient d'animal de
trait ni d'instruments agricoles, et 47 % ne
possédaient que des charrues. Le mouvement de
collectivisation a été l'élément fondamental du
premier plan quinquennal initié en 1929. La
petite minorité de paysans riches, les koulaks, se
sont opposés à la socialisation de
l'agriculture et ont combattu la collectivisation
par une campagne organisée de destruction à
grande échelle. La lutte dans certaines régions
comme l'Ukraine a atteint des niveaux de
guerre civile. Des observateurs étrangers visitant
le pays à cette époque ont constaté que
l'opposition koulak a préféré massacrer son bétail
et ses chevaux plutôt que de les voir
collectivisés. De 1928 à 1933, le nombre de
chevaux en Union soviétique a chuté de 30 à 15
millions, le bétail, de 70 à 38 millions, les
moutons et les chèvres, de 147 à 50 millions.
Certains koulaks ont incendié les propriétés des
collectifs et ont même incendié leurs propres
récoltes et semences. Un grand nombre de
théoriciens de la famine génocidaire omettent de
parler du sabotage des koulaks, mais d'autres en
parlent avec enthousiasme pour souligner
l'opposition à la planification soviétique. Aussi
la famine a été aggravée par des épidémies de
typhus qui ont sans doute coûté la vie à de
nombreuses personnes. Dès 1933, il y a eu de
bonnes récoltes, et d'énormes efforts ont été
faits pour améliorer les fermes collectives et
fournir de l'équipement mécanisé.
Les immenses augmentations de rendements
agricoles et industriels qui ont suivi en Ukraine
juste avant la Deuxième Guerre mondiale viennent
contredire les allégations de 7 à 15
millions de personnes qui seraient mortes de faim
à peine sept ans auparavant. Aussi, la
résistance ukrainienne aux nazis et à leurs
auxiliaires nationalistes ukrainiens fut
exemplaire.
Dans la région occidentale la plus importante de
l'Ukraine, la loyauté était aussi active que
massive. Il y avait plus d'un demi-million de
guérillas soviétiques organisés, et quatre
millions
et demi d'Ukrainiens ethniques ont combattu dans
l'armée soviétique. Dans les textes
d'histoire nationalistes de l'Ukraine, ces faits
sont reconnus, et on peut difficilement imaginer
comment une nation a réussi à mobiliser autant
d'hommes d'âge militaire à la lumière des
prétentions nationalistes au sujet de victimes de
la famine. En réalité, pour la majorité des
paysans, travailleurs et professionnels engendrés
par ces classes, le système soviétique avait
montré hors de tout doute ses avantages
économiques et culturels.
Le seul endroit où les nationalistes ont trouvé
une base quelconque pendant l'occupation nazie
est ce qui avait été jusqu'en 1939 la Galicie
polonaise. C'est là que les nazis ont recruté la
plus grande partie de leur police fasciste et de
leurs unités de SS. Une étude des événements
sous l'occupation nazie en dit long non seulement
sur l'appui populaire aux Soviétiques tel
que manifesté par le peuple ukrainien, mais aussi
sur le rôle joué par les nationalistes
ukrainiens.
Collaboration et Collusion
Cérémonie au drapeau de la Division SS
Galicie, printemps de 1943
|
En juin 1941, l'armée nazie est entrée à Lviv, la
capitale de l'Ukraine occidentale avec
en avant-garde le bataillon vêtu de l'uniforme
nazi Nachtigall des nationalistes ukrainiens. Au
cours des trois premiers jours de juillet, le
bataillon Nachtigall a massacré 7 000 juifs dans
la
région de Lviv. Les écrivains, intellectuels et
professionnels non-juifs hostiles au nazisme
ont aussi été tués. Dans les huit premiers mois de
l'occupation nazie, 15 % des juifs galiciens
– 100 000 personnes – ont été massacrés lors
d'opérations communes des Allemands et des
nationalistes ukrainiens. Plusieurs milliers de
nationalistes qui se sont enfuis en Allemagne et
ailleurs suivant les armées nazies qui battaient
en retraite ont dû cacher leur rôle criminel
personnel et collectif dans l'holocauste et la
trahison de leur pays. Les thèmes antisémites et
fascistes sont profondément enracinés dans le
mouvement nationaliste ukrainien. Les
dirigeants des nationalistes ukrainiens étaient à
la solde du Parti nazi avant qu'Hitler
n'envahisse l'Union soviétique. Les bataillons de
nationalistes ukrainiens furent formés en
Allemagne avant la guerre et certains ont
participé à l'invasion de la Pologne. Les
détachements de volontaires des bataillons
Nachtigall et Roland ont combattu aux côtés de
l'armée allemande et plus tard en 1941 ont été
organisés en bataillon de police qui a été
déployé en Biélorussie. Bien que ces faits soient
bien connus, les défenseurs de la famine
génocidaire dépeignent les nationalistes comme
ayant combattu à la fois contre Hitler et
Staline et comme ayant joué en quelque sorte le
même rôle que la résistance française. On
déforme aussi le rôle de la 14e
Waffen-Grenadier-Division SS Galicie (aussi nommé
la
Division Halychyna). Créée en 1943, la principale
fonction de cette dernière a été de
combattre brutalement les partisans. Même après le
retrait de l'Allemagne de l'Ukraine, les
nationalistes sont restés au pays pour saboter les
lignes de ravitaillement soviétiques. Les
troupes nationalistes ont servi Hitler en Ukraine,
en Pologne, en Biélorussie, en
Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Yougoslavie. Les
collaborateurs ukrainiens ont participé au
massacre de centaines de milliers de personnes
dans les camps de la mort de Treblinka,
Sobibor, Yanowska et Trawniki. Voilà les lettres
de créances « antinazies » de ceux que les
nationalistes d'aujourd'hui voudraient faire
passer pour des « combattants de la libération
nationale », des « héros du peuple ukrainien » et
des « patriotes qui ont souffert pour une
Ukraine libre ».
Après la guerre
À la suite de la victoire alliée contre l'Allemagne
nazie, plusieurs collaborateurs ont cherché à
fuir la justice et la rétribution en tentant de
recommencer à neuf en Amérique du Nord ou
ailleurs. Des agences de renseignement
occidentales ont contribué à blanchir les
collaborateurs
nazis pour faire en sorte qu'ils puissent émigrer
vers de nouvelles patries en échange d'une
nouvelle collaboration contre la Russie.
L'Organisation internationale des réfugiés et la
Commission américaine des personnes déplacées ont
d'abord jugé que les nazis ukrainiens ne
devaient pas pouvoir obtenir de visas, ce qui n'a
pas empêché les agences de renseignement
américains de présenter l'Organisation de
nationalistes ukrainiens comme ayant participé à
la
lutte antinazie. Cette falsification pure et
simple a permis de persuader les autorités de
l'immigration de changer d'avis. Grâce au
blanchissage de collaborateurs de l'Europe de
l'Est,
ceux-ci ont trouvé du travail dans Radio Free
Europe, Radio Liberty, Voice of America et
dans des écoles où ils ont enseigné les langues de
l'Europe de l'Est aux officiers des services
de renseignement américains. Certains ont été
entraînés pour mener des opérations de sabotage
en Union soviétique et d'autres ont servi de
témoins vivants de la « terreur communiste »
pour le conditionnement psychologique du peuple
américain dans la guerre contre l'URSS.
Dans ce contexte, la « famine génocidaire »
ukrainienne était une des nombreuses
thématiques. Ultimement, il est devenu plus
important pour les autorités de l'immigration aux
États-Unis et au Canada de savoir si quelqu'un
était un communiste plutôt qu'un collaborateur
nazi.
Conclusion
Il y a plus de 65 ans, la falsification et la
motivation politique de l'éditeur profasciste
William Hearst ont été exposées par le journaliste
américain Louis Fischer. En examinant la
feuille de route de ceux qui propagent aujourd'hui
la campagne de la famine génocidaire, on
ne peut que s'arrêter à la conclusion de Fischer :
« La tentative est trop transparente et les mains
trop entachées pour qu'elle puisse
réussir. »
Le docteur John Puntis est médecin aux
hôpitaux universitaires de Leeds NHS Trust,
au département de gastroentérologie pour
enfants.
(Traduit de l'anglais par LML)
Notes
1. Fraud, Famine and
Fascism. The Ukrainian Genocide Myth from Hitler
to Harvard,
Toronto, Progress Book, 1987. ISBN 0-919396-51-8)
Voir aussi les articles du professeur Mark
Tauger
Le professeur Mark Tauger est l'un des érudits le
plus éminent du monde en
développement agricole en Union soviétique dans
ses premières années. Il est professeur
adjoint d'histoire à l'Université de la Virginie
de l'Ouest. Il est l'auteur du livre publié en
2010, L'agriculture dans l'histoire mondiale. Ses
observations sur l'agriculture soviétique –
articles, chapitres et critiques – peuvent être
trouvées sur son site web à l'Université de la
Virginie de l'Ouest. Nous proposons trois de ces
écrits :
« Stalin, Soviet Agriculture and Collectivization
», Chapitre six de Food and Conflict in
Europe in the Age of the Two World Wars,
publié par Frank Trentmann and Flemming
Just, Palgrave Macmillan, 2006
« Natural Disaster and Human Actions in the
Soviet Famine of 1931-33 », (2001, 65 pages),
Carl Beck Papers No. 1506, Centre d'études
sur la Russie et l'Europe de l'Est
(Université de Pittsburgh). Il s'agit de la seule
étude qui décrit les causes environnementales
sous-jacentes de la famine au cours de ces années.
« The 1932 Harvest and the Famine of 1933 », Slavic
Review 1991.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 75 - 24 novembre 2020
Lien de l'article:
Le mythe de la famine génocidaire en Ukraine - Dr John Puntis
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