Des signes d'inquiétudes au sujet de la sécurité nationale des États-Unis et d'une obsession morbide de la défaite

LML publie ci-dessous dans son intégralité un article intitulé « Comment éviter la guerre en Asie » Michèle A. Flournoy, publié le 18 juin 2020 dans Foreign Affairs Magazine par le Conseil des relations étrangères des États-Unis. Non seulement cet article illustre-t-il l'obsession morbide de la défaite des États-Unis face mais également leurs préoccupations de rétablir la doctrine la dissuasion issue de la guerre froide. Il est utile pour nous informer sur la façon dont ces questions se posent au Forum sur la sécurité internationale d'Halifax.

Selon Michèle Flournoy, l'érosion de la dissuasion américaine soulève la question d'une erreur de jugement face à la Chine. Elle demande aux responsables de la défense « d'accélérer les efforts pour développer de nouveaux concepts opérationnels – de nouvelles façons de combattre » en soutenant que « quand on veut, on peut ».

Michèle Flournoy est considérée pour le poste de secrétaire à la Défense dans l'administration Biden. Née en 1960, elle a obtenu son BA à Harvard et une maîtrise en littérature au Collège Balliol d'Oxford. Elle a été sous-secrétaire adjointe de la stratégie de la Défense sous le président Bill Clinton et sous-secrétaire à la politique de Défense des États-Unis sous le président Barack Obama, ainsi que conseillère principale des secrétaires américains à la défense Robert Gates et Leon Panetta de février 2009 à février 2012. Pendant qu'elle était en poste dans l'administration Clinton, Michèle Flournoy a été la principale auteure du Rapport quadriennal de la Défense (RQD) de mai 1997 qui prônait le recours unilatéral à la force militaire pour défendre les intérêts américains.

Alors qu'elle était dans l'administration Obama, Michèle Flournoy a élaboré la politique de cette administration sur la contre-insurrection en Afghanistan et a contribué à convaincre le président Obama d'intervenir militairement en Libye. Lorsque le sénat a confirmé sa nomination le 9 février 2009, elle est devenue la femme la plus haut placée dans l'appareil de la Défense dans l'histoire du Pentagone.

En 2007, Michèle Flournoy a cofondé le Centre pour une nouvelle sécurité américaine, un groupe de réflexion à but lucratif basé à Washington, DC, qui se spécialise sur les questions touchant à la sécurité nationale des États-Unis. Après son départ de la Maison-Blanche sous Obama, Michèle Flournoy est devenue membre du Boston Consulting Group en tant que principale conseillère et gestionnaire du développement de contrats militaires de 32 millions de dollars[1]. En 2018, elle a rejoint le conseil d'administration de Booz Allen Hamilton, un cabinet de consultants coté en bourse spécialisée dans les contrats militaires et la cybersécurité. Elle est actuellement co-fondatrice et partenaire en gestion de WestExec Advisors[2] et attachée supérieure au Centre Belfer des Affaires scientifiques et internationales de Harvard. Son rôle de premier plan dans la définition de la politique étrangère américaine se poursuivra au sein de l'administration Biden.

Comment éviter une guerre en Asie
- Michèle A. Flournoy -

Au coeur de toutes les incertitudes qui planeront sur le monde après la pandémie, une chose est presque certaine : les tensions entre les États-Unis et la Chine s'exacerberont encore plus qu'avant l'éclosion du coronavirus. Le retour de la rivalité sino-américaine est une source de nombreux défis pour les décideurs – dans le domaine commercial et économique, technologique, d'influence mondiale, et davantage – mais aucun défi n'est aussi important que celui de la réduction des risques de guerre.

Malheureusement, aujourd'hui, devant cet amalgame particulièrement dangereux de l'affirmation et de la force militaire chinoises croissantes et de l'érosion de la dissuasion américaine, ce risque est plus élevé qu'il ne l'a été depuis des décennies, et il ne cesse de croître.

Ni Washington ni Beijing ne cherche un conflit militaire avec l'autre. Le président chinois Xi Jinping et le président des États-Unis Donald Trump comprennent sans aucun doute qu'une guerre serait désastreuse. Et pourtant, les États-Unis et la Chine pourraient facilement se retrouver en conflit, provoqué par un mauvais calcul des Chinois sur la volonté et la capacité des États-Unis de répondre aux provocations dans des régions conflictuelles comme la mer de Chine méridionale ou une agression ouverte contre Taïwan ou un autre partenaire de la sécurité des États-Unis dans la région.

Depuis deux décennies, l'Armée populaire de Libération (APL) augmente en nombre, en capacité et en confiance. La Chine est devenue une rivale incontournable dans plusieurs domaines techniques qui détermineront ultimement qui aura l'avantage militaire. En même temps, la crédibilité de la dissuasion américaine est en déclin. Pour Beijing, la crise financière de 2008-2009 a contribué à l'image du déclin des États-Unis et de la supériorité de la Chine, image qui a été entretenue par une certaine perception des États-Unis en retrait du monde – sans oublier, plus récemment, la gestion bâclée de la pandémie par les États-Unis et le soulèvement social sur la question du racisme systémique.

En outre, Washington n'a pas respecté ses engagements de « pivot » vers l'Asie. Les niveaux de troupes américaines dans la région sont similaires à ce qu'ils étaient il y a dix ans. L'administration actuelle a résilié l'entente commerciale du Partenariat transpacifique que son prédécesseur avait si péniblement négociée. Les postes diplomatiques de haut niveau dans la région sont vacants, et les États-Unis sont souvent sous-représentés ou brillent par leur absence dans les principaux forums diplomatiques de la région. Il n'y a eu aucune réponse américaine à l'Initiative de la Nouvelle route de la soie de Beijing, alors que son influence s'étend dans toute l'Asie et bien au-delà. Et les activités de la Chine dans la « zone grise », n'atteignant jamais le niveau de conflit – comme la construction d'« îles » militarisées et le recours aux mesures coercitives pour contester des réclamations de souveraineté dans la mer de Chine méridionale – sont restées en grand partie sans réponse de la part des États-Unis hormis de rares démarches diplomatiques ou des opérations pour affirmer la liberté de naviguer.

Tout cela se fait au détriment de la dissuasion. Plus les dirigeants chinois ont confiance en leurs propres capacités, plus ils doutent des capacités et de la détermination des États-Unis, et plus grand est le risque d'un mauvais jugement – un effondrement de la dissuasion qui pourrait engendrer un conflit direct entre deux puissances nucléaires. À mesure que les tensions continuent de s'exacerber et que la mainmise chinoise dans la région s'accroît, il faudra un effort concerté pour rebâtir la crédibilité de la dissuasion des États-Unis afin de réduire le risque d'une guerre qu'aucune des deux parties ne désire.

Un avantage en déclin, un risque accru

Depuis la Guerre du Golfe en 1991, l'APL a appris des Américains comment faire la guerre et a créé un ensemble d'approches asymétriques croissants pour saper les forces militaires américaines et exploiter les vulnérabilités des États-Unis. Une grande préoccupation sont les investissements considérables de Beijing dans les capacités A2/AD dites « déni d'accès et d'interdiction de zone ». Qu'il s'agisse de frappes de précision continuelles contre la logistique, les forces et les bases américaines ou les attaques électroniques, cinétiques et cybernétiques contre les liens et les systèmes numériques des réseaux de gestion de combat américains, ces capacités visent à empêcher les États-Unis de projeter leur puissance militaire en Asie de l'Est afin de défendre leurs intérêts ou ceux de leurs alliés. Par conséquent, advenant le déclenchement d'un conflit, les États-Unis ne peuvent plus espérer atteindre rapidement la supériorité aérienne, spatiale ou maritime. Les forces militaires des États-Unis devront se battre pour obtenir et maintenir l'avantage, en raison des efforts constants visant à interrompre et à miner leurs réseaux de gestion de combat.

Les forces militaires chinoises ont aussi réalisé des progrès rapides en intelligence cybernétique et artificielle – grâce au vol massif par la Chine de la technologie occidentale, l'appui de l'État à ses principales compagnies technologiques, et la doctrine de la « fusion civile-militaire » qui exige que tout progrès technologique commercial ou académique ayant des intérêts militaires soit partagé avec l'APL. Les investissements technologiques se sont développés en même temps que les innovations doctrinales. La doctrine militaire chinoise soutient maintenant que le pays qui peut prendre et mettre à exécution des décisions de combat le plus rapidement emportera l'avantage décisif, peu importe le conflit. La théorie chinoise de la victoire repose de plus en plus sur une « guerre de destruction des systèmes » – en portant un coup dévastateur à l'adversaire dès le déclenchement d'un conflit, en déployant des capacités de guerre électronique, de contrôle de l'espace et cybernétiques sophistiquées pour détruire ce qu'on appelle les réseaux C4ISR (commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance), minant ainsi leur puissance de projection et leur détermination. Entre autres choses, les États-Unis ne peuvent plus présumer que leurs satellites – qui sont essentiels pour la navigation, les communications, les systèmes d'alerte rapide, le ciblage et beaucoup plus – ne seraient pas vulnérables face à des attaques en cas de conflit. Étant donné la capacité de la Chine de perturber, brouiller le signal, endommager ou détruire des satellites américaines, Washington ne peut plus considérer l'espace comme un domaine incontesté pendant la guerre.

La dissuasion pourrait s'effriter en raison d'erreurs de jugement
stratégiques ou tactiques

Le résultat de ces développements est une nouvelle incertitude dangereuse quant à la capacité des États-Unis de contenir différentes mesures des Chinois, ce qui pourrait inciter les dirigeants chinois à prendre des risques. La dissuasion pourrait s'effondrer à cause d'un mauvais calcul stratégique ou tactique. Un mauvais calcul stratégique pourrait pousser les dirigeants chinois à exercer un blocus sur Taiwan ou à l'attaquer à court ou à long terme à partir d'une forte conviction que les États-Unis sont une puissance en déclin, une puissance déchirée par des divisions politiques internes, préoccupée par des crises intérieures, absente de la région d'un point de vue diplomatique, sans les capacités militaires qui pourraient être efficaces contre A2/AD et qui démontrent un engagement incertain à défendre Taiwan. Ils pourraient en conclure que la Chine pourrait s'en prendre à Taiwan le plus tôt possible, ce qui serait un fait accompli que des États-Unis affaiblis et qui regardent ailleurs devraient accepter.

Alternativement, un mauvais calcul tactique pourrait aussi avoir des conséquences stratégiques. Par exemple, la planification militaire chinoise pour s'emparer de Taiwan par la force prévoit des cyberattaques préalables contre les réseaux électriques autour des bases militaires clés aux États-Unis, pour empêcher le déploiement de forces américaines dans la région. Ces réseaux électriques desservent aussi la population civile environnante, notamment les hôpitaux, les services d'urgence et d'autres fonctions essentielles à la sécurité publique. Une telle attaque risquerait de tuer des citoyens américains. Plutôt que de dissuader une action américaine, les cyberattaques envisagées pourraient en fait accroître la détermination des États-Unis à réagir.

Rétablir la dissuasion

Pour rétablir une dissuasion crédible envers la Chine, les États-Unis doivent être capables d'empêcher le succès de tout acte d'agression militaire de la part de Beijing, soit en niant à l'APL la capacité de réaliser ses objectifs ou en imposant des coûts si grands que les dirigeants chinois décideraient finalement que le geste ne servirait pas leurs intérêts. Et Xi Jinping et ses conseillers doivent croire que les États-Unis ont non seulement la capacité mais la détermination de mettre en pratique leurs menaces de dissuasion.

Compte tenu des réseau A2/AD de la Chine et de sa capacité de déployer une force beaucoup grande dans sa zone que celle que les États-Unis peuvent déployer, les décideurs politiques des États-Unis doivent commencer à penser de manière plus créative à comment façonner le calcul de Beijing. Par exemple, si les forces armées des États-Unis avaient la capacité de menacer de manière crédible de couler tous les vaisseaux militaires, les sous-marins et les navires marchands de la Chine dans la mer de Chine méridionale en 72 heures, les dirigeants chinois pourraient y penser deux fois avant de, disons, initier un blocus contre Taiwan ou l'envahir; ils devraient se demander s'il vaut la peine de mettre toute leur flotte en danger.

Les États-Unis peuvent en partie développer ce genre d'approches de la dissuasion en utilisant les capacités existantes d'une façon nouvelle. Des capacités nouvelles seront néanmoins nécessaires, et, à ce sujet en particulier, les efforts actuels du Pentagone sont insuffisants, malgré quelques exceptions prometteuses. Le département de la Défense continue d'investir de manière excessive dans des plateformes et des systèmes d'armement anciens et de sous-investir dans des technologies émergentes qui vont déterminer qui a l'avantage dans l'avenir. Bien que l'Unité d'innovation de la défense, le Commandement des opérations spéciales et d'autres organisations de services militaires font un bon travail de dépistage de nouvelles technologies transformatrices, il existe une « vallée de la mort » entre faire la démonstration d'un prototype d'une capacité nouvelle et le produire à l'échelle nécessaire et le mettre dans les mains des acteurs déjà déployés. Et le Pentagone manque toujours du talent technologique dont il a besoin, à tous les niveaux, civils autant que militaires, et n'a pas donné à sa main-d'oeuvre d'acquisition les incitatifs appropriés pour adopter des technologies de pointe comme l'intelligence artificielle et les systèmes sans pilote, rapidement et à grande échelle.

Le département de la Défense continue de sous-investir dans les technologies qui détermineront qui a l'avantage dans l'avenir.

Il y a plusieurs gestes que le département de la Défense peut faire pour accélérer l'innovation au service de la dissuasion. Dans le sillage de la pandémie, il y aura une pression additionnelle pour abaisser les dépenses relatives à la défense, alors que d'autres priorités se font la concurrence en ce qui a trait au financement. Un budget de la défense fixe ou en déclin forcera l'adoption de compromis difficiles entre les programmes anciens, qui par eux-mêmes ne peuvent maintenir l'avantage des forces armées des États-Unis, et les nouvelles capacités qui détermineront finalement le succès militaire, comme des réseaux tactiques résilients, l'intelligence artificielle pour appuyer une prise de décision plus rapide, des flottes de systèmes sans pilotes et des missiles hypersoniques et de précision de longue portée. Continuer de sous-investir dans ces capacités émergentes vont éventuellement coûter très cher à la dissuasion des États-Unis. Pour chaque programme important qui existe actuellement, les représentants de la défense et du Congrès doivent demander s'il vaut la peine d'acheter une unité ou une plateforme additionnelle si cela signifie renoncer à investir dans les nouvelles technologies et capacités qui sont essentielles pour rendre les forces armées des États-Unis efficaces dans un environnement beaucoup plus contesté et létal.

Le secrétaire à la Défense doit demander à chaque chef de service de recommander des choix difficiles, et le Congrès doit appuyer le Pentagone lorsqu'il fait ces choix.

Les forces armées des États-Unis doivent adapter leurs positions outre-mer tout en renforçant les capacités des alliés et des partenaires. Elles doivent s'attendre à ce que la Chine essaiera de perturber la capacité des États-Unis de renforcer ses forces de première ligne dès le début d'un conflit dans tous les domaines, dans les airs, en mer, sous la mer, dans l'espace et dans le cyberespace. Dans la même veine, les forces armées des États-Unis, leurs bases, leurs réseaux logistiques et les réseaux C4ISR doivent renforcer leurs chances de survie et devenir plus résilients. Cela va requérir des investissements dans la cyberdéfense et les défenses antimissiles plus robustes, dans des bases et des forces plus dispersées géographiquement, dans des systèmes sans pilotes pour accroître les plateformes avec pilotes, et dans des réseaux résilients qui peuvent continuer de fonctionner quand ils sont attaqués.

On peut envisager les capacités A2/AD de la Chine comme ayant différents cercles d'intensité dans les menaces, qui correspondent généralement à la première chaîne d'îles, ( le premier arc d'archipels à l'est du continent de l'Asie de l'Est, qui s'étendent des îles Kouriles jusqu'au Japon et Taiwan, puis vers le nord des Philippines et Bornéo), et à la deuxième chaîne d'îles (plus vers l'est, formée par les îles Bonin, les îles volcaniques du Japon, et les îles Mariannes) , où tout ce qui est situé à l'intérieur du premier cercle est très vulnérable à une attaque chinoise, alors que tout ce qui est situé à l'intérieur et au-delà du cercle éloigné est moins vulnérable. Au-delà du cercle externe, les États-Unis voudront vraisemblablement maintenir des bases, fortifiées contre les menaces, à des fins de transit et de logistique. Mais le principe opérationnel devrait reposer sur des « places, et non des bases » : au sein du cercle intérieur, les forces armées devraient s'appuyer de plus en plus sur des groupes de forces plus petites et plus agiles comme des sous-marins et des véhicules sous-marins sans pilotes, des unités aériennes expéditionnaires, et des unités de l'armée et navales très mobiles capables de se déplacer entre des bases temporaires et austères afin de rendre plus compliquée la planification chinoise. Il faudra aussi adopter une approche plus stratégique en ce qui concerne la coopération de sécurité, évaluer quelle contribution chaque allié et chaque partenaire des États-Unis peut faire en ce qui concerne la dissuasion et développer une coopération de sécurité qui s'étend sur plusieurs années avec chacun.

Le Pentagone devra également mettre en oeuvre une série de réformes dans l'acquisition, l'investissement et le développement de la main-d'oeuvre. Les responsables des acquisitions doivent être formés aux meilleures pratiques d'acquisition de logiciels et de technologies émergentes. Il faut plus de financement pour transformer des prototypes réussis en programmes réussis. Et pour renforcer sa main-d'oeuvre technologique, le département devrait travailler avec le Congrès pour élargir les programmes qui offrent des bourses d'études ou un allégement de la dette aux étudiants dans un large éventail de domaines technologiques en échange de services gouvernementaux et pour recruter des talents de niveau intermédiaire et supérieur en élargissant les bourses pour technologues du secteur privé. Pour les employés à tous les niveaux, il doit créer des opportunités de développement des compétences et des cheminements de carrière viables pour les personnes talentueuses en technologie qui permettent à la fois la promotion et le développement technique continu, y compris par le biais de rotations au sein du secteur privé.

Enfin, les responsables de la défense doivent accélérer les efforts pour développer de nouveaux concepts opérationnels - de nouvelles façons dont l'armée combattra – afin de clarifier quelles capacités seront essentielles, voire même changer la donne, et pour accélérer leur acquisition et leur livraison entre les mains des militaires sur le terrain. Des efforts sont en cours pour développer et tester des concepts opérationnels « interarmées » (c'est-à-dire applicables à tous les différents services militaires), tels que les opérations multi-domaines, ainsi que des concepts opérationnels spécifiques aux services, qui visent à éroder l'avantage de l'adversaire de diverses façons. Déterminer quelles technologies seront essentielles à ces derniers nécessitera un développement et une expérimentation itératifs et continus – avec un financement dédié provenant du Congrès.

Où il y a une volonté

Une dissuasion efficace ne dépend pas seulement du fait que les dirigeants chinois croient que les États-Unis ont la capacité de contrecarrer tout acte d'agression; ils doivent aussi croire que les États-Unis ont la volonté de le faire. Aujourd'hui, Beijing a des doutes sur les deux possibilités. En conséquence, parallèlement aux investissements dans les capacités militaires, Washington doit clarifier – et démontrer constamment – son engagement envers la région indopacifique en précisant clairement qui et quoi il est prêt à défendre. Il doit déployer davantage de hauts fonctionnaires et des forces militaires supplémentaires dans la région pour souligner sa présence durable, renforcer ses relations et contrebalancer l'influence de la Chine. Il devrait mener des exercices militaires plus réguliers avec ses alliés et partenaires de la région, à la fois pour démontrer les capacités dont il dispose déjà et pour accélérer le développement de nouvelles.

En fin de compte, la concurrence avec la Chine est bien plus qu'une question militaire, et ses éléments économiques, technologiques, politiques et idéologiques ne peuvent être négligés. La chose la plus importante que les États-Unis puissent faire est d'investir dans les moteurs de la compétitivité chez eux, en particulier alors qu'ils sortent de la crise actuelle. Il est temps d'investir dans tout, des STEM et de l'enseignement supérieur aux technologies critiques et aux infrastructures du XXIe siècle, telles que le 5G. C'est aussi le moment de restaurer une politique d'immigration intelligente, d'accueillir les talents nés à l'étranger qui ne présentent aucun risque pour la sécurité nationale et de les encourager à rester et à créer des entreprises innovantes aux États-Unis.

La concurrence avec la Chine est bien plus qu'une concurrence militaire.

Les États-Unis devraient également tirer parti de leur avantage unique de disposer d'un réseau sans égal d'alliés et de partenaires dans le monde. La meilleure façon de faire face aux défis posés par la Chine, qu'il s'agisse de pratiques commerciales déloyales ou de campagnes de désinformation orchestrées, est de faire cause commune avec les alliés et les partenaires chaque fois que possible, en confrontant les violations de l'ordre fondé sur des règles en tant que coalition d'États qui partagent les mêmes idées, voués à un ensemble commun de normes. Les États-Unis devraient travailler en étroite collaboration avec leurs alliés et partenaires pour faire une évaluation claire de ce que chaque pays peut contribuer à stabiliser la région et à dissuader les comportements de plus en plus agressifs. Cela exigera également de les rassurer en paroles et en actes sur le fait qu'ils peuvent compter sur les États-Unis pour les appuyer dans leurs différends avec Beijing et, en fin de compte, les aider dans leur défense face à une coercition imprécise ou à des attaques directes.

Washington devrait expliquer aux pays de la région le contraste frappant entre ce à quoi ressembleraient les règles et les normes internationales façonnées par Beijing et celles dont la région a bénéficié jusqu'à présent – en particulier lorsqu'il s'agit de normes durables telles que la liberté de navigation et la résolution pacifique des différends. Dans une Asie dominée par une Chine autoritaire et révisionniste, les navires qui aujourd'hui peuvent naviguer librement sur les mers seraient vulnérables à un éventuel harcèlement. Les décisions prises aujourd'hui par des gouvernements indépendants pourraient de plus en plus être la proie de la coercition. Et le fait de ne pas résister à ces mesures coercitives limiterait à son tour la capacité collective des États-Unis et de leurs alliés de dissuader l'agression ou, si une agression a lieu, de la renverser.

Pourtant, même s'il renforce sa capacité à dissuader la Chine, Washington doit également rouvrir avec Beijing un dialogue stratégique de haut niveau soutenu – une pratique que toutes les administrations depuis Richard Nixon ont adoptée jusqu'à l'arrivée de l'administration actuelle. Il est essentiel de rétablir un forum dans lequel la Chine et les États-Unis pourraient discuter régulièrement de leurs intérêts et perspectives respectifs, identifier les domaines de coopération potentielle (tels que la non-prolifération et les changements climatiques) et gérer leurs différends sans conflit; les discussions tactiques sur les questions commerciales ne suffisent tout simplement pas. Après tout, la dissuasion dépend de la communication claire et cohérente. Le fait que Beijing suppose que les États-Unis sont préoccupés et en déclin, la propension des dirigeants chinois à tester les limites dans des zones telles que Taiwan ou la mer de Chine méridionale, et les suppositions erronées d'escalades potentielles ancrées dans la doctrine militaire chinoise, tout cela ne fait que prouver qu'un tel dialogue ne peut venir trop tôt.

Notes

1. Boston Consulting Group : En juillet 2020, le journaliste de American Prospect Jonathan Guyer a rapporté dans « How Biden's Foreign Policy Team Got Rich » que sous la direction de Flournoy, les contrats militaires du Boston Consulting Group sont passés « de 1,6 million de dollars en 2013 à 3 millions de dollars en 2016 ».

2. WestExec Advisors « est une société de conseils stratégiques pour les entreprises internationales et les institutions financières qui traite des facteurs géopolitiques qui affectent leur stratégie commerciale et leurs portefeuilles d'investissement ».


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 74 - 21 novembre 2020

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