États-Unis
L'affrontement électoral se poursuit
- Kathleen Chandler -
Les infirmières de San Francisco manifestent pour
des niveaux d'effectifs sûrs et les conditions de
travail dont elles ont besoin, le 12 novembre
2020.
La poursuite de l'affrontement sur les résultats
de l'élection présidentielle aux États-Unis, face
à une multiplication des cas de COVID-19 dans tout
le pays, ne fait que confirmer le sentiment
populaire que le pays va dans la mauvaise
direction et que ceux qui gouvernent, à tous les
niveaux, sont inaptes à gouverner. Les
travailleurs de la santé et les autres premiers
intervenants et travailleurs essentiels ne
disposent toujours pas de suffisamment
d'équipements de protection individuelle (ÉPI) et
de tests. Par exemple, les infirmières du
Minnesota qui s'occupent des patients atteints de
COVID-19 disent qu'elles n'ont pas été testées
depuis le début de la pandémie. Les pompiers et
les enseignants dorment dans leur voiture pour ne
pas infecter leurs familles. L'opinion très
répandue est que ce qui se passe est criminel et
que le gouvernement doit être tenu pour
responsable de tous les décès et du fait qu'il ne
garantit pas la gratuité des ÉPI, des tests et des
soins de santé pour tous ceux et celles qui en ont
besoin.
Il y a 11,4
millions de cas diagnostiqués et ce chiffre ne
cesse d'augmenter, soit environ un Américain
sur 32. Déjà 250 000 personnes sont
mortes et ce chiffre atteindra 300 000
dans les deux prochains mois.
Les États-Unis ont toujours été le pays qui
compte le plus grand nombre de cas et de décès
dans le monde. Le nombre moyen de nouveaux cas par
jour s'élève actuellement à plus de
158 000 – plus de cas par jour que le
nombre total de cas signalés en Chine
(91 906), qui a pourtant une population bien
plus importante. Un million de nouveaux cas sont
apparus au cours de la dernière semaine.
Pour visualiser ce que
représentent 250 000 décès, cela
pourrait être la population entière de villes
comme Rochester dans l'État de New York, Norfolk
en Virginie, Birmingham en Alabama, Bâton Rouge en
Louisiane, Irving au Texas, Grand Rapids au
Michigan, Des Moines en Iowa et Spokane dans
l'État de Washington.
Malgré cette réalité, s'il est généralement
accepté que Joe Biden a remporté l'élection
présidentielle, le conflit persiste au sein des
cercles dirigeants sur qui contrôle les rênes du
pouvoir de la présidence. Cela se reflète dans les
poursuites judiciaires alors que certains parlent
d'une « transition pacifique » de la
présidence.
Donald Trump a intenté une trentaine de
poursuites à ce jour, dont la plupart ont été
rejetées, mais d'autres pourraient potentiellement
empêcher Biden de conserver les 270 voix du
collège électoral nécessaires pour être président.
Si les résultats ne sont pas certifiés en
Pennsylvanie (20 grands électeurs) et au Michigan
ou en Géorgie (chacun avec 16 grands
électeurs), ou au Nevada (6), par exemple, Joe
Biden n'aurait pas les 270 votes requis. Ces
décisions pourraient être rendues par la Cour
suprême. Si aucun candidat n'obtient les 270
voix, la Chambre des représentants serait appelée
à trancher, ce qui pourrait favoriser Donald Trump
puisque chaque État ne dispose que d'une seule
voix. Alternativement, si les 600 000
travailleurs qui ont appelé à une grève générale
n'acceptent pas la légitimité de la décision des
tribunaux ou de la Chambre des représentants, ils
pourraient rassembler des millions d'autres
personnes, un scénario que toutes les factions des
cercles dirigeants veulent éviter. Le conflit au
sein des cercles dirigeants aggrave la crise dans
laquelle ils se trouvent, notamment en renforçant
la résistance et la revendication d'une démocratie
qui favorise le peuple.
Les travailleurs des compagnies aériennes se
mobilisent pour prendre les mesures nécessaires à
la sécurité sur le lieu de travail, le 18 novembre
2020.
Une « transition pacifique »
Joe Biden multiplie ses appels à la coopération
de Donald Trump pour la transition. Le 18
novembre, il a déclaré à propos de Trump : «
C'est tout simplement scandaleux ce qu'il
fait. » Il n'exclut pas une action en
justice.
Reflet de la politisation des différentes agences
du cabinet, le procureur général William Barr,
chef du département de la Justice, a envoyé une
note autorisant les procureurs fédéraux à enquêter
sur les allégations de fraude électorale avant la
certification par l'État – un autre moyen de
retarder ce processus. Richard Pilger, le chef de
la division des crimes électoraux du département
de la Justice, a immédiatement démissionné et a
dénoncé le geste de William Barr. Seize procureurs
de cette division, responsables de l'application
des lois électorales fédérales, ont demandé à
William Barr d'annuler la note de service. Ils ont
déclaré qu'elle n'est pas fondée sur des faits et
qu'elle « pousse les procureurs de carrière dans
la politique partisane ». Comme c'est plus
largement le cas, le conflit reflète les divisions
au sein et entre les différentes agences de niveau
ministériel qui composent le Bureau du président.
Les arrangements de la gouvernance sont en train
d'être restructurés pour renforcer les diktats de
haut en bas et la politisation des différentes
agences sert cette cause.
L'accent est également mis sur l'Administration
des services généraux, qui doit déterminer qui est
le vainqueur. Elle s'est abstenue de le faire
jusqu'à présent, avec comme conséquence que des
ressources de plusieurs centaines de millions de
dollars et les réunions conjointes entre les
forces Trump et Biden sont bloquées. Deux des
principales préoccupations soulevées par le camp
Biden et d'autres sont l'accès aux briefings
présidentiels qui traitent des questions de
sécurité tant étrangères que nationales et les
informations sur la COVID-19, y compris les
niveaux actuels des stocks fédéraux d'ÉPI et les
plans de distribution d'un vaccin. Biden a
répété : « Davantage de gens pourraient
mourir si nous ne coordonnons pas nos
efforts. »
Le processus de transition concerne à la fois la
continuité du pouvoir des oligarques et
l'apposition de l'empreinte Biden sur la
bureaucratie. Cela comprend le remplacement de
quelque 4 000 personnes nommées pour des
motifs politiques, dont 1 200 doivent
être approuvées par le Sénat, dans une quarantaine
d'agences du cabinet du président. Il s'agit
d'annoncer les nouveaux chefs de cabinet ainsi que
de « négocier des contrats, faire des briefings et
organiser des réunions » avec le personnel de
niveau intermédiaire des deux institutions. Les
départements et agences concernés supervisent la
réponse fédérale à la pandémie du coronavirus, les
forces armées, la sécurité intérieure et les
autres forces de sécurité nationales, les services
sociaux, y compris les services de santé et
l'éducation, le commerce, les finances, le
travail, etc. Biden a constitué une équipe
de 500 « équipes d'examen des agences »
pour superviser la transition sur tous ces fronts,
mais tout cet effort est paralysé pour l'instant.
La continuité concerne également le maintien de
la position des États-Unis dans le monde, laquelle
est également sapée par le conflit au sein des
cercles dirigeants. Si de nombreux pays, le Canada
en premier, ont félicité Joe Biden, comme la
Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, le Japon,
la Corée du Sud, l'Australie et Israël, d'autres
comme la Russie, le Brésil et le Mexique ne l'ont
pas fait. La Chine n'a pas félicité Biden
le 13 novembre, mais les représentants
chinois ont dit que « le résultat de l'élection
américaine sera confirmé conformément aux lois et
procédures en vigueur aux États-Unis ».
Le secrétaire d'État Mike Pompeo a déclaré
le 10 novembre qu'il y aurait une «
transition en douceur » vers « une autre
administration Trump », portant un autre coup
à la légitimité de l'élection. Il a été dépêché à
l'étranger le 13 novembre pour s'entretenir
avec sept pays qui ont reconnu la victoire de
Biden : la France, la Turquie, la Géorgie,
Israël, les Émirats arabes unis, le Qatar et
l'Arabie saoudite.
Les conflits ne peuvent pas être résolus par
des institutions dysfonctionnelles
L'inquiétude concernant la « transition
pacifique » provient du fait que les
institutions démocratiques américaines sont
dysfonctionnelles et ne parviennent pas à résoudre
les différends au sein des cercles dirigeants, ce
qui compromet les tentatives de les faire
apparaître comme légitimes aux yeux du peuple.
Cela est encore plus évident avec la possibilité
croissante d'une fermeture du gouvernement si une
loi sur les dépenses d'urgence n'est pas adoptée
d'ici le 11 décembre. De plus, des dizaines
de millions de travailleurs perdront leurs
allocations de chômage prolongées à la fin du mois
de décembre et un financement fédéral
supplémentaire n'est pas en vue. S'il existe un
vaccin, les États auront besoin d'au moins 6
milliards de dollars de fonds fédéraux pour le
distribuer. Nombreux sont ceux qui craignent que
le vaccin soit obligatoire et que les forces
armées soient chargées de faire appliquer la
vaccination obligatoire.
Qu'ils aient voté ou non, de nombreux Américains
ne reconnaissent plus la légitimité du
gouvernement, surtout lorsqu'il s'agit de répondre
aux besoins de la population en matière de
COVID-19 et de recours à la force, au pays et à
l'étranger. L'usage de la violence dans les villes
américaines – par la police d'État et les forces
locales, par les services de l'immigration et des
douanes et par d'autres agences fédérales – a été
largement et souvent condamné. La grande majorité
est également favorable à l'arrêt des guerres et
de la violence contre les peuples du monde entier.
La « transition pacifique » est considérée
comme une caractéristique de la démocratie
américaine et la preuve que la Constitution
américaine confère une légitimité aux
gouvernements. L'inquiétude à ce sujet est
exprimée par Tom Donohue, président et
directeur général de la Chambre de commerce des
États-Unis, Jay Timmons, président et directeur
général de l'Association nationale des
manufacturiers, et Joshua Bolten, président
et directeur général du groupe commercial Business
Roundtable for CEOs, qui ont tous déclaré
qu'il était temps que le processus de transition
aille de l'avant.
Faisant référence au refus de Trump de permettre
au processus de transition d'avancer, Barack Obama
a déclaré : « Il y a des dommages à cela,
parce que ce qui se passe, c'est que le transfert
pacifique du pouvoir – la notion que quiconque
d'entre nous qui accède à un poste élu, que ce
soit comme employé à la fourrière ou comme
président, sommes des serviteurs du peuple, c'est
un travail temporaire, nous ne sommes pas
au-dessus des règles, nous ne sommes pas au-dessus
des lois – c'est l'essence de notre
démocratie. »
Tous s'efforcent de cacher la réalité de la
situation actuelle, à savoir que la notion de
fonctionnaires et d'élus comme « serviteurs du
peuple » a été éliminée en même temps que le
respect des règles et des lois. Les oligarques qui
se sont emparés de la machine pour s'en servir
exclusivement à leurs propres fins ne veulent pas
être entravés par des règles et des lois ou par
l'obligation de servir l'intérêt public.
Les factions rivales au sein des cercles
dirigeants ne suivent plus aucune règle, comme le
montre l'affrontement. Encore plus inquiétant est
le fait que le non-respect des lois et des règles
est aussi évident parmi les forces de police et
les forces militaires américaines aux États-Unis
comme dans le monde entier. Barack Obama et sa
guerre de drones illégale, le déporteur en chef
qui a séparé des millions de familles, l'ont
montré quand il était président et Donald Trump
lui a tout simplement emboîté le pas en éliminant
toute règle de droit ici ou à l'étranger. Le
non-respect des règles dans la transition en est
l'expression.
La poursuite de l'affrontement est la preuve du
dysfonctionnement des institutions et du désespoir
des cercles dirigeants à surmonter leurs divisions
croissantes dans une situation où ils ne disposent
plus de mécanismes et de structures pour le faire.
Les appels à l'unité de Biden, qui ne cesse de
répéter que « nous devons nous rassembler en tant
que pays », restent sans réponse.
Ce qui est révélé, c'est que la démocratie
américaine est épuisée et inadaptée à l'ère
moderne. Sa légitimité, notamment dans la mesure
où elle est confirmée par des élections, est en
lambeaux quel que soit le résultat de la
transition. À certains égards, on peut dire que le
peuple, par sa résistance organisée et sa demande
d'avoir voix au chapitre dans la prise de décision
et la résolution des problèmes auxquels l'humanité
est confrontée, s'avance pour combler la brèche
laissée par un gouvernement dysfonctionnel et
violent. Il cherche à garder l'initiative et à
faire avancer sa lutte pour les droits et pour
s'investir de pouvoir afin de les garantir.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 74 - 21 novembre 2020
Lien de l'article:
États-Unis: L'affrontement électoral se poursuit - Kathleen Chandler
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