L'écran magique de CNN et des autres

La contradiction entre les forces productives modernes et les relations de production désuètes et comment elle se reflète politiquement était manifeste le soir des élections

Les principaux réseaux de télévision aux États-Unis ont tout mis en oeuvre le soir des élections pour enlever toute vie aux Américains et réduire leur cerveau en purée. Dans l'ensemble, les animateurs des réseaux ont parlé à des écrans et les « écrans magiques » ont répondu avec une régularité asphyxiante.

John King de CNN a parlé inlassablement et avec passion à son « écran magique », lui disant doucement par moments : « Comme c'est amusant. »

Bill Hemmer de Fox News avait ce qu'il appelait, sourire en coin, son « tableau d'affichage ». Lorsque quelqu'un a demandé à Bill s'il avait la moindre idée de ce que représentaient les petits carrés rouges et bleus sur son « tableau d'affichage » et ce qu'ils signifiaient, il a répondu en toute candeur : « Non, je les consulte à partir du télésouffleur qui est là. »

Steve Kornacki de MSNBC avait un écran presque identique, mais avec un nom plus terre à terre : « carte tactile interactive ». Steve a tenté de susciter de l'enthousiasme en gazouillant au préalable : « En chemin pour le studio et je ne repars pas sans qu'il y ait un résultat. Notre suivi en direct commence à 18 h — en espérant que vous serez des nôtres ! »

Chuck Todd de NBC News avait ce qu'il a simplement appelé la Carte de NBC News. Il y a eu un moment plutôt mémorable lorsque Todd a interprété la « Carte ». Pointant vers un carré, il a dit : « Si Biden tire de l'arrière, c'est ici qu'il va trouver les votes qu'il aurait dû recevoir pour l'emporter. » Malheureusement, personne de son entourage n'a pu interpréter l'interprétation de Todd sur ce que disait la « Carte ».

Pour Anthony Salvanto de CBS News, l'écran était un « tableau magique ». Un commentateur de l'émission Variety, au sujet de Salvanto, a observé « son intense concentration pendant ses présences au tableau magique, analysant dans les moindres détails les tendances démographiques et de participation en passant chaque État au peigne fin. D'une main, Salvanto empoigne des notes enroulées tandis que de l'autre il navigue sur le tableau magique et ses nombreux écrans tactiles. Peu après 21 h, heure normale de l'Est, il souligne la tendance évidente et claire que, dans l'État clé de la Caroline du Nord, les électeurs qui sont allés voter mardi étaient favorables à Trump par 69 contre 30, comparativement à une tendance de 53 contre 46 en faveur de Joe Biden parmi ceux qui ont voté avant le jour du scrutin. 'Cet écart définit cette course autant que la géographie peut le faire', a dit Salvanto à ses auditeurs ». Sans doute Salvanto a-t-il pu faire cette profonde observation grâce à son doctorat en sciences politiques obtenu à l'Université de la Californie à Irvine.

C'est Tom Llamas qui manipulait l'« écran » à ABC News. Aux nouvelles, on a louangé Llamas pour son approche modérée de l'« écran ». Avant de commenter chaque segment de l'« écran », il lançait un avertissement avant d'annoncer des résultats dans telle partie du pays, « Nous voulons nous assurer d'avoir un bon échantillonnage ».

Le commentateur canadien John Doyle, dans un article du Globe and Mail, écrit à quel point il n'a pas été impressionné. Dans son article, « La nuit des abrutis qui déblatèrent : l'échec des nouvelles télévisées américaines le soir des élections », il se lamente : « Autant parler aux murs...Avec tous leurs menus détails de gars intellos sur les tendances des votes dans des comtés obscurs, aucun n'a pu expliquer ce qui se passait vraiment. Après 10 heures, vous n'avez le goût que de souhaiter que la pire des malédictions s'abatte sur leurs maisons et leurs écrans. »

Lorsque la vague bleu démocrate telle que prévue par les sondages n'a pas été au rendez-vous et, aux petites heures du matin, lorsque la course était encore trop serrée pour faire des prédictions, Doyle écrit : « Un climat de perplexité et de désespoir a envahi les émissions électorales. Lorsqu'ils ont constaté, de façon inattendue, que les résultats étaient serrés, les animateurs et les commentateurs se sont sentis dépassés par les évènements. Ils l'étaient. Par conséquent, suivre les résultats des élections présidentielles américaines à la télé, c'était comme se faire administrer un anesthésique local — aucun 'high', seulement l'engourdissement. »

Doyle et les autres devraient prendre du recul et réfléchir sur ce à quoi ils viennent d'assister. L'« écran magique » et l'intelligence artificielle (IA) et les autres forces productives modernes ont fait progresser le monde au point où les peuples et leurs collectifs peuvent, dans les faits, exercer un contrôle sur leur vie. Nous pouvons nous nourrir, nous vêtir, nous instruire et nous loger sans l'interférence de despotes. Nous pouvons organiser le travail pour avoir le temps de participer à la politique, à l'éducation, à la culture, aux loisirs et de généralement nous élever en tant qu'êtres humains et société et exercer un contrôle sur nos vies, notre économie et la politique.

Le problème n'est pas l'écran magique, ni les abrutis qui déblatèrent, mais les formes économiques et politiques qui nous retiennent dans une époque depuis longtemps révolue, lorsqu'il n'y avait ni intelligence artificielle ni écrans magiques. Les conditions concrètes des forces productives sont devant nos yeux et offrent au peuple un grand potentiel pour l'avenir, mais les relations de production désuètes doivent être changées pour qu'elles soient au diapason de ces forces avancées.

Que nous dit présentement l'ensemble des relations humaines, surtout sur le pouvoir politique ? Que disent les relations humaines sur comment nous devrions organiser et harmoniser nos relations les uns avec les autres, nos collectifs, notre travail et les forces productives modernes et la nature ?

Le peuple doit continuer de se battre pour ce qui lui revient de droit. Il doit saisir l'occasion et s'organiser lui-même en un puissant contingent d'individus et de collectifs pour concevoir ce que sera le Nouveau. Les êtres humains ont toujours su comment engendrer les formes sociales et politiques correspondant aux conditions des forces productives et à ce que révèle l'ensemble de toutes les relations entre les humains et entre les humains et la nature.

À ce moment de l'histoire, le peuple a l'occasion de le faire consciemment, de créer l'histoire avec un plan et une prévoyance capable de mettre nos relations de production au diapason des incroyables forces productives que nous avons développées, pour harmoniser nos relations sociales les uns avec les autres et avec nos collectifs et avec la nature.

La couverture électorale américaine a clairement montré que les points de référence et d'ancrage du passé s'agitent dans toutes les directions et sont sans repères. Ce n'est pas joli à voir.


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 73 - 16 novembre 2020

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