La Cour suprême, les élections et la crise de la démocratie américaine


Le 15 octobre 2020. Manifestation à Washington contre la confirmation d'Amy Coney Barrett 
(C. King)

Alors que l'élection présidentielle contestée aux États-Unis est toujours en cours, la probabilité d'une intervention de la Cour suprême se précise. En ce moment, au moins une des poursuites judiciaires en Pennsylvanie  une procédure d'appel par le Parti républicain de l'État à laquelle la campagne de Trump s'est jointe  se rendra probablement jusqu'à la Cour suprême.

Ce recours porte sur le rejet des votes reçus après le jour du scrutin. Donald Trump peut encore espérer remporter la Pennsylvanie et, avec un jugement favorable, remporter aussi le Wisconsin et le Michigan, qui ont accepté de recevoir des bulletins de vote après la date du scrutin, comme la Pennsylvanie. Qu'un jugement détermine ou non le résultat du vote, il semble bien qu'entamer une poursuite judiciaire fasse partie des efforts de l'oligarchie financière internationale d'éliminer tous les obstacles à ses efforts pour s'emparer d'un pouvoir décisionnel centralisé, ce qui implique saper l'autorité des États dans les élections, notamment l'autorité des cours suprêmes des États.

Au début, le Parti démocrate de la Pennsylvanie et le secrétaire d'État de l'État de Pennsylvanie ont intenté une poursuite pour que la date d'acceptation des bulletins de vote par la poste soit reportée de trois jours, de 17 heures le 3 novembre à 17 heures le 6 novembre. Ces bulletins de vote constituent la majorité des votes encore en cours de dépouillement. La Cour suprême de Pennsylvanie a statué en faveur de cette prolongation. Les républicains ont porté la cause en appel et ont demandé à la Cour suprême des États-Unis un jugement accéléré avant la fin des élections, ce que la Cour suprême a refusé. Cependant, elle a laissé la porte ouverte à un réexamen de l'affaire. Le juge Alito a écrit que le jugement « ne signifie pas, cependant, que la décision de la cour de l'État doit échapper à notre examen ». Le prolongement de la date limite « a une importance nationale et il est très probable » que le jugement enfreint la Constitution.

Alors que la Pennsylvanie est le seul État dans lequel Donald Trump fait appel, d'autres États ont aussi repoussé leur échéance, et ceci comprend ceux où le vote est très serré : le Michigan, où les bulletins de vote portant le cachet postal du 3 novembre au plus tard peuvent être reçus jusqu'à deux semaines après le jour du scrutin, la Caroline du Nord, où ils peuvent être reçus jusqu'à neuf jours après le jour du scrutin, le Wisconsin, jusqu'à six jours après le 3 novembre. Dans ces États, Donald Trump pourrait également intenter une poursuite comme il l'a indiqué dans son discours à la Maison-Blanche : « Si vous comptez les votes légaux, je gagne facilement. Si vous comptez les votes illégaux, ils peuvent essayer de voler cette élection ».

Ce qui ressort de tout cela est que c'est la Cour suprême, et non les cours suprêmes et les assemblées législative des États, qui est présentée comme l'arbitre et le décideur de ce qui est légal ou non en ce qui concerne les élections. Même si une décision de la Cour suprême ne décide pas du résultat de l'élection, elle fournit un précédent pour le rejet des décisions des cours suprêmes des États. Cela accroît le pouvoir du Bureau du président, de décider en matière de loi électorale. Cela enlève des pouvoirs aux États, à tout le moins cela affaiblit le pouvoir des États. Cela est révélateur de la tendance générale à la restructuration de l'appareil d'État des États-Unis. De plus en plus de pouvoirs sont concentrés dans les mains du Bureau du président afin d'éliminer les structures qui font obstacle aux intérêts privés étroits qui ont usurpé le pouvoir décisionnel. Les autorités au niveau fédéral et des États s'opposent sur tout, comme on le voit dans les conflits au sujet de la police, de l'immigration, de la COVID-19 et des élections. La restructuration vise à un contrôle fédéral complet.

Les cercles dirigeants font face à une complexité parce que l'intervention de la Cour suprême sur ces enjeux est déjà remise en question. La conscience parmi le peuple est telle que les syndicats et des dizaines d'organisation se tiennent prêts à rejeter le rôle déterminant de la Cour suprême. De façon plus générale, la légitimité de la Cour est de plus en plus mise en doute. Avec la confirmation rapide de la plus récente nomination de Donald Trump à la Cour, Amy Coney Barrett, la Cour est considérée comme étant en faveur de Donald Trump.

En 2010, la Cour suprême a rendu le célèbre arrêt Citizens United qui a ouvert la voie au financement massif des élections par les monopoles et les oligarques, qui utilisent les superPAC (comités d'action politique) pour fournir un financement illimité. Entre 2010 et 2018, les superPAC ont fourni environ 2,9 milliards pour les élections fédérales, dont la plus grande partie provient de quelques donateurs individuels. Par exemple, lors des élections de 2018, les 100 principaux donateurs aux superPAC ont contribué à environ 78 % de l'ensemble du financement des superPAC. Cet arrêt a rendu les élections des États-Unis encore plus antidémocratiques et corrompues. Il a aussi facilité la capacité des oligarques à usurper plus aisément le pouvoir de l'État des États-Unis dans leurs propres intérêts privés étroits.

La Cour suprême fonctionne principalement comme un bras de l'exécutif, et les décisions de la Cour suprême fournissent en général ce dont l'exécutif a besoin au moment où il en a besoin. Cela se voit clairement dans ses décisions concernant l'esclavage, la déségrégation et les élections.

Alors que la rivalité entre les factions de la classe dirigeante est plus intense que jamais et que ses institutions sont dysfonctionnelles, comme ces élections le révèlent, il est possible que certaines décisions reflètent le conflit entre factions rivales au sein même de l'exécutif. En même temps, le rôle de la Cour s'est généralement affaibli, tout comme celui du Congrès. Des jugements sont carrément ignorés, comme l'a fait Barack Obama avec celui concernant le camp de torture de Guantanamo, et comme l'a fait souvent Donald Trump avec les jugements sur l'immigration et les interdictions d'entrée des réfugiés et des musulmans.

Dans ces élections 2020, le recours à la Cour suprême pour décider de l'élection est rempli de dangers pour les cercles dirigeants. La colère face au désastre du gouvernement face à la COVID-19 et la résistance large et persistante du peuple sont telles que le gouvernement fédéral et ses agences de police perdent leur autorité de gouverner et d'utiliser la force contre le peuple. Les conditions requièrent un nouvel arrangement de gouvernance qui investit le peuple du pouvoir de gouverner et de décider. Toute ingérence de la Cour suprême dans l'élection ne fera que démontrer encore plus que les arrangements existants ne permettent aucune reddition de comptes au peuple.

Traduit de l'anglais par LML


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 70 - 7 novembre 2020

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