Discussion

Les illusions que la Constitution américaine peut résoudre les problèmes d'aujourd'hui

Alors que les gens anticipent qu'une crise postélectorale pourrait éclater en raison d'une contestation des élections présidentielles américaines, plusieurs espèrent pouvoir compter sur la Constitution des États-Unis pour résoudre les problèmes. Il y a parmi eux de nombreuses personnes des forces armées ainsi que des représentants élus. Si Trump perd mais refuse de partir, les forces armées pourraient agir pour le démettre de ses fonctions, invoquant qu'il agit à l'encontre de la Constitution et que c'est leur responsabilité de défendre la Constitution. Plusieurs juristes et d'autres experts se sont déjà mis de la partie. Le peuple américain, quant à lui, se prépare à s'opposer à toute intervention militaire, laquelle, entre autres choses, serait vraisemblablement utilisée contre lui.

Ce qui devient de plus en plus évident, c'est que les arrangements de gouvernance existants basés sur la Constitution ne peuvent résoudre aucun problème quel qu'il soit  qu'ils s'agisse de celui d'individus, de collectifs ou de la société en général. Une nouvelle direction et de nouveaux arrangements sont nécessaires. Les revendications mises de l'avant par la résistance du peuple montrent déjà que celui-ci prend en main cette question comme un sujet de haute préoccupation. Les revendications pour l'exclusion de la police des communautés, pour le définancement et le désarmement de la police et pour ne pas la remplacer par des entrepreneurs privés sont parmi les nombreuses revendications qui indiquent la préoccupation populaire pour de nouveaux arrangements.

Depuis un bon moment, certains professent que si seulement le président respectait la Constitution et que le Congrès exerçait ses pouvoirs, tels celui de déclarer la guerre, les problèmes pourraient être résolus. Par exemple, l'ancien secrétaire de la Défense, le général à la retraite James Mattis, a parlé de l'ordre que Trump avait donné de réprimer brutalement les manifestants du district de Columbia en ayant recours à la police militaire et à la Garde nationale, au FBI, au Service de l'immigration et de l'application des règles douanières (ICE), aux services secrets et à d'autres. Il a dit : « Nous savons que nous pouvons faire mieux que l'abus dont a fait preuve l'autorité exécutive et dont nous avons été témoins au Square Lafayette. Nous devons rejeter et tenir responsables les autorités en place qui se moquent de notre Constitution. C'est seulement sur la base d'une nouvelle voie  ce qui, en somme, veut dire revenir à la voie première de nos idéaux fondateurs  que nous serons à nouveau un pays digne de respect et d'admiration au pays et à l'étranger. »

Comme d'autres au sein des forces armées et parmi les représentants élus, James Mattis tente de montrer qu'il est du côté du peuple. En même temps, il n'appelle pas à suivre une nouvelle voie, mais à s'en tenir à la très vieille voie de la Constitution  qui elle-même a été un compromis entre le pouvoir esclavagiste et de l'esclavage salarié, d'une part, et les pères fondateurs, de l'autre.

Les appels à une constitution qui, dès les premiers jours, a enchâssé les inégalités inhérentes dans la société d'alors et a servi à les perpétuer, plutôt qu'à les résoudre, sont vraiment futiles.

Comment peut-on expliquer, autrement, que la Constitution, avec sa Déclaration des droits, ses 13e, 14e et 15e amendements sur le système de travail esclavagiste et « l'égalité devant la loi », requiert d'autres lois comme la Loi sur les droits civils et la Loi sur le droit de vote, ainsi que l'intervention répétée du gouvernement fédéral au nom de la « réforme » des services de police et de la « protection » du droit de vote ? Toutes ces lois ne sont pas des expressions de la vitalité de la Constitution, mais du fait qu'elle est anachronique et qu'elle ne peut garantir l'égalité et la reddition de comptes ou même empêcher le président d'utiliser en toute impunité les pouvoirs de police.

Mattis passe clairement sous silence le serment d'office du président, qui est écrit dans la Constitution et qui confère ces pouvoirs de police. Le président remplit ses fonctions de président sur la base des pouvoirs de police du président et ceci est la principale raison pour laquelle la Constitution n'a pas et ne peut pas empêcher ces actions ou tenir le président responsable de crimes, même avec la procédure de destitution. Le serment d'investiture du président se lit comme suit : « Je jure (ou affirme) solennellement de remplir fidèlement les fonctions de président des États-Unis et, dans toute la mesure de mes moyens, de sauvegarder, protéger et défendre la Constitution des États-Unis. »

Alors qu'un des buts fondamentaux de la Constitution était d'éviter la tyrannie, aujourd'hui, le peuple et ses revendications pour la justice, l'égalité et la reddition de comptes sont de plus en plus criminalisés. Nous l'avons vu partout au pays, dans une ville après l'autre, alors que les services de police ont exercé la violence contre les manifestants, se servant d'armes chimiques telles que les gaz lacrymogènes, et sont organisés comme une force armée pour contrôler et réprimer le peuple, qui est considéré l'ennemi. Les commentaires du secrétaire de la Défense Mark Esper ont renforcé cela lorsqu'il a publiquement lancé l'appel à la Garde nationale de « dominer l'espace de combat ».

Accuser ses adversaires de sédition est aussi de plus en plus fréquent.

On dit du problème actuel qu'il est le résultat d'individus comme Trump qui refuse de respecter la constitution ou de policiers racistes ou de milices ou des justiciers. On détourne ainsi l'attention du fait que c'est l'appareil d'État les forces militaires et les nombreuses agences fédérales telles qu'ICE en passant par les services de police racistes et militarisés et tout le système pénal et carcéral  qui fonctionne non pas pour protéger et servir le peuple, mais pour maintenir les riches au pouvoir et marginaliser le peuple. C'est un appareil d'État qui est protégé et maintenu par la Constitution qui a été conçue pour protéger les riches et leur propriété privée, et non les droits du peuple sur la base des droits des êtres humains en tant qu'êtres humains et de l'égalité des membres du corps politique.

Ceci est bien illustré par les sauvetages massifs et répétés des monopoles et des capitalistes financiers par le gouvernement alors que les droits du peuple sont bafoués. Dès les premiers jours, la Constitution a enchâssé l'asservissement des Africains, le génocide contre les peuples autochtones et l'exclusion des femmes et de tous, à l'exception des hommes blancs propriétaires (ces mêmes pères fondateurs), de tout mot à dire dans la gouvernance.

Une constitution se mesure à sa capacité d'harmoniser les intérêts individuels, collectifs et généraux

La Constitution est le miroir des relations sociales de la société et elle structure le gouvernement afin qu'il préserve et perpétue ces relations, y compris les nombreuses inégalités qui sont évidentes dans la société. Elle sert à maintenir le peuple hors du pouvoir, alors qu'aujourd'hui la solution est dans la création de nouvelles formes et d'un nouveau contenu qui habilitent le peuple à gouverner et à décider. C'est la société, avec son ensemble de relations humaines, qui est la base de l'État, et non l'inverse. La Constitution ne définit pas la démocratie et l'appareil d'État qu'elle met en place ne la définit pas lui non plus. Au contraire, ce sont la société et ses relations qui le font. Changer ces relations de pouvoir est une partie intégrante de la réalisation du changement qui avantage le peuple.

Dans la situation historique actuelle, le conflit entre les forces productives et les relations sociales de production est à la source des crises économiques et politiques qui s'approfondissent, de l'instabilité et du déséquilibre. Les forces productives, dont fait partie la classe ouvrière moderne, dépassent de beaucoup les limites des relations sociales capitalistes de production, marquées par la propriété privée alors que la production moderne est socialisée.

Comme nous le voyons, les propriétaires privés du capital imposent leurs réclamations à la société en vertu du droit qu'ils ont au monopole de la force de l'appareil d'État. En revendiquant la légitimité du contrôle du droit d'utiliser le monopole de la force et de la coercition, les propriétaires du capital restreignent et limitent les réclamations de la classe ouvrière et du peuple. Mais comme les gens, avec leurs conditions de vie, voient à quel point ils sont restreints en ce qui concerne la satisfaction de leurs besoins, cette légitimité et cette autorité sont remises en question. Cette remise en question va beaucoup plus loin que les crimes de Trump et son illégitimité, et touche à l'enjeu de qui est apte à gouverner aujourd'hui ?

Les discussions sur ce que signifie la sécurité et la protection de nos communautés, de nos écoles, de nos villes et de notre pays visent à fournir des réponses. La lutte ne se limite pas aux forces de police, si on en a besoin de plus ou de moins, mais pose le problème de qui doit contrôler l'usage de la force et les décisions qui affectent la vie du peuple. Ce qu'il faut faire pour réaliser ce contrôle est le sujet de la discussion. Les efforts pour faire dévier le débat vers un appui à la Constitution servent à priver le peuple de pouvoir et à faire en sorte qu'imaginer l'avenir ne porte pas sur de nouveaux arrangements de gouvernance pour enchâsser une démocratie moderne qui est l'oeuvre du peuple.

On mesure une constitution à sa capacité de régler les conflits d'intérêts en société, individuels, collectifs et les intérêts généraux de la société et de l'humanité dans son ensemble. Ces intérêts proviennent de la société elle-même, de l'ensemble des relations humaines entre les humains et entre les humains et la nature. Cela forme un ensemble et la Constitution joue un rôle pour régler et systématiser les relations et les conflits d'intérêts auxquels elles donnent naissance. Les intérêts se rapportent aux droits, les droits des individus et des collectifs. Les harmoniser signifie les mettre à un même niveau, en leur trouvant une équivalence, de sorte que l'individu n'est pas mis en opposition au collectif ou vice-versa, mais que les deux sont considérés comme étant sur le même pied. C'est uniquement s'ils sont mis sur le même pied qu'un équilibre peut être trouvé.

Il est évident que la Constitution des États-Unis ne résout pas et ne peut pas résoudre ces problèmes en harmonisant ces harmonise. Au contraire, elle bloque cette voie et enchâsse les divisions et l'inégalité dans la société, et contribue à les institutionnaliser.

La résistance du peuple établit une nouvelle direction dans les affaires politiques, une direction qui ne s'appuie pas sur la vieille Constitution désuète et son legs qui habilite les descendants des « propriétaires de race blanche », quels qu'ils soient. La résistance du peuple se place sans équivoque du côté de la lutte pour le Nouveau, une démocratie qui est l'oeuvre du peuple dans laquelle « nous, le peuple », prenons les décisions. Les institutions modernes de gouvernement et une constitution moderne peuvent être développées à mesure que le peuple fait progresser sa lutte pour placer le pouvoir décisionnel entre ses propres mains.

(Photos : VOR, J. Shah, We Are Dissenters)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 69 - 2 novembre 2020

Lien de l'article:
Discussion: Les illusions que la Constitution américaine peut résoudre les problèmes d'aujourd'hui - Kathleen Chandler


    

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