Discussion
Les illusions que la Constitution américaine peut résoudre les problèmes d'aujourd'hui
- Kathleen Chandler -
Alors que les gens anticipent qu'une crise
postélectorale pourrait éclater en raison d'une
contestation des élections présidentielles
américaines, plusieurs espèrent pouvoir compter
sur la Constitution des États-Unis pour résoudre
les problèmes. Il y a parmi eux de nombreuses
personnes des forces armées ainsi que des
représentants élus. Si Trump perd mais refuse de
partir, les forces armées pourraient agir pour le
démettre de ses fonctions, invoquant qu'il agit à
l'encontre de la Constitution et que c'est leur
responsabilité de défendre la Constitution.
Plusieurs juristes et d'autres experts se sont
déjà mis de la partie. Le peuple américain, quant
à lui, se prépare à s'opposer à toute intervention
militaire, laquelle, entre autres choses, serait
vraisemblablement utilisée contre lui.
Ce qui devient de
plus en plus évident, c'est que les arrangements
de gouvernance existants basés sur la Constitution
ne peuvent résoudre aucun problème quel qu'il
soit – qu'ils
s'agisse de celui d'individus, de collectifs ou de
la société en général. Une nouvelle direction et
de nouveaux arrangements sont nécessaires. Les
revendications mises de l'avant par la résistance
du peuple montrent déjà que celui-ci prend en main
cette question comme un sujet de haute
préoccupation. Les revendications pour l'exclusion
de la police des communautés, pour le
définancement et le désarmement de la police et
pour ne pas la remplacer par des entrepreneurs
privés sont parmi les nombreuses revendications
qui indiquent la préoccupation populaire pour de
nouveaux arrangements.
Depuis un bon moment, certains professent que si
seulement le président respectait la Constitution
et que le Congrès exerçait ses pouvoirs, tels
celui de déclarer la guerre, les problèmes
pourraient être résolus. Par exemple, l'ancien
secrétaire de la Défense, le général à la retraite
James Mattis, a parlé de l'ordre que Trump avait
donné de réprimer brutalement les manifestants du
district de Columbia en ayant recours à la police
militaire et à la Garde nationale, au FBI, au
Service de l'immigration et de l'application des
règles douanières (ICE), aux services secrets et à
d'autres. Il a dit : « Nous savons que nous
pouvons faire mieux que l'abus dont a fait preuve
l'autorité exécutive et dont nous avons été
témoins au Square Lafayette. Nous devons rejeter
et tenir responsables les autorités en place qui
se moquent de notre Constitution. C'est seulement
sur la base d'une nouvelle voie – ce qui, en somme, veut dire
revenir à la voie première de nos idéaux
fondateurs – que nous
serons à nouveau un pays digne de respect et
d'admiration au pays et à l'étranger. »
Comme d'autres au sein des forces armées et parmi
les représentants élus, James Mattis tente de
montrer qu'il est du côté du peuple. En même
temps, il n'appelle pas à suivre une nouvelle
voie, mais à s'en tenir à la très vieille voie de
la Constitution – qui
elle-même a été un compromis entre le pouvoir
esclavagiste et de l'esclavage salarié, d'une
part, et les pères fondateurs, de l'autre.
Les appels à une constitution qui, dès les
premiers jours, a enchâssé les inégalités
inhérentes dans la société d'alors et a servi à
les perpétuer, plutôt qu'à les résoudre, sont
vraiment futiles.
Comment peut-on expliquer, autrement, que la
Constitution, avec sa Déclaration des droits,
ses 13e, 14e et 15e amendements sur
le système de travail esclavagiste et « l'égalité
devant la loi », requiert d'autres lois comme
la Loi sur les droits civils et la Loi
sur le droit de vote, ainsi que
l'intervention répétée du gouvernement fédéral au
nom de la « réforme » des services de police
et de la « protection » du droit de
vote ? Toutes ces lois ne sont pas des
expressions de la vitalité de la Constitution,
mais du fait qu'elle est anachronique et qu'elle
ne peut garantir l'égalité et la reddition de
comptes ou même empêcher le président d'utiliser
en toute impunité les pouvoirs de police.
Mattis passe
clairement sous silence le serment d'office du
président, qui est écrit dans la Constitution et
qui confère ces pouvoirs de police. Le président
remplit ses fonctions de président sur la base des
pouvoirs de police du président et ceci est la
principale raison pour laquelle la Constitution
n'a pas et ne peut pas empêcher ces actions ou
tenir le président responsable de crimes, même
avec la procédure de destitution. Le serment
d'investiture du président se lit comme
suit : « Je jure (ou affirme) solennellement
de remplir fidèlement les fonctions de président
des États-Unis et, dans toute la mesure de mes
moyens, de sauvegarder, protéger et défendre la
Constitution des États-Unis. »
Alors qu'un des buts fondamentaux de la
Constitution était d'éviter la tyrannie,
aujourd'hui, le peuple et ses revendications pour
la justice, l'égalité et la reddition de comptes
sont de plus en plus criminalisés. Nous l'avons vu
partout au pays, dans une ville après l'autre,
alors que les services de police ont exercé la
violence contre les manifestants, se servant
d'armes chimiques telles que les gaz lacrymogènes,
et sont organisés comme une force armée pour
contrôler et réprimer le peuple, qui est considéré
l'ennemi. Les commentaires du secrétaire de la
Défense Mark Esper ont renforcé cela lorsqu'il a
publiquement lancé l'appel à la Garde nationale de
« dominer l'espace de combat ».
Accuser ses adversaires de sédition est aussi de
plus en plus fréquent.
On dit du problème actuel qu'il est le résultat
d'individus comme Trump qui refuse de respecter la
constitution ou de policiers racistes ou de
milices ou des justiciers. On détourne ainsi
l'attention du fait que c'est l'appareil d'État – les forces militaires et les
nombreuses agences fédérales telles qu'ICE en
passant par les services de police racistes et
militarisés et tout le système pénal et
carcéral – qui
fonctionne non pas pour protéger et servir le
peuple, mais pour maintenir les riches au pouvoir
et marginaliser le peuple. C'est un appareil
d'État qui est protégé et maintenu par la
Constitution qui a été conçue pour protéger les
riches et leur propriété privée, et non les droits
du peuple sur la base des droits des êtres humains
en tant qu'êtres humains et de l'égalité des
membres du corps politique.
Ceci est bien illustré par les sauvetages massifs
et répétés des monopoles et des capitalistes
financiers par le gouvernement alors que les
droits du peuple sont bafoués. Dès les premiers
jours, la Constitution a enchâssé l'asservissement
des Africains, le génocide contre les peuples
autochtones et l'exclusion des femmes et de tous,
à l'exception des hommes blancs propriétaires (ces
mêmes pères fondateurs), de tout mot à dire dans
la gouvernance.
Une constitution se mesure à sa capacité
d'harmoniser les intérêts individuels, collectifs
et généraux
La Constitution est le miroir des relations
sociales de la société et elle structure le
gouvernement afin qu'il préserve et perpétue ces
relations, y compris les nombreuses inégalités qui
sont évidentes dans la société. Elle sert à
maintenir le peuple hors du pouvoir, alors
qu'aujourd'hui la solution est dans la création de
nouvelles formes et d'un nouveau contenu qui
habilitent le peuple à gouverner et à décider.
C'est la société, avec son ensemble de relations
humaines, qui est la base de l'État, et non
l'inverse. La Constitution ne définit pas la
démocratie et l'appareil d'État qu'elle met en
place ne la définit pas lui non plus. Au
contraire, ce sont la société et ses relations qui
le font. Changer ces relations de pouvoir est une
partie intégrante de la réalisation du changement
qui avantage le peuple.
Dans la situation historique actuelle, le conflit
entre les forces productives et les relations
sociales de production est à la source des crises
économiques et politiques qui s'approfondissent,
de l'instabilité et du déséquilibre. Les forces
productives, dont fait partie la classe ouvrière
moderne, dépassent de beaucoup les limites des
relations sociales capitalistes de production,
marquées par la propriété privée alors que la
production moderne est socialisée.
Comme nous le voyons, les propriétaires privés du
capital imposent leurs réclamations à la société
en vertu du droit qu'ils ont au monopole de la
force de l'appareil d'État. En revendiquant la
légitimité du contrôle du droit d'utiliser le
monopole de la force et de la coercition, les
propriétaires du capital restreignent et limitent
les réclamations de la classe ouvrière et du
peuple. Mais comme les gens, avec leurs conditions
de vie, voient à quel point ils sont restreints en
ce qui concerne la satisfaction de leurs besoins,
cette légitimité et cette autorité sont remises en
question. Cette remise en question va beaucoup
plus loin que les crimes de Trump et son
illégitimité, et touche à l'enjeu de qui est apte
à gouverner aujourd'hui ?
Les discussions sur
ce que signifie la sécurité et la protection de
nos communautés, de nos écoles, de nos villes et
de notre pays visent à fournir des réponses. La
lutte ne se limite pas aux forces de police, si on
en a besoin de plus ou de moins, mais pose le
problème de qui doit contrôler l'usage de la force
et les décisions qui affectent la vie du peuple.
Ce qu'il faut faire pour réaliser ce contrôle est
le sujet de la discussion. Les efforts pour faire
dévier le débat vers un appui à la Constitution
servent à priver le peuple de pouvoir et à faire
en sorte qu'imaginer l'avenir ne porte pas sur de
nouveaux arrangements de gouvernance pour
enchâsser une démocratie moderne qui est l'oeuvre
du peuple.
On mesure une constitution à sa capacité de
régler les conflits d'intérêts en société,
individuels, collectifs et les intérêts généraux
de la société et de l'humanité dans son ensemble.
Ces intérêts proviennent de la société elle-même,
de l'ensemble des relations humaines entre les
humains et entre les humains et la nature. Cela
forme un ensemble et la Constitution joue un rôle
pour régler et systématiser les relations et les
conflits d'intérêts auxquels elles donnent
naissance. Les intérêts se rapportent aux droits,
les droits des individus et des collectifs. Les
harmoniser signifie les mettre à un même niveau,
en leur trouvant une équivalence, de sorte que
l'individu n'est pas mis en opposition au
collectif ou vice-versa, mais que les deux sont
considérés comme étant sur le même pied. C'est
uniquement s'ils sont mis sur le même pied qu'un
équilibre peut être trouvé.
Il est évident que la Constitution des États-Unis
ne résout pas et ne peut pas résoudre ces
problèmes en harmonisant ces harmonise. Au
contraire, elle bloque cette voie et enchâsse les
divisions et l'inégalité dans la société, et
contribue à les institutionnaliser.
La résistance du peuple établit une nouvelle
direction dans les affaires politiques, une
direction qui ne s'appuie pas sur la vieille
Constitution désuète et son legs qui habilite les
descendants des « propriétaires de race blanche »,
quels qu'ils soient. La résistance du peuple se
place sans équivoque du côté de la lutte pour le
Nouveau, une démocratie qui est l'oeuvre du peuple
dans laquelle « nous, le peuple », prenons les
décisions. Les institutions modernes de
gouvernement et une constitution moderne peuvent
être développées à mesure que le peuple fait
progresser sa lutte pour placer le pouvoir
décisionnel entre ses propres mains.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 69 - 2 novembre 2020
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