La menace de recours aux forces armées et aux forces fédérales après l'élection


30 mai 2020. La police militaire a été déployée à Washington contre les gens qui manifestaient contre la violence et l'impunité policières à la suite du meurtre de George Floyd.

La possibilité d'une absence de « transition pacifique » à l'issue de cette élection suscite beaucoup d'inquiétudes tant parmi les riches qu'au sein de la population. Une violence ouverte pourrait éclater entre les différentes factions des riches qui se disputent la présidence. Des milices armées racistes et hitlériennes pourraient être utilisées par l'État pour fomenter la violence contre les citoyens. Le président Trump a menacé d'utiliser les forces armées contre tous ceux et celles, y compris les élus et les manifestants, qui refusent de l'accepter comme président s'il décide de se déclarer vainqueur. Pour sa part, Joe Biden a déclaré que les militaires escorteront Donald Trump hors de la Maison-Blanche s'il perd et refuse de partir. Le président ne sera pas assermenté avant le 20 janvier 2021, ce qui fait que toute la période allant du 3 novembre au 20 janvier sera sans doute marquée par des manoeuvres et des violences de toutes sortes de la part des gouvernements à tous les niveaux.

L'inquiétude parmi les cercles dirigeants est telle que le Quincy Institute for Responsible Statescraft (QI), fondé par les milliardaires Charles Koch et George Soros et censé réunir la « droite » et la « gauche », a organisé un webinaire intitulé : « Le rôle des forces armées américaines dans une élection contestée ». Il pose les questions suivantes : « Quel rôle les forces armées américaines pourraient-elles jouer si les résultats de la prochaine élection présidentielle sont contestés ? Comment les forces armées peuvent-elles rester apolitiques et ne pas succomber à la politique électorale ? Comment une crise liée aux élections pourrait-elle affecter la relation entre le peuple américain et les forces armées des États-Unis, dont les sondages continuent de dire qu'elles sont l'institution la plus fiable en Amérique ? Et quelles sont les responsabilités constitutionnelles des forces armées si le président devait refuser de quitter ses fonctions lors d'une élection contestée ?[1] »

Il ressort clairement de ces questions qu'une des possibilités évoquées est que les forces armées, « l'institution la plus fiable », prennent elles-mêmes le contrôle de la situation au nom de la préservation de l'union et de la Constitution. Si les actions du président, comme le refus de partir, sont considérées comme illégales, alors le rôle de l'armée serait considéré comme étant de faire respecter la loi.

Tous les soldats prêtent serment à la Constitution contre les ennemis tant étrangers que nationaux; ils ne prêtent pas serment au président. En même temps, le serment des soldats enrôlés, qui pourraient être appelés à l'action, inclut l'obéissance aux ordres légitimes du président et de leurs officiers supérieurs[2].

On craint également que les forces armées, qui ont été utilisées contre les rébellions des Afro-Américains dans le passé, ne perdent toute crédibilité si elles interviennent. Le 1er juin à Washington, Donald Trump a utilisé la police militaire contre des manifestants au square Lafayette et 1 600 soldats étaient postés en attente. Avec les manifestations en cours dans de nombreuses villes et les centaines d'autres prévues si Donald Trump conteste les résultats des élections, ainsi que d'éventuelles grèves, Donald Trump pourrait bien appeler à l'intervention militaire. Lorsqu'il a menacé de le faire il y a quelque temps, plusieurs généraux et soldats en service actif s'y étaient opposés. Certains membres de la Garde nationale déployés dans les villes ont refusé d'attaquer les manifestants.

Dans de telles conditions, les cercles dirigeants ne sont pas en mesure de prévoir comment les forces armées et les généraux et les amiraux agiront dans le cas d'une élection contestée. Par exemple, un amiral qui a longtemps commandé les Navy SEALs, a récemment déclaré dans un article du Wall Street Journal qu'il avait voté pour Joe Biden. « Si nous ne choisissons pas le bon leader, nous paierons très cher notre négligence et notre manque de perspicacité », a-t-il déclaré. Les Navy SEALs sont bien connus pour leurs opérations secrètes en dehors de l'encadrement de la loi. Le rôle que d'autres services de police pourraient jouer est un autre facteur d'incertitude. Les services de l'immigration et des douanes (ICE) et des douanes et de la protection des frontières (CBP) ont fait savoir qu'ils soutiennent Donald Trump, ce qui est un facteur dont il faut bien tenir compte. Il y a aussi les services secrets.

Il n'y a pas de forces armées unifiées aux États-Unis et la rivalité au sein et entre l'armée de terre, la marine, les Marines, l'armée de l'air et la nouvelle force spatiale est intense. La même chose vaut pour la CIA et d'autres agences de renseignement. Les garder unifiés et sous le contrôle du président en tant que commandant en chef est non seulement essentiel, mais aussi une responsabilité qui incombe au président dont le devoir est de préserver l'union.

Un des principaux points en litige est qu'arrivera-t-il si l'élection est contestée jusqu'à l'assermentation, le 20 janvier ? Si Joe Biden gagne et que Donald Trump refuse de partir, qui sera alors le commandant en chef et comment les forces rivales seront-elles réunies ?

Que ces scénarios se réalisent ou non, le fait même que ces questions se posent montre que les arrangements actuels ne fonctionnent plus et que les élites dirigeantes s'efforcent par tous les moyens d'occuper l'espace de changement de manière à perpétuer leur domination. Cela montre la futilité de faire appel à des institutions et à une Constitution qui sont impuissantes à répondre aux besoins du présent. Qui plus est, cela montre la futilité de maintenir le peuple à l'écart du pouvoir.

Les conditions d'une guerre civile se sont accentuées tout au long de cette période récente. Il s'agit notamment des conflits au sein des forces armées et entre celles-ci et le président, puis entre les gouvernements des États et le gouvernement fédéral concernant la COVID-19, l'immigration, le financement et le maintien de l'ordre et celles entre les agences de police et de renseignement locales, des États et fédérales, chacune d'elles armée jusqu'aux dents.

Une élection est censée résoudre les conflits entre les factions en donnant la méthode établie pour déclarer un vainqueur. Elle est censée bloquer le recours à la violence entre des rivaux, lesquels sont censés respecter les règles, comme par exemple concéder la défaite. Or, la fraude, la corruption, la manipulation et la perturbation sont devenues si extrêmes, dans les conditions où des intérêts privés rivaux cherchent à usurper le pouvoir de l'État à leurs fins, que les règles ne s'appliquent plus concernant la méthode traditionnelle de règlement des différends. Les élections ne servent plus à résoudre pacifiquement les conflits et c'est l'anarchie et la violence qui l'emportent.

Les conditions sont tout sauf pacifiques à cause de la répression continue des protestations et de l'ingérence dans l'élection des membres du cabinet, des généraux et des diplomates, tout cela de pair avec les menaces d'utiliser les forces armées contre le peuple et pour prendre le contrôle de la présidence.

La vigilance est de rigueur. Le peuple continue de défendre ses droits et de rejeter l'utilisation des forces armées et de la police contre ses aspirations. D'un océan à l'autre, les travailleurs et les jeunes montrent la voie à suivre pour affronter toute éventualité. L'institution d'une démocratie populaire capable de résoudre les problèmes sociaux et politiques sans recourir à la force est le problème posé et à résoudre.

Notes

1. Parmi les intervenants : Andrew Bacevich, président de l'Institut Quincy et colonel de l'armée à la retraite; Mark Hertling, général de l'armée à la retraite avec 37 ans de service, qui a été commandant en Europe, à Bagdad et en Irak et qui a servi dans l'administration Obama; Amber Smith, également de l'armée, qui a servi en Afghanistan et en Irak et qui faisait partie du département de la Défense de Trump. Kelley Beaucar Vlahos, conseillère principale à QI et coanimatrice du podcast conservateur The Empire Has No Clothes, était la modératrice.

2. Serment d'office des officiers : « Je, [nom], jure solennellement [ou affirme] que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis contre tous les ennemis, étrangers et nationaux; que j'aurai une foi et une allégeance sincères en celle-ci; que j'assumerai cette obligation librement, sans aucune réserve mentale ni intention de me soustraire à cette obligation; et que je remplirai bien et fidèlement les devoirs de la fonction dans laquelle je vais entrer. Que Dieu me vienne en aide. »

Serment d'office pour les soldats enrôlés : « Je, [nom du militaire], jure [ou affirme] solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis d'Amérique contre tous les ennemis, étrangers et nationaux; que je serai fidèle et loyal envers elle; et que j'obéirai aux ordres du Président des États-Unis et aux ordres des officiers nommés au-dessus de moi, conformément aux règlements et au Code uniforme de justice militaire. Que Dieu me vienne en aide. »

(Photos : R. Pineda, B. Anderson Photo)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 69 - 2 novembre 2020

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