Les tentatives de présenter Biden comme le champion de l'unification du pays

Cette élection à la présidence des États-Unis – une des principales sources de pouvoir et de ressources pour les oligarques financiers – s'est transformée en lutte sans merci entre des coalitions changeantes pendant qu'on persiste à vouloir convaincre le peuple américain qu'il faut sauver une démocratie désuète qui ne sert plus personne. Si d'un côté Trump continue de ne jurer que par son ordre du jour basé sur « la loi et l'ordre », Joe Biden, lui, est présenté comme celui qui peut faire taire le mouvement de résistance qui fait rage partout au pays et unifier les factions qui se font la guerre au sein des cercles dirigeants.

L'administration Trump a répondu à la demande des oligarques financiers que le président puisse agir avec impunité, sans se soucier des lois et des arrangements constitutionnels existants. Ils veulent qu'on enlève toute limite à leur capacité de servir leurs propres intérêts privés étroits. Pour y arriver, Trump a accepté le rôle qu'on lui a confié de l'homme de l'extérieur, qui n'est pas membre de l'« establishment de Washington », avec ses accusations de corruption et de népotisme. « Nous avons mis fin au règne de la classe politique en faillite », a déclaré Trump. Cette image était nécessaire dans les conditions où les institutions actuelles, comme le Congrès, sont devenues dysfonctionnelles. Tous les efforts ont été déployés pour mettre fin aux prérogatives du Congrès et consolider celles du président.

C'est ce qui est aussi ressorti de la Convention nationale républicaine, où Trump et sa conjointe sont intervenus à partir de la Maison-Blanche pour bien faire sentir le pouvoir de la présidence. Il en va de même pour le secrétaire d'État Mike Pompeo, dont l'intervention a été faite à partir de Jérusalem où il y était en visite d'État. Le secrétaire d'État n'est pas censé intervenir dans une campagne électorale, encore moins brouiller la ligne de démarcation entre faire campagne et gouverner. De telles actions servent à montrer que les cercles dirigeants ne tentent même plus de dissimuler qu'ils aient complètement usurpé les prérogatives du gouvernement pour servir leurs intérêts privés. Il n'y a plus de ligne de démarcation, si ligne de démarcation il y a eu, ni de considération pour ce qui dans le passé constituait « le public » ou un gouvernement au service d'un « bien public ».

Biden et la convention démocrate ont dit très peu de choses sur le rôle du Congrès et, comme Trump, Biden a souligné le rôle décisif de la présidence. Il a aussi montré qu'il est « digne de confiance », puisque loyal au statu quo et en mesure, lui aussi, de se servir de la présidence pour accorder des ressources illimitées aux oligarques tout en écartant le peuple du pouvoir.

« Aucune des questions que je soulève ne va à l'encontre d'un libre marché ni du capitalisme », a déclaré Biden. Il a annoncé des plans pour verser plus d'un billion de dollars par le biais de subsides gouvernementaux aux oligarques de la production de guerre basée sur l'industrie de l'automobile et de l'acier. Il a promis d'énormes montants puisés à même les fonds publics aux financiers privés pour que ceux-ci puissent rembourser leurs dettes.

Parmi les sujets des discours de Biden, on trouve : « Nous devons unir l'Amérique. »; « Si nous ne réussissons pas à unir l'Amérique, nous sommes cuits, nous sommes morts ». « J'ai toujours soutenu que l'Amérique donne sa pleine mesure quand nous agissons comme une seule nation, une seule Amérique. »

Vraisemblablement, les personnes qui manifestent par millions et les nombreux millions de personnes qui les appuient ne perçoivent pas leur Amérique, leur lutte pour un changement qui est favorable au peuple, comme étant « cuite » ou « morte ». Cette préoccupation morbide de la défaite et de la mort provient plutôt des conflits et des divisions qui s'exacerbent dans les rangs des cercles dirigeants, y compris la possibilité d'une guerre civile violente. Biden veut passer pour le champion qui peut unir la bureaucratie militaire et mettre fin aux divisions entre les représentants fédéraux, des États et locaux, et entre les agences policières. Il pense ainsi se démarquer de Trump qui n'a pas réussi à cet égard, s'étant contenté de répéter tout simplement que tout peut être réglé en recourant à la répression et en invoquant la loi et l'ordre. Le hic, évidemment, est comment compte-t-il accomplir tous ces miracles. Il martèle qu'il va apporter des réformes au système pénal, garantir la sécurité du vote et la cybersécurité pendant l'élection. Il prétend qu'en remettant d'abord la démocratie sur ses pieds aux États-Unis, il pourra ensuite le faire dans le monde également.

L'image qu'il projette de quelqu'un qui « peut unir » laisse entendre qu'il va d'abord se consacrer à l'unité des autorités industrielles et civiles, comme celles des États et des villes. Le choix de Kamala Harris comme vice-présidente sert cet objectif dans une certaine mesure. On espère que ses nombreux liens parmi les procureurs généraux des États et les agences policières et sa connaissance du milieu aideront à unir pacifiquement les forces locales et des États sous un leadership fédéral.

En se présentant comme une force loyale et digne de confiance pour la défense du statu quo, Biden se garde bien de dire que ce qu'il propose ne va pas au-delà d'offrir des possibilités pour ce qui est des citoyens américains. Il répète que chacun mérite « au moins une chance » et qu'il s'assurera ce que soit bien « tout le monde » et pas seulement quelques-uns. « Le temps est venu d'imaginer et de bâtir une nouvelle économie américaine pour nos familles et pour nos communautés, une économie qui donne à chaque Américain la chance d'obtenir un rendement équitable pour son travail et la même chance que tout le monde de trouver sa place », dit Biden.

En effet, les gens veulent une nouvelle direction pour l'économie qui permette de placer les droits des citoyens au centre, tels que le droit à la santé, à l'éducation, à un moyen de subsistance et à un logement pour tous, en opposition à un simple « accès » ou « possibilité », ce qui ne veut rien dire sinon tout simplement répéter ce qui est au coeur du « rêve américain » en faillite. Biden lui-même affirme que « plus de 56 % des Américains pensent que leurs enfants n'atteindront jamais le niveau de vie qu'ils ont connu ». Les gens en arrivent eux-mêmes à cette conclusion sur la base de leur expérience réelle qui montre que les relations économiques et politiques actuelles ne peuvent garantir l'égalité et le droit de décider des questions comme les agissements de la police, la santé, la guerre et la paix, mais cette réalité-là n'intéresse pas du tout Biden.

Le « rêve américain » des dirigeants américains est en lambeaux. L'« Amérique » avec laquelle les Américains ont grandi a montré ses vraies couleurs comme jamais auparavant lors de l'agression « choc et effroi » contre l'Irak, avec les camps de torture du régime Bush qui ont montré l'essence de la démocratie, de la liberté et des droits de cette Amérique.

L'administration Obama ne leur a pas permis de surmonter l'humiliation puisqu'ils ont ensuite perdu leurs maisons lorsque la bulle immobilière a éclaté et que la réponse d'Obama a été de secourir les criminels de Wall Street. La doctrine d'Obama de la guerre des drones pour assassiner des civils innocents dans des pays lointains au nom de la capture de terroristes et du sauvetage de vies américaines n'a pas restauré la foi dans le rêve américain. Obama est par ailleurs devenu l'« expulseur en chef », établissant une tyrannie que Donald Trump a poussée encore plus loin. Les prétentions du camp de Biden qu'il atteindra les mêmes objectifs, mais de façon plus « juste » sont également vouées à l'échec. Il propose par exemple des logements sociaux et répète qu'il y aura des millions d'« emplois syndiqués et bien rémunérés ». C'est le même vieux discours usé à la corde.

Tant que les citoyens n'ont pas un rôle dans les prises de décision sur l'utilisation des fonds d'investissement massifs promis par le gouvernement fédéral et sur qui paiera pour ces dépenses, tant que le droit au logement et à l'emploi n'est pas garanti, tout cela n'est que du vent.

Biden tente de détourner l'attention de la réalité actuelle où un groupe de plus en plus minuscule d'oligarques puissants a usurpé le pouvoir et utilise les gouvernements entièrement à ses propres fins privées étroites, lesquelles sont directement contraires aux intérêts des peuples des États-Unis et du monde. Cette vieille notion de l'égalité des chances comme solution est bel et bien morte et n'est guère apte à étouffer les mouvements d'affirmation des peuples qui veulent se gouverner eux-mêmes et décider eux-mêmes de tout ce qui les concerne.

Comme le dit l'Américain averti, il faut être endormi pour croire au rêve américain.

(Photos : VOR, L. Bloom)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 68 - 1er novembre 2020

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