Les grandes pharmaceutiques mondiales prennent d'assaut l'opinion publique

L'accès à des produits pharmaceutiques abordables est un aspect important de l'affirmation du droit à la santé. Les gens n'acceptent pas que leur bien-être soit à la merci de la réalisation de profits par les cartels pharmaceutiques mondiaux. Le Canada a besoin d'une industrie pharmaceutique publique qui suffit à ses besoins et procure aux Canadiens les médicaments dont ils ont besoin à un coût minimal.

La nécessité d'un contrôle public d'une industrie pharmaceutique indépendante au Canada est davantage mise en évidence par la pandémie de COVID-19 et le besoin de tests et de vaccins pour prévenir la transmission, et de médicaments pour atténuer les symptômes et diminuer les effets à long terme et la mortalité.

Dans ces circonstances, le gouvernement libéral de Justin Trudeau semble « parier » sur certaines entreprises pharmaceutiques privées pour la mise au point d'un vaccin efficace. Le 23 octobre, la presse rapportait :

« Ottawa va fournir jusqu'à 173 millions de dollars à l'entreprise Medicago de Québec, pour son candidat-vaccin contre la COVID-19. Le premier ministre Justin Trudeau a indiqué vendredi [23 octobre] que ces fonds serviront à faire progresser le potentiel vaccin de Medicago et à mettre sur pied une installation de production à Québec.

« Le gouvernement fédéral a par ailleurs réservé 76 millions de doses du futur vaccin de Medicago au cas où les tests s'avéreraient concluants.

« M. Trudeau a également indiqué que plus de 41 millions seront investis pour d'autres candidats-vaccins au pays, dont 18,2 millions iront à l'entreprise Precision NanoSystems de Vancouver. »

Pendant ce temps, le Conseil national de recherches Canada dépense 23 millions de dollars pour soutenir d'autres initiatives canadiennes de vaccination, a déclaré Trudeau.

« Le premier ministre a déclaré que le Canada avait signé six accords avec un certain nombre d'entreprises participant à la course mondiale pour produire un vaccin sûr et efficace contre la COVID-19.

« Deux autres fabricants de vaccins américains, Moderna et Pfizer, ont demandé à Santé Canada de revoir leurs produits, qui font actuellement l'objet d'essais cliniques.

« Il est raisonnable de s'attendre à ce que les vaccins commencent à être déployés à un moment donné en 2021, a déclaré Trudeau, mais même dans ce cas, l'offre sera limitée et les populations à haut risque seront priorisées pour l'inoculation. [...]


« Le Canada a déjà des ententes de principe avec plusieurs fabricants pour l'élaboration d'un futur vaccin. Jusqu'à maintenant, trois d'entre eux  ceux d'AstraZeneca, de Moderna et de Pfizer  sont au stade de demande d'autorisation par Santé Canada.

« M. Trudeau assure que le Canada sera prêt lorsqu'un vaccin sera disponible. En attendant, le gouvernement fédéral a commencé à recevoir les premiers tests de dépistage rapides de l'entreprise pharmaceutique Abbott. Des centaines de milliers d'entre eux sont en cours de distribution à l'échelle du pays, a indiqué M. Trudeau, et d'autres livraisons suivront sous peu. »

Le rapport ne dit pas ce qu'il adviendra des fonds utilisés pour « obtenir les droits » s'ils s'avèrent que les vaccins en question ne sont pas viables. S'agit-il d'un nouveau stratagème pour payer les riches qu'on nous présente au nom du grand idéal de protéger les Canadiens contre la pandémie de COVID-19 ?

La nécessité d'une entreprise publique et indépendante
pour garantir le droit à la santé pour tous

C'est dans ce contexte que les grandes sociétés pharmaceutiques mondiales intensifient leur campagne contre une opinion publique qui exige une nouvelle direction prosociale pour ce secteur qui soit fondée sur l'autosuffisance et l'entreprise publique et qui ait pour mission de garantir le droit à la santé pour tous et toutes.

Les grandes sociétés pharmaceutiques ont recours à des agences et des groupes de réflexion néolibéraux grassement payés pour entraîner l'opinion publique dans des querelles sur les prix et la disponibilité des médicaments et l'éloigner d'une nouvelle direction axée sur l'autosuffisance et l'entreprise publique. Leur campagne vise à dénoncer les réglementations gouvernementales et le contrôle des prix comme n'étant pas nécessaires et  leur faisant du tort et à entraîner le peuple dans ce débat et à l'éloigner de toute discussion sur une nouvelle direction.

Les grandes sociétés pharmaceutiques se servent de gens ayant des maladies et des conditions rares pour exiger du gouvernement qu'il finance leurs traitements pharmacologiques à des prix extravagants. La campagne fait partie de leurs efforts pour obtenir un régime national d'assurance-médicaments par lequel les gouvernements puiseraient dans les fonds publics pour acheter encore plus de produits de ces cartels mondiaux de l'industrie pharmaceutique[1].

Le régime public/privé d'assurance-médicaments qui est proposé ressemble au régime de santé actuel dominé presqu'entièrement par des intérêts privés et par lequel les gouvernements distribuent des fonds publics pour la construction et l'administration d'hôpitaux, et pour payer des fournitures et des produits pharmaceutiques produits par le privé ainsi que pour la gestion de cliniques privées et de résidences privées de soins de longue durée.

Dans le contexte actuel, les grandes sociétés pharmaceutiques mondiales veulent nous entraîner dans un débat à savoir si les gouvernements devraient réguler le prix de marché des médicaments ou laisser les fournisseurs décider des prix et s'il y a nécessité d'un système national privé/public d'assurance-médicaments. Des patients atteints de maladies rares sont mobilisés pour dénoncer toute réglementation des prix et pour réclamer que tous les médicaments distribués par les sociétés pharmaceutiques mondiales soient disponibles aux prix fixés par ces compagnies. Les gens sont encouragés à prendre position pour ou contre le contrôle des prix et pour ou contre un régime public/privé d'assurance-médicaments plutôt que de regarder la situation dans la santé, de voir le problème de l'approvisionnement des produits pharmaceutiques tel qu'il se pose et de discuter d'une nouvelle direction qui garantit le droit à la santé de tous et toutes.

Les prix des médicaments sont-ils la question ?

Le prix des médicaments exigé par les grandes sociétés pharmaceutiques comprend le profit privé qui, selon elles, reflète le coût de la production, plus spécifiquement la valeur de la recherche et du développement de nouveaux médicaments. Cette affirmation soulève les questions de qui décide de la direction de la recherche, de ce qui doit être produit, de comment les médicaments doivent être distribués et de ce qui advient de la nouvelle valeur produite par les travailleurs de l'industrie pharmaceutique, ce qui comprend la valeur ajoutée ou le profit. Des questions aussi importantes devraient-elles être confiées à des grandes sociétés pharmaceutiques dont l'objectif est le profit maximum et non de garantir le droit de tous à des soins de santé selon le niveau optimal atteint par les forces productives et la science ?

Les grandes sociétés pharmaceutiques disent que les gouvernements, par la réglementation des prix, fixent souvent les prix de marché à un niveau égal ou inférieur au « coût de production », ce qui empêche les cartels pharmaceutiques de faire le profit maximum. Sans les prix qu'ils déclarent nécessaires, les cartels disent qu'ils ne peuvent poursuivre leur recherche, ce qui limite les nouveaux traitements et même la production de médicaments en quantité suffisante tels que les vaccins pour la grippe et d'autres médicaments pour répondre aux besoins.

Mais le prix des médicaments est-il le problème ? En réalité, ce problème des prix de marché n'existerait pas si le secteur pharmaceutique était organisé de façon autosuffisante en tant qu'entreprise et service publics, avec une autorité publique en qui le peuple pourrait avoir confiance et qu'il pourrait tenir responsable. Le secteur existerait pour servir le peuple et les besoins en santé de toute la population et garantir le droit à la santé pour tous et toutes. La valeur créée dans une industrie indépendante et contrôlée publiquement et appartenant au public, ainsi que le produit social lui-même, auraient comme but d'améliorer la santé du peuple et de garantir le droit de tous à des soins de santé de niveau optimal. La réalisation publique de la valeur des produits pharmaceutiques permettrait à cette valeur de revenir dans le secteur et dans l'économie afin d'améliorer le rendement des soins de santé et rehausser les capacités scientifiques et de travail de tout le monde engagé dans le processus de sorte que le peuple et la société dans son ensemble en tirent avantage. Dans les conditions actuelles, la valeur saisie par les grandes sociétés pharmaceutiques par la vente de médicaments est, la plupart du temps, retirée de l'économie et du pays.

Un tel secteur pharmaceutique public rendrait caducs un régime et un marché d'assurance-médicaments public/privé ainsi que le paiement de sommes faramineuses à même les fonds publics aux intérêts privés qui contrôlent les grandes sociétés pharmaceutiques. La recherche et le développement de médicaments existeraient et seraient développés au sein du système de santé public par ses travailleurs. La connaissance, la compétence et l'expertise grandissantes ainsi que les avances scientifiques pourraient être échangées avec d'autres partout dans le monde dans un esprit d'avantage réciproque et de coopération et non de concurrence à des fins de gain privé. La connaissance et les avances médicales humaines seraient universelles et à l'avantage de tout le monde dans l'esprit que nous ne formons qu'une seule humanité.

Lorsque réalisée, la valeur ajoutée que les travailleurs produisent dans un secteur pharmaceutique public retournerait dans ce secteur pour servir à la recherche, au développement et à la production de produits pharmaceutiques au Canada pour le bien du peuple et du système de santé, et non pour les intérêts privés étroits et concurrents des sociétés pharmaceutiques mondiales. Comment la valeur pharmaceutique est réalisée devient alors une question que le peuple décide en vertu du principe général que les soins de santé sont un droit égal pour tout le monde. La valeur que les travailleurs créent dans le cadre d'un système de santé entièrement public serait réalisée et resterait au Canada et il en résulterait une augmentation de la valeur de la capacité de travail de chacun et une amélioration générale de la santé du peuple et de sa conscience sociale ainsi que de sa capacité physique à combattre et à surmonter les crises telles que la pandémie de la COVID-19.

Qui contrôle ? Quel est l'objectif ?

L'enjeu, comme pour toute l'économie socialisée et tous ses secteurs, est qui contrôle et quel est l'objectif : la classe ouvrière elle-même avec le grand objectif de servir le peuple et la société ou les cartels mondiaux d'investissements qui poursuivent l'objectif étroit de faire le profit maximum afin de servir leurs intérêts privés ?

Les sociétés pharmaceutiques mondiales veulent détruire l'opinion publique en faveur d'une nouvelle direction vers l'autosuffisance et l'entreprise publique dans le secteur pharmaceutique et dans toute l'industrie de la santé. Elles veulent à tout prix préserver leur contrôle privé du secteur pharmaceutique. Elles veulent détourner l'opinion publique dans des débats sans issue sur les prix qu'elles font payer pour les médicaments et la disponibilité de ces médicaments plutôt que d'aller au fond du problème tel qu'il se présente : la nécessité de garantir le droit fondamental aux soins de santé pour tous et comment le faire dans ce monde socialisé moderne.

Les questions de bien commun et de la santé de la population et de la société requièrent des solutions publiques et l'objectif de servir le peuple et la société. De façon générale, l'industrie de la santé a besoin d'une nouvelle direction et d'un nouvel objectif qui soient de garantir le droit à la santé pour tous. La direction et l'objectif désuets des grandes compagnies pharmaceutiques, qui sont de réaliser le profit maximum et le contrôle privé de l'industrie pharmaceutique dans son ensemble, ne sont pas au diapason avec la direction et l'objectif modernes qui sont de servir le peuple et la société.

Le temps est venu d'établir une entreprise publique et autosuffisante pour toute l'industrie de la santé, y compris notamment le secteur pharmaceutique, pour garantir le droit de tous à des soins de santé tout au cours de leur vie.

Note

1. En juin 2019, le gouvernement libéral de Justin Trudeau a publié le rapport final du Conseil consultatif sur la mise en oeuvre d'un régime national d'assurance-médicaments de 204 pages intitulé Une ordonnance pour le Canada : l'assurance-médicaments pour tous.

Dans l'introduction du rapport qui présente le mandat du Conseil consultatif, on note l'absence de toute mention de l'industrie pharmaceutique. Les auteurs du rapport se contentent de dire :

« Les médicaments d'ordonnance constituent une partie essentielle des soins de santé. Toutefois, contrairement aux services prodigués par les médecins et les hôpitaux, les médicaments d'ordonnance ne sont pas couverts par le régime public d'assurance-maladie, sauf lorsqu'ils sont utilisés dans les hôpitaux. Ainsi, une partie essentielle de ce système de soins de santé, à d'autres égards si efficaces, est financée de façon incohérente et n'est pas également accessible à tous, ce qui fait qu'un trop grand nombre de patients risquent de ne pas obtenir les médicaments dont ils ont besoin. La situation n'a fait qu'empirer avec l'émergence d'un nombre croissant de médicaments spécialisés à coût élevé utilisés pour traiter des maladies chroniques complexes comme la polyarthrite rhumatoïde grave, la sclérose en plaques et le cancer. Ces nouveaux traitements, ainsi qu'un nombre croissant de médicaments ultraspécialisés et extrêmement coûteux pour des maladies rares, menacent de surcharger les programmes d'assurance publics et privés.

« Dans son budget de 2018, le gouvernement fédéral a annoncé la création du Conseil consultatif sur la mise en oeuvre d'un régime national d'assurance-médicaments (le Conseil). Le mandat du Conseil figure à l'annexe 2. Sa tâche consistait à conseiller le gouvernement sur la mise en place d'un programme national d'assurance pour les médicaments d'ordonnance – connu sous le nom de régime d'assurance-médicaments – qui serait abordable pour les Canadiens, leurs employeurs et les gouvernements. Le gouvernement a demandé au Conseil d'entamer un dialogue avec les Canadiens et a publié un document de réflexion exposant un éventail d'options possibles sur la façon de faire progresser un régime national d'assurance-médicaments et soulignant les questions clés que le Conseil devrait aborder dans ses travaux. »

Il est question de l'« industrie pharmaceutique » ici et là, mais seulement dans la mesure où le Conseil  recommande une meilleure réglementation de l'industrie et une limite sur le financement du système de santé par l'industrie pour éviter l'influence indue.

L'industrie pharmaceutique, son mode de fonctionnement, qui la contrôle et les intérêts qu'elle sert sont des questions totalement exclues de la discussion, des éléments à ne pas remettre en cause. Ce type d'arrangements ne peut que faciliter les stratagèmes pour payer les riches dans lesquels des fonds publics sont utilisés pour payer des intérêts privés au nom d'un « programme national d'assurance-médicaments ».

(Photos : LML)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 67 - 31 octobre 2020

Lien de l'article:
Les grandes pharmaceutiques mondiales prennent d'assaut l'opinion publique - K.C. Adams


    

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