Une restructuration ordonnée par des intérêts privés étrois

Les gouvernements provinciaux se servent de la pandémie pour masquer des interventions antisociales

Les décisions prises par les gouvernements fédéral et provinciaux prétendument en réponse à la pandémie de la COVID-19 ont un tout autre objectif que de protéger le bien-être du peuple et de la société. Les « mesures d'urgence » et les projets de loi adoptés depuis le mois de mars n'ont rien à voir avec bâtir une économie canadienne indépendante et suffisante pour répondre aux besoins des Canadiens. Depuis le mois de mars, en vertu de lois provinciales respectives, les gouvernements ont déclaré des états d'urgence par décrets, arrêtés ministériels et ordonnances des autorités de la santé publique, afin de prendre des mesures pour combattre la pandémie.

Dans plusieurs provinces, plus particulièrement au Québec, en Ontario et en Alberta, et par toutes sortes de moyens dans d'autres provinces, la pandémie sert d'excuse aux gouvernements pour adopter des lois et des méthodes de fonctionnement qui restructurent considérablement l'État, menant à l'élimination de toute autorité publique. C'est l'offensive antisociale des 30 dernières années qui se poursuit et qui s'intensifie dans le but d'ouvrir un espace pour les oligarques mondiaux les plus puissants afin qu'ils puissent gouverner directement les affaires de la société dans leurs propres intérêts étroits. Par exemple, au cours des dernières décennies et partout au pays, les gouvernements ont cédé de vastes portions du secteur de la santé, notamment les services alimentaires, l'entretien, les systèmes d'informatique et les services de laboratoire des hôpitaux et plus encore à certaines des plus grandes entreprises multinationales étrangères.

Il y a eu une vaste prise en main des résidences de soins de longue durée et de personnes autonomes et semi-autonomes par des propriétaires et gestionnaires d'entreprises privées, souvent étrangères. À cette fin, les travailleurs de la santé et leurs organisations ont subi des attaques sans précédent, leurs salaires et leurs conditions de travail étant perçus comme un coût et donc des obstacles à l'ordre du jour des intérêts privés étroits et des gouvernements qui les servent. Sous couvert de la pandémie, les gouvernements restructurent l'État, éliminant tout vestige d'une autorité publique pour faire place à un contrôle direct par les oligarques les plus puissants.

En Alberta

Les mesures du gouvernement Kenney en Alberta illustrent bien ce qui précède. Depuis l'ouverture de la deuxième session de l'Assemblée législative de l'Alberta le 25 février, 34 lois ont été adoptées, dont quatre sont liées directement à la pandémie. La plupart de ces lois visent à appliquer le programme du gouvernement du Parti conservateur uni de déréglementation de l'industrie et de privatisation de l'éducation et de la santé afin de répondre aux demandes des oligarques de l'énergie.

Les lois sont d'une telle envergure et sont adoptées avec une telle rapidité, un projet de loi antisocial et antiouvrier n'attendant pas l'autre, qu'il est difficile pour l'opposition populaire de ne pas s'y perdre, tandis que le gouvernement Kenney profite de sa majorité pour adopter les lois à toute vapeur à l'Assemblée législative.

Le premier acte législatif de cette session a été la Loi 1, Loi sur la défense des infrastructures critiques. La définition d'infrastructure publique dans la loi est tellement vaste qu'elle permet aux autorités de criminaliser les luttes grévistes des travailleurs, les actions des jeunes contre les changements climatiques et toute forme d'opposition. Le projet de loi avait été déposé à l'Assemblée législative le 25 février par le premier ministre Kenney lui-même qui a dit très clairement que la loi était une réponse directe aux actions menées à l'échelle du pays en appui à la lutte des défenseurs de la terre Wet'suwet'en contre l'oléoduc du monopole énergétique Coastal GasLink qui passera sur leur territoire ancestral sans leur autorisation.

Depuis, le gouvernement a menacé la Commission scolaire de Calgary de démantèlement en raison de sa prise de position contre les compressions en éducation, et a adopté des lois, dont la Loi 32, Loi de 2020 sur la restauration de l'équilibre dans les endroits de travail en Alberta, qui apporte des amendements au Code des normes d'emploi et au Code des relations de travail qui bafouent les droits des travailleurs. Peu après l'adoption de la Loi 32, le gouvernement a lancé un assaut majeur contre la classe ouvrière en révisant deux importantes lois de la législation ouvrière, la Loi sur la santé et la sécurité du travail (OHS Act) et la Loi sur l'indemnisation des travailleurs, afin de préparer le terrain pour apporter des changements en faveur des employeurs et à l'encontre des droits des travailleurs.

En juillet, la Loi sur l'amendement des statuts de la santé (Loi 30) a été adoptée, une loi omnibus qui modifie neuf lois et qui vise à couper des services et à ouvrir la porte à la privatisation, y compris en faisant de la sous-traitance dans les hôpitaux, en pavant la voie aux cliniques chirurgicales privées et en changeant la façon dont les médecins sont rémunérés.

Le 13 octobre, le ministre de la Santé a annoncé que le gouvernement allait de l'avant avec la mise à pied de 11 000 travailleurs de la santé et la privatisation d'un secteur après l'autre dans le système de santé, y compris la privatisation des services alimentaires et de buanderie ainsi que des services environnementaux, et qu'il continuera de couper des postes d'infirmières par attrition jusqu'à ce qu'il déclare lui-même la pandémie terminée, puis il procèdera à l'élimination de l'équivalent de 500 postes d'infirmières à temps plein, ce qui se traduira, selon les Infirmières et infirmiers unis de l'Alberta, par la mise à pied de 750 infirmières.

Cet assaut contre les travailleurs et le tort incroyable qu'il fera à la capacité du secteur de la santé de combattre la pandémie n'émeuvent aucunement le gouvernement Kenney qui est dirigé par les Ernst & Young de ce monde qui visent à apporter des changements qui favorisent les oligarques et cherchent à éliminer les obstacles, tels que les droits et les organisations des travailleurs qui se dressent sur leur chemin.

En Ontario


Des rassemblements et des lignes de piquetage devant les bureaux de membres du Parlement
ontarien sont organisés par les travailleurs de la santé en août et en septembre 2020 pour demander le retrait de la Loi 195.

Le 17 mars, le gouvernement de l'Ontario a déclaré l'état d'urgence à l'échelle de la province en réponse à la pandémie de la COVID-19. En vertu des pouvoirs d'urgence dont le gouvernement s'est muni, des décrets ont été pris touchant à tous les aspects du fonctionnement de l'économie, les rassemblements sociaux, la fermeture des écoles, la fermeture des hôpitaux et des résidences de soins de longue durée aux visiteurs, et beaucoup d'autres.

Plusieurs des décrets émis en vertu des pouvoirs d'urgence stipulent explicitement qu'en dépit des conventions collectives existantes, les employeurs peuvent unilatéralement décider du nombre des effectifs en personnel, redéployer le personnel comme bon leur semble, changer les horaires de travail ou la répartition des quarts de travail, annuler les vacances, embaucher des travailleurs à temps partiel, temporaires ou en sous-traitance, et avoir recours à des bénévoles pour faire le travail de syndiqués. Les procédures de grief ont été suspendues en ce qui concerne toute question contenue dans le décret. Malgré leur connaissance directe de leurs endroits de travail, les travailleurs de la santé ont été entièrement exclus de toute prise de décision sur le déploiement du personnel, sur les mesures à prendre pour protéger les travailleurs et les patients et, surtout en soins de longue durée, sur comment mobiliser d'autres forces dont les familles, les bénévoles, et les travailleurs de la santé provenant de secteurs autres que celui des résidences.

Le 7 juillet, la Loi de 2020 sur la réouverture de l'Ontario (mesures adaptables en réponse à la COVID-19), la Loi 195, a été adoptée à l'Assemblée législative ontarienne. La Loi étend les pouvoirs d'urgence du gouvernement tout en éliminant les mécanismes de surveillance de base au nom de la « flexibilité ». La Loi 195 met fin officiellement à l'état d'urgence (en date du 24 juillet), mais permet aux décrets d'urgence adoptés en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des mesures d'urgence (EMCPA) d'être prolongés par ordre de la lieutenante-gouverneure en conseil (c'est-à-dire, le Cabinet provincial). Alors qu'en vertu de l'EMCPA les décrets d'urgence devaient être réapprouvés tous les 14 jours, la Loi 195 prescrit qu'ils peuvent être renouvelés par le Cabinet pour des périodes de 30 jours et même jusqu'à un an, et les pouvoirs conférés par la Loi peuvent être prolongés pour encore une autre année. Les décrets peuvent aussi être amendés pour qu'ils puissent être appliqués à d'autres personnes ou groupes.

Entretemps, ce qui aurait dû être fait pour veiller à ce que le système de santé puisse combattre adéquatement la deuxième vague, déjà en cours, n'a pas été fait.

Au Québec


Les travailleurs de la santé du Québec bloquent des ponts à Montréal et dans la ville
de Québec, le 19 octobre 2020, pour demander la satisfaction de leurs revendications aux conditions dont ils ont besoin pour assumer leur responsabilité envers la société.

L'état d'urgence dans la santé publique a été déclaré le 13 mars. Parmi les premières mesures adoptées, il y a eu les arrêtés ministériels du 15 et du 21 mars, en vertu desquels le gouvernement s'est donné le pouvoir d'annuler les conventions collectives des travailleurs de la santé et des services sociaux et d'imposer des conditions de travail à l'encontre des ententes négociées. Ces mesures ont été justifiées par des pouvoirs appartenant au ministre de la Santé en vertu de la Loi sur la santé publique. Cette loi ne comprend aucune référence à des annulations de conventions collectives ou à des changements de conditions de travail et le gouvernement du Québec n'a jamais offert d'explications sur comment ces mesures draconiennes protègent la santé du public.

Les arrêtés ministériels permettent au gouvernement d'annuler les congés des travailleurs, y compris leurs vacances, de changer les affectations et les horaires, d'imposer des journées de travail prolongées jusqu'à 12 heures et de « suspendre ou d'annuler les congés déjà autorisés, ainsi que de refuser l'octroi de nouveaux congés ». Ces arrêtés ministériels ont été renouvelés continuellement et sont toujours en vigueur.

Alors que le gouvernement a tout fait pour permettre aux employeurs d'agir unilatéralement et d'augmenter les risques pour les travailleurs, les patients et les résidents de centres de soins de longue durée, il a refusé d'écouter les travailleurs de première ligne qui sont les mieux placés pour décider comment organiser le travail et ce qui est requis pour assurer la sécurité de tout le monde. Il a aussi fermé la porte aux autres qui cherchent à faire partie de la solution, y compris les infirmières étudiantes qui se sont portées volontaires pour venir prêter mainforte et qui ont été ignorées.

Ensuite, le 3 juin, le gouvernement Legault a déposé le projet de loi 61, Loi visant la relance de l'économie du Québec et l'atténuation des conséquences de l'état d'urgence sanitaire déclaré le 13 mars 2020 en raison de la pandémie de la COVID-19. Le projet de loi constituait une restructuration majeure de l'État en ce qui concerne la prise de décision. On y citait l'urgence de la santé publique et la nécessité d'atténuer ses conséquences sur l'économie comme justification pour accorder à l'exécutif gouvernemental tout le pouvoir d'annuler et de passer outre les lois et les réglementations existantes sous prétexte d'accélérer la relance de l'économie. Le projet de loi 61 aurait autorisé l'exécutif gouvernemental à passer outre aux articles de la Loi sur la santé publique, la Loi sur la qualité de l'environnement, la Loi sur les expropriations, et la Loi sur les contrats des organismes publics. En plus, il accordait l'immunité face aux poursuites aux ministres du gouvernement et à d'autres agissant en vertu de la loi.

Une des principales caractéristiques du projet de loi 61 est que tout changement apporté aux lois existantes serait permanent. L'exécutif gouvernemental aurait le pouvoir d'apporter des changements législatifs sans discussion au sein de l'Assemblée nationale ou avec les personnes directement touchées par les nouvelles clauses, accordant le plein pouvoir à l'exécutif de faire toutes sortes d'arrangements avec des intérêts privés sans l'examen du public.

Le projet de loi 61 aurait aussi prolongé l'état d'urgence de la santé publique et les pouvoirs accordés à l'exécutif gouvernemental pour encore deux ans.

En raison de l'opposition massive du peuple, le gouvernement du Québec n'a pas pu adopter le projet de loi avant l'ajournement de l'Assemblée nationale le 12 juin, et le 23 septembre, le gouvernement Legault a déposé le projet de loi 66, Loi concernant l'accélération de certains projets d'infrastructure, en remplacement du projet de loi 61. Le nouveau projet de loi accorderait au gouvernement l'autorité de passer outre les lois sur la protection environnementale et sur les expropriations, mais non de passer outre la Loi sur les contrats des organismes publics ou d'accorder l'immunité aux ministres du gouvernement ou de prolonger l'état d'urgence de la santé publique.

Ce qu'ont en commun ces mesures des gouvernements de l'Alberta, de l'Ontario et du Québec, ainsi que d'autres, se résume à trois choses :

1) les mesures prises visent une plus grande restructuration de l'État pour servir les intérêts privés;

2) les droits des travailleurs de la santé sont bafoués, y compris leur droit d'agir collectivement à la défense de leurs droits;

3) le corps politique dans son ensemble, en particulier les travailleurs de la santé, les patients et les aînés qui reçoivent les soins, leurs familles et d'autres personnes en lien étroit avec les patients et les aînés, sont maintenus à l'écart.

4) ces mesures antisociales et ces stratagèmes pour payer les riches pour ne pas avoir le consentement du peuple et faire face à un examen de plus en plus minutieux et à des actes de résistance et d'opposition de la part de la classe ouvrière et du peuple.

Par leurs mesures coercitives, les gouvernements de l'Alberta, de l'Ontario et du Québec tentent de nier l'expérience du peuple et les leçons tirées dans la lutte contre la pandémie. Ces gouvernements ont recours à des pouvoirs exécutifs pour continuer d'imposer une direction de l'économie qui fait en sorte que toute l'organisation de la société repose la multiplication des stratagèmes pour payer les riches et la concentration du pouvoir et de la richesse entre les mains d'une poignée de personnes. Les travailleurs mettent de l'avant leurs revendications basées sur la reconnaissance collective que cette direction et la façon dont la société est organisée n'ont pas réussi à satisfaire les besoins de base du peuple.

(Photos : LML, HSAA, Radical Citizen's Media, Let Nurses Speak, OCHU, J-M Desrosiers)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 67 - 31 octobre 2020

Lien de l'article:
Une restructuration ordonnée par des intérêts privés étrois: Les gouvernements provinciaux se servent de la pandémie pour masquer des interventions antisociales - Barbara Biley


    

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