Les minéraux critiques et
stratégiques du Canada: qui décide?
Intégration des régions du Nord du Québec à l'économie de guerre des États-Unis
- Fernand Deschamps -
Le Marxiste-Léniniste expliquait en
février dernier comment le Canada et le Québec
sont intégrés encore plus à l'économie et à la
machine de guerre des impérialistes américains par
le biais du Plan d'action conjoint pour la
collaboration dans le domaine des minéraux
critiques[1].
Un document récent du gouvernement du Québec
révèle que la prochaine étape est la construction
de l'infrastructure pour garantir la chaîne
d'approvisionnement qui permettra d'expédier ces
minéraux critiques vers les États-Unis.
Des représentants de la Première Nation crie
Eeyou Istchee et du gouvernement du Québec se sont
rencontrés le 17 février à Montréal pour
signer un Protocole d'entente. Le bureau du
premier ministre du Québec décrit le Protocole
d'entente comme « la Grande Alliance [...] visant
la collaboration [et] le développement économique
à long terme, équilibré et respectueux des valeurs
autochtones de la région d'Eeyou Istchee
Baie-James ».
Abel
Bosum, grand chef du Grand conseil des Cris (Eeyou
Istchee) et président du gouvernement de la nation
crie, a signé le protocole d'entente au nom des
Eeyou Istchee et le premier ministre François
Legault au nom du gouvernement du Québec.
Le site Web de la Grande Alliance mentionne que «
la Grande Alliance est une entente de
collaboration et de consolidation des liens
socio-économiques entre la nation crie et le
gouvernement québécois pour connecter, développer
et protéger le territoire. »
Il « s'agit d'une entente [sur] Eeyou Istchee, le
territoire cri, [qui] représente près
de 30 % du Québec (450 000
kilomètres carrés) [...], pour prolonger le réseau
de transport (rail, route, port et aéroport),
améliorer le niveau de vie (logement, électricité
et Internet) et garantir la protection à long
terme du territoire (aires protégées)[2]. »
Le projet est présenté comme « un programme
d'infrastructures de 30 ans » estimé
à 4,7 milliards de dollars à réaliser en
trois phases. La première phase débutera
en 2021 au sud, à Matagami, en Abitibi, et se
poursuivra au nord jusqu'à Whapmagoostui, et à
l'est jusqu'à Schefferville, où il reliera le
territoire cri au reste du Québec. Le projet «
vise à développer des infrastructures pour
faciliter le transport des personnes et des biens,
à augmenter la valeur des ressources naturelles en
diminuant les coûts de déplacement et à assurer la
protection du territoire des Premières Nations en
créant un corridor protégé pour la flore et la
faune[3] ».
Comme ce fut rapporté précédemment dans Le
Marxiste-Léniniste, la protection de
l'environnement naturel est un sujet de
préoccupation pour les Cris qui s'opposent à de
nouveaux empiétements sur leurs terres
ancestrales, car beaucoup d'entre eux en dépendent
encore pour le piégeage et comme moyen de
subsistance[4].
Une infrastructure pour l'extraction des
minéraux stratégiques
Après la cérémonie de signature du Protocole
d'entente, le premier ministre Legault a fait
remarquer que « le Nord-du-Québec est rempli de
potentiel et présente des possibilités dans
certains minéraux stratégiques qui sont très
attrayants pour les Américains, pour les Allemands
qui, actuellement, sont très dépendants de la
Chine. À chaque fois qu'il y a un projet minier,
il faut qu'il y ait une acceptabilité de la part
des communautés autochtones. Ce protocole
d'entente est la preuve qu'il est possible de
travailler ensemble sur des projets de
développement socioéconomique ambitieux, de tirer
profit de l'immense potentiel minier du Nord
québécois, au bénéfice de nos deux nations, tout
en respectant l'environnement, le territoire et
les valeurs autochtones. »
Les Cris et le gouvernement Legault ont convenu
de partager les coûts d'une étude de faisabilité
de la phase 1 de la Grande Alliance, évaluée
à 1,5 milliard de dollars. Cela comprend la
construction d'un chemin de fer de Matagami à
Waskaganish, qui est l'infrastructure nécessaire
pour desservir quatre projets d'extraction de
lithium actuellement au stade de l'évaluation
environnementale.
Selon la Banque mondiale et l'Australian
Institute for Sustainable Futures, la demande
mondiale de minéraux tels que le lithium, le
graphite, le cobalt et le nickel devrait exploser
d'ici 2050, avec des augmentations attendues
allant de 300 à 8 000 %, selon
les différents scénarios analysés. Déjà l'effet de
ce boom minéral est palpable au Québec avec une
augmentation de 50 % des investissements
miniers pour le graphite et une augmentation de
789 % pour le lithium entre 2013
et 2018.
Carte montrant la localisation des gîtes ou
mines en activité de minéraux critiques et
stratégiques - cliquer pour agrandir (Ministère de l'Énergie et des
Ressources naturelles du Québec)
Dans une déclaration en février 2020, le
ministère d'Énergie et Ressources du Québec
reconnaît que « les minéraux critiques revêtent
aujourd'hui une importance économique
significative pour des secteurs clés de
l'économie; présentent un risque
d'approvisionnement élevé et n'ont pas de
substituts disponibles commercialement. Les
minéraux stratégiques revêtent une importance
stratégique pour les États et sont des substances
nécessaires à la mise en oeuvre des politiques
économiques du Québec, notamment la Politique
énergétique 2030 et le futur plan
d'électrification et de changement
climatique 2020-2030. [...]
« Le Québec contribue à fournir des minéraux
critiques et stratégiques puisqu'il est un
producteur de nickel, de niobium et de graphite et
que des projets miniers sont en cours pour le
lithium, le vanadium, les éléments de terres rares
et le tantale[5]. »
Le réseau ferroviaire – partie intégrante de la
chaîne d'approvisionnement des minéraux
stratégiques pour l'économie de guerre des
États-Unis
Projet en 3 phases de prolongement des routes
et voies ferrées dans le Nord québécois selon le
Protocole d'entente - cliquer pour agrandir (La Grande Alliance)
La phase 1 du Protocole d'entente comprend
la construction d'une voie ferrée de Matagami à un
port en eau profonde à Whapmagoostui, à 700
km au nord dans la baie d'Hudson. Le Canadien
National (CN) dessert actuellement la région de
l'Abitibi. Il possède une interconnexion
ferroviaire entre Matagami, la porte d'entrée de
la baie James et le territoire de la nation crie,
et le chemin de fer transcontinental qui relie le
Canada d'un océan à l'autre.
Le ministre fédéral des Transports Marc Garneau a
déposé le 16 mai 2017 à la Chambre des
communes le projet de loi C-49, Loi sur la
modernisation des transports. Il contient
des mesures visant à modifier la Loi sur les
transports au Canada en ce qui concerne le
transport aérien et ferroviaire. Il a reçu la
sanction royale le 23 mai 2018.
Le Marxiste-Léniniste a souligné
en 2017 :
« Le gouvernement libéral de Justin Trudeau dit
vouloir 'faire croître l'économie canadienne' en
la modernisant au moyen d'une plus grande
déréglementation et privatisation. Cette
direction, qui n'a rien de neuf, était la
politique du gouvernement Harper. Dans le secteur
du transport, le projet de loi C-49 consolide la
direction donnée par le gouvernement Harper qui
est au service des sociétés monopolistes
étrangères. Ce sont elles qui tirent profit du
réseau de corridors de transport du Canada qui
facilitent le commerce international qu'elles
dominent. La direction offerte par Trudeau ne fait
rien pour s'attaquer au déclin sérieux que connaît
le secteur manufacturier avec ses fermetures
d'usines constantes et les pertes de milliers
d'emplois[6]. »
La Loi C-49 a créé un nouveau mécanisme appelé
Interconnexion de longue distance (ILD) qui
remplacera le système actuel d'interconnexion
temporaire élargie qui est réglementé. Selon la
logique du ministre Garneau, l'ILD est nécessaire
afin de fournir une « alternative
concurrentielle » à des expéditeurs captifs
qui ont accès à une seule entreprise ferroviaire.
Cette mesure visait clairement à déréglementer le
transport ferroviaire au bénéfice des monopoles
qui opèrent surtout aux États-Unis en augmentant
leur accès au réseau de chemins de fer canadien.
Un article de Forum ouvrier explique que
« l'interconnexion concerne les expéditeurs de
produits comme le bois, le minerai de fer, le
grain ou les biens de consommation dans les
régions éloignées au Canada qui n'ont souvent
accès qu'à un seul transporteur ferroviaire et
n'ont que peu d'options de transport.
« Dans le cadre de l'interconnexion, une
entreprise ferroviaire ramasse les wagons d'un
client et les remet à un autre transporteur qui
effectue alors le transport de ligne. Le transport
de ligne représente la plus grande partie du
trajet que parcourent les marchandises dans cette
expédition par voie ferroviaire. »
En vertu de la loi précédant la Loi C-49, étaient
admissibles à l'interconnexion les expéditeurs qui
sont situés à une distance maximum de 160 km
d'un point d'échange reconnu. La loi C-49 étend
cette distance jusqu'à 1200 km. « C'est une
mesure de déréglementation qui favorise les
monopoles ferroviaires qui opèrent surtout aux
États-Unis en augmentant leur accès au réseau de
chemins de fer canadien », souligne l'article[7].
Un changement apporté par la modification de la Loi
sur les transports au Canada affecte la
propriété étrangère des compagnies aériennes et
ferroviaires. Le pourcentage autorisé de propriété
étrangère des compagnies aériennes canadiennes
augmente de 25 à 49 % alors qu'un
investisseur unique pourra détenir
jusqu'à 25 % des intérêts votants d'un
transporteur canadien tel qu'Air Canada et
Westjet.
En ce qui concerne les opérations du CN, les
amendements apportés à la Loi sur la
commercialisation du CN de 2018 font
passer le taux maximum de parts votantes qu'une
personne peut maintenir de 15
à 25 %. Déjà en 2017, l'oligarque
de Microsoft Bill Gates était le plus gros
actionnaire du CN, possédant 13 % des
actions par le biais de son fonds
d'investissement. Il en contrôle
également 2,3 % par le biais de la
Fondation Bill et Melinda Gates.
Encore des stratagèmes pour payer les riches
afin de
mieux intégrer le Québec à la chaîne
d'approvisionnement et à l'économie de guerre des
États-Unis
Le soir précédent la signature du Protocole
d'entente avec la Première Nation crie Eeyou
Istchee, le ministre de l'Économie et de
l'Innovation du Québec, Pierre Fitzgibbon, a été
interviewé à l'émission hebdomadaire de
Radio-Canada Tout le monde en parle. Il a
dit de façon enthousiaste que le gouvernement du
Québec, par le biais d'Investissement Québec,
investira 30 millions de dollars dans une
société basée en France appelée « Flying
Whales » qui planifie de construire des
dirigeables capables de transporter des charges
qui sont l'équivalent de deux camions
semi-remorques.
Il a dit : «
C'est un dirigeable qui prend des charges
de 60 tonnes. On pourrait transporter des
maisons dans le Grand Nord, on pourrait extraire
les minéraux, les terres rares. C'est un groupe
français qui inclut l'aéroport de Paris, Boeing,
des grandes sociétés françaises. On
investit 20 millions d'euros. Nous avons les
droits des Amériques. Et les Français vont
investir l'équivalent de ce qu'on investit en
recherche et développement ici au Québec. Nous
avons ici une grappe industrielle très performante
en aérospatiale, en intelligence artificielle [et] nos
ingénieurs. Nous anticipons que le projet sera
opérationnel en 2022-2023. On peut penser à
des endroits dans le Grand Nord, sur le territoire
de la Baie-James où il n'y a pas de routes et que
de tels dirigeables pouvant transporter 60
tonnes sont utiles plutôt que de mettre des
milliards dans la construction de routes et de
chemins de fer. Ces dirigeables vont être
complémentaires à notre stratégie de développer le
nord du Québec. Ce système va complémenter le
système traditionnel de transport. »
De tels dirigeables ont été utilisés à la fin du
XIXe siècle et au début du XXe siècle jusqu'à ce
que la catastrophe de l'Hindenburg mine la
confiance du public et mette un terme définitif à
leur « âge d'or ». Le gouvernement du Canada,
qui possède de si vastes territoires nordiques,
n'a jamais jugé bon de les utiliser pour la
livraison de marchandises dans le Nord jusqu'à ce
que les intérêts miniers y voient un avantage.
L'ensemble de ces reportages montre que
l'économie du Canada et du Québec est en train
d'être préparée pour participer à la concurrence
intermonopoliste et interimpérialiste de plus en
plus féroce pour le contrôle des sources de
matières premières, des marchés et des sphères
d'intérêt. Les infrastructures de transport du
Canada, comme ses ressources humaines et
naturelles, sont de plus en plus au service des
impérialistes américains, de leur quête de
domination, de leur économie de guerre et de la
demande insatiable pour autant de profit privé que
possible partout où ils peuvent mener leurs
activités. Mais elles intègrent aussi les
Européens dans le marché nord-américain, un aspect
dont le Québec tire profit au maximum lorsqu'il
s'agit de relations avec la France et l'Union
européenne. Cette voie désastreuse sous le
contrôle des oligarques est en opposition à celle
de la construction d'une économie diversifiée qui
suffit à ses besoins et est sous le contrôle du
peuple et au service de ses besoins et de son
bien-être et au service de la nécessité
d'humaniser l'environnement social et naturel.
Les Cris et tous les peuples autochtones ont
droit, en tant que droit inaliénable, à une vie
qu'ils ont choisie pour eux-mêmes au niveau de vie
le plus élevé que le permet l'époque moderne. Le
transport de marchandises vers les collectivités
nordiques par dirigeable dont la charge utile est
plusieurs fois supérieure à celle d'un avion
devrait réduire de plusieurs fois le coût de la
nourriture et de toutes les autres choses
importées du sud, mais cela se fera-t-il ?
La direction que prennent les gouvernements
Legault et Trudeau ne doit pas passer. Le peuple
ne peut pas accepter et n'acceptera pas une telle
direction pour l'économie qui n'est pas sous son
contrôle et qui conduit inévitablement à des
crises et à la guerre.
Notes
1. « Non
à l'intégration du Canada à l'économie de
guerre impérialiste américaine ! »,
Fernand Deschamps, LML, 1er
février 2020
2. La
Grande Alliance
3. Ibid
4. « Le
gouvernement du Québec annonce une ‘grande
alliance' avec les Cris tout en demandant
l'intervention policière contre les barrages »,
LML, 22 février 2020
5. « Réflexion
sur la mise en valeur des minéraux critiques
et stratégiques », Énergie et
Ressources Québec, novembre 2019
6. « La
privatisation et la déréglementation au
service de l'oligarchie financière et de
l'édification d'empire ne sont pas une
modernisation », Louis Lang, LML, 3
juin 2017
7. « Audiences
parlementaires sur les changements aux lois du
transport- L'objectif véritable du Projet de
loi C-49 », Pierre Chénier, Forum
ouvrier, 28 septembre 2017
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 65 - 24 octobre 2020
Lien de l'article:
Les minéraux critiques et
stratégiques du Canada: qui décide?: Intégration des régions du Nord du Québec à l'économie de guerre des États-Unis - Fernand Deschamps
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