PROFUNC: Le plan secret du Canada pour des détentions pour des périodes indéterminées

Les émissions The Fifth Estate de CBC et Enquête de Radio-Canada ont révélé en 2010 l'existence d'un plan pour détenir indéfiniment lors de situations « d'urgence nationale » des milliers de Canadiens soupçonnés d'être des communistes ou des sympathisants communistes.

Le PROFUNC (« PROminent FUNCtionaries of the Communist Party » — principaux membres du Parti communiste) est un plan ultrasecret développé en 1950 par le commissaire de la GRC, Stuart Taylor Wood. Il contenait une liste de 16 000 personnes soupçonnées d'être des communistes et de 50 000 sympathisants qui devaient être espionnés et possiblement internés pour une période indéfinie.

Même le solliciteur général responsable de la GRC ignorait le plan. Robert Kaplan, qui a été solliciteur général de 1980 à 1984, a été interviewé dans les deux émissions. C'est lui qui aurait mis fin au programme par inadvertance en 1983 quand il a ordonné à la GRC d'arrêter toute activité limitant l'entrée de Canadiens âgés aux États-Unis. Kaplan a dit que c'est l'émission Fifth Estate qui l'a mis au courant de l'existence du programme. Il a confié à la CBC qu'il n'en revenait pas d'apprendre que le gouvernement canadien a été impliqué dans le programme. « Je ne peux pas croire, a-t-il dit, que le programme a reçu une autorisation gouvernementale. »

L'information amassée par le PROFUNC a été utilisée lorsque la Loi sur les mesures de guerre a été décrétée en 1970. Trudeau a alors déclaré un état « d'insurrection appréhendée » bien que, selon le lieutenant à la retraite Julien Giguère, le chef de l'escouade antiterroriste de la police de Montréal à l'époque, la police n'avait que 60 noms sur la liste des personnes soupçonnées d'être des sympathisants du FLQ. Cette liste est apparue insuffisante pour justifier un état « d'insurrection appréhendée ». Selon le lieutenant retraité, la Sûreté du Québec et la GRC ont alors fourni plus de noms, ce qui a mené à près de 4 000 perquisitions et 500 arrestations.


Les dommages causés à la librairie Livres et Périodiques progressistes du PCC(M-L) à Toronto lors d'une descente le 1er décembre 1970 de la police de Toronto et de la Police provinciale de l'Ontario, sous la direction de la GRC. En plus de saccager la librairie, la police a tenté de mettre le feu à l'immeuble en sabotant le chauffe-eau.

La proclamation de la Loi sur les mesures de guerre en 1970 et les choses révélées par Radio-Canada au sujet de PROFUNC qu'on présente comme « le programme de sécurité nationale le plus draconien de l'histoire du Canada en temps de paix » sont présentées comme des anomalies, des écarts par rapport à la démocratie canadienne, mais ce n'est malheureusement pas le cas.

Les listes comprenaient des personnalités canadiennes bien connues et des gens ordinaires, hommes, femmes et enfants, dont l'identité était gardée secrète dans des enveloppes scellées gardées dans des bureaux de la GRC. Un formulaire d'arrestation appelé C-215 était créé pour chaque détenu potentiel. Selon la CBC, les filières mentionnaient des détails personnels comme l'âge, une description physique, des photos, de l'information sur la voiture de la personne et sur son logis, et même les issues pouvant être utilisées en cas de tentative de fuite. La liste des personnes visées comprenait même le nom des enfants des hommes et des femmes à arrêter. L'information aurait été maintenue à jour de 1950 jusqu'en 1983, lorsque le programme a été démantelé.

Le PROFUNC prescrivait à la GRC d'entreprendre des descentes massives lors du Jour M ou Journée de mobilisation. On préparait secrètement des chefs de police en vue de cette journée. Le plan comprenait des équipes spéciales qui devaient être déployées dans les quartiers résidentiels, y prendre leurs positions et arrêter leurs « cibles » qui seraient alors transportées vers des « centres d'accueil » et de là vers des prisons permanentes ou centres d'internement[1]. Les enfants devaient demeurer avec des membres de la famille ou avec leurs parents en internement.

La CBC rapporte que les détenus devaient être punis sévèrement s'ils enfreignaient les règles du camp, comme celle-ci par exemple : « Aucun détenu n'a le droit de parler à quiconque n'est pas un officier de garde ou un membre du personnel à moins que les règles ne le permettent ou qu'un officier lui ait donné une permission spéciale. »

Note

1. Bien que le plan ait évolué au fil des ans, un document de 1951 énumère les centres d'accueil et les camps d'internement suivants à mettre en place dans tout le pays.

Centres d'accueil

Halifax : quartier général du centre canadien de détention des immigrants
Montréal : auberge du ministère du Travail
Toronto : Casa Loma
Winnipeg : une école
Port Arthur, Ontario : le Country Club de Port Arthur
Regina : les tribunes du parc d'exposition
Edmonton : les installations de l'immigration canadienne
Calgary : l'édifice Northern Electric
Vancouver : l'édifice de l'immigration canadienne

Camps d'internement

Kelowna, Colombie-Britannique : logements pour 400 femmes internées de la Colombie-Britannique et des Prairies
Chilliwack, Colombie-Britannique : campement pour 400 hommes de la Colombie-Britannique
Lethbridge, Alberta : des installations pouvant recevoir 400 hommes internés originaires des trois provinces des Prairies
Neys, Ontario : un camp pour 400 hommes de l'Ontario
North Bay, Ontario : des installations pour 400 hommes de l'Ontario
Péninsule du Niagara (région de Saint-Thomas ou de London), Ontario : des installations pour 400 femmes de l'Ontario, du Québec et des Maritimes
Parry Sound, Ontario : un camp mixte, capacité non connue
Saint-Gabriel-de-Brandon, Québec : 400 hommes provenant du Québec et des Maritimes

(« PROFUNC : Le plan secret du Canada pour des détentions pour des périodes indéterminées », LML numéro 163, 21 octobre 2010)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 63 - 10 octobre 2020

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