Les pouvoirs policiers au-dessus des pouvoirs civils: la vraie nature de la démocratie canadienne


Manifestation devant la prison Tanguay à Montréal, en janvier 1971, pour exiger la libération des prisonnières politiques détenues sous la Loi sur les mesures de guerre.

La désinformation médiatique en ce qui a trait à la Loi sur les mesures de guerre de 1970 a tendance à se concentrer sur certains événements qui ont eu lieu en octobre 1970 et à la discussion à savoir si Pierre Elliot Trudeau a réagi de manière excessive ou qu'il y avait véritablement un état d'insurrection appréhendée à cette époque. Ce qui a été révélé en 2010 à propos d'un plan ultrasecret développé par la GRC en 1950, afin de détenir et d'interner pour une période indéterminée des milliers de Canadiens, dont le nom de code PROFUNC (« PROminent FUNCtionaries of the Communist Party »membres importants du Parti communiste), a été utilisé entre autres choses pour déclarer que le phénomène de la police au-dessus des pouvoirs civils est une chose du passé.

Le résumé de « Ennemis de l'État » diffusé par Radio-Canada et la CBC (l'émission Enquête en français et The Fifth Estate en anglais) le 15 octobre 2010, qui met à jour le plan « PROFUNC », débute par :

« Le plan d'urgence secret appelé PROFUNC permettait à la police d'arrêter et de détenir pour une période indéterminée des citoyens canadiens soupçonnés d'être des sympathisants communistes. »

« Il est difficile d'imaginer aujourd'hui qu'un gouvernement canadien approuve un plan visant à rassembler des milliers de Canadiens respectueux des lois et à les enfermer tout simplement parce qu'ils sont perçus comme une menace à la démocratie canadienne. »

Ce qui suit est un extrait de la déclaration émise par le PCC(M-L), le 16 octobre 2014, qui fait les commentaires suivants à ce sujet :

« Cette tentative de présenter les événements d'octobre 1970 et le programme PROFUNC comme quelque chose d'inimaginable aujourd'hui et les descentes et arrestations massives comme l'ont fait de policiers un peu trop zélés 'dans le temps' échoue lamentablement devant la réalité des arrestations et descentes massives et des agissements illégitimes de la police avec la pleine sanction des tribunaux avant, durant et après les manifestations contre le G8/G20 à Toronto cet été. C'est une affirmation étonnante quand tout le monde sait maintenant que le Canada a livré des citoyens et résidents canadiens à la torture et maintient des listes d'interdiction de vol sur lesquelles apparaît le nom de milliers d'individus soupçonnés d'allégeance terroriste du simple fait qu'ils sont musulmans, pakistanais ou arabes ou professent des opinions contraires à celles du gouvernement Harper sur le droit de résister ou sur le sionisme et les crimes de l'État d'Israël.

« La proclamation de la Loi des mesures de guerre en 1970 et les choses révélées au sujet de PROFUNC qu'on présente comme 'le programme de sécurité nationale le plus draconien de l'histoire du Canada en temps de paix' sont présentées comme des anomalies, des écarts par rapport à la démocratie canadienne, mais ce n'est malheureusement pas le cas.

« En fait, ce qu'il faut examiner à la lumière de ces événements ce n'est pas le passé, mais le présent, et le faux 'débat' qu'on nous propose à propos du passé caché que les pouvoirs policiers continuent d'être au-dessus du pouvoir civil. La seule différence est que dans le passé les libertés civiles étaient suspendues occasionnellement alors que maintenant un état d'urgence permanent a été déclaré au nom de la guerre à la terreur et que cela sert à justifier une redéfinition de la démocratie avec l'état d'exception comme nouvelle norme.

« Certains éditorialistes sont allés jusqu'à dire que la majorité des Canadiens préfèrent 'la paix, l'ordre et le bon gouvernement' même s'il faut pour cela renoncer aux libertés civiles. S'il faut sacrifier les droits civils à la paix, l'ordre et le bon gouvernement, que valent la paix, l'ordre et le bon gouvernement ? Ou bien ils ne valent rien, ou bien ils sont un régime dans lequel les pouvoirs policiers sont au-dessus du pouvoir civil et ce sont les pouvoirs policiers qui décident quand les droits peuvent être suspendus.

« Il y a un 'débat' sur le besoin d'un équilibre entre les droits et la sécurité. Qu'est-ce qu'un droit s'il peut être suspendu ? Qui décide des conditions justifiant la suspension de ce droit ? Selon la Charte canadienne des droits et libertés, tous les 'droits' sont soumis à des 'limites raisonnables'. Autrement dit, vous avez des droits sauf quand vous en avez besoin. C'est contraire à la définition même d'un droit appartenant à son détenteur du fait de son existence en tant qu'être humain, un droit qui ne peut être ni échangé, ni abandonné, ni enlevé, mais seulement affirmé et appliqué.

« Même sans pouvoirs spéciaux, au Canada, le droit de conscience est attaqué de façon routinière. Loin d'être un écart par rapport à la norme, la persécution, l'arrestation et l'emprisonnement de militants du mouvement communiste et ouvrier font partie de ce qu'on appelle la démocratie canadienne.

« Durant la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, bien que l'existence du Parti communiste et l'appartenance au Parti communiste n'étaient pas considérées comme des infractions au Code criminel, la démocratie anglo-américaine a déclaré le communisme ennemi de la démocratie. C'est sur cette base que la GRC a dressé des listes de milliers de communistes et de sympathisants communistes qu'elle voulait détenir indéfiniment. En plus des arrestations effectuées durant la Loi sur les mesures de guerre, il y a eu plus de 2 500 arrestations de membres et sympathisants du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) dans les années 1970, l'État canadien cherchant par tous les moyens à écraser le nouveau parti qui venait d'être créé. Ces arrestations n'ont pas été effectuées en invoquant des pouvoirs spéciaux. La GRC a tout simplement recouru à ses méthodes habituelles pour faire passer les membres du PCC(M-L) pour des criminels de droit commun et détruire l'organisation. Le fondateur et dirigeant du PCC(M-L), Hardial Bains, a fait l'objet de plusieurs coups montés et de tentatives de déportation de la GRC et il a été privé de citoyenneté pendant 30 ans. La persécution des autres camarades du Parti se poursuit à ce jour.


Le 3 juillet 1970, quelques mois après la fondation du PCC(M-L), 150 policiers ont effectué une descente à la librairie Livres et Périodiques progressistes à Montréal, saccageant le local et arrêtant 24 personnes. Quelques-unes des personnes arrêtées sont ici photographiées devant la librairie après avoir été libérées.

« Tout cela montre que les prétendues sauvegardes qu'on appelle libertés civiles, qui sont censées nous protéger contre les abus et l'impunité des pouvoirs policiers, sont toujours sujettes à des 'limites raisonnables'. Mise à part la persécution des forces progressistes, les droits des travailleurs sont brimés par des lois de retour au travail. De plus, dans certaines conditions, des 'circonstances exceptionnelles' sont invoquées pour justifier l'utilisation d'instruments comme la Loi sur les mesures de guerre, comme pour la persécution du mouvement communiste et ouvrier durant la Première et la Deuxième Guerres mondiales, l'expropriation des flottes de pêche et des maisons des Japonais sous prétexte d'internement ainsi qu'en octobre 1970.

« Tout cela révèle le caractère de classe des institutions démocratiques que ces faux débats cherchent à cacher et que tant que la souveraineté réside dans la prérogative de la Couronne représentant les monopoles et défendant leurs intérêts, plutôt que dans le peuple comme le veut la démocratie moderne, la situation ne fera qu'empirer. Le fait que des ministres de la Justice n'étaient même pas au courant de l'existence du programme PROFUNC (comme l'ont admis Warren Allmand et Robert Kaplan, tous deux ministres de la Justice des gouvernements Trudeau) montre le mépris de cette prérogative pour le 'pouvoir civil'.

« La proclamation de la Loi sur les mesures de guerre de 1970 et le programme PROFUNC montrent non pas que la police était au-dessus du pouvoir civil dans le passé, mais que ce qu'on appelle pouvoir civil est en fait une forme de pouvoir policier au service du pouvoir des monopoles et de leurs intérêts au pays et à l'étranger. L'élite dirigeante présente ces intérêts d'une manière qui prétend que le rôle de l'État est de défendre le bien public et que l'État est neutre dans la confrontation des intérêts de classe.

« Les méfaits de la GRC ayant été exposés dans les années 1970, en 1983 le gouvernement canadien a déposé un projet de loi créant le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pour retirer les opérations de sécurité et de renseignement des mains de la GRC. Le SCRS a été créé en 1984. Mais cela n'a pas changé le fait que la police agit au-dessus du pouvoir civil, qui a à voir avec l'essence de la démocratie canadienne, bien au contraire. Le SCRS et les autres agences policières n'ont jamais cessé d'agir au-dessus du pouvoir civil, comme on l'a vu dans l'affaire Maher Arar et dans d'autres cas où le Canada a été impliqué dans la torture, la déportation vers la torture et autres crimes contre l'humanité. Dans le cas des détenus afghans remis aux autorités américaines et soumis à la torture un peu après l'engagement du Canada dans l'invasion de l'Afghanistan par les États-Unis, même le premier ministre n'a appris la nouvelle qu'une semaine après le fait. Selon une note de service qui a depuis été rendue publique, le premier ministre ne devait pas être mis au courant de certains accords secrets entre les forces spéciales du Canada et des États-Unis.

« À cet égard, notons que la CBC et Radio-Canada ont 'révélé' toutes sortes de choses au sujet du programme PROFUNC, mais ils n'ont pas parlé de l'intégration actuelle des services policiers et de renseignement et des forces armées du Canada et des États-Unis, sans compter l'information qui est transmise aux services d'espionnage américains pour placer des Canadiens sur les listes d'interdiction de vol, de gens soupçonnés d'être des terroristes, qui peuvent être soumis à la torture, etc. Tout cela montre que le programme PROFUNC concerne le présent, pas le passé. C'est un phénomène qui appartient à la catégorie du terrorisme d'État, non de la démocratie [...]. »

(Déclaration du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste), 16 octobre 2014)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 63 - 10 octobre 2020

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