Les conditions économiques et politiques à la veille de la crise d'Octobre 1970

En octobre 1968, les Internationalistes joignent leurs forces avec les travailleurs
dans la lutte des chauffeurs de taxi de Murray Hill à l'aéroport de Dorval.

Pour donner un contexte aux événements d'octobre 1970 au Québec, il est instructif de revoir les conditions économiques, sociales, politiques et autres de la fin des années 1960, à l'aube de la crise d'Octobre et de la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre le 16 octobre 1970. C'était l'époque d'une vaste expansion de l'impérialisme américain au Québec, au Canada et dans le monde, l'époque de la restructuration de l'État par le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau pour faciliter cette expansion et étouffer la révolte des travailleurs, des femmes et des jeunes contre leurs conditions.

De brefs comptes rendus parus dans les pages du Quotidien du Canada populaire et de Ligne de masse, publiés sur une base régulière par le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste), permettent de brosser un tableau d'ensemble. Dans un rapport sur la situation générale au Québec publié le 20 novembre 1970, le Quotidien du Canada populaire écrit :

Photo de la presse du Parti de 1968 : des grévistes de Domtar à Windsor, au Québec, défendent leurs droits.

« La crise économique est causée par l'impérialisme américain. Par des investissements massifs de capitaux, de sinistres manipulations du marché et la collaboration avec les gouvernements fédéral et provinciaux, les monopoles américains détruisent les petits agriculteurs, les petits producteurs de lait, petits propriétaires et entreprises. Les investissements américains accrus et le pillage des ressources naturelles du Québec par les monopoles ont créé des milliers de chômeurs partout au pays. Les monopoles américains liés au 'Kentucky Fried Chicken' ont détruit les petites fermes avicoles de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et ont construit d'énormes fermes [...] pour le marché de Montréal. À Sherbrooke, la compagnie de lait Carnation a liquidé les petits producteurs laitiers régionaux, contribuant grandement à la lutte contre le sentiment anti-impérialiste dans toute la région. Récemment, les investissements américains dans l'industrie des pâtes et papiers ont liquidé plus de 100 petites usines par an et la production a été reprise par de grands monopoles mécanisés qui n'embauchent qu'un petit pourcentage des travailleurs mis à pied. La même situation existe dans les mines de minerai de fer et l'extraction de l'amiante.

« Aujourd'hui, face à la crise économique chez nous, les impérialistes américains n'ont pas renouvelé les contrats avec des entreprises [...] situées au Québec, préférant les donner à leurs propres usines en difficulté aux États-Unis. Ainsi, plus de 9000 travailleurs sont mis à pied à Montréal seulement, chez Canadair, United Aircraft, Marconi et Northern Electric.

« Le pillage économique et le contrôle du Québec par les États-Unis et l'impérialisme ont entraîné des difficultés et une misère indicibles. Plus de 15 % de la population active est sans emploi. Dans certaines régions comme Trois-Rivières, Saint-Jean et Saint-Jérôme, le chômage a atteint de 40 à 50 % de la population active. Dans les quartiers populaires de Montréal, comme Saint-Henri et Saint-Jacques, le taux de chômage atteint presque 50 %[1]. »


Montréal, 1968

En juin 1968, Pierre Elliott Trudeau devient le premier ministre du Canada. Il fait adopter par le parlement une série de mesures et de lois ayant comme but et effet de faciliter l'expansion du capital américain et de réprimer les luttes ouvrières et de la jeunesse.

Selon le journal Ligne de masse, c'est « une tentative désespérée de mettre fin à l'inflation, à la flambée des prix, au chômage, à la lutte de libération nationale au Québec, au réveil des groupes minoritaires nationaux et des peuples autochtones et au nouvel éveil de la classe ouvrière et du peuple canadiens contre l'impérialisme américain et la réaction anglo-canadienne[2]. »

Entre juin 1968 et octobre 1970, le gouvernement Trudeau a :

1. fait adopter une loi sur le travail pour réorganiser les syndicats et les restreindre dans leurs actions;

2. fait adopter une loi sur la « sécurité » pour utiliser les services de l'immigration et de la citoyenneté pour faciliter l'entrée de nazis et de fascistes au Canada, encourager la soumission des immigrants (la Loi introduit la notion de pointage pour l'évaluation des immigrants);

3. institué différentes mesures d'incitation pour l'investissement du capital américain au Canada suivant une politique économique consistant à faciliter le pillage des ressources du Canada par les monopoles impérialistes américains;

4. imposé un contrôle arbitraire des salaires; et

5. augmenté les dépenses pour la police et accru les pouvoirs de police pour réprimer les personnes progressistes et enrôler les jeunes dans la milice dans un plan systématique d'entraînement des troupes à utiliser contre les peuples québécois et canadien.

Ces mesures s'accompagnent de l'entrée en vigueur le 7 septembre 1969 de loi C-120, qui déclare que l'anglais et le français langues officielles du Canada. La politique du bilinguisme et du biculturalisme de Trudeau relégue les autres langues et cultures à un statut inférieur et favorie les divisions chauvines sur la base d'une perspective eurocentrique.

Concernant les justes demandes du peuple québécois et des agriculteurs de l'Alberta, Ligne de masse rapporte :

« À la demande croissante du peuple québécois d'être indépendant, égal et prospère dans le cadre du système de son choix, Trudeau a proposé une répression plus intense et plus brutale. Aux fermiers des Prairies, Trudeau a répondu par une nouvelle élimination des petits fermiers et renforcé l'emprise des grandes exploitations monopolistes américaines sur celles-ci sur la base d'un contrôle systématique du marché et des subventions[3]. »

En ce qui concerne les Premières Nations, Trudeau fait adopter des politiques d'exploitation et de répression, incluant la présence de la police dans les réserves. Il met en application les mesures du Livre blanc visant censément l'abolition de la Loi sur les Indiens, mais signifiant en pratique la suppression permanente des droits ancestraux des peuples autochtones. Ces mesures sont dénoncées autant par les autochtones que par les non-autochtones.

À la fin des années 1960, il y a des grèves des travailleurs en lutte pour leurs droits, contre le monopole étranger Murray Hill Limousine Service, chez Domtar, Sicar, Ford, entre autres. Les comptes rendus des journaux donnent la preuve qu'il ne se passait pas un jour sans qu'une lutte éclate. Les étudiants étaient en action dans les cégeps et les universités sur de nombreuses questions, dont les contenus de cours réactionnaires, pour la souveraineté du Québec et son projet d'édification nationale, contre la guerre du Vietnam et en appui au peuple palestinien[4].


Rassemblement devant l'ambassade des États-Unis à Ottawa le 18 avril 1970 pour protester contre la guerre au Vietnam
Les jeunes remplissent l'aréna Paul Sauvé à Montréal en appui à la libération nationale du Québec en 1970, à la veille de la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre.

À la veille du 16 octobre, quand l'armée est déployée dans les rues, des milliers de jeunes et d'étudiants se lèvent à l'aréna Paul Sauvé à Montréal et à l'Université de Montréal pour saluer l'esprit de combat des patriotes québécois et en réponse à la répression sans précédent.

« À bas le fascisme ! », « Nous sommes tous du FLQ - venez nous chercher ! », résonnent parmi les slogans et mots d'ordre. D'autres rassemblements ont lieu à Québec, Sherbrooke, Trois-Rivières et ailleurs. Partout au Canada, des manifestations d'appui à la lutte du peuple du Québec pour la souveraineté ont lieu à Vancouver, Toronto, Calgary, Winnipeg et ailleurs. Il y a une vigoureuse opposition aux activités terroristes de répression et aux arrestations visant les militants, les personnes progressistes et le PCC(M-L), qui avait été fondé à Montréal en mars 1970.

Toutes ces conditions de travail et de vie soulèvent la colère et l'opposition du peuple qui aspire à bâtir son projet d'édification nationale, pour un Québec moderne indépendant qui n'est pas sous la gouverne d'un État anglo-canadien et de l'impérialisme américain et ses ambitions guerrières. Les Québécois voient la nécessité de conquérir le pouvoir politique et économique et de bâtir la nation du Québec sur tous les plans, pour que les Québécois ne soient plus, comme le dit le poète national Félix Leclerc, « porteurs d'eau, scieurs de bois, locataires et chômeurs dans notre propre pays ».

Dans l'ensemble, on peut dire que cela montre qu'il y avait des conditions révolutionnaires au Québec et au Canada à l'époque, dans lesquelles les idées communistes gagnaient rapidement du terrain dans la conscience des travailleurs et de la jeunesse. Les journaux de l'époque témoignent du fait que le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste), ses organisations précurseures et ses ailes jeunesse étaient au coeur des actions, intervenant de façon active et organisée pour avancer la lutte du peuple du Québec pour son droit de décider de ses propres affaires.

C'est pour écraser la lutte du peuple qui était en effervescence à tous les niveaux et poursuivre son ordre du jour de soumission du peuple québécois au plan d'expansion de l'impérialisme américain que le gouvernement Trudeau a fait adopter la Loi sur les mesures de guerre le 16 octobre 1970. C'était aussi la preuve de la soumission de l'État canadien aux agences de renseignement de l'impérialisme américain et de l'OTAN qui poursuivaient l'opération Chaos dont l'objectif était d'infiltrer et même monter des groupes et elles-mêmes participer à des activités terroristes pour ensuite blâmer le peuple et justifier la répression.

Les activités du FLQ ont été utilisées pour justifier la proclamation des mesures de guerre les plus draconiennes jamais appliquées en temps de paix. C'est à cela que Trudeau a voulu s'attaquer : briser le mouvement organisé des travailleurs et du peuple qui réclamaient justice et des conditions de travail et de vie décentes. Et il n'a pas agi seul, il a agi de connivence avec la CIA et son « Opération Chaos » menée à l'échelle mondiale qui comprenait, entre autres, des attaques terroristes organisées par l'État, des coups d'État, des assassinats, des disparitions et une propagande anticommuniste enragée de pair avec d'autres opérations. Le gouvernement canadien a agi sous les pressions et les ordres des impérialistes américains.

Notes

1. « Rien ne sauvera les réactionnaires de la catastrophe économique et politique », Le Quotidien du Canada populaire, 20 novembre 1970

2. « L'initiative révolutionnaire du people vaincra à coup sûr les fanfaronnades des réactionnaires anglo-canadiens ! », Déclaration de l'exécutif national du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) sur la Loi sur les mesures de guerre et la Loi sur l'ordre public, la situation au Canada et au Québec et les tâches du Parti, Ligne de masse, 10 décembre 1970

3. Ibid

4. Ibid


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 63 - 10 octobre 2020

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Les conditions économiques et politiques à la veille de la crise d'Octobre 1970


    

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