Les démarches pour détruire le
système universitaire albertain
La lutte pour l'avenir des universités, collèges et institutions techniques en Alberta
- Dougal MacDonald -
Rassemblement contre les compressions au
financement de l'éducation par le gouvernement
Kenney à l'Université de l'Alberta à Calgary, le
21 novembre 2019
Dans le contexte de graves compressions
budgétaires de l'éducation supérieure par le Parti
conservateur uni (PCU), plusieurs universités
albertaines ont recours à des mesures étendues de
restructuration. Bien que les mesures puissent
varier d'une institution à l'autre, les
propositions et les politiques consistent à
augmenter les frais de scolarité, fusionner des
facultés, éliminer des programmes, abolir des
cours, congédier du personnel, agrandir la taille
des classes, augmenter le nombre de cours en
ligne, fermer les bibliothèques, démolir des
résidences, etc.
Ces changements antisociaux auront un impact
négatif sur l'éducation des futures générations
d'Albertains, menaceront le gagne-pain de
nombreuses personnes employées par le secteur de
l'éducation postsecondaire (ÉPS) et les secteurs
connexes, et mineront la recherche universitaire
dont dépend l'avenir économique, social et
culturel de la province. En fait, le nouveau
président de l'Université de l'Alberta a de façon
éhontée félicité un chercheur en virologie de
l'Université de l'Alberta à qui le prix Nobel de
médecine a été attribué conjointement juste après
avoir annoncé des plans de mises à pied massives à
l'université même.
De façon plus
précise, le gouvernement Kenney a annoncé qu'il
comptait couper le financement à l'ÉPS pour
l'exercice en cours de 5 %, avec
d'autres compressions en vue de 5 % pour
chacune des trois années suivantes. Ces
compressions, compte tenu de l'inflation, feront
en sorte que 21 institutions postsecondaires
albertaines perdront entre un quart ou un tiers de
leur financement public pour les quatre prochaines
années, un montant sans précédent.
Curieusement, pas une seule institution
postsecondaire en Alberta n'a entrepris de mener
une lutte contre ces compressions très
dommageables. En guise de réponse, les
administrations ont essentiellement dit « Oui,
maître Kenney, nous allons devoir faire plus avec
moins », comme si les compressions étaient
prédestinées et non le résultat des décisions
politiques antisociales et anti-éducation
conscientes du PCU. Entre temps, le gouvernement
du PCU, qui est dans « l'obligation » de
couper dans l'éducation postsecondaire, verse
simultanément des milliards de dollars pour la
soi-disant création d'emploi par le biais de
subventions et de réductions fiscales aux
compagnies énergétiques comme Shell et Suncor qui,
en revanche, mettent fin à leurs projets et
congédient des milliers de travailleurs.
Si les compressions à l'ÉPS et la tiédeur de la
résistance des institutions sont très nocives en
soi, il y a aussi la très importante question de
comment très exactement ces institutions dociles
comptent procéder dans leur démarche de «
restructuration ». Un grand nombre de membres
du personnel, d'étudiants et de travailleurs de
soutien s'est plaint publiquement de l'arrogance
des administrations à l'échelon supérieur, qui les
éloignent, eux et leurs organisations collectives,
de toute véritable participation démocratique à
ces prises de décision. Les décisions sont
simplement prises arbitrairement par des comités
triés sur le volet qui agissent en huis clos, pour
ensuite être imposées aux masses. Il n'y a pas de
réelle participation publique. Il y a, cependant,
des consultations bidon où des ordres du jour
prédéterminés sont imposés de force. Seuls ceux
qui se retrouvent au haut de l'échelle ont un mot
à dire dans ces décisions. Le rôle de tous les
autres est purement symbolique.
Il est clair pour plusieurs que ce qui se passe
en
enseignement supérieur est totalement frauduleux.
Au cours des
dernières décennies, les Albertains ont eu leur
part
d'expérience dans le domaine des fausses
consultations
basées dès le départ sur le mensonge. Le modus
operandi est toujours le même. Les décisions sont
prises
à l'avance, des comités sont formés,
composés de personnes qu'on a choisies parce qu'il
est à
peu près certain qu'elles approuveront les
décisions. Une poignée de « réunions
communautaires » sont organisées, avec leur
ordre du
jour prédéterminé et une procédure de prise
de parole restrictive, servant de parure. Toutes
suggestions venant
à l'encontre des décisions
prédéterminées sont ignorées. Et la fameuse
consultation se termine par une annonce en grande
pompe faite par des
personnes au pouvoir, à savoir, 1) il y a eu
consultation
et 2) tout le monde en Alberta s'est dit
d'accord avec leurs
conclusions prédéterminées. Fin de
l'histoire !
Sans oublier, bien sûr, que ces démarches bidon
dans le secteur de l'ÉPS sont facilitées par le
fait que le 19 août 2019, le
gouvernement du PCU a remplacé onze personnes qui
siègent au Conseil des gouverneurs ainsi
que 32 autres membres de bureaux
d'institutions postsecondaires par leur propres
représentants triés sur le volet. Plusieurs
membres qui siègent au Conseil n'ont pas terminé
leur mandat. Plusieurs directeurs qui y siègent
sont des PDG du secteur énergétique. Par exemple,
Nancy Laird, une directrice de Trinidad Drilling
et ancienne directrice d'Encana et de Petroleum
PanCanadien, est la nouvelle présidente du conseil
de l'Université d'Athabasca. Contrairement à ce
que prétend sans grande conviction le ministre de
l'Éducation supérieure, que les nominations sont
non partisanes, les nominations du PCU sont très
partisanes et représentent en outre une attaque
directe contre le principe de base de l'autonomie
universitaire.
Le manque de réelle consultation concernant les
présentes compressions dans le financement est la
suite d'une longue histoire de détérioration de la
soi-disant gouvernance collégiale dans les
secteurs de l'ÉPS. Dans les universités
canadiennes, les principaux lieux de consultation
politique sont les réunions du Conseil général de
la Faculté (CGF) et le Conseil des gouverneurs
(CG). Le CGF, qu'on appelle parfois Sénat, est
sensé avoir le dernier mot sur les questions
d'ordre académique et le CG le dernier mot sur les
questions d'ordre financier et administratif. La
définition de politiques comme telle appartient au
CG, une instance restreinte, composée
habituellement d'une majorité de personnes
représentant des entreprises de l'extérieur
(appelés par euphémisme « membres du
public ») et du président, plus une minorité
supplémentaire d'universitaires, de représentants
du personnel et d'étudiants, pour la forme.
Cette approche bicamérale CGF-CG à la gouvernance
collégiale est un modèle hautement critiqué. De
plus en plus, c'est le CG, dominé par des
personnes nommées sur une base politique et
provenant du secteur des entreprises, qui prend
toutes les décisions importantes. Divers
stratagèmes servent, par exemple affirmer que des
décisions qui sont de toute évidence d'ordre
universitaire seraient en fait financières. Un
autre subterfuge est de contrôler les réunions du
CGF et du CG en utilisant des procédures
bureaucratiques, par exemple ne pas inclure
certains points à l'ordre du jour, adopter par la
force un « ordre du jour consensuel » et
déclarer des personnes hors d'ordre lorsque leur
intervention va à l'encontre de l'ordre du jour du
CG. Cette façon de faire est rendue encore plus
fluide par le fait que le président de
l'université préside les réunions et prend les
décisions finales sur toutes questions de cet
ordre. Enfin, il y a aussi en arrière-plan la
présence de certains donateurs privés richissimes
qui peuvent se servir de leurs puissants moyens
financiers et de leurs connexions pour exercer une
influence en coulisse sur les décisions de
l'université.
Il y a aussi d'autres modèles de gouvernance. À
l'Université de Cambridge, en Grande-Bretagne, par
exemple, l'instance officielle de gouvernance, le
Regent House, est composée de personnel
professoral et de personnel du milieu
universitaire des collèges et des départements de
l'université, au nombre de 3 000. C'est
un modèle semblable à l'Université d'Oxford, où la
Congrégation, comme on l'appelle, est composée
de 5 500 membres du personnel
professoral et administratif. On dit qu'elle est
l'instance souveraine de l'université. Le 6
mars 2018, des chargés de cours en grève pour
défendre leur droit à des régimes de retraite se
sont vu refuser la possibilité de voter au sein de
la réunion de la Congrégation et ont donc voté à
l'extérieur.
La consultation est généralement définie comme
étant un « échange d'opinions ». Cependant,
un simple échange d'opinions ne suffit pas. Si, en
fin de compte, les décisions qui s'ensuivent sont
fondées sur les opinions d'une seule partie, alors
la consultation est frauduleuse. Une véritable
consultation doit d'abord envisager la
participation de tout le monde pour établir
l'ordre du jour. Établir l'ordre du jour est
crucial. La discussion sur un ordre du jour décidé
par les personnes au pouvoir n'est pas une
consultation puisqu'elle met tout en oeuvre pour
que le sujet de discussion ne soit d'intérêt que
pour ceux qui ont décidé de l'ordre du jour. Les
autres opinions divergentes sont exclues dès le
départ.
Les premières
véritables consultations dans les institutions
postsecondaires de l'Alberta auraient dû se
concentrer sur les réactions de celles-ci aux
compressions du PCU. Tel que mentionné, il n'y a
eu aucune discussion publique à ce sujet. Les
cadres supérieurs des institutions postsecondaires
ont essayé de se surpasser les uns les autres pour
être les tout premiers à faire preuve de loyauté
envers le programme d'austérité du PCU. On peut se
demander pourquoi. Peut-être que c'est en raison
du fait que les CG des institutions
postsecondaires sont contrôlés par le secteur des
entreprises. Ou peut-être certains ont-ils cru que
les premiers à faire preuve de servilité
s'attireraient davantage les faveurs du PCU. Peu
importe. Sans consultation, toutes les
institutions postsecondaires ont pris la décision
arbitraire d'accepter les compressions sans le
moindre rechignement, pour ensuite se concentrer
sur comment et qui éliminer des institutions pour
les accommoder.
La situation dans les institutions
post-secondaires n'est pas simple mais il est
encore temps de bâtir une résistance. Nous devons
mettre fin aux consultations bidon, aux réunions
secrètes, aux décisions arbitraires, aux comités
triés sur le volet, aux suggestions en ligne qui
ne servent à rien, et à l'exclusion des syndicats
et des associations. Nous devons exposer les
messages trompeurs faits dans un but de diversion
sur la soi-disant participation, l'inclusion et
l'écoute, ainsi que les cris d'alerte sur la
nécessité d' « agir rapidement ». Par le biais
d'une véritable participation publique, toute
personne concernée peut avoir un mot à dire pour
veiller à ce que les décisions reflètent les
intérêts larges de toutes les personnes
universitaires concernées, ainsi que les intérêts
de la société dans son ensemble.
Il est encore temps de lutter pour nos
institutions postsecondaires. Si nous travaillons
ensemble, il est encore temps pour les
professeurs, le personnel, les étudiants et leurs
organisations de commencer à bâtir un puissant
mouvement d'échanges démocratiques soutenus par
des idées et des mesures de suivi. Par l'action
collective avec analyse, nous pouvons contrecarrer
les graves compressions du PCU et ouvrir la voie à
un avenir positif pour les institutions
postsecondaires, leur permettant ainsi de
progresser.
(Photos : LML, AUPE)
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 63 - 10 octobre 2020
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