La revendication d'un programme de régularisation complet
pour les travailleurs migrants et les réfugiés

La marche de Montréal fait ressortir l'ampleur des violations des droits humains au Canada

Dans le cadre de la quatrième Journée pancanadienne du statut pour tous et toutes, Solidarité sans frontières a organisé, le dimanche 20 septembre, un rassemblement devant les bureaux montréalais du premier ministre du Québec François Legault sur l'avenue McGill College. Environ 200 personnes ont participé à l'événement, parmi lesquelles de nombreux jeunes, des demandeurs d'asile refusés et des travailleurs sans-papiers.

L'action a débuté par l'intervention d'un organisateur qui a dit que les travailleurs migrants et leurs alliés refusent toute forme de division et que Solidarité sans frontières continuera d'être là pour ceux et celles qui luttent pour la justice pour tous et toutes. Il a ensuite évoqué un article récent de La Presse qui révélait que pendant la pandémie, de nombreux travailleurs sans-papiers avaient été embauchés par des agences de placement et payés en espèces sous la table pour travailler dans plusieurs centres d'hébergement de soins de longue durée (CHSLD) du Québec. « Personne ne peut me faire croire que le gouvernement n'est pas au courant que des gens sont traités comme des esclaves, non seulement dans les CHSLD, mais partout ici au Canada. C'est inacceptable et les Canadiens sont d'accord que ces travailleurs ne méritent pas ça. » Il a continué en disant que plusieurs États « refusent de reconnaître les droits des immigrants ». Il a dit que plusieurs personnes « fuient leur pays pour sauver leur vie ou simplement parce qu'ils veulent une vie meilleure ». Il a ajouté que « le Canada a les ressources pour les recevoir ». Selon lui, un autre enjeu important est le fait que « nos gouvernements ne travaillent pas pour nous. Ils travaillent pour les multinationales ».

Viviana Medina, du Centre des travailleurs migrants, a informé les participants que Lourdes, une travailleuse sans-papiers qui a vécu à Montréal pendant 11 ans est morte il y a quelques jours dans son pays d'origine, le Mexique. Lorsqu'elle vivait à Montréal, Lourdes était payée entre 5 $ et 10 $ de l'heure, travaillant souvent de 13 à 16 heures par jour. Elle a subi deux accidents de travail et trois chirurgies au Canada sans avoir droit à une indemnisation ou à des soins de santé. Elle a dû retourner au Mexique à cause de dettes et de problèmes de santé. Une minute de silence a été observée à la mémoire de Lourdes et de tous les travailleurs migrants qui ont perdu la vie.

Les participants ont aussi appris que bien que les expulsions ont cessé en raison de la COVID-19, sauf pour ceux qui ont un dossier criminel, un demandeur d'asile dont la demande a été refusée et qui n'a pas de dossier criminel, Mamadou Konate, a été informé qu'il sera bientôt expulsé. Originaire de la Côte d'Ivoire, il est détenu depuis le 16 septembre au Centres de surveillance de l'immigration de Laval, après s'être présenté volontairement à Immigration Canada en présence de son avocat. Il voulait que le gouvernement suspende son expulsion imminente pour des motifs humanitaires, une requête qui avait été rejetée précédemment.

Un des amis de Mamadou a dit au rassemblement : « Nous sommes informés maintenant que les déportations ont repris, mais que Mamadou n'a pas encore reçu une date. » Il a ensuite informé les participants qu'une action allait être organisée devant les bureaux du gouvernement fédéral à Montréal au Complexe Guy-Favreau le mercredi 23 septembre à 10 h.

Mostafa Henaway du Centre des travailleurs immigrants a alors pris la parole. Parlant de l'article de La Presse, il a dit qu'on a appris « qu'une écrasante majorité de ceux qui ont été engagés pour faire de l'entretien ménager dans les CHSLD étaient des travailleurs sans-papiers au statut précaire. Le gouvernement Legault s'est dit choqué, se demandant 'comment une telle chose est possible' ». Mostafa a dénoncé l'hypocrisie du gouvernement à propos du fait que le système de santé du Québec et son économie sont tenus à bout de bras par ceux qui n'ont pas de statut permanent, qui sont sans-papiers, ou dont les demandes d'asile sont refusées. « La plupart des travailleurs d'entretien ménager ont été engagés par le biais d'un sous-traitant », a-t-il dit. « D'un côté il y a GDI (GDI Integrated Facility Services), et ceux qui ont un statut permanent qui vont être engagés directement par cette entreprise multinationale et auront des avantages sociaux, un salaire décent, des heures régulières, et seront appelés des 'anges gardiens' ou des 'héros'. De l'autre, pour ceux qui sont sans-papiers et font le même travail pour un sous-traitant qui engage une agence de placement temporaire, et parce que chacun doit toucher un profit, ces travailleurs vont obtenir 10 $ ou 11 $ de l'heure, moins que le salaire minimum, et faire face à une peur continuelle non seulement d'être déportés, mais de perdre la vie pendant la pandémie. »

Mostafa a ensuite dénoncé le gouvernement pour sa soi-disant volonté de régler la situation. « Son programme de régularisation est extrêmement insultant pour ces travailleurs d'entretien ménager qui ne sont pas compris dans le programme et qui ne bénéficieront pas de traitement et de droits égaux. Pour ce qui est de toutes les autres personnes sans statut, c'est une insulte encore plus grande et un exemple du degré de racisme qui existe dans la société. En fait, il y a deux mondes  pas les deux mondes dont parle Legault quand il compare ce qui s'est passé dans les centres de soins de longue durée au reste de la société  mais les deux mondes de ceux qui sont sans statut versus ceux qui ont un statut. Ceux qui n'en ont pas peuvent continuer de cultiver et de livrer nos aliments, de soigner nos aînés, de faire tout le travail sans être payés et en faisant face à l'expulsion. Ou encore, d'autres se laisseront abattre par la situation, le stress, l'anxiété, par la façon dont le système vous brise, non seulement émotionnellement, mais physiquement, année après année, en vous traitant de façon inhumaine, comme si vous n'existiez pas. La seule reconnaissance que nous avons vient de nos actions et de vous tous ici présents, » a-t-il souligné.

« Le fait que des gens doivent mourir, doivent faire des grèves de la faim, doivent participer à des événements comme celui-ci est une insulte, car ils ne demandent rien de moins, rien de plus que le commun des mortels », a-t-il conclu.

Un autre orateur a rappelé comment le premier ministre Justin Trudeau « s'est agenouillé il y a quelques mois lors d'une prise de photos, pour ensuite se lever et détenir et expulser des personnes, proposer un programme de régularisation qui n'est rien de plus que de la poudre aux yeux et qui ne tient pas compte des centaines et des milliers de personnes qui vivent dans ce pays. Ce sont nos familles, nos amis, nos voisins, nos collègues, des personnes qui prennent soin de nos proches... Nous devons continuer à lutter pour la justice, la dignité, le droit à l'humanité, le statut pour tous. Personne n'est illégal ! Justice pour les migrants ! Statut pour tous ! »

Mohamed Barry, cofondateur du Comité guinéen pour un statut et un membre de Solidarité sans frontières, s'est ensuite adressé à la foule. « Il y a de nombreux Guinéens ici au Canada, particulièrement à Montréal, a-t-il dit. Ces gens-là sont intégrés ici, ils travaillent très bien, ils n'ont pas de barrière de langue. Il y en a qui étudient... Mais malheureusement, malgré tous leurs efforts, tout ce qu'ils font pour s'intégrer, il ya plusieurs centaines de personnes qui font face à des déportations. Après cette pandémie, plusieurs d'entre elles seront déportées. »

Décrivant la Guinée comme un pays dirigé par des criminels, Mohamed a poursuivi en expliquant que le gouvernement actuel est responsable du meurtre de 45 personnes, « des adolescents et des jeunes de 20 ans. Des femmes ont été arrêtées, des personnes âgées battues, des maisons démolies. » Il a ensuite dit qu'en 2015, le Canada avait conclu un accord avec la Guinée. « L'accord commence par la déclaration que les deux pays doivent respecter les droits humains. Les droits des Canadiens sont respectés en Guinée parce que tous les expatriés canadiens [...] sont très bien payés et souvent logés par le gouvernement guinéen. Cependant, ici au Canada, les Guinéens sont emprisonnés, rejetés, travaillent dans des usines et des entrepôts [...] en violation de l'accord.

« Le Canada est intéressé par la Guinée en raison de ses ressources », a-t-il souligné, rappelant que SNC-Lavalin, Rio Tinto et d'autres sociétés minières opèrent dans le pays depuis plus de 20 ans et l'exploitent. « La Guinée, a-t-il dit, est le deuxième exportateur mondial de bauxite. »

Mohamed a également fait remarquer que les Québécois se sont montrés très hospitaliers envers lui-même et ses compatriotes. Il a rappelé que de nombreux Québécois viennent aux manifestations et aux conférences de presse. D'autre part, il a continué, « même si les gouvernements affirment qu'ils ne sont pas intolérants et que les réfugiés ont une place ici, ce n'est pas la réalité ». Il a ajouté que pendant la pandémie, des Guinéens, entre autres, « ont été emprisonnés ». Il a ajouté que même si l'Autorité de la santé publique avait recommandé des mesures de distanciation sociale, « à plusieurs reprises au Centre de détention de Laval, cela n'a pas été respecté. Ils sont placés dans des fourgonnettes sans fenêtres, pour le transport. Ils sont débarqués menottes aux mains et chaînes aux pieds, pour les humilier. Et pourtant le Canada est signataire de plusieurs conventions internationales sur les droits humains. Malheureusement, le Canada ne respecte pas les droits humains, particulièrement en ce qui concerne les demandeurs d'asile, car ils sont criminalisés. Il refuse de prendre en considération nos cinq, 10 ou 15 années passées à s'intégrer et les efforts considérables que nous y avons mis. Il nous donne deux semaines avant d'être expulsés par l'Agence des services frontaliers du Canada, quels que soient les motifs humanitaires que nous pouvons avoir. Nous sommes tous essentiels, nous devons tous pouvoir vivre dans la dignité et sans la peur, vivre comme tout le monde. »

Les participants ont ensuite marché vers les bureaux du gouvernement fédéral au Complexe Guy-Favreau. En route, Clément Sageste de l'organisation le Québec c'est nous a renchéri : « Le gouvernement doit respecter la dignité des êtres humains, que ce soient les étudiants, les travailleurs, les réfugiés ou les personnes sans-papiers. La réponse c'est que tout le monde au Québec et au Canada mérite un statut. On ne devrait même pas avoir à poser la question. »

Au Complexe Guy-Favreau, Frantz André du Comité d'action des personnes sans statut (CAPSS) a rappelé comment les États-Unis, la France et le Canada mènent une guerre contre son pays d'origine, Haïti. « Nous venons chercher ici ce qui nous revient de droit », a-t-il affirmé, soulignant que de nombreux pays dits riches rendent la vie intenable pour les migrants dans leur pays d'origine, les forçant à fuir.

(Photos : LML)


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 60 - 26 septembre 2020

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La revendication d'un programme de régularisation complet : La marche de Montréal fait ressortir l'ampleur des violations des droits humains au Canada - Diane Johnston


    

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