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du Marxiste-Léniniste
Évoquer le fantôme keynésien pour faire dérailler le mouvement ouvrier
- K.C. Adams -
Certains ont pris l'habitude de ressusciter
sporadiquement le fantôme keynésien comme moyen de
détourner le mouvement ouvrier de l'analyse
concrète des conditions concrètes. Il n'est pas
rare d'entendre dire que la façon de régler la
présente crise économique est d'exercer « des
mesures keynésiennes afin de stimuler l'emploi et
de solidifier le marché domestique ». Cette
ordonnance se veut une alternative aux mesures
néolibérales, comme si deux choix s'offraient aux
peuples du monde.
À quoi cela rime-t-il en pratique ? Une
formule existe-t-elle qui serait l'équivalent des
« mesures keynésiennes » ? Pourquoi les
mesures keynésiennes prises lors de la crise
économique des années trente conviendraient-elles
aujourd'hui ? De telles mesures, quelles que
soient les prétentions qui s'y rattachent, ne sont
pas le produit d'une analyse concrète de la
situation de quelque pays que ce soit ou d'un
programme axé sur l'être humain émanant de la
réalité de la lutte de classe telle qu'elle se
manifeste aujourd'hui.
Le néolibéralisme mondial d'aujourd'hui, avec ses
méthodes électroniques et autres pour contrôler
des économies entières sous l'égide de l'hégémonie
militaire et économique des États-Unis, n'est pas
la réalité des années trente. Aussi, présenter des
« mesures keynésiennes » en tant que solution
ne tient pas compte de l'application concrète de
ces mesures dans les années trente et de ce
qu'elles ont atteint comme objectif. Elles n'ont
certainement pas mis fin à la crise, ni ont-elles
empêché les grandes puissances de l'Europe, les
États-Unis et le Japon de se préparer pour la
guerre pour le repartage du monde.
Le fait que les néolibéraux, en commençant dans
les années soixante-dix, ont attaqué les dépenses
publiques pour les mégaprojets et les programmes
sociaux, dépenses qu'ils identifiaient aux mesures
keynésiennes, ne clarifie en rien ce que seraient
ces mesures dans les circonstances actuelles et ne
leur prête aucune crédibilité en tant que
programme d'action axé sur l'être humain qui
pourrait être d'une utilité quelconque pour le
peuple dans les circonstances actuelles. Pour
certains commentateurs, le Troubled Asset
Relief Program (TARP) de Bush/Obama et son
sauvetage du secteur financier étaient une mesure
keynésienne. D'autres contestent cette assertion.
D'autres individus aux États-Unis soulèvent le
besoin d'un « keynésianisme militaire »,
c'est-à-dire, un programme par lequel on
engloutirait des fonds dans les préparatifs de
guerre, dans la militarisation de la vie sociale
et culturelle ainsi que dans la guerre elle-même.
En ce sens, nous retrouvons ce phénomène de «
keynésianisme militaire » au Canada où tous
les aspects de la vie sont en train d'être
militarisés en tant que prix parmi tant d'autres à
payer pour l'annexion toujours plus approfondie du
Canada à l'Empire étasunien.
Pour l'économie des États-Unis, alors qu'une
grande partie de ce qu'on appelle le complexe
militaire s'étend sur plusieurs États, les
dépenses publiques pour les préparatifs de guerre
et pour la guerre elle-même stimulent en effet «
l'emploi » et « solidifient le marché
domestique ». Les défenseurs de « mesures
keynésiennes » approuvent-ils les dépenses
publiques pour la guerre en tant que programme
positif ? Certains économistes prétendent que
les dépenses militaires sont keynésiennes, mais
que les dépenses faites ailleurs que dans le
secteur militaire seraient deux fois plus
efficaces. Une grande partie du matériel de guerre
ne circule pas en tant que moyens de production ou
de consommation au sein de l'économie intérieure,
surtout lorsqu'il s'agit de guerres prédatrices
dans des pays pauvres tels que l'Irak et
l'Afghanistan où les dépenses sont concentrées
dans le domaine militaire.
Lorsqu'on pense à Keynes et à son ascension à
l'éminence, il faut se rappeler que les dépenses
publiques de toutes sortes en quantités
significatives sont une caractéristique du
capitalisme monopoliste, qui venait de voir le
jour au tournant du siècle au moment où Keynes
était formé en tant qu'intellectuel à la défense
de l'Empire britannique. Les dépenses publiques
n'étaient pas une caractéristique du capitalisme
naissant du XIXe siècle.
Deux événements d'importance capitale ont marqué
la conscience de tous les intellectuels des deux
premières décennies du XXe siècle : la
Première Guerre mondiale et la Grande révolution
socialiste d'octobre en Russie. Tous les
intellectuels de cette époque, et Keynes en était
un, étaient le produit d'une nouvelle époque qui
avait pris le monde d'assaut avec tumulte :
l'ère de l'impérialisme et de la révolution
prolétarienne. Keynes, dans sa vie personnelle et
publique, en est venu à défendre ouvertement le
capitalisme monopoliste et à s'opposer à ce que la
classe ouvrière n'accède au pouvoir politique. Ses
capacités intellectuelles étaient grandement
appréciées de l'élite dominante en Angleterre et
il en fut grandement récompensé. Le capitalisme
monopoliste présentait de nouveaux problèmes à la
classe au pouvoir et Keynes a offert un guide
théorique pour la résolution de ces problèmes.
L'arrivée au pouvoir des monopoles signifiait que
l'État capitaliste lui-même avait subi de profonds
changements. Les coûts associés à la Première
Guerre mondiale ont mené à de nouvelles formes de
taxation dont la plus importante fut l'impôt sur
le revenu. Avec l'impôt sur le revenu, l'État
impérialiste se vit attribuer des montants
faramineux provenant des fonds publics. Comment
utiliser ces fonds publics pour défendre le
système capitaliste monopoliste et pour assister
des monopoles particuliers à vaincre leurs
compétiteurs sur le marché mondial, et qui allait
exercer le contrôle de ces fonds, devenaient des
questions pratiques et théoriques pour l'élite
dominante dont Keynes était un membre de prestige.
Keynes n'était pas qu'un ardent promoteur et
théoricien du système capitaliste et de l'Empire
britannique, il était aussi un participant actif
dans la frénésie du marché boursier des années
vingt. Il a d'ailleurs perdu des sommes
importantes lors de l'effondrement du marché
boursier de 1929-1930. Cependant, il a tout
récupéré et davantage à la fin de la Deuxième
Guerre mondiale. Lorsque le premier baron Keynes
est décédé, sa fortune personnelle était
de 16,5 millions $.
Les dépenses publiques massives afin d'assister
certains monopoles ou certains secteurs et de
façon plus générale pour empêcher le système de
s'effondrer ou d'être pris en charge par la classe
ouvrière par la révolution est une caractéristique
du capitalisme monopoliste. Peu de littérature
académique était disponible dans les premières
années du capitalisme monopoliste pour appuyer une
telle activité et lui donner une orientation
théorique. Keynes, ainsi que d'autres
intellectuels, ont offert une orientation pratique
et théorique à l'État au cours d'une période de
crise économique et d'insurrection révolutionnaire
mondiale au sein de l'Empire britannique et
ailleurs dans le monde.
Les oeuvres théoriques de Keynes ont beaucoup
servi à proposer un État libéral d'assistance
sociale, mais aussi un État fasciste militarisé
selon les conditions et les besoins de la
bourgeoisie impérialiste en question. Des
théoriciens du socialisme national allemand au
sein du Parti nazi de Hitler se sont servis de la
promotion des dépenses publiques par Keynes pour
trouver la justification théorique nécessaire pour
l'utilisation des fonds publics afin de venir en
aide à certains monopoles et pour soutenir
financièrement le réarmement de l'Allemagne. Ce
sont ces mêmes théories qui aujourd'hui
sous-tendent les argumentations à l'effet que les
travailleurs et le peuple en général devraient se
rallier derrière leurs propres monopoles pour que
ceux-ci deviennent concurrentiels et pour qu'ils
réussissent sur le marché mondial. De façon
similaire, on apprend aux gens la politique d'une
nation qui consiste à se rallier derrière les
bâtisseurs d'empires des États-Unis, de la
Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la France ou
du Japon. En Europe, ses théories servirent à
mousser le socialisme européen (en opposition au «
despotisme oriental ») ainsi que
l'exceptionnalisme étasunien en Amérique du nord.
Les deux prétendent que les contradictions qui se
résolvent par la révolution dirigée par la classe
ouvrière ne sont pas inhérentes au capitalisme
monopoliste.
Keynes fut l'un des principaux intellectuels
éminents qui, en 1944, ont contribué à
l'implantation du système monétaire international
de Bretton-Woods, système que l'impérialisme
étasunien a imposé aux alliés et aux colonies avec
l'appui tacite sinon entier de la Grande-Bretagne.
Les accords de Bretton-Woods ont créé le Fonds
monétaire international ainsi que l'organisme
précurseur de la Banque mondiale. Surtout,
Bretton-Woods a créé les conditions
institutionnelles pour imposer l'hégémonie
financière des États-Unis sur le monde capitaliste
et pour le système moderne d'usure internationale
qui devait tenir les anciennes colonies dans un
état d'endettement perpétuel face aux États
impérialistes. Bretton-Woods était le signal de la
fin de l'édification nationale au sein des pays
capitalistes et le début d'un système impérialiste
d'États dominé d'abord par deux superpuissances et
aujourd'hui par une seule superpuissance qui
cherche la domination à elle seule. Il a permis
aux États-Unis, et ce même avant la fin de la
Deuxième Guerre mondiale, de diriger le monde
impérialiste dans l'encerclement et dans la
destruction de l'Union soviétique ainsi que de ses
alliés à l'échelle internationale et de
transformer l'ancienne domination coloniale des
pays en développement en un pouvoir et en une
domination impérialistes. Il a préparé les
conditions économiques pour le chantage nucléaire
contre les peuples du monde et pour l'ensemble des
guerres prédatrices des États-Unis contre la
Corée, le Vietnam et d'autres qui se poursuivent
aujourd'hui avec la guerre et l'occupation de
l'Afghanistan et de l'Irak, les blocus économiques
contre Cuba, la République populaire démocratique
de Corée, le Zimbabwe et autres, les menaces
d'agression contre la RPDC, l'Iran, le Liban, la
Somalie, le Soudan, la Syrie, le Venezuela et
plusieurs autres pays qui aspirent à
l'indépendance, ainsi que le maintien de centaines
de bases militaires partout dans le monde.
Keynes est devenu un éminent économiste du
vingtième siècle entièrement éduqué et imprégné de
l'expérience directe du capitalisme monopoliste et
servant ses besoins. Par conséquent, ses idées
sont imprégnées de la nécessité de servir les
monopoles à l'ère de l'impérialisme et de la
révolution prolétarienne. Ces idées se démarquent
nettement des idées défendues par les économistes
du XIXe siècle, cette période du capitalisme
naissant, qui s'engageaient dans des discussions
avec Karl Marx et son analyse concrète du
capitalisme. Keynes, lui, a tout simplement rejeté
la politique économique de Marx et n'a pas cherché
à expliquer ses différends. Son rôle était de
servir le capitalisme monopoliste et de nier la
nécessité de faire passer le capitalisme au
socialisme pour résoudre les contradictions
fondamentales du système capitaliste, un système
qui a outrepassé son rôle transitoire qui
consistait à transformer la petite production de
l'époque médiévale en production industrielle de
masse. Keynes n'avait que mépris pour la classe
ouvrière qu'il pensait impuissante à se diriger ou
à diriger la société. En ce sens, d'un point de
vue politique, il était farouchement opposé à tout
concept et pratique de la démocratie selon
lesquels le peuple participe directement à la
gouvernance. Ce mépris pour le peuple et pour la
démocratie lui fut inculqué à Eton et à Cambridge
ou il fut constamment louangé comme étant brillant
et supérieur à tous les autres êtres humains et
digne de richesse, de prestige, de puissance et de
privilège. Le système éducationnel britannique
n'accepte pas que les travailleurs soient en
mesure de penser de façon à se gouverner
eux-mêmes, à gérer la société et son économie
socialisée, et à résoudre ses contradictions. Ce
qui veut dire que toute tentative ou discussion
visant à l'édification nationale dirigée par la
classe ouvrière, qui investit le peuple de sa
souveraineté et place au centre le facteur
humain/conscience sociale, est dénoncée et
ridiculisée par l'élite dirigeante de la
Grande-Bretagne et des États-Unis et par toutes
leurs institutions.
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 58 - 16 septembre 2020
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