Un statut pour tous et toutes!
La cour fédérale invalide la législation en immigration qui désigne les États-Unis comme un tiers pays sûr
- Diane Johnston -
Le 22 juillet,
la juge de la cour fédérale Ann Marie McDonald a
invalidé la section de la Loi sur
l'immigration et la protection des réfugiés
(LIPR) du Canada [1]
et du Règlement sur l'immigration et la
protection des réfugiés (RIPR) [2] qui désigne les
États-Unis comme un tiers pays sûr, puisqu'elle a
conclu qu'elles sont « en violation de
l'article 7 de la Charte canadienne des
droits et libertés (Charte) ».
Cependant, la juge de la Cour fédérale a suspendu
la déclaration d'invalidité pour une période de 6
mois, « pour laisser le temps au Parlement de se
prononcer ».
Au Canada, l'Entente sur les tiers pays sûrs
(ETPS) fonctionne en jugeant que la plupart des
ressortissants étrangers qui arrivent à un point
d'entrée terrestre (PDE) canadien ne sont pas
admissibles à présenter une demande d'asile au
Canada. L'article 7 de la Charte stipule que «
Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne ; il ne peut être porté
atteinte à ce droit qu'en conformité avec les
principes de justice fondamentale. »
La contestation juridique des demandeurs
Les demandeurs dans cette affaire sont des
citoyens du Salvador, de l'Éthiopie et de la
Syrie, du Conseil canadien pour les réfugiés
(CCR), d'Amnistie Internationale (AI) et du
Conseil canadien des Églises (CCE). Leur
contestation a été intentée contre le ministre de
l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté
et le ministre de la Sécurité publique et de la
Protection civile.
Les demandeurs ont contesté la validité et la
constitutionnalité de la législation qui met en
oeuvre l'ETPS, alléguant qu'en renvoyant aux
États-Unis des demandeurs d'asile non admissibles,
le Canada les expose à des risques sous forme de
détention, de refoulement (le retour forcé de
réfugiés ou de demandeurs d'asile dans un pays où
ils risquent d'être persécutés) et d'autres
violations de leurs droits, en violation de la
Convention de 1951 relative au statut des réfugiés
et de la Convention des Nations unies contre la
torture.
Les demandeurs ont également fait valoir un «
lien de causalité » entre l'adhésion du Canada à
l'ETPS et la privation des droits en vertu de
l'article 7 et ont soutenu que les intérêts liés à
la liberté et la sécurité de la personne sont en
jeu en raison de la pénalisation des demandeurs
d'asile par les autorités américaines. Outre le
fait que les demandeurs d'asile sont privés de
liberté par détention, les requérants notent
également que la détention entraîne souvent un
manque de dignité humaine fondamentale, un manque
de soins médicaux et un manque de nourriture. La
détention « empêche également de retenir les
services d'un avocat et de lui donner des
instructions, et augmente le risque de refoulement
», ont-ils écrit.
Les arguments des intimés
L'avocat du gouvernement fédéral a soutenu que
même si l'article 7 de la Charte peut être
enfreint, des garanties et des recours
discrétionnaires existent dans la LIPR. Ils ont
également souligné la possibilité de demander un
contrôle judiciaire des décisions de l'ASFC. De
plus, ils ont soutenu que la Charte canadienne des
droits et libertés (Charte) ne s'applique pas au
droit américain ni aux actions des autorités
américaines.
En ce qui concerne la justice fondamentale,
l'équipe juridique des ministres a rétorqué que la
question relevait des autorités et des politiques
américaines et qu'elle échappait donc au contrôle
du Canada. Quoi qu'il en soit, ont-ils poursuivi,
la LIPR contient des mesures de protection, car
des recours discrétionnaires sont disponibles.
Quant aux renvois vers les États-Unis, ils ont
affirmé que l'ETPS n'était ni trop large ni
disproportionnée dans son application.
Le dernier argument du gouvernement était que
l'augmentation du nombre de demandeurs au Canada
aurait une incidence négative sur la viabilité du
système de réfugiés au Canada.
Les conclusions de la juge McDonald
Au sujet de la contestation des demandeurs selon
laquelle la législation qui met en oeuvre l'ETPS
est contraire à l'article 7 et à la Charte, la
juge McDonald a conclu que « les actions des
autorités canadiennes dans l'application de l'ETPS
entraînent l'emprisonnement des demandeurs non
admissibles à l'ETPS par les autorités
américaines. » Elle a en outre conclu que «
l'emprisonnement et ses conséquences » sont « une
violation des droits garantis par l'article 7 de
la Charte ».
« Les considérations relatives à l'article 7
sont doubles », a souligné la juge McDonald.
Premièrement, un demandeur doit démontrer que la
loi contestée le prive du droit à la vie, à la
liberté ou à la sécurité de la personne. Dans
l'affirmative, l'article 7 s'applique. Une fois
que l'article 7 s'applique, le demandeur doit
démontrer que la privation n'est pas conforme aux
principes de justice fondamentale ... »
« Les principes de
justice fondamentale, a-t-elle poursuivi,
concernent l'arbitraire, la portée excessive et la
disproportion flagrante, ... Afin d'évaluer
correctement les arguments de l'article 7, il est
important de comprendre le processus qui se
déroule en vertu de l'ETCP. lorsqu'un demandeur
arrive à un point d'entrée terrestre canadien et
demande le statut de réfugié. »
« L'enjeu, a fait remarquer la juge McDonald, est
de savoir si les actions des autorités canadiennes
pour renvoyer des demandeurs non admissibles à
l'ETPS aux autorités américaines, où ils seront
emprisonnés, constituent un lien de causalité
suffisant pour engager la liberté et la sécurité
de la personne. il est clair que le préjudice le
plus grave subi est l'emprisonnement, ainsi que
les préjudices liés aux conditions de détention et
au risque accru de refoulement.
« Les privations des droits de l'article 7 causées
par des acteurs autres que notre propre
gouvernement, a-t-elle écrit, sont toujours
soumises à la garantie de justice fondamentale,
tant qu'il existe un lien de causalité suffisant
entre la participation de notre gouvernement et la
privation ». Elle a poursuivi en expliquant qu'une
telle privation en est une dans laquelle « la
participation du Canada est une condition
préalable nécessaire » et « où la privation est
une conséquence entièrement prévisible de la
participation du Canada ». Le fait que « les
ressortissants soumis à l'ETPS soient emprisonnés
par les autorités américaines, a-t-elle déclaré,
ne soustrait pas les actions des responsables
canadiens de toute considération ».
Les éléments de preuve présentés, écrit-elle, «
confirment que les fonctionnaires de l'ASFC
informent les fonctionnaires américains que les
demandeurs de l'ETPS sont renvoyés. Les
fonctionnaires de l'ASFC sont impliqués dans la
remise physique des demandeurs aux fonctionnaires
américains. Cette conduite ne fait pas du Canada
un « participant passif » et il fournit un « lien
suffisant [...] avec la conduite fautive ». Elle a
conclu qu'une telle action « facilite un processus
qui aboutit à la détention ».
En réponse à l'allégation du gouvernement fédéral
sur l'existence de garanties et de recours dans la
LIPR, la juge McDonald les a qualifiées de «
largement hors de portée » et donc « illusoires ».
La juge de la Cour fédérale a également fait
remarquer qu'il existe « une distinction
importante entre les cas de renvoi et les faits,
soulignant que les demandeurs n'ont pas pu
présenter le bien-fondé ou le fond de leur demande
d'asile de quelque manière que ce soit au Canada,
et leurs risques n'ont pas non plus été évalués ».
Ils « n'ont pas non plus bénéficié d'un tel examen
de leurs demandes de protection ».
« Les demandeurs
déboutés, a-t-elle affirmé, sont détenus sans
égard à leur situation, à leur culpabilité morale
ou à leurs actes. Ils sont souvent détenus sans
mise en liberté sous caution et sans procédure
valable d'examen de leur détention. Même si le
partage des responsabilités peut être un objectif
louable, a-t-elle souligné, cet objectif doit être
soupesé par rapport à l'impact qu'il a sur la vie
de ceux qui tentent de présenter une demande
d'asile au Canada et sont renvoyés aux États-Unis
au nom de ‘l'efficacité administrative'. À mon
avis, a-t-elle déclaré, l'emprisonnement ne peut
être justifié par souci de et au nom de
l'efficacité administrative.
« Les risques de détention et de perte de sécurité
de la personne, qui sont facilités par l'ETPS,
sont nettement disproportionnés par rapport aux
avantages administratifs de l'ETPS », a-t-elle
conclu. « Le partage des responsabilités ne peut
pas être soupesé de manière positive en fonction
de l'emprisonnement ou les effets délétères des
conditions de détention cruelles et inhabituelles,
de l'isolement cellulaire et du risque de
refoulement. »
En réponse à la position des ministres selon
laquelle un processus équitable de contrôle de la
détention est disponible, elle a répondu que «
suggérer que ceux qui sont détenus seront
éventuellement libérés, n'est pas une preuve
suffisante d'atteinte minimale ».
Enfin, abordant l'argument du gouvernement selon
lequel le partage des responsabilités avait été
respecté et que si l'ETPS n'était pas
opérationnelle, un stress encore plus grand serait
exercé sur le système, la juge McDonald a conclu :
« Par le passé, le Canada a fait preuve de
souplesse pour s'adapter aux fluctuations du
nombre de réfugiés en réponse aux besoins. Ayant
conclu que le fonctionnement de l'ETPS est une
violation des droits garantis par l'article 7 de
la Charte, je ne vois aucune raison de principe de
continuer à permettre que les dispositions de
l'ETPS s'appliquent à cette catégorie restreinte
de demandeurs d'asile, alors que la preuve est
qu'ils seront emprisonnés à leur retour aux
États-Unis. »
Notes
1. Article 101(1)(e)
de la Loi sur l'immigration et la protection
des réfugiés (LIPR) se lit ainsi :
« Irrecevabilité
« 101 (1) La demande est irrecevable dans
les cas suivants :
« e) arrivée, directement ou indirectement, d'un
pays désigné par règlement autre que celui dont il
a la nationalité ou dans lequel il avait sa
résidence habituelle ; »
2. Article 159.3 du
Règlement sur l'immigration et la protection des
réfugiés (RIPR) se lit ainsi :
« Examen de la recevabilité
« Désignation – États-Unis
« 159.3 Les États-Unis sont un pays désigné
au titre de l'alinéa 102(1)a) de la Loi à
titre de pays qui se conforme à l'article 33
de la Convention sur les réfugiés et à
l'article 3 de la Convention contre la
torture et sont un pays désigné pour l'application
de l'alinéa 101(1)e) de la Loi. »
Cet article est paru dans
Volume 50 Numéro 51 - 8 aout 2020
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