Ça peut être fait de façon sécuritaire! Ça doit être fait de façon sécuritaire!

En ce moment, les résidents de pays comme le Canada et les États-Unis subissent la pression de prendre parti pour ou contre la réouverture des écoles, la présence des élèves en personne ou en ligne, à temps plein ou à temps partiel en classe. Cela est présenté comme un débat entre les risques que les gens sont prêts à prendre avec leurs enfants et les enfants des autres et les coûts en fait de bien-être mental et physique des enfants s'ils ne sont pas présents à l'école. Derrière cela, on trouve l'argument selon lequel pour maintenir les profits de différentes industries, les écoles doivent être rouvertes afin que les parents puissent être libérés pour travailler. Il existe une sérieuse déconnexion entre les problèmes de santé publique qui touchent tout le monde et la direction de l'économie qui est socialement intégrée, mais contrôlée par le privé. C'est ce qui est à l'origine de la polarisation de la discussion sur la réouverture des écoles.

Cela devient un débat très tendu et personnel où ceux qui n'ont d'autre choix que d'envoyer leurs enfants à l'école pour travailler sont mis en opposition à ceux qui ont le choix ou qui ne peuvent pas risquer d'envoyer leurs enfants à l'école en raison de conditions de santé préexistantes qui les affectent, eux ou leurs enfants. Ce n'est cependant pas ainsi que le problème se pose, comme si c'était une question d'analyser les risques ou d'équilibrer les risques et les avantages, ce qu'on entend souvent.

L'éducation publique et la participation de la population pour atteindre l'objectif de vaincre la pandémie sont des éléments essentiels pour arrêter la propagation du virus et la maîtriser jusqu'à ce qu'un vaccin ou des régimes de traitement de masse soient en place. À cet égard, l'ouverture d'écoles à plein temps peut être un ingrédient pour arrêter le virus et pas seulement un « risque » qu'il faut contrebalancer par rapport à un autre « risque ». Cependant, cela peut également contribuer à propager le virus plus intensément et plus rapidement, selon les circonstances. Un enjeu important est la nécessité de maîtriser la transmission communautaire avant la réouverture des écoles.

Le Dr Michael Ryan, directeur général du Programme de gestion des situations d'urgence sanitaire de l'Organisation mondiale de la santé, a déclaré à cet égard lors du point de presse du 13 juillet : « Si nous supprimons le virus dans notre société, dans nos communautés, nos écoles peuvent ouvrir en toute sécurité. Il n'en demeure pas moins que lorsque la transmission communautaire existe et que la transmission communautaire est intense, les enfants seront exposés à ce virus et les enfants feront partie du cycle de transmission. Ils seront exposés, certains seront infectés et ils en infecteront d'autres[1]. » 

Si la propagation communautaire est contrôlée, l'ouverture d'écoles peut contribuer à la maintenir sous contrôle et à éduquer les élèves sur comment et où le virus se propage. En revanche, si elle n'a pas été maîtrisée, l'ouverture des écoles contribuera inévitablement à accélérer la transmission communautaire.

Dans certaines provinces où des plans de réouverture ont été annoncés, on s'inquiète beaucoup de la manière non sécuritaire avec laquelle les gouvernements proposent de rouvrir les écoles, en particulier dans les endroits où la pandémie n'est pas sous contrôle et où le nombre de nouveaux cas continue d'augmenter.

Des réponses telles qu' « il n'y a pas d'approche totalement sans risque » et qu'il y a des conséquences négatives à garder les enfants à la maison, bien que vraies, ne sont pas des réponses suffisantes et sont utilisées pour essayer de réduire au silence ceux qui soulèvent des préoccupations sérieuses auxquelles il faut répondre. Les parents sont placés dans une position où ils doivent faire un choix individuel entre le risque sérieux d'envoyer des enfants dans une salle de classe de 30 élèves sans distanciation physique, comme c'est le cas en Alberta et maintenant aussi en Ontario, et les dommages causés lorsque les enfants manquent d'apprentissage et de socialisation avec d'autres élèves. Beaucoup craignent que cette approche ait des conséquences à long terme sur le système d'éducation, à mesure que les parents quittent le réseau d'éducation publique et choisissent des programmes alternatifs.

L'éducation en tant que droit

L'éducation est un droit et les gouvernements ont le devoir de garantir ce droit dans toutes les conditions et en toutes les circonstances. Cela signifie élaborer une approche qui répondra aux besoins de tous les élèves et de leur famille et qui harmonise les différents intérêts individuels avec ceux de l'intérêt collectif. Cela comprend la prise en compte des familles qui n'ont pas d'autre alternative que d'envoyer leurs enfants à l'école cinq jours par semaine ainsi que des familles dont les membres d'un même ménage courent un risque plus élevé de conséquences graves s'ils deviennent infectés par la COVID-19.

Donner la priorité au droit à l'éducation et à la lutte pour arrêter la pandémie en tant qu'objectif réel, et non uniquement un énoncé de politique, ouvrira des perspectives et amènera des solutions viables. Un gouvernement ayant cela comme priorité examinera toutes les options disponibles. Les enseignants qualifiés qui ont quitté la profession pourraient être encouragés à revenir. Quels espaces alternatifs peuvent être utilisés pour permettre des classes plus petites ? Des espaces de bureaux inoccupés ou d'autres espaces appropriés peuvent-ils être convertis en salles de classe ? Quelle capacité de transport existe dans les villes et comment peut-elle être augmentée ? Comment les infirmières et les autres membres du personnel de la santé publique peuvent-ils être intégrés dans les écoles ? Comment faire des tests de dépistage sur une base régulière et large ? Comment les travailleurs de l'éducation, les élèves et les parents peuvent-ils être habilités à prendre le contrôle des décisions qui touchent leur vie ?

Le but de cette discussion n'est pas de dire qu'il existe une manière ou une formule unique pour y parvenir, mais plutôt de sortir de l'impasse qui se dessine dans laquelle les gouvernements refusent de prendre des mesures qui élimineront réellement le virus, et nous disent simplement à tous de vivre avec et de prendre nos propres décisions sur la base de calculs sur les coûts versus les avantages comme si nous étions des joueurs astucieux de jeux de hasard. Au lieu de cela, si le but est de vaincre réellement le virus afin de pouvoir rétablir une stabilité, nous pouvons voir les écoles et les êtres humains qui y convergent chaque jour comme un atout qui peut être mis à contribution pour résoudre ce problème de santé publique qui confronte l'humanité.

Ça peut être fait de façon sécuritaire ! Ça doit être fait de façon sécuritaire !

Le besoin de reprendre les choses du début
pour la réouverture des écoles

Lorsque la pandémie a frappé le Canada à la mi-mars, des écoles ont été fermées du jour au lendemain dans de nombreuses juridictions. Il n'y a eu ni le temps ni l'espace pour éduquer les étudiants et le personnel sur le virus ou les protocoles et comportements appropriés qui contribueraient à empêcher sa propagation. Cela a été laissé au hasard. Sans s'assurer que la population comprend les protocoles afin de pouvoir les mettre en oeuvre selon des circonstances différentes, il est impossible de vraiment ralentir la propagation du virus et finalement de le vaincre. Les pays qui ont fait en sorte que le public soit pleinement informé sur les protocoles et sur les raisons pour lesquelles ils étaient mis en oeuvre et qui ont ensuite veillé à ce que la population ne soit pas laissée à elle-même ont contenu le virus. Le Vietnam est un bon exemple, avec trois décès et seulement quelques centaines de cas à ce jour sur une population de plus de 97 millions d'habitants. Ceux qui travaillent dans la santé publique au Vietnam ont démontré que l'adhésion de la population à mettre en oeuvre et à suivre les protocoles était essentielle pour contenir le virus, de même que l'approche de l'ensemble de la société pour arrêter sa propagation.

Au Canada, si l'objectif de la réouverture des écoles est pris en main de manière à contribuer à stopper le virus et à affirmer le droit à l'éducation, il peut jouer un rôle très positif qui devient un catalyseur. Par exemple, l'Organisation mondiale de la santé a souligné que les écoles peuvent jouer un rôle clé en diffusant rapidement des informations et des conseils à la population. Elles peuvent également servir de plaque tournante pour les programmes de dépistage et de vaccination. Si le but est d'arrêter le virus, les écoles pourraient être utilisées pour identifier le plus de cas possible et pour organiser la mise en oeuvre des mesures de santé publique nécessaires pour empêcher une nouvelle propagation au sein de la population. Cela peut sembler contraire à la logique, mais dans une situation où tout le monde est laissé à lui-même, faire fréquenter l'école aux élèves, en particulier ceux qui ne sont pas en mesure de rester à la maison, est un moyen de s'assurer qu'ils sont pris en charge et d'apprendre comment eux et leurs familles peuvent se protéger et protéger les autres.

Quand et comment rouvrir ?

Dans ce cadre, une des premières choses à laquelle on doit s'attaquer lors de la réouverture des écoles est de savoir quand ouvrir et comment le faire lorsque le moment sera venu. Différentes régions du Canada et des provinces connaissent divers degrés de transmission communautaire. Dans le but d'arrêter le virus, le moment choisi pour l'ouverture doit être conforme aux conditions. Dans une zone où la transmission communautaire est relativement élevée, il serait logique d'offrir les cours en ligne jusqu'à ce que la transmission communautaire soit maîtrisée avant de rouvrir physiquement les écoles, tout cela de manière progressive, pour s'assurer que le virus reste sous contrôle.

Parallèlement, des mesures doivent être prises pour arrêter les éclosions sur les lieux de travail où elles se produisent encore. Dans une région du sud-ouest de l'Ontario, par exemple, qui a actuellement le taux d'infection le plus élevé de la province, la plupart des nouveaux cas continuent de se produire parmi les travailleurs migrants employés dans les agroentreprises. Bon nombre de ces travailleurs, considérés par le bureau local de santé publique à haut risque en raison de leurs conditions de travail et de vie, vivent ensemble dans des dortoirs sur le terrain de l'employeur. Beaucoup d'autres, par contre, vivent dans la communauté, comme les travailleurs de la région qui travaillent à leurs côtés. D'autres sont logés dans des dortoirs à côté de leur lieu de travail. Sans maîtriser ces éclosions sur les lieux de travail, les écoles ne peuvent pas atteindre l'objectif d'arrêter le virus de manière efficace et peuvent contribuer à augmenter la propagation communautaire si elles ouvrent prématurément. Ce qu'il faut, c'est une approche globale.

Dans les zones où la transmission communautaire est faible ou inexistante, il y a de meilleures possibilités de redémarrer les écoles avec tous les élèves, mais avec des classes plus petites et des mesures d'hygiène strictes. Cela nécessite des investissements et la remise du pouvoir de décision entre les mains de ceux qui sont en première ligne afin que cela soit fait avec la pleine participation de ceux qui ont à mettre en oeuvre les nouveaux protocoles.

Les tests de dépistage, la recherche des contacts et le suivi

La question suivante concerne les tests de dépistage. Les écoles peuvent être utilisées pour évaluer la présence du virus dans la population en général, en particulier parmi ceux qui sont asymptomatiques ou présymptomatiques et pour effectuer une recherche détaillée des contacts. La possession de ces informations contribuera à enrichir le corpus de connaissances sur la façon dont le virus se propage au sein de la population afin de mieux le vaincre et de gérer les futures pandémies. Si, au cours de la première semaine, tous les élèves et le personnel sont testés, puis renvoyés chez eux jusqu'à ce que les résultats reviennent, un aperçu de la population scolaire pourrait être établi. Toute personne dont le test est positif peut se confiner avec sa famille, et une rémunération entière et des mesures de maintien de l'emploi sont fournies au personnel touché, en plus de la livraison de nourriture et des vérifications quotidiennes effectuées par les autorités de la santé publique. Des tests de dépistage répétés pourraient alors être effectués une fois par semaine ou sur une autre base régulière. Les tests devraient être évalués de manière accélérée, éventuellement pendant les fins de semaine, pour identifier tout nouveau cas positif.

Une fois la première série de tests de dépistage complétés, l'objectif principal des écoles serait d'éduquer les élèves sur les protocoles d'hygiène et de distanciation appropriés avec des informations complètes sur le virus, comment il se propage et pourquoi de telles mesures sont prises. La première semaine d'école serait une formation à la mise en oeuvre des mesures et mobiliserait également les élèves dans l'élaboration de leur mise en oeuvre dans la salle de classe et à l'école afin qu'ils puissent être partie prenante des décisions et s'approprier les règles.

Pendant ces périodes, le personnel responsable de l'entretien deva effectuer une désinfection intensive chaque soir.

Un autre aspect important est de savoir s'il faut ou non prendre la température corporelle des élèves dans les écoles. Dans de nombreuses provinces, les autorités n'ont pas indiqué que cela doit être fait. Une étude de cas menée dans un hôpital chinois a montré que jusqu'à 41 % des enfants infectés qui étaient à l'hôpital pour la COVID-19 ont développé une fièvre. En prenant régulièrement la température des étudiants et du personnel et en la documentant, des mesures immédiates peuvent être prises si une fièvre se développe et des données à long terme peuvent être recueillies sur la façon dont le virus se manifeste.

Masques et ventilation

La question d'exiger ou non des masques dans les écoles est devenue un sujet de controverse. Le débat ne tourne pas autour de leur utilité, mais plutôt de savoir si les enfants peuvent les porter ou non. Cela a beaucoup à voir avec les conditions dans une école. Les enfants peuvent et doivent apprendre à porter correctement un masque et les raisons de les porter. Cela les aidera à informer également leur famille sur ces questions. Si des investissements appropriés sont faits pour assurer une ventilation adéquate, le port d'un masque est très réaliste. Si les écoles ne sont pas correctement ventilées et extrêmement chaudes comme c'est souvent le cas, cela rendra le port d'un masque pendant de longues périodes très difficile et peut-être même dangereux. S'assurer que les écoles ont une ventilation adéquate garantira que les enfants et le personnel auront les conditions requises pour porter des masques. Cela peut signifier s'assurer que les fenêtres puissent être ouvertes. De nombreuses écoles plus anciennes n'ont souvent pas de moustiquaires et l'ouverture des fenêtres poserait un nouveau risque tel que des guêpes ou des abeilles qui pénètrent dans l'école et provoquent de graves réactions allergiques chez des enfants ou membres du personnel qui sont piqués. Des moustiquaires peuvent être installés pour garantir l'entrée d'air extérieur.

Des comités de santé et sécurité au travail
habilités du pouvoir décisionnel

Chaque jour, les comités de santé et de sécurité sur les lieux de travail, soit ceux établis par la législation dans des endroits comme l'Ontario, soit ceux créés par le personnel dans des régions où il n'y a pas de comités mandatés sur les lieux de travail, devront se réunir pour évaluer comment les choses se sont déroulées et apporter des changements pour le lendemain. Sur une base hebdomadaire, les représentants de chaque école se réuniraient pour partager leurs expériences et résoudre les problèmes. Ces réunions pourraient être ouvertes à tous. Les étudiants devraient avoir des représentants dans les comités de santé et de sécurité, car c'est aussi leur santé et leur sécurité. Il peut s'agir de représentants de conseils étudiants là où ces conseils existent ou d'élèves de chaque cycle qui se portent volontaires et qui agissent pour aider à obtenir des informations de la part de leurs pairs et pour eux.

Ces comités devraient être habilités à superviser l'ouverture et à être le lien entre l'école, la commission scolaire et les autorités locales de santé publique. Dans tout cela, les élèves, le personnel et les parents ou gardiens doivent être habilités à se faire entendre dans leur école locale afin qu'ils puissent contribuer à comment réaliser l'objectif.

En conclusion, le point à réitérer ici est que si nous pouvons contrôler strictement le virus là où la transmission communautaire est faible, l'ouverture des écoles peut contribuer à le maintenir à un niveau bas, éduquer la population sur l'hygiène et d'autres mesures et également recueillir des données importantes sur comment le virus se propage et où il se propage afin que nous puissions contribuer au corpus de connaissances scientifiques qui peuvent nous préparer à prévenir ou arrêter de futures pandémies. Cependant, si les écoles sont ouvertes sur la base d'un risque calculé, cela n'inspirera pas la population et l'habilitera encore moins à participer à la lutte contre la pandémie. Quand et comment ouvrir des écoles doit être basé sur les conditions locales et sur l'affirmation du droit de la jeunesse à l'éducation et du droit des travailleurs à des conditions de travail saines et sécuritaires sur lesquelles ils exercent un contrôle.

Note

1. « WHO warns against using school reopenings as ‘political football' in coronavirus debate, » Noah Higgins-Dunn, CNBC.com, 13 juillet 2020


Cet article est paru dans

Volume 50 Numéro 49 - 1er août 2020

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